Hubert Lyautey

Hubert Lyautey, né le à Nancy et mort le à Thorey, est un militaire français, officier pendant les guerres coloniales, premier résident général du protectorat français au Maroc en 1912, ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, puis maréchal de France en 1921, académicien et président d'honneur des trois fédérations des Scouts de France. Il a épousé le Inès de Bourgoing à Paris.

« Lyautey » redirige ici. Pour les autres significations, voir Lyautey (homonymie).

 Hubert Lyautey

Nom de naissance Louis Hubert Gonzalve Lyautey
Naissance
Nancy (France)
Décès
Thorey (France)
Origine France
Dignité d'État Maréchal de France
Années de service 1873 – 1925
Commandement 10e corps d'armée, Rennes
Conflits Guerres coloniales
Première Guerre mondiale
Distinctions Maréchal de France
Grand-croix de la Légion d'honneur
Médaille militaire
Grand-croix de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand
Hommages Inhumé aux Invalides depuis 1961.
Autres fonctions Ministre de la Guerre
Élu à l'Académie française (fauteuil 14)
Famille Hubert-Joseph Lyautey (père)

Sa devise, attribuée au poète anglais Percy Bysshe Shelley[1], mais en fait tirée de William Shakespeare[n 1], est restée célèbre : « La joie de l'âme est dans l'action ».

Biographie

Une éducation militaire

Hubert-Joseph Lyautey, mort en 1867.
Albert de Mun, 1841-1914.

Louis Hubert Gonzalve Lyautey est issu d'une famille d'origine franc-comtoise (commune de Vellefaux), qui s'était illustrée lors des campagnes du Premier Empire. Par sa mère, il descend des Grimoult de Villemotte, famille de la noblesse normande venue s'enraciner en Meurthe-et-Moselle à Crévic. Il a hérité d'eux une grande maison de maître connue sous le nom de château de Crévic, où il a pris l'habitude d'entasser ses souvenirs. Son choc est d'autant plus grand d'apprendre que les Allemands, au début de la guerre, ont incendié sa maison pour se venger de son rôle au Maroc[2]. La famille Lyautey compte de nombreux officiers. Son arrière-grand-père, Pierre Lyautey, qui était ordonnateur en chef des armées de Napoléon, a eu quatre fils, Just, capitaine, mort au combat, Antoine Nicolas, général de brigade d'artillerie, Charles René, intendant général, et Hubert-Joseph Lyautey, général de division d'artillerie et sénateur du second Empire[3] ( grand-père d'Hubert Lyautey). Hubert-Joseph L. a eu pour fils Just Lyautey, polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, une exception dans la famille mais qui marque son fils Hubert, car il a une vraie vocation de bâtisseur[4]:14.

Hubert Lyautey avait un frère, Raoul Aimé Lyautey (29 juillet 1856-15 mars 1935), qui suivit également la carrière des armes. Elève de l'Ecole de Saint-Cyr puis de l'Ecole de Saumur et de l'Ecole de guerre, il fut officier de cavalerie et acheva sa carrière comme colonel de cuirassiers, après avoir servi dans les chasseurs à cheval et les hussards. Contrairement à son ainé, il effectua une carrière exclusivement métropolitaine dans l'est de la France et n'a participé à sa première et unique campagne qu'en 1914-1919. Il était commandeur de la Légion d'honneur et titulaire de la croix de guerre, de la croix du combattant, de la médaille commémorative de la guerre de 1914 et de la médaille interallié. Il était domicilié à Nancy. Il était le père de l'écrivain Pierre Lyautey (1893-1976).

Hubert Lyautey naît le au 10 rue Girardet à Nancy[5]. En , à l'âge de dix-huit mois, il fait une chute du balcon du premier étage de l'hôtel de la Reine à Nancy, où habite alors sa famille maternelle[6]. La blessure qu'il s'était faite à la tête ayant détourné l'attention, on ne s'apercevra qu'en 1859 que la colonne vertébrale est atteinte[7]. Heureusement soigné par le chirurgien Velpeau[8], Hubert Lyautey doit cependant rester alité pendant deux ans, subir plusieurs interventions chirurgicales, et porter des béquilles et un corset de fer garni de cuir pendant dix ans, ce qui l'oblige à rester fréquemment alité mais lui donne le goût des livres[9]. Cet accident  ou cette maladie, car l'hypothèse a été émise que l'atteinte de la colonne vertébrale n'était pas directement la conséquence de l'accident mais un mal de Pott[7]  a des conséquences à la fois sur son tempérament et sur sa psychologie. Immobilisé, il passe son temps à lire des livres d'histoire et est grisé par l'épopée napoléonienne mais aussi par les récits des explorateurs, des voyageurs et des missionnaires. Dans le même temps, il subit l'influence de sa tante Berthe, fervente catholique et royaliste[10]. Dès qu'il est débarrassé de son corset, il s'applique à fortifier son corps par des exercices tels que la course à pied, l'escalade et l'équitation. On le voit aussi jouer à construire des villes dans le sable, sans qu'on sache si cela lui vient de son père[4]:16.

Just Lyautey, muté à Dijon, place en son fils Hubert au lycée de cette ville, où il passe le baccalauréat en 1872[11]. Après une nouvelle mutation à Versailles[11], son père l'inscrit au lycée Sainte Geneviève, tenu par des jésuites et situé alors à Paris dans le 5e arrondissement, pour qu'il y prépare le concours d'entrée à l'École polytechnique et qu'il devienne ingénieur[12]. Marqué, comme la plupart des jeunes gens de sa génération, par la défaite française de 1870 et l'invasion prussienne  qu'il avait vue de près à Dijon  et doué d'une volonté tenace, Lyautey réussit en octobre 1873 à intégrer l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion archiduc Albert (1873-1875). Bien que ses résultats y soient excellents, Lyautey ne s'y plaît pas et nourrit sa réflexion de rêves de grandeur et d'une profonde recherche spirituelle[12].

