Vie de Jésus (Renan)

Vie de Jésus est un essai d'Ernest Renan, publié en 1863. C'est le premier volume d'un projet plus vaste, l’Histoire des origines du christianisme (huit volumes publiés entre 1863 et 1883). Ce best-seller européen fait scandale notamment en France car le philologue et historien présente Jésus comme une haute personnalité morale, rejetant sa divinité et toute intervention du surnaturel.

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Vie de Jésus (Renan)

Une réédition en 1863. C'est déjà la 9e édition.

Auteur Ernest Renan
Pays France
Genre Essai critique sur le christianisme
Éditeur Michel Lévy frères
Date de parution 24 juin 1863

Historique

Cet essai résulte de notes de lectures et d'ébauches consignées au jour le jour dans des carnets de Renan, prises lors de l'expédition française en Syrie et au Liban à laquelle il participe en 1860-1861. C'est en effet lors de cette mission archéologique que mûrit dans son esprit le projet de cette biographie en parcourant la Judée et la Galilée au printemps 1861. La confrontation des évangiles canoniques à la réalité historique le conduit à cette époque à procéder à un dépouillement de ces textes sacrés[1]. Renan revient ainsi d'Orient en avec le brouillon de Vie de Jésus mais s'impose de ne pas le publier afin de ne pas se fermer les portes du Collège de France, comme le lui conseillent ses amis, notamment le théologien protestant Albert Réville ou le savant Marcelin Berthelot[2]. Professeur d'hébreu au Collège de France où il succède à Étienne Quatremère en 1862, il en est suspendu quatre jours après sa leçon inaugurale pour injure à la foi chrétienne. Dès lors, la publication de cette biographie devient sa priorité[3].

Présentation

Vie de Jésus est une biographie de 28 chapitres assez courts qui relate chronologiquement les principaux épisodes de Vie de Jésus et décrit les paysages, les mœurs, les relations sociales des Juifs et de la Gentilé à son époque[4]. Le livre défend et illustre une thèse selon laquelle la biographie de Jésus devait être écrite comme celle de n’importe quel autre homme. Les Évangiles devaient être soumis à un examen critique comme n’importe quel autre document historique. En application de cette thèse, Renan reconstitue l'historique de la vie publique de Jésus de Nazareth, à partir d'une synthèse critique des concordances et discordances présentes dans les évangiles. Renan replace l'histoire dans un cadre historique, en rattachant les éléments évangéliques à ce qui était connu du contexte historique et social de l'époque[5]. Il y présente enfin des interprétations de certains miracles suivant la même analyse que pour proposer des fondements historiques des mythologies, comme celui de la multiplication des pains : « Jésus, craignant de la part d'Antipas un surcroît de mauvais vouloir, prit quelques précautions et se retira au désert. Beaucoup de monde l'y suivit. Grâce à une extrême frugalité, la troupe sainte y vécut ; on crut naturellement voir en cela un miracle[6]. »

Réception et réactions

Caricature d'Ernest Renan, par André Gill, La Lune, No. 62, 11 mai 1867 (succès de La Vie de Jésus).
La Madeleine chez le Pharisien : Jésus, Marie de Magdala et Ernest Renan (au centre), par Jean Béraud (1891), musée d'Orsay.

Le livre est publié le [7]. Le succès public est immédiat : tiré à 10 000 exemplaires, 60 000 exemplaires sont liquidés en cinq mois et 430 000 exemplaires sont vendus entre 1863 et 1947, date de la dernière édition avec des ventes encore significatives[8], ce qui en fait un long-seller et l'un des best-sellers européens de l'époque. Il est l'un des livres les plus lus en France dans la seconde moitié du XIXe siècle[9]. En 1947, on compte douze éditions, 84 traductions en douze langues dont 60 pour la seule langue allemande. « Le montant des droits d'auteur de ce livre ne sera dépassé, quelques années plus tard, que par Les Misérables[10] », et donne à Renan son indépendance financière.

Ce succès déclenche immédiatement des débats passionnés et la colère de l’Église catholique qui parle de blasphème[7], mais aussi des critiques de protestants comme Albert Schweitzer qui écrit : « Il n’y a guère d’ouvrage qui pullule d’autant de fautes de goûts et des plus affreuses ! Il s’agit là d’un art chrétien au pire sens du terme, d’art de figurines de cire. »[11]

« En trois mois, il ne paraîtra pas moins de trois cent vingt et un livres, libelles et brochures[12] sur Vie de Jésus et la Bibliothèque du Congrès des États Unis possède, aujourd'hui encore, une collection de dix-sept volumes intitulée : Réfutations de la Vie de Jésus[13] ». Tout en protestant d'un grand respect pour le Jésus-homme[14] en tant que penseur, Renan adopte en effet un point de vue résolument positiviste, comme dans son chapitre sur les miracles (chapitre 16). C'est le cinquième ouvrage de Renan à être mis à l'index (le ). Il est de plus condamné le dans le Syllabus et les interventions futures de l'historien lui vaudront l'apostrophe du pape Pie IX, le traitant en de « blasphémateur européen »[15].

Le succès de Vie de Jésus suscite la publication en 1864 par Augustin Crampon, alors professeur au séminaire d'Amiens, qui a suivi la même formation de langues anciennes et d'exégèse qu'Ernest Renan, de sa traduction des quatre Évangiles canoniques avec notes et dissertations, et un avant-propos polémique, premier essai destiné au grand public de sa traduction de la Bible parue en 1904[16].

