Union des populations du Cameroun

L'Union des populations du Cameroun (UPC, en anglais : Union of the Peoples of Cameroon) est un parti politique camerounais fondé le pour obtenir l'indépendance. Finalement interdit et réprimé, il se lance dans la lutte armée en 1955. Après la proclamation de l'indépendance le , l'UPC, écartée du pouvoir, estime que l'indépendance octroyée par la France n'est qu'un simulacre et déclenche une insurrection pour renverser le nouveau régime. Cette guerre civile ne prend totalement fin que vers 1970.

Union des populations du Cameroun
(en) Union of the Peoples of Cameroon

Logotype officiel.
Présentation
Secrétaire général Ruben Um Nyobe
Fondation
Positionnement Gauche
Idéologie Nationalisme
Marxisme
Couleurs Rouge
Site web upc-kamerun.com

Histoire

Les leaders de l'UPC. De gauche à droite, au premier plan: Osendé Afana, Abel Kingué, Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié, Ernest Ouandié

L'UPC a été fondée dans un café-bar de Douala-Bassa dénommé « Chez Sierra ». Ses pères fondateurs sont Jacques Ngom, Charles Assalé, Guillaume Hondt, Joseph Raymond Etoundi, Léopold Moumé Etia, Georges Yémi, Théodore Ngosso, Guillaume Bagal, Léonard Bouli, Emmanuel Yap, Jacques-Réné Bidoum, H-R Manga Mado (Ruben Um Nyobe n'y a en revanche pas pris part[1]).

Les Français, très présents aux origines du mouvement, s'effacent très vite. Gaston Donnat lui-même, bien que se présentant encore spontanément comme le « premier des upé- cistes » (il s'était vu offrir la carte « n° 1 » de l'UPC) quelques mois avant sa mort - survenue en à l'âge de 93 ans -, a relativisé son rôle : « Mes camarades français et moi, explique-t-il, n'avons fait qu'aider nos amis camerounais et, [...] à partir d', aussi bien l'USCC que l'UPC ont été des organisations absolument indépendantes et dirigées uniquement par des Camerounais. »[2]

En 1955, soit sept ans après sa fondation, ce mouvement de libération nationale comptait 460 comités de village ou de quartier et 80 000 adhérents, surtout sur le littoral, dans le centre, le sud et l'ouest, parmi les Bamiléké et les Bassa. L'une des forces de l'UPC est son caractère multiethnique. Après avoir tenté la voie parlementaire en 1951-1952 sans succès, l'UPC se tourna vers l'ONU, qui avait la tutelle sur le Cameroun, pour demander l'indépendance et la réunification.

Sous l'égide de Ruben Um Nyobe, qui en devient son deuxième secrétaire général en , le parti présentera, au mois de , à la 4e Commission de tutelle de l'Assemblée générale de l'ONU[3], les revendications suivantes :

  1. La révision des accords de tutelle du qui avaient été signés sans aucune consultation au préalable des populations contrairement à ce que voulaient faire croire Louis-Paul Aujoulat et Alexandre Douala Manga Bell, officier de l'armée française qui déclara « (...) l’accord de tutelle a été l’objet d’une très large diffusion, ainsi que d’un très large débat, au Cameroun, celui-ci a été approuvé par le peuple camerounais (...) »[4],[5];
  2. La réunification immédiate;
  3. La fixation d'une date (10 ans) pour mettre fin aux accords de tutelle et donner l'accès à l'indépendance politique du Cameroun.

À propos de la période « de dix ans préparatoire à l’indépendance »[6], Ruben Um Nyobè proposa « (...) un programme-école, c'est-à-dire, un programme dont l’exécution permettrait aux Camerounais de recevoir une formation adéquate, pour pouvoir assumer les charges d’Etat découlant du recouvrement de notre souveraineté »[7]. D'après son allocution, c’était « (...) pour permettre aux citoyens de notre pays d’apprendre, pendant un laps de temps, à diriger, sous l’égide d’un haut-commissaire de l’ONU, le gouvernement de leur pays »[8].