C'est l'époque où il rencontre Prosper Keller, Olivier de Fremond, Antonin de Margerie et Albert de Mun. Sorti de l'école et menant à Paris la vie mondaine d'un jeune officier, mais en pleine quête spirituelle, Lyautey est séduit par le catholicisme social d'Albert de Mun, qui s'oppose aux excès du libéralisme mais refuse les solutions révolutionnaires. Albert de Mun a créé en 1871 l'Œuvre des cercles catholiques d'ouvriers pour éviter de nouveaux épisodes comme celui de la Commune de Paris et défendre les intérêts matériels et moraux des ouvriers. Il correspond jusqu'à sa mort avec Lyautey[13]. Monarchiste de raison, légitimiste par romantisme, ce dernier ne cache pas ses opinions catholiques et royalistes alors que la France est devenue républicaine et anticléricale[14]. D'après certains historiens, il se pose également sérieusement la question de la vocation religieuse ; ainsi fait-il à deux reprises une retraite en montagne, au monastère de la Grande Chartreuse[15].

Débuts de carrière

Eugène-Melchior de Vogüé.
Lyautey au Tonkin en 1896.
Gallieni et son état-major à Madagascar (Lyautey debout à gauche).
Lyautey et Foucauld près de Beni Abbès (1905).

En 1875, classé 29e sur 281, il sort de Saint-Cyr et il est admis en à l'École d'application d'État-major, installée à Paris. Deux ans plus tard, il devient lieutenant et, à l'occasion d'un congé, il part deux mois en Algérie avec ses camarades de promotion Prosper Keller et Louis Silhol. Cette première découverte de l'Algérie le passionne. De retour en France, il est affecté au 2e régiment de hussards en et le suit quand il est transféré en Algérie à la fin de l'année. Il y passe deux ans, d'abord à Orléansville, puis à Alger. Il critique la politique coloniale française et prône un « système plus civilisé et plus humain ».

En 1882, promu capitaine, il est muté au 4e régiment de chasseurs à cheval à Bruyères, dans les Vosges. Envoyé en Italie pour rédiger un rapport sur la cavalerie de ce pays, il voyage vers Rome en faisant un détour par Göritz en Autriche, lieu de l'exil du comte de Chambord. Celui-ci, averti des rumeurs de prochain ralliement du Pape à la République, charge Lyautey d'une mission auprès de Léon XIII qui le reçoit en audience le . Lyautey en sort visiblement déçu, pressentant que l'opinion du pape est déjà faite.

Lyautey rencontre bientôt, à l'occasion d'une revue militaire, le général L'Hotte, inspecteur de la cavalerie en résidence à Tours et ancien écuyer en chef du Cadre noir, qui, séduit par la personnalité du jeune officier, le choisit comme aide de camp. Pendant les quatre années passées auprès du général L'Hotte, Lyautey voyage beaucoup à travers la France et ses villes de garnison et s'initie à la tactique militaire, alors en complet renouvellement, au prix d'un travail harassant.

Si à cette époque Lyautey se laisse gagner peu à peu par un certain scepticisme religieux, ses années passées en garnison et son retour au contact de la troupe, avec son affectation en 1887 au 4e régiment de chasseurs à cheval, alors à Saint-Germain-en-Laye, ont suffisamment nourri son esprit qui mûrit des idées novatrices sur la fonction de l'armée. Au 1er escadron qu'il commande, il bouleverse les habitudes et, avec l'accord de son chef de corps, le colonel Donop, il décide de créer :

  • un réfectoire, alors que jusque-là les soldats n'avaient aucun endroit pour manger ;
  • un foyer pour les soldats avec bibliothèque, billard et jeux ;
  • des cours pour illettrés ;
  • une commission consultative pour permettre aux soldats de donner leur avis.

Autant de nouveautés qui transforment son 1er escadron en escadron modèle. Comme il est proche de Paris, cela permet à Lyautey des contacts faciles avec le milieu intellectuel. Un homme joue à l'époque un rôle clé auprès de lui, il s'agit du diplomate et écrivain Eugène-Melchior de Vogüé, comme Albert de Mun partisan du catholicisme social. Chez lui, il rencontre François Coppée, José-Maria de Heredia, Henri de Régnier, Ferdinand Brunetière, Paul Desjardins, Paul-Gabriel d'Haussonville[16]… Séduit par sa conception de l'armée nouvelle et les réformes qu'il a engagées, Vogüé lui demande en 1891 d'écrire un article pour la célèbre Revue des deux Mondes qui est intitulé Du rôle social de l'officier dans le service militaire universel, réédité par la suite sous le titre le Rôle social de l'officier. Les règlements en vigueur imposent une autorisation qu'il n'a pas réclamée. Le texte, non signé, mais dont l'auteur est vite connu, crée un important débat parce qu'il défend l'action éducatrice de l'armée au-delà de sa fonction purement militaire. Lyautey, qui veut dépasser les rapports de classes, voit en effet le service militaire universel comme l'unique moyen de former la jeunesse sur une base égalitaire[17]. Le battage fait autour de cet article fondateur est tel que les lettres d'encouragement et les dons affluent de toute la France. André Le Révérend note qu'avec les sommes reçues, Lyautey peut financer l'achat de 133 000 livres pour les bibliothèques de soldats qui se créent dans les régiments[18]. Les amis de Vogüé décident la même année de créer une association pour promouvoir leurs idées, l'Union pour l'action morale fondée le , présidée par Desjardins avec Lyautey parmi les quinze membres fondateurs[19]. C'est l'occasion pour Lyautey de faire la connaissance de jeunes gens de son âge qui font des carrières brillantes et deviennent ses amis : outre Desjardins, Henry Bérenger, Max Leclerc, l'éditeur, Victor Bérard, helléniste, Arthur Fontaine, Henri Lorain, l'homme des Semaines sociales, Jean, André et Max Lazard[17](162). Deux d'entre eux, Arthur Fontaine et Max Lazard, comptent parmi les pères fondateurs de l'Organisation internationale du Travail.