Autres éditions

Renan publie le sous le titre Jésus une édition « grand public » sans les notes ni la critique des sources, et en retranchant ou atténuant de nombreux passages. Il annonce dans l’avertissement : « Je crois que beaucoup de vrais chrétiens ne trouveront dans ce petit volume rien qui les blesse ». Cette édition, qui a un grand succès, n’attire pas l’attention des critiques[17].

Dans la treizième édition enrichie et remaniée publiée le , Ernest Renan répond à ses critiques et développe son raisonnement sur la valeur historique des textes évangéliques, tout en maintenant sa position d'historien rationaliste. Comme il le rappelle dans la Préface, il prend ses distances et avec les traditionalistes, et avec les théologiens libéraux, qui présentent Jésus « comme l'homme de bon sens, l'homme pratique par excellence[18] ». C'est cette édition qui constitue la version définitive et sert aujourd’hui de référence[19].

Influence

Selon l'historienne Perrine Simon-Nahum, cette controverse est « au départ d’un malentendu lourd de conséquence. Elle débouche sur un jugement erroné de l’œuvre de Renan rangé au rang d’écrivain à succès, mais finalement de dilettante. En faisant silence sur l’entreprise scientifique qu’elle recouvre et, au-delà de l’auteur lui-même, elle condamne en réalité définitivement la possibilité de fonder en France l’histoire des religions comme discipline reconnue à l’Université[20] ».

Notes et références

  1. Pascal Aumasson, Ernest Renan, 1823-1892 : un Celte en Orient, Le Musée, , p. 79.
  2. Jean Pommier, Renan et Strasbourg, F. Alcan, , p. 120.
  3. Dominique-Marie Dauzet, La mystique bien tempérée, Cerf, , p. 44.
  4. Charles Chauvin, Renan : 1823-1892, Desclée de Brouwer, , p. 48.
  5. Michel Bouttier, Jésus de Nazareth : nouvelles approches d'une énigme, Labor et Fides, , p. 63-67.
  6. Pierre Bonnard, L'Évangile selon saint Matthieu, Labor et Fides, , p. 218.
  7. Henry Laurens, Ernest Renan. La science, la religion, la République, Odile Jacob, , p. 123.
  8. Sylvie Pérez, Un couple infernal : l'écrivain et son éditeur, Bartillat, , p. 258.
  9. Henry Laurens, La Question de Palestine Fayard 1999, T.I L'invention de la Terre sainte p. 94.
  10. Roger-Pol Droit, Ma philo perso de A à Z, Le Seuil, , p. 57.
  11. François Lerch, « Évangile & Liberté : La Vie de Jésus d’Ernest Renan », sur www.evangile-et-liberte.net, (consulté le )
  12. Philibert Milsand, bibliothécaire-adjoint de la ville de Dijon, recense 214 livres en un an. Cf Philibert Milsand, Bibliographie relative au livre de M. Renan Vie de Jésus (de juillet 1863 à juin 1864), É. Dentu libraire, , 66 p..
  13. Jean-Pierre van Deth, Ernest Renan, Fayard, , 616 p. (lire en ligne).
  14. C'est cet aspect qu'il souligne dans sa leçon inaugurale au Collège de France (22 février 1862), où il remet en cause la divinité du Christ en parlant de Jésus comme d'un « homme incomparable, si grand que je ne voudrais point contredire ceux qui l'appellent Dieu ». Ses propos heurtent l'opinion conservatrice et sont repris par tous les libéraux du pays. Cf Dominique-Marie Dauzet, La mystique bien tempérée, Cerf, , p. 44, Perrine Simon-Nahum, « Le scandale de la Vie de Jésus de Renan. Du succès littéraire comme mode d'échec de la science », Mil neuf cent : Revue d'histoire intellectuelle, vol. 25, no 1, , p. 68.
  15. Édouard Richard, Ernest Renan, penseur traditionaliste ?, Presses universitaires d'Aix-Marseilles, , p. 310.
  16. Pierre Bogaert et Christian Cannuyer, Les Bibles en français : histoire illustrée du Moyen Âge à nos jours, Brepols, , p. 194.
  17. Les deux Vies de Jésus, Georges Pholien, Droz, 1989. [lire en ligne] sur Google Books.
  18. Madeleine Ambrière, Précis de littérature française du XIXe siècle, Presses universitaires de France, , p. 433.
  19. Georges Pholien, Les deux "Vie de Jésus" de Renan, Librairie Droz, , p. 20
  20. Perrine Simon-Nahum, « Le scandale de la Vie de Jésus de Renan. Du succès littéraire comme mode d'échec de la science », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, vol. 25, no 1, , p. 61 (lire en ligne).

Voir aussi

Bibliographie

  • Nathalie Richard, La Vie de Jésus de Renan : la fabrique d'un best-seller, Presses universitaires de Rennes, , 315 p.
  • Jean Balcou, VieS de Jésus : actes du colloque de Tréguier, 22 et 23 septembre 2000, Narr, , 256 p.
  • (de) Albert Schweitzer, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, Siebenstern, , p. 207-218

Articles connexes

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