Vue d'optique

Une vue d’optique est une estampe, qui, si elle est regardée à travers d'un appareil spécifique de visionnement (zograscope ou « boîte d'optique »), donne l'illusion d'un relief et d'une perspective accentuée.

Port de Marseille, vue d'optique, Augsbourg, 1778.

Apparues en Angleterre dans la première moitié du XVIIIe siècle, elles sont dérivées des « perspectives ». L'appellation « vues d’optique » se généralise à partir de 1740. Leur succès gagne l'Europe dans la seconde moitié du siècle et décline autour de 1800. Londres, Paris, Augsbourg et Bassano Del Grappa sont les quatre principaux centres de productions.

Caractéristiques des vues d’optique

Les vues d'optique sont des estampes gravées à l'eau-forte. Les impressions sont coloriées à la main, à la gouache ou à l'aquarelle, avec un soin variable et une palette relativement limitée. Le coloriage est souvent réalisé en atelier et en série.

Plusieurs éléments caractérisent une vue d'optique, quoiqu'ils ne soient pas toujours tous réunis :

  • le format, relativement standardisé : l'élément d'impression mesure environ 23 x 40 cm, la feuille 30 x 45 cm[1]. Les dimensions varient légèrement en fonction du centre de production
  • le sujet, principalement des vues topographiques (paysages urbains, monuments) ou des intérieurs architecturaux (églises, palais)
  • la présence d'une légende explicative, parfois traduite en plusieurs langues.
  • la présence d'un titre supérieur, généralement gravé à l'envers, de façon à ce qu'il apparaisse à l'endroit dans le dispositif optique, qui comprend un miroir.
  • une perspective accentuée et un angle de vue supérieur à celui de l'œil humain (c'est-à-dire 46°), de façon à produire un effet à travers un dispositif optique.

Pour être visualisables dans une optique, il faut une perspective très profonde, un premier plan, un point de fuite à l'horizon situé au centre de la vue approximativement et l'angle de vue de l'image doit être supérieur à l'angle de vision moyen de l'homme.

Thèmes des vues d'optique

Les vues d'optique figurent majoritairement des sujets topographiques (paysages urbains, monuments remarquables, châteaux et palais, ports, jardins) parfois lointains (Amérique, Extrême-Orient). Certaines vues traitent d'événements marquants (scènes historiques comme la peste de 1720, tremblements de terre, incendies, mariages princiers) ou des scènes d'actualités, qui se multiplient dans les deux dernières décennies du siècle (prise de la Bastille, fête du 14 Juillet, exposition de la machine infernale). Les fêtes, illuminations et feux d'artifice forment également des sujets prisés.

Une petite partie de la production traite de sujets bibliques, mythologiques, allégoriques ou moralisateurs. Cette veine éditoriale est surtout le fait des éditeurs augsbourgeois.

Rares sont les vues d'optique au motif original : toutes ou presque copient des estampes existantes, elles-mêmes souvent gravées d'après des dessins ou des peintures. Jacques Rigaud, Nicolas Ozanne, Giuseppe Vasi, Giovanni Battista Piranèsi, Giuseppe Zocchi sont parmi les modèles les plus souvent mobilisés. Les éditeurs augsbourgeois ont parfois proposé des images inédites, gravés d'après des dessins réalisé sur le motif. Ainsi, Friedrich Bernhard Werner est l'auteur des compositions de plusieurs vues d'optique publiées à Augsbourg au XVIIIe siècle[2].

Il résulte de ces copies et adaptations des vues parfois fantaisistes, très éloignées de la réalité topographique.

Dispositifs de visionnement

Si elles peuvent être regardées, comme n'importe quelle estampe, directement et sans le concours d'un quelconque dispositif, les vues d'optique sont spécifiquement conçues pour permettre une visualisation à travers un instrument d'optique dont la lentille va déformer l'image et donner au spectateur une impression de profondeur[3].

Zograscope du XVIIIe siècle.

Plusieurs dispositifs existent : le zograscope et la boîte d'optique, de type catoptrique ou dioptrique. Tous reposent sur le principe de la vision binoculaire permise par des lentilles de grand diamètre (12 à 15 cm)[3].