Nommé chef d'escadron au printemps 1893, il est affecté au 12e hussards, à Gray, puis, à l'automne, à l'état-major de la 7e division de cavalerie. En , sur instruction du général de Boisdeffre qui veut le faire changer d'air après les remous causés par son article, il part pour l'Indochine[16]:27. Il est désabusé, car il s'attend à trouver une garnison de plus, l'exotisme en prime. Dès les escales de Suez et de Singapour, il remarque l'activité que déploient les troupes anglaises et l'état d'esprit de leurs officiers[16]:27-28. À Saïgon, il est reçu par le gouverneur général Lanessan et le courant passe tout de suite. Ce dernier lui explique qu'il ne faut pas détruire les cadres du pays conquis mais ici gouverner avec le mandarin, non contre le mandarin, qu'il faut respecter les traditions et s'efforcer de se rallier les élites[16]:29. Il esquisse pour Lyautey tout un pan de la doctrine que ce dernier appliquera plus tard au Maroc. Il rejoint l'état-major du corps d'occupation à Hanoï, au Tonkin. C'est là qu'il fait une deuxième rencontre décisive, celle de Gallieni. Fort de ses vingt ans de colonies, Gallieni lui expose sa doctrine : « la conquête civilisatrice ». Pour lui, le succès militaire est nécessaire, mais il n'est rien si on ne lui unit un travail simultané d'organisation : routes, télégraphe, marchés, cultures, de sorte qu'avec la pacification avance, comme une tache d'huile, une grande bande de civilisation[16]:32. Lyautey le suit en campagne, le voit pacifier des régions frontalières et construire des villes. Gallieni doit partir pour Madagascar où la situation est mauvaise. Le gouvernement l'a nommé Gouverneur général. En 1896, il rend à Armand Rousseau, alors gouverneur du Tonkin, un rapport issu de son expérience assignant un triple rôle à tout officier colonial : diplomatique, politique et militaire[20].

Il ne tarde pas à faire appel à Lyautey qui arrive à Tananarive en . Sa première mission est de pacifier la zone dissidente du nord. Une fois les paysans rassurés et remis au travail, il lui faut organiser le pays où tout manque. Il a carte blanche de Gallieni et en profite pour construire des routes ou créer des villes (sa passion d'enfance) comme Ankazobe. Un chef rebelle dont il a épargné la vie lui offre une sagaie d'honneur dans laquelle est incrusté un thaler à l'effigie de l'impératrice Marie-Thérèse, avec la devise des Habsbourg[4]:54. Il affirme qu’il « regarde le général comme le plus merveilleux spécimen d’homme d’action, d’organisateur, que nous puissions en cette fin de siècle opposer aux Anglo-Saxons d’en face. Madagascar contre Sud-Afrique, Gallieni contre Cecil Rhodes : beau match à jouer »[21]. Aussi, ses cinq ans de proconsulat le comblent, surtout quand il compare avec la situation qu'il retrouve en France à chaque permission, alors que le scandale de l'affaire Dreyfus ne fait que s'étendre. En , à l'occasion d'une de ces permissions, il tient une conférence sur le thème de la politique coloniale, qui paraît aussi dans la Revue des Deux-Mondes sous le titre « Du rôle colonial de l'armée », où il insiste sur l'importance d'une bonne administration des territoires conquis. En 1900, Lyautey est nommé colonel et Gallieni lui confie le commandement de la province du sud, avec pour mission de la pacifier. Le voilà de nouveau en campagne pendant deux ans. Sa tâche accomplie, il rentre en France début 1902 pour prendre le commandement du 14e hussards, basé à Alençon.

On lui a aimablement conseillé de se faire oublier. Il ronge donc son frein quand, à l'été 1903, invité chez son ami Jules Charles-Roux, il y rencontre le gouverneur général de l'Algérie, Charles Jonnart. Ce dernier lui parle longuement de l'insécurité qui règne à la frontière algéro-marocaine, avec des tribus dissidentes qui lancent des razzias en Algérie et retournent se mettre à l'abri au Maroc. À sa demande, Lyautey lui expose les méthodes qu'il a utilisées à Madagascar. Jonnart approuve. Peu après, de nouvelles attaques meurtrières ont lieu et le poste d'Aïn Sefra est menacé. Lyautey est informé en septembre qu'il est nommé en Algérie, réclamé par le gouverneur général. La longue amitié qui le lie avec Eugène Étienne, député d'Oran, franc-maçon et plusieurs fois ministre a dû jouer[22]. À peine installé à Aïn Sefra, il apprend qu'il est promu général de brigade. Il constate que de nombreux services lui échappent : artillerie, convois, intendance. Il réclame de les avoir tous sous ses ordres et le droit de correspondre directement avec le ministre en cas d'urgence, sans passer par la hiérarchie[16] :53-55. Il obtient satisfaction. Au cours de l'hiver 1903-1904, il fait connaissance avec les traditions berbères et les décors du bled, à Figuig et ailleurs. Ce qu'il découvre l'enchante[4]:83-87, mais l'immobilisme lui pèse. Décidé à crever l'abcès, il installe un camp à Berguent (Aïn Beni Mathar) et quand Paris, qui n'admet pas qu'il ait franchi la frontière, lui donne, le , l'ordre de se replier, il demande un sursis à exécution, le temps de s'expliquer car il a donné sa parole aux tribus locales qu'il les protégerait. Il met sa démission dans la balance. Sur fond de crise ministérielle (car les Affaires étrangères sont vent debout), Jonnart finit par faire admettre la solution proposée par Lyautey : ajouter à ses forces un détachement marocain pour sauver la face vis-à-vis des grandes puissances[16] :65-67.