L'UPC se désaffilie du Rassemblement démocratique africain à la suite de la décision de son président, Félix Houphouët-Boigny, de rompre avec les communistes et d'abandonner la lutte pour l'indépendance afin de se rapprocher du gouvernement français. Ruben Um Nyobe l'accuse d'avoir « trahi le programme »[9].

À partir de 1953, face à l'intensification de la répression par le pouvoir colonial, l'UPC, notamment sous l'impulsion du docteur Félix-Roland Moumié, radicalise ses modes d'action politique.

En 1954, le nouveau Haut commissaire français Roland Pré est déterminé à liquider l'UPC. Les dirigeants du parti sont regroupés à Douala pour faciliter leur surveillance et mener contre eux un harcèlement judiciaire. Abel Kingué, le vice-président, est ainsi poursuivi pour « outrage à magistrat » pour une affaire remontant à 1951 ; Pierre Penda, membre du comité directeur, fait l'objet de cinq plaintes consécutives ; Félix Moumié est quant à lui poursuivi pour « diffamation et injure » ; enfin, Ruben Um Nyobè est condamné pour « dénonciation calomnieuse ». Roland Pré mène aussi une purge au sein de l'appareil judiciaire, renvoyant en France les magistrats jugés « trop mous » dans leur répression de l'UPC. Les forces de l'ordre et organisations camerounaises proches de l'administration (notamment le Rassemblement des populations du Cameroun) sont mobilisées pour empêcher les réunions et prises de paroles publiques de l'UPC. Le contrôle des correspondances privées devient systématique, tandis que des domiciles de militants sont fréquemment perquisitionnés[10].

Tournant de 1955

Du 20 au [11], une série d'affrontements opposèrent militants de l'UPC organisés en groupes de combats à leurs adversaires politiques locaux et aux forces de l'ordre[12], événement qui marque l'irruption de la violence dans la vie politique camerounaise et le début de la guerre du Cameroun[12].

Ce mouvement est brutalement réprimé par le pouvoir colonial de l'époque, le parti est dissous par un décret en date du , et ses dirigeants doivent s'exiler à Kumba (Cameroun britannique), puis au Caire, à Conakry, à Accra ou à Pékin. Ruben Um Nyobè est tué dans le maquis le [13]. Le parti rentre dans la clandestinité[12]. D'après l'historien Bernard Droz, la Chine fournissait l'UPC en armes[14].

Des représentants du parti sont invités en 1958 à la « Conférence des États africains indépendants » organisée par le président ghanéen Kwame Nkrumah.

Indépendance

À la suite de l'indépendance le , l'UPC, écartée du pouvoir, estime que l'indépendance octroyée par les Français n'est qu'un simulacre (dénoncé un peu plus tôt par Mbida lorsqu'il refusa d'intégrer le gouvernement Ahidjo) et que Ahmadou Ahidjo n'était qu'un valet de la colonisation qu'il fallait combattre.

Les leaders de l'UPC déclenchent donc une insurrection pour conquérir le pouvoir par la force. Il y eut de nombreux débordements et l'insurrection se transformera par endroits en brigandages et règlements de compte. Cette insurrection sera matée par Ahmadou Ahidjo, aidé par des conseillers militaires français. Les dirigeants de l'UPC en exil seront tués l'un après l'autre, comme le docteur Félix-Roland Moumié, empoisonné à Genève en octobre 1960, par les services secrets français[15]. Entre-temps, un autre dirigeant de l'UPC, Osendé Afana, a été assassiné dans le sud-est du pays, le 15 mars 1966[réf. nécessaire]. Le dernier d'entre eux, revenu au Cameroun pour organiser de l'intérieur la lutte armée, Ernest Ouandié, sera arrêté en , jugé au cours du procès dit Ouandié-Ndongmo, et condamné à la peine capitale. Il sera fusillé le .

Idéologie

L'UPC fut profondément liée au Parti communiste français et s'engageait sur les questions sociales et pas seulement patriotiques[12]. À l’étranger, l'UPC est invitée aux congrès du PCF et de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique[10].