Fonctionnement

Les rayons lumineux réfractés par la lentille pénètrent parallèlement dans les yeux du spectateur, faisant naître une impression de distance par rapport à la vue. La vue doit être mise à une distance identique à une distance focale de la lentille. Par exemple, pour la lentille de l'optique de Flaugergues, il faut placer la vue à 70 cm de la lentille.

La composition de l'image, traitée avec une forte perspective et un grand angle, comme les couleurs contrastées employées pour le coloriage participent de l'effet.

Zograscope

Il se présente sous la forme d'un simple pied en bois, supportant une lentille biconvexe et un miroir incliné à 45°. Les vues gravées sont posées à plat au pied du zograscope.

Boîtes d'optique

Contrairement au zograscope, les boîtes sont fermées, et il n'est possible de voir l'image qu'à travers la lentille. Il existe deux types de boîtes d'optique, les boîtes catoptriques et les boîtes dioptriques. Dans certaines boîtes de colporteurs, des cordelettes permettent de manipuler les vues. Les estampes peuvent également être montées en rouleau que l'on déroule à l'aide d'une manivelle.

Vues à effets

Certaines vues d'optique ont été travaillées pour leur conférer un effet nocturne. L'estampe est perforée et les ouvertures recouverte d'un fin papier coloré et translucide. Des étoffes peuvent aussi être utilisées. Eclairées par l'arrière, elles produisent l'effet d'un paysage nocturne illuminé. Ces montages étaient particulièrement apprécié pour animer les vues de fêtes et de feux d'artifice ou d'incendies.

La boîte d'optique dioptrique (sans miroir avec une visualisation directe) sont adaptées au visionnement de ces vues à effets. Elles disposent en effet d'un couvercle (vision diurne) et d'un emplacement pour les bougies (vision nocturne). Une cheminée est prévue pour évacuer la fumée.

Une production européenne

Les premières vues d’optique ont été éditées à Londres dans la première moitié du XVIIIe siècle. La mode se diffuse à travers toute l'Europe entre 1740 et 1790. Quatre centres ont produit l'essentiel des vues d'optique diffusées aux XVIIIe siècle et XIXe siècle. Il s'agit de Londres, Paris, Bassano et Augsbourg. Les centres secondaires sont Berlin, Vienne et la Hollande. Au début du XIXe siècle, l'intérêt pour les vues d'optique décline, cependant quelques éditeurs poursuivent la production jusqu'au milieu du siècle.

Londres

La production londonienne se distingue par sa facture plus soignée. Les principaux éditeurs sont Henry Overton, Robert Sayer, James et Carington Bowles et enfin Laurie & Whittle[2].

Paris

À Paris, la production démarre dans les années 1740. Elle devient l'une des spécialités de la rue Saint-Jacques, cœur de la production d'estampe demi-fine. Jean-François Daumont, les Chéreau, Louis-Joseph Mondhare, Jacques-Gabriel Huquier, les Basset et Laurent-Pierre Lachaussée sont les éditeurs les plus prolifiques[4]. Leurs tirages passent pour moins délicats que les vues d'optique allemandes et anglaises[2].

Augsbourg

La production augsbourgeoise de vue d'optique débute autour de 1770[2]. Georg Balthasar Probst et l'Académie Impériale d'Empire des Arts libéraux sont les deux acteurs les plus actifs, suivis par Joseph Carmine et Dominique Fietta.

Bassano-del-Grappa

A Bassano-del-Grappa, la production de vues d'optique est exclusivement le fait de la firme Remondini, alors dirigée par Giuseppe Remondini. L'essentiel de sa production est copiée des autres éditeurs européens, et un procès pour contrefaçon l'oppose aux augsbourgeois autour de 1770[4].

Stratégies commerciales

Tous ces éditeurs ayant à cœur de conquérir le marché international, il est fréquent que les lettres soient multilingues (français et anglais, français et latin, etc.). L'éditeur augsbourgeois Georg Balthasar Probst accompagne ses images de légendes en quatre langues (allemand, français, latin et italien).