Après la conférence d'Algésiras qui n'accorde à la France que des droits limités au Maroc, Lyautey est nommé à la tête de la division d'Oran en 1907. Sur ordre de Paris, il occupe Oujda, puis réprime un soulèvement des Beni Snassen et parvient à pacifier la zone frontière. Début 1908, les tribus se sont soulevées au Maroc à l'instigation de Moulay Hafid. Le général d'Amade fait face avec difficulté, bloqué à Casablanca. Clemenceau, dont l'opinion à l'égard de Lyautey a changé, l'envoie en mission sur place. À son retour, ce dernier plaide la cause de d'Amade devant Clemenceau. Il dit au chef du gouvernement qu'il lui a conseillé d'attendre avant de procéder à l'évacuation de Settat qui lui avait été prescrite. Lyautey explique au chef du gouvernement l'importance de cette position et Clemenceau, subjugué, cède et annule l'ordre[4]:103-107. Il est rappelé fin 1910, pour prendre le commandement du corps d'armée de Rennes.

En Algérie il a rencontré à plusieurs reprises Charles de Foucauld[15] et Isabelle Eberhardt.Celle-ci fut sa médiatrice auprès des tribus arabes, eut-il une relation , intime, avec elle? Cela est bien possible. Il appréciait cette dernière pour son non-conformisme et sa liberté d'esprit. Lors de la disparition prématurée de cette dernière, il fait en sorte que sa dépouille et ses manuscrits soient cherchés et retrouvés dans la maison d'Aïn Sefra, où elle avait trouvé la mort le à la suite d'une crue[23]. Quant à Charles de Foucauld, qu'il avait connu jeune officier lors de son premier séjour en Algérie, il l'a reçu à Aïn Sefra et été le voir à Béni Abbès. Ce fut un choc pour lui de retrouver en ermite détaché de toutes les contingences celui qu'il avait connu en joyeux fêtard, on peut même dire débauché. Ils avaient naturellement beaucoup de choses à se dire en raison de la parfaite connaissance du terrain et des hommes acquise par Charles de Foucauld lors de son exploration clandestine du Maroc dans les années 1880. C'est surtout l'aboutissement de la quête spirituelle du père de Foucauld qui le renvoyait à ses propres interrogations, au point qu'au soir de sa vie, il se demandait s'il n'aurait pas dû suivre la même voie; mais pour cela, il lui aurait fallu plusieurs vies[4]:373-375! Il a également, en Algérie, fait la connaissance d'Henry de Castries, explorateur et géographe, qui avait eu des expériences voisines de celles du père de Foucauld, la sainteté en moins: il avait en effet cartographié les confins du Maroc et commencé à écrire sur l'histoire du pays. Lyautey l'a fait nommer colonel dans la territoriale, affecté en 1910 à Tanger, avec mission de continuer ses recherches.

Résident général au Maroc (1912-1916)

Lyautey décorant les frères Glaoui (octobre 1912).
Mangin décoré par Lyautey en 1912.
Lyautey avec Paul Deschanel, président de la Chambre des députés française (Casablanca, 1914).
Le sultan Moulay Youssef, père de Mohammed V.
La Poste de Rabat.
La cathédrale de Rabat.
Le Palais de Justice de Casablanca.
Une kasbah de l'Atlas, aquarelle de Tranchant de Lunel (collection privée).
Médersa Bou Inania, Fès (époque mérinide).
La foire de Casablanca, 1915, affiche de Joseph de La Nézière.

Lyautey reste moins de deux ans à Rennes, le temps de suivre les cours du Centre des hautes études militaires, et de participer à des manœuvres avec Joffre, qui envisage de lui confier de hautes responsabilités. En , à la suite du coup d'Agadir, Joseph Caillaux et Jules Cambon négocient un accord avec l'Allemagne pour avoir les mains libres au Maroc. Cet accord est ratifié en . On ne doit plus traîner pour établir le protectorat car les tribus se sont soulevées quand le sultan Moulay Hafid a confié le poste de grand vizir à Si Madani El Glaoui [n 2]chef de la tribu des Glaoua.Ce dernier a bien été destitué en 1911 mais la révolte continue et les troupes françaises ont bien du mal à la contenir. En , le ministre de France à Tanger, Eugène Regnault, que l'on destinait à être le premier Résident, fait signer au sultan Moulay Hafid un traité de protectorat, en échange d'un appui de la France contre les dangers qui pourraient le menacer. Ce traité reconnaît implicitement la souveraineté du Sultan, mais il n'a pas l'initiative des lois, seulement le droit de s'y opposer en refusant de signer les dahirs. En outre, le maintien de l'ordre, la défense, les finances, les relations extérieures lui échappent[24]. En avril de la même année, une révolte des troupes marocaines à Fès oblige le gouvernement français à changer ses plans et à envisager un Résident militaire plutôt qu'un civil. Le choix se porte sur Lyautey qui, par un décret du [25], devient le premier résident général de France au Maroc.

Il débarque le à Casablanca en compagnie de sa nouvelle recrue, Henry de Castries, et est accueilli par le colonel Gouraud. Direction Fès, où il doit se présenter au sultan. En cours de route, il rencontre l'architecte Maurice Tranchant de Lunel, aquarelliste de talent, qu'il embauche sur le champ pour en faire son directeur des Antiquités, Beaux-Arts et Monuments historiques du Maroc. À Fès, il trouve une ville en révolution et s'attend au pire, car une attaque des tribus est imminente. Ses officiers réussissent à desserrer l'étau et à mettre en fuite les tribus. Le Sultan veut quitter la ville où il s'est senti prisonnier pour Rabat et Lyautey acquiesce. Le sort en est jeté : la nouvelle capitale du Maroc, le siège de la Résidence, devient Rabat, une ville ouverte sur l'océan, verdoyante et disposant de larges espaces, rien à voir avec Fès, minérale, resserrée dans ses remparts et enserrée dans les montagnes. Ce transfert n'a pas calmé Moulay Hafid, qui traverse une crise de dépression et finit par abdiquer. Il est remplacé par son demi-frère, Moulay Youssef. La continuité de l'administration du Sultan est assurée par le grand vizir El Mokri, nommé en 1911, qui sert toute la dynastie alaouite jusqu'en 1955.