Les auteurs du livre Kamerun ! soulignent que l'organisation n'est pas pour autant un parti communiste et qu'il « s'agissait surtout d'une fraternité par défaut. Qui d'autres que les communistes, dans les années 1950, étaient prêt à prendre position pour la libération des peuples colonisés ? Les militants de l'UPC pouvaient se reconnaître, à titre individuel, des sympathies communistes, mais l'UPC, en tant que mouvement nationaliste, ne l'était pas. » Certains de ses dirigeants comme Félix Moumié ou Ernest Ouandié se montrent effectivement sensibles aux idéaux communistes, tandis que d'autres, notamment Ruben Um Nyobe, considèrent que l'UPC doit rester neutre sur les questions idéologiques pour rassembler tous les indépendantistes camerounais[10].

Une note de la police datée du milieu des années 1950 reconnait qu'« il nous faut bien constater que Um Nyobé et nombre de membres du comité directeur font preuve d'une honnêteté et d'une rigueur morale qui entrent pour une notable part dans leur succès »[10].

Selon le politologue Jean-François Bayart, l'UPC joue un rôle central dans l'Afrique française d'après guerre : « Elle ouvrit la voie à l’émancipation du Cameroun mais, par-delà, également à celle de l'Afrique noire francophone »[16].

L'UPC considère d'autre part les revendications économiques indissociables des revendications politiques : « le patronat est soutenu par l’administration et cette administration ne peut mener une politique d'oppression nationale dans nos pays qu'en se servant des armes économiques et des moyens matériels détenus dans en grande partis par les entreprises privées. L'UPC considère, et les militants syndicaux sont de cet avis, que émancipation économique de nos populations est impossible sans les conquêtes politiques nécessaires au progrès économique, social et culturel des habitants »[16].

Structures de jeunesse et féminine

Le parti, qui s'est doté d'un « comité féminin » en 1949, travaille ensuite de concert avec un autre parti, l'Union démocratique des femmes camerounaises (UDEFEC), créé en 1951. Très proche de l'UPC, organisé selon les mêmes modalités, ce parti fondé par des femmes se voit protégé des tentatives d'ingérence ou de mainmise par les hommes de l'UPC grâce à une intervention de son secrétaire général Ruben Um Nyobé. Il indique « si que les « camarades » de l'UPC avaient la tentation de prendre en charge l'UDEFEC, cela voudrait dire qu'ils se sont approprié le langage et les assertions des colonialistes qui prétendent que l'UDEFEC et le JDC sont de simples affiliés de l'UPC et ne représentent pas des mouvements distincts »[17].

Si l'UDEFEC ne se définit pas comme « féministe », elle contribue néanmoins à déstabiliser les places généralement assignées aux femmes par les autorités coloniales ou les chefs traditionnels, par exemple en demandant l'abolition des lois interdisant aux femmes l'accès à certaines professions ou activités commerciales. Ses militantes envoient de multiples pétitions à l'ONU et organisent des manifestations défiant l'administration[10].

La Jeunesse démocratique camerounaise est fondée en 1954 et devient un important levier de recrutement de jeunes militants. Elle multiplie les contacts avec d'autres organisations de jeunesse, notamment dans les pays d'Europe de l'Est, et participe à des conférences à l'étranger. Son dirigeant Hyacinthe Mpaye, engagé dans l'armée française pendant la Seconde guerre mondiale et syndicaliste CGT, est proche du marxisme : il explique ce qui lui parait être une nécessaire alliance des Camerounais avec la classe ouvrière française. La JDC manifeste une forte autonomie à l'égard de l'UPC[10].

Renouveau

Longtemps restée en clandestinité, l'UPC refait officiellement surface en 1991 avec le retour du multipartisme au Cameroun. Le premier congrès non clandestin se tient du 19 au 22 décembre 1991 à Bamougoum, après 36 ans de clandestinité depuis 1955[18]. Différentes tendances du mouvement sont créées après son renouveau et tiennent des congrès, plus ou moins unitaires, en 1991, 1996, 1998, 2002, 2004 et 2007.