Une taille standard s'est imposée pour les rendre utilisables partout (feuille de papier en format paysage, 30 × 45 cm, élément d'impression 23 × 40 cm).

La vue d'optique en Extrême-Orient

La mode des vues d'optique est exportée en Chine et au Japon au XVIIIe siècle par l'intermédiaire des Hollandais.

Consommation des vues d'optique

Les vues d'optique ont rencontré un succès auprès des différentes strates de la population.

J.F. Cazenave d’après Louis-Léopold Boilly, Portrait de Louise-Sébastienne Gély avec un enfant devant un optique, estampe, 1794, Amsterdam, Rijksmuseum.

Un divertissement d'élite

L'optique est un divertissement sérieux apprécié des élites : on trouve des zograscopes et des boîtes d'optique ouvragés dans les salons de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie. Les vues d'optique permettent un voyage immobile et participent de l'enseignement de la physique et de la géographie.

Les dispositifs de visualisation, comme les estampes, ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Georges Adams, opticien londonien vend des diagonal mirors jusqu'à 2 livres et douze shilling. Les estampes coûtent 1 shilling en noir et deux si elles sont coloriées, soit le salaire journalier d'un travailleur manuel londonien (1 shilling)[3].

Les vues d'optique produites sur le continent sont moins onéreuses.

Montreurs d'optique et consommation populaire

Estampe (1749) montrant un colporteur allemand, son appareil optique et son cri « Raritet, shöni Raritet » afin d'attirer la clientèle.

La pénétration des vues d'optique dans les milieux plus populaire se produit par l'entremise des monteurs d'optique itinérants. S'installant dans les foires, les marchés et les rues, ils proposent aux passants un coup d'oeil dans leur boîte d'optique contre une somme modique. Les boîtes d'optique des colporteurs sont de facture plus simple que celle des salons. Elles sont généralement à vision directe (sans miroir) et peuvent comporter plusieurs lentilles pour une vision simultanée par plusieurs spectateurs[3]. Pour attirer les promeneurs, les montreurs d'optique lancent des boniments, utilisent des instruments sonores (cloches, trompes, tambours, vielle), des lanternes magiques et des marionnettes.

Certaines boîtes permettent de visionner plusieurs estampes montées en rouleaux ou spécifiquement conçues pour des effets nocturnes[1].

Spécificités nationales

Ces spectacles sont appelés Mondo Nuovo en Italie ou Rareeshow en Angleterre.

En France, ces colporteurs viennent traditionnellement de Savoie et d'Auvergne[réf. nécessaire].

En Angleterre, les perspective views sont montrées à travers une boîte d'optique (peep box) transportée par le colporteur appelé en langage courant peepshow man. De telles attractions sont appelées raree show (raree signifiant ici « curiosité, chose inhabituelle »).

En Allemagne, l'appareil optique en forme de boîte est appelé Guckkasten. On parle de « Raritet » en référence au cri du colporteur.

Représentations

Figures pittoresques, les montreurs de vues d'optique ont fait l'objet de nombreuses représentations dans l'estampe et la peinture. On retrouve leur figure dans les Cris de Paris[5],[6]. Alexander Lauréus représente un Vieillard à la boîte d'optique, vue de la rue Storkyrkobrinken, Stockholm[7]

Déclin de la production de vues d'optique

La production de vue d'optique baisse à partir de 1790. Elle disparaît dans les années 1820 et vingt ans plus tard en Angleterre. Si de nouvelles vues d'optique ne sont plus imprimées, elles continuent à circuler grâce aux montreurs de vues d'optique.

Le dernier montreur de vue d'optique (surnommé Monsieur Bouledogue) en France est attesté de 1874[réf. nécessaire]. Avant la première guerre mondiale, à la campagne, certains colporteurs continuent à montrer des vues du XVIIIe siècle avec des personnages modernisés.