Les premiers problèmes que Lyautey doit affronter sont territoriaux : trois zones de dissidence échappent à son contrôle et menacent la stabilité du pays : à l'est, la poche de Taza, qui bloque l'accès à l'Algérie et finira par lui coûter son poste ; au centre, une autre rébellion, celle des Zaïans, autour de Khénifra ; au sud, le prétendant El Hiba, qui vient d'entrer dans Marrakech et de prendre des otages français. Après avoir reçu des assurances du Glaoui, Lyautey envoie le colonel Mangin affronter les dix mille guerriers d'El Hiba le . Il parvient avec l'aide de l'artillerie à les mettre en déroute. Le 1er octobre, Lyautey fait son entrée triomphale à Marrakech et découvre les délices de ses palais et de ses jardins. Cependant le Glaoui, autoproclamé grand ami de la France mais personnage retors, deviendra un allié encombrant pendant près d'un demi-siècle.

Pour Lyautey, il y avait urgence à intervenir, car le prétendant El Hiba, en contestant la nomination du Sultan, remettait en cause un des piliers de sa politique : s'appuyer sur les autorités légales et obtenir leur adhésion en montrant qu'il les respectait et les protégeait. La protection était dans le texte même du traité signé en début d'année. Quant au respect, Lyautey va jusqu'à porter une attention méticuleuse à recréer la dignité du sultan Moulay Youssef, mise à mal par ses prédécesseurs : « J'ai écarté soigneusement de lui toutes les promiscuités européennes, les automobiles et les dîners au champagne. Je l'ai entouré de vieux Marocains rituels. Son tempérament de bon musulman et d'honnête homme a fait le reste. Il a restauré la grande prière du vendredi, avec le cérémonial antique. Il a célébré les fêtes de l'Aïd el-Seghir avec une pompe et un respect des traditions inconnus depuis Moulay Hassan »[26].

À la suite de ces hauts faits, les honneurs pleuvent : il est nommé maréchal, élu à l'Académie française le , puis décoré grand-croix de la Légion d'honneur l'année suivante. Le succès de Lyautey a aussi un résultat paradoxal : les hommes politiques français le pressent d'en finir avec les autres rébellions. Il se raidit et refuse. D'abord, il est économe du sang de ses soldats, ce qui le distingue de bien de ses collègues, surtout, il préfère de beaucoup, quand il n'y a pas urgence, user de patience et de persuasion pour obtenir le ralliement des rebelles, qui sera d'autant plus solide qu'il n'aura pas été obtenu par la force : « Ce pays-ci ne doit pas se traiter par la force seule… Je me garderais bien d'aller m'attaquer à des régions qui sont “en sommeil”, qui se mettraient en feu si j'y pénétrais en me coûtant beaucoup de monde et de peine… Si l'opinion impatiente préfère les coups d'éclat prématurés à cette méthode plus lente mais si sûre, on n'avait qu'à ne pas m'envoyer ici[27] ». Voilà un deuxième fondement de la doctrine de Lyautey énoncé. Un moyen de pacification privilégié est l'utilisation des goums, créés en 1908 et recrutés dans les tribus marocaines, dont Lyautey fixe le statut en 1913. Ces formations militaires doivent faire le lien avec la population indigène, faciliter l'administration des tribus, voire aider à établir des contacts avec les tribus rebelles.

L'adhésion des populations, il compte l'obtenir par le développement des régions pacifiées. C'est pourquoi la tâche prioritaire en 1913 est l'équipement du pays, la construction de routes, de voies de chemin de fer, de ports et de villes. Il compte aussi l'obtenir grâce à l'appui des organismes indigènes qu'il consulte, informe et auxquels il souhaite donner un vrai pouvoir. On retrouve ici encore la doctrine Lyautey. C'est ainsi qu'il consacre des journées entières à s'entretenir avec les chefs des communautés religieuses, les commerçants, les notables, qu'il séduit par la franchise de son accueil et par l'attention bienveillante avec laquelle il les écoute[28]. Néanmoins, quand il le faut et qu'il ne peut pas faire autrement, il recourt à la force. Son projet de liaison ferroviaire avec l'Algérie se heurte au verrou de la poche de Taza. Il faut engager l'armée pour sécuriser le parcours. C'est à Gouraud qu'il revient en de commander les troupes. Il réussit au prix de durs combats et est rejoint par les forces venues d'Algérie que commande le général Baumgarten[4]:178. Dans la foulée, en juin, le général Henrys réduit le bastion zaïan et libère Khénifra. Alors qu'en juillet, Gouraud poursuit les opérations autour de Taza, il est stoppé net par Lyautey qui le rappelle à Rabat pour lui annoncer que la guerre est déclarée.

Après avoir été informé par Paris, Lyautey pique une crise : « Mais ils sont fous ! Une guerre entre Européens, c'est une guerre civile… C'est la plus énorme ânerie que le monde ait jamais faite[16]:118 ! » Puis il se calme et fait face. L'entrée en guerre de la France implique du Maroc un effort particulier pour la soutenir, d'abord par l'envoi de troupes, ensuite par des fournitures agricoles massives, pour pallier les déficits nés de l'occupation d'une partie du territoire et du manque de bras dans les autres régions agricoles du pays. Lyautey s'engage à envoyer immédiatement vingt bataillons et six batteries. Il assure que le reste suivra, sans dégarnir le pays et se replier sur la côte comme on le lui suggérait, ce qui surprend l'état-major, mais il laisse faire[4]:191. Lyautey sait en effet le risque d'embrasement qui pourrait suivre le retrait total des troupes au contact des rebelles, à Taza et autour de Khenifra[n 3]:124. Il adopte donc la stratégie de la « coquille d'œuf » : une armature légère pour donner l'impression que les forces sont toujours là. Cette armature est souvent faite de territoriaux venus de France ou de colons auxquels on a distribué à la hâte des uniformes de légionnaires ou de zouaves[16]:121. Quant aux fournitures agricoles, les chiffres sont éloquents : 100 000 quintaux de blé en 1915, 235 000 en 1916, plus encore pour l'orge et la laine[4]:192.

Paradoxalement, ces contraintes laissent plus de liberté à Lyautey pour mener à bien ses projets architecturaux. En effet, l'administration de la métropole, si tatillonne, mais absorbée par la guerre, relâche son contrôle, mieux, elle cède sans discuter à ses demandes de crédits[4]. Lyautey s'est constitué une belle équipe placée sous la houlette d'Henri Prost, architecte urbaniste, chargé des plans des villes nouvelles, à Rabat (à partir de 1914) et à Casablanca (à partir de 1917)[29]. Lyautey tient essentiellement à respecter les cœurs de ville anciens et lui a donné des ordres stricts à ce sujet. Et même, quand on le peut, les plans mettent en valeur les monuments anciens ; ainsi pour la tour Hassan à Rabat, dégagée et mise en perspective[30]. Dans l'équipe, on trouve aussi Tranchant de Lunel[n 4], déjà cité, Jean-Claude Forestier, architecte-paysagiste chargé plus particulièrement d'implanter des jardins, Albert Laprade[31], constructeur de la Résidence (actuel ministère marocain de l'Intérieur) et de la poste à Rabat, Adrien Laforgue (frère de Jules), à qui l'on doit la gare, la cathédrale Saint-Pierre de Rabat aux tours en forme de minaret, le palais de justice (actuel Parlement) et bien d'autres immeubles à Casablanca et à Rabat, Antoine Marchisio, futur constructeur avec Prost de l'hôtel de la Mamounia à Marrakech, ou Joseph Marrast, concepteur du Palais de Justice de Casablanca.

L'entrée en guerre a eu un autre avantage : elle a fait sauter les contraintes imposées par la conférence d'Algésiras, telles que l'interdiction de construire des chemins de fer à voie normale (en outre, ceux à voie étroite devaient être réservés aux usages militaires) ou l'obligation de lancer des adjudications internationales pour les achats de matériels ou les grands travaux, avec un consulat d'Allemagne très vigilant sur place. Lyautey a par ailleurs bien compris que pour éviter des troubles à une période où la présence militaire est si réduite, il faut occuper les populations en multipliant les chantiers. Libre d'acheter ses matériels comme il l'entend, doté de crédits, disposant d'une large main d'œuvre, il lance d'impressionnants programmes de construction de routes, entre les villes impériales, le long de la côte et en direction du grand sud[16]:128. Les ports sont aussi prioritaires, d'autant qu'on a découvert des gisements de phosphate qui nécessitent des infrastructures à la dimension de l'enjeu. Le port de Casablanca est en chantier depuis 1900, mais chaque tempête démolit les digues péniblement construites. Un consortium est formé en 1913 pour résoudre définitivement le problème, il comprend Schneider, la Compagnie marocaine et la société de travaux publics des frères Jean et Georges Hersent. Une énorme digue parallèle à la côte, le brise-lames, est construite qui délimite un plan d'eau accessible aux plus gros cargos de l'époque, ainsi qu'aux navires à passagers de la Compagnie Paquet. Lyautey suit les travaux de près[32] mais le port n'est inauguré qu'en 1923. Les Hersent construisent parallèlement celui de Fedala (depuis, Mohammédia). À Kénitra, au nord de Rabat et à l'embouchure du Sebou, un port fluvial est créé, et une ville moderne édifiée, qui porte le nom de Port-Lyautey par la suite. C'est encore à lui que l'on doit le début de l'électrification du pays par des centrales thermiques, en attendant les premiers barrages.

Pour mener à bien sa tâche, Lyautey s'appuie sur les institutions du Maroc traditionnel : administration du sultan (Makhzen), administration des Habous, assemblées de notables et tribus. Il développe le corps des officiers des Affaires indigènes, héritiers des Bureaux arabes d'Algérie[33], qui ont des tâches civiles et de renseignement. Surtout, s'inspirant d'une expérience tunisienne, il implante au Maroc le corps des contrôleurs civils (appelés par les Marocains sidi el Hakem[34]), un poste doté d'un prestige certain (beaucoup finissent préfets ou ambassadeurs). En fait, ce sont deux administrations qui coexistent, l'une militaire, l'autre civile, selon un découpage du Maroc en zone militaire (zone tribale et confins), et zone civile (Rabat et le Rharb, Casablanca et la Chaouia)[35]. Les officiers des affaires indigènes opèrent en zone militaire, les contrôleurs civils dans les grandes régions centrales. La mise en place de leur corps se fait en 1913. Lyautey précise qu'ils ont pour mission d'adapter graduellement le pays aux formes modernes de civilisation. Il insiste sur le fait qu'il s'agit d'une mission de conseil et d'assistance, pas d'administration directe. Ils doivent travailler en coopération avec les autorités locales, pachas et caïds[36], qui ont des compétences étendues en matière de justice et d'impôts. D'où une source de conflit avec les partisans d'une administration directe, et Lyautey a du mal à imposer sa vision des choses.