Depuis son retour sur la scène politique nationale, ce n'est qu'en 1997 que l'UPC présente officiellement un candidat à l'élection présidentielle, en la personne du professeur Henri Hogbe Nlend, sorti second derrière le président sortant Paul Biya, réélu. Une nouvelle tentative de candidature d'un membre de l'UPC, le Dr Samuel Mack Kit est faite en 2004. Cette candidature est rejetée par la Cour Suprême, officiellement pour dossier de candidature incomplet.

L'UPC a eu des élus au parlement du Cameroun et des ministres au gouvernement jusqu'en 2007.

Résultats électoraux

L'UPC dirigée par Théodore Mayi-Matip a pu faire campagne sous son sigle pour les élections législatives du 10 avril 1960 au Cameroun français. Elle recueille 11 % des suffrages soit le 2e résultat en voix mais obtient 8 sièges, ce qui la place 5e groupe à l'Assemblée[19].

Année Sièges Représentation Rang
1960 8
8  /  100
5e
1964 à 1988 0
0  /  100
1992 18
18  /  180
3e
1997 1
1  /  180
4e
2002 3
3  /  180
4e

Notes et références

  1. Abel Eyinga, L’UP : une révolution manquée ?, Chaka, p. 23-24
  2. Thomas DELTOMBE, Manuel DOMERGUE et Jacob TATSITSA, La Découverte, (ISBN 978-2-348-04238-6), p.79
  3. Bouopda Pierre Kamé, Cameroun, du protectorat vers la démocratie - 1884-1992 p. 84
  4. Enoh Meyomesse, Le carnet politique de Ruben Um Nyobè, p. 20
  5. Enoh Meyomesse, Le carnet politique de Ruben Um Nyobè, p. 34
  6. Abel Eyinga, L’UPC : une révolution manquée ?, Chaka, 1991
  7. Enoh Meyomesse, Le carnet politique de Ruben Um Nyobe, p. 35-36
  8. Enoh Meyomesse, Le carnet politique de Ruben Um Nyobè, p. 36
  9. L'Empire qui ne veut pas mourir: Une histoire de la Françafrique, Seuil, , p. 169
  10. Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsita, KAMERUN !, 2018
  11. Richard Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun : Les origines sociales de l'UPC (1946-1958) Éditions Karthala, 2000
  12. Marc Michel, « Une décolonisation confisquée ? Perspectives sur la décolonisation du Cameroun sous tutelle de la France 1955-1960 », Revue française d'histoire d'Outre-mer, , p. 229-258 (lire en ligne)
  13. D'après J.A Mbembe Le problème national Camerounais : Ruben Um Nyobé, Éditions l'Harmattan, coll. « Racines du présent »
  14. Bernard Droz, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, éditions Broché
  15. Françafrique : la raison d'état de Patrick Bencquet
  16. Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine, La Découverte,
  17. (en) Meredith Terretta, « A Miscarriage of Revolution: Cameroonian Women and Nationalism », Stichproben. Wiener Zeitschrift für kritische Afrikastudien, no 12, (lire en ligne)
  18. Siméon Kuissu, Un congrès envers et contre tout: Le premier congrès de l'Union des populations du Cameroun à la sortie de 36 ans de clandestinité, Editions Menaibuc, 2006
  19. Philippe Gaillard, Le Cameroun, Tome 2, L'Harmattan, Paris, 1989

Voir aussi

Bibliographie

  • Abel Eyinga, L’UPC : une révolution manquée? Chaka
  • Bouopda Pierre Kamé, Cameroun, du protectorat vers la démocratie - 1884-1992
  • Enoh Meyomesse, Le carnet politique de Ruben Um Nyobè
  • Bernard Droz, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, éditions Broché
  • Richard Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun : Les origines sociales de l'UPC (1946-1958) Éditions Karthala, 2000

| Ekum'a Mbella Bwelle, Cameroun. De l'UPC au MANIDEM. Chroniques d'une rupture, L'Harmattan Cameroun, Paris, Yaoundé, 2012, 196 p. (ISBN 9782296548206)

  • J.A Mbembe Le problème national Camerounais : Ruben Um Nyobé éditions l'Harmattan, collection "Racines du présent"
  • Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsita, KAMERUN !, une guerre cachée aux origines de la FrançAfrique, 1948-1971, éditions La Découverte, 2011

Articles connexes

Liens externes

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