Le déclin de la vue d'optique s'explique par l'apparition d'autres procédés de reproduction et d'impression (lithographie, photographie) et de nouvelles attractions visuelles, qui concurrencent le spectacle de l'optique. Ainsi, le diorama de Louis Daguerre avec sa version miniaturisée le polyorama, vendu à la sortie du spectacle. L'illusion est basée sur la transparence déjà utilisée dans les vues perforées.

Le mégalétoscope adopte le principe de la vue d'optique en intégrant des vues photographiques.

Le stéréoscope remplace les vues d'optique dans les spectacles. D'autres jouets d'optique sont à signaler comme le phénakistiscope de Joseph Plateau et le praxinoscope d'Émile Reynaud.

Collections publiques

Les établissements patrimoniaux suivants conservent des ensembles importants de vues d'optique (plus de 80 pièces) :

Notes et références

  1. (it) Aletta, Anna, et Sogni nel cassetto, metafora del viaggio e viaggi reali (Conference) (2014 : Museo di Roma), Il mondo rappresentato : metafora del viaggio e viaggi reali, Rome, Artemide, (ISBN 978-88-7575-151-7 et 887575151X, OCLC 1015241993, lire en ligne)
  2. (en) C.J. Kaldenbach, « Perspective View », Print Quarterly, vol. 2, no 2, , p. 87-104
  3. Aressy, Lorraine., Bertrand, Caron, Didier, Morgane. et Palouzié, Hélène., Le monde en perspective vues et récréations d'optique au siècle des Lumières : les collections montpelliéraines de vues d'optique au château de Flaugergues, Montpellier, Direction régionale des affaires culturelles, DRAC du Languedoc-Roussillon, Conservation régionale des monuments historiques, CRMH, impr. 2014, 79 p. (ISBN 978-2-11-138379-1 et 2111383791, OCLC 895241688, lire en ligne)
  4. Edouard de KEYSER, « Un domaine méconnu de l’imagerie : les vues d’optique », Bulletin de la Société archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, vol. 23, no 198, , p. 137-168
  5. Balzer, Richard., Peepshows : a visual history, Harry N. Abrams, (ISBN 0-8109-6349-3 et 9780810963498, OCLC 37398036, lire en ligne)
  6. Levie, Pierre., Montreurs et vues d'optique, Bruxelles, Edition Sofidoc, , 191 p. (ISBN 2-9600656-0-3 et 9782960065602, OCLC 773939713, lire en ligne)
  7. (Gubben med skåpet), 1809, Stadsmuseet i Stockholm (sv), Suède, numéro d'inventaire : 2151 0)

Annexes

Bibliographie

  • ARESSY L., B. CARON, H. de COLBERT, M. DIDIER, et H. PALOUZIÉ, Le monde en perspective: vues et récréations d’optique au siècle des Lumières, Montpellier, DRAC du Languedoc-Roussillon, CRMH, 2014. lire en ligne
  • AVANZO M., T. GANZ, Gi.P. BRUNETTA, L. CAMERLENGO, et P. MARINI, Mirabili visioni: vedute ottiche della stamperia Remondini, Trente, Castello del Buonconsiglio, 1996.
  • BLAKE E.C., Zograscopes, perspective prints, and the mapping of polite space in mid-eighteenth-century England, Thèse, Stanford University, 2000.
  • BALZER R., Peepshows: a visual history, New York, N.Y, Harry N. Abrams, 1998.
  • KAPFF S. VON, Guckkastenbilder aus dem Augsburger Verlag von Georg Balthasar Probst, 1732- 1801 : Gesamtkatalog, Weissenhorn, A. H. Konrad, 2010.
  • KALDENBACH C.J., « Perspective Views », Print Quarterly, 1985, 2, p. 87-104.
  • KEYSER Edouard de, « Un domaine méconnu de l’imagerie : les vues d’optique », Bulletin de la Société archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, 1962, t. XXIII, fasc. 198, p. 137-168.
  • LEVIE P., Montreurs et vues d’optique, Bruxelles, Edition Sofidoc, 2006.
  • ZOTTI MINICI C.A. (dir.), Il mondo nuovo: le meraviglie della visione dal ’700 alla nascita del cinema, Milan, Mazzotta, 1988.

Expositions

Liens externes

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