La civilisation marocaine est une civilisation millénaire, qui a connu de brillants échanges avec celle d'Al-Andalus[n 5], et de belles périodes sous les Almohades, Mérinides, Saadiens et Alaouites. Depuis la mort du sultan Moulay Ismaïl en 1727, elle est quelque peu assoupie. Lyautey veut la réveiller et donner au pays la fierté de son héritage. Il crée donc en le Service des Beaux-Arts, Antiquités et Monuments historiques, confié à sa récente recrue, Tranchant de Lunel. Il est composé d'architectes et de peintres. Ses missions :

  • la sauvegarde des monuments historiques de l'antiquité (essentiellement romaine) et de la période islamique ;
  • le relevé des inscriptions historiques ;
  • la sauvegarde des objets d'art et d'ameublement ;
  • la conduite des fouilles archéologiques[37].

Pour accomplir ces missions, le service est aidé par les militaires des services topographiques et du génie[38], mais aussi par des artisans locaux recrutés et formés spécialement aux styles anciens (almohades, mérinides, etc.) dans des ateliers d'art indigène[39]. Tranchant est aidé par son confrère Maurice Mantout, futur architecte de la Grande Mosquée de Paris, et Prosper Ricard, qui est chargé de l'enseignement des arts indigènes. Pendant la guerre, des territoriaux, des blessés, des mobilisés réclamés par Lyautey arrivent en nombre : les peintres Joseph de La Nézière, Henri Avelot et Gabriel Rousseau, les photographes Jean Rhoné et Lucien Vogel, les architectes Georges Beaumet, Marcel Rougemont et Léon Dumas, l'archéologue Maurice Pillet[40].

Les premiers monuments à bénéficier du classement et d'un programme de restauration sont les médersas, de Meknès, Marrakech (médersa Ben Youssef) et Fès (médersas Bou Inania et Attarine). Préoccupé de la sauvegarde de ce patrimoine architectural, Lyautey impose une consultation du service des Beaux-Arts sur tous les projets de construction dans ou hors des médinas, et pour ces dernières, le respect des règles ancestrales[41]. Outre l'action en faveur des artisans marocains à travers les ateliers d'art indigène, il s'est intéressé personnellement à sauvegarder les branches d'activité non concernées par la restauration des monuments. Ainsi, après s'être aperçu qu'il ne restait plus que deux vieux relieurs à Fès, il les a incités à former des apprentis pour perpétuer leur métier, qui a de la sorte été sauvé[42]. La sauvegarde des objets d'art et d'ameublement implique la création de musées. Il fait donc acheter diverses collections ethnographiques et dès 1915, deux musées voient le jour : celui des Oudaïas à Rabat, dirigé par Prosper Ricard, et le musée du Batha à Fès[43].

L'arrivée de Lyautey a provoqué un formidable appel d'air en France et en Afrique du Nord : les colons sont arrivés par milliers chaque mois avant la guerre[16]:116. C'est un souci pour lui, car au début les infrastructures et les logements manquent. En outre, il est résolument contre la colonisation de peuplement car il veut éviter l'accaparement des terres ; il fait à cet égard tout pour rendre difficile leur acquisition par les colons, avec notamment le dahir (décret royal) du qui interdit l'aliénation des terres collectives[44]. Il est aussi contre ces arrivées massives car il ne veut pas que les nouveaux venus accaparent les postes dans l'administration et les entreprises, qu'il souhaite réserver en priorité aux Marocains pour assurer leur promotion[45]. Il se heurte à des résistances considérables et cette politique est largement abandonnée par la suite. Il lui faut bien faire face à cet afflux et assurer le développement économique du pays. En agriculture, il suit une double politique : encourager pour des raisons d'efficacité les grosses exploitations confiées à des colons qui rendent le pays autosuffisant et pour la première fois à l'abri des famines, mais aussi fournir des aides sous forme de prêts sans intérêt aux petits agriculteurs et éleveurs marocains. Dès 1912, il crée le service forestier, porté à bout de bras pendant des décennies par Paul Boudy[46]. L'industrie de transformation prend le relais avec la création de cotonneries, huileries, minoteries, conserveries et scieries[n 6]. À l'entrée en guerre, on découvre dans le consulat allemand abandonné les éléments d'une remarquable organisation commerciale : des échantillons de tout ce que pouvait produire le Reich…, des échantillons aussi des produits souhaités par le Maroc[16]:128-129. Lyautey considère que c'est un exemple à suivre et décide de promouvoir la production locale et nationale dans une grande foire qui a lieu à Casablanca en 1915. Cette manifestation a une conséquence très inattendue : des chefs de tribus rebelles demandent des sauf-conduits et sont tellement séduits qu'ils se soumettent. Même réaction ou presque à la foire d'échantillons de Fès en 1916, d'autres se soumettent pour pouvoir monter sur les chevaux de bois de la foire[16]:129!

Ministre de la Guerre

Lyautey, ministre de la Guerre, visite les blessés.
Février 1917 : Guynemer parle à Lyautey.
Lyautey dans les tranchées.
Le roi Albert 1er.

Le 11 décembre 1916, Lyautey reçoit un télégramme d'Aristide Briand, alors président du Conseil, qui lui propose le poste de ministre de la Guerre. C'est Philippe Berthelot qui lui a suggéré son nom[16]:134, alors que le gouvernement, en butte aux critiques, ne sait plus quelle solution adopter. Lyautey hésite beaucoup : d'une part la situation s'est tendue au Maroc avec l'arrivée par sous-marin d'émissaires allemands auprès d'El Hiba (expédition menée par Edgar Proebster), de l'autre la situation du front est catastrophique avec des pertes énormes ; Lyautey, économe en vies humaines, avait déjà pu mesurer l'ampleur des pertes lors d'une permission en 1915 ; il a parlé à ce propos de « gaspillage effréné et désordonné » en raison de l'éparpillement des responsabilités et de l'absence de direction d'ensemble[4]:199-201. Il a en outre des doutes sur les capacités de certains de ses collègues et sait que l'appui des politiques lui sera compté avec parcimonie. Il finit par accepter quand Briand lui propose de faire revenir au Maroc, pour le remplacer, Gouraud, en qui il a toute confiance. Il quitte le Maroc le , passe par Madrid saluer le roi Alphonse XIII, et arrive à Paris le 22.

Deux mauvaises nouvelles l'attendent : alors qu'il réclame l'unité de commandement, on a créé un comité de guerre de cinq membres et on a détaché du ministère de la Guerre, le Ravitaillement confié à Herriot, les Fabrications de Guerre confiées à Albert Thomas, les Transports et le Service de Santé transformés en sous-secrétariats d'État. On a par ailleurs choisi de remplacer Joffre par Nivelle, qui a séduit par son optimisme, face à un Pétain plus réservé[32](41). Dès le 23, Lyautey reçoit Nivelle qui lui soumet son plan d'attaque. Il ne dit rien, mais plus tard déclare au colonel Renouard, envoyé par Nivelle : « Voyons mon petit, c'est un plan pour l'armée de la Grande-duchesse de Gérolstein »[n 7]. Le 25, il reçoit Joffre, qui parle de démission mais qu'il réussit à calmer de l'amertume de son éviction[32](49). Le , il part pour Rome, assister à une importante conférence interalliée sur le front d'Orient. Geste symbolique, malgré les interdits, Lyautey tient à revoir le comte de Linange, Autrichien, en résidence surveillée en tant qu'ennemi ; c'est un vieil ami de Lyautey qui se souvient de ses attaches lorraines… De même, il va prier à Saint-Pierre pour, confie-t-il à Wladimir d'Ormesson, protester contre la fermeture de l'ambassade de France auprès du Saint-Siège[32](57-58) ! Mais la conférence n'aboutit à rien.

Fin janvier, il tente de remédier à l'éparpillement des pouvoirs qu'il a pu constater : l'état-major n'est plus au ministère, rue Saint-Dominique à Paris, mais au Grand Quartier Général basé à Chantilly, qui se comporte comme un second ministère[32]:72. Le G.Q.G. formule ainsi directement ses demandes d'approvisionnement et de transport aux directions concernées, sans aucune coordination avec la rue Saint-Dominique. Lyautey s'efforce de mettre sur pied un pilotage centralisé de l'administration de la guerre : « Avant toute chose, ne fallait-il pas connaître l'ensemble des besoins, apprécier l'urgence relative de ces besoins, réduire, au besoin, tel ou tel transport ? Il en allait de même des questions relatives à l'utilisation des effectifs, et surtout de celles qui s'appliquaient au ravitaillement général des armées et de la nation[32](73) ». Contrairement à d'autres, il ne considère pas les problèmes économiques comme secondaires.

Le , il reçoit rue Saint-Dominique le colonel Renouard, chargé de lui expliquer dans le détail le plan de l'offensive Nivelle. Cette mémorable entrevue a été décrite par Maurois et reprise par tous les biographes de Lyautey. Ce dernier connaît bien Renouard, qu'il a eu sous ses ordres dans le Sud-Oranais. Il l'interpelle : « Je te demande de me répondre ; je ne suis plus le ministre de la Guerre, tu n'es plus le colonel Renouard ; nous sommes deux Français face à face, et il s'agit du salut de la France. Qu'est-ce que tu penses, toi, du plan que tu m'apportes ? » Renouard se raidit et se dérobe. Lyautey le prend aux épaules et le secoue : « Regarde-moi dans les yeux, remets-toi un instant dans la peau de mon officier de confiance d'Aïn Sefra et dis-moi la vérité ». Alors le masque tombe et Renouard avoue à son ministre, les larmes aux yeux, qu'il ne croit pas plus à ce plan[16]:151. Lyautey en arrive même à envisager le renvoi de Nivelle et son remplacement par Foch mais y renonce devant l'opposition de Briand, qui ne veut pas changer d'attelage en cours de route[4]:218.

En janvier et , il procède à de nombreuses inspections du front. Le , il assiste à un exercice de tanks près de Compiègne avec Nivelle et Franchet d'Espèrey. Le , il se rend à Dunkerque visiter l'armée belge et saluer le « roi-soldat », Albert Ier, qui réside à La Panne, seule portion de la Belgique encore libre. Le soir, il dîne avec le Premier ministre belge, Charles de Broqueville. Le , il part pour le front, remettre à Foch la médaille militaire et à Guynemer une décoration anglaise. Il passe rapidement au milieu des ruines de Crévic. Le 23 et le 24, il parcourt le front britannique, rencontre le maréchal Douglas Haig et le Prince de Galles. Le 26, il est à Calais pour une importante conférence franco-anglaise, en présence de Briand et Lloyd George[32](81). Comme la défection de l'allié russe est de plus en plus évidente, Lyautey reporte ses espoirs sur l'entrée en guerre de l'ami américain, dont il attend beaucoup. Il se fait tenir étroitement au courant par l'importante mission militaire que la France entretient aux États-Unis pour assurer ses approvisionnements, mais aussi par des amis sûrs tels que Max Lazard, qui à chaque retour de voyage lui fait des rapports détaillé[n 8],[32](109). Ce n'est que le , alors qu'il n'est plus ministre, qu'il obtient par des contacts secrets la confirmation d'une entrée en guerre imminente des États-Unis[47].

Depuis son arrivée à Paris, Lyautey a été l'objet d'une campagne insidieuse menée par les parlementaires de gauche qui le présentent comme une sorte de Bonaparte au retour d'Égypte, prêt à fomenter un coup d'État[16]:154. Il les irrite d'autant plus qu'il brouille les cartes : il passe pour de droite, mais affiche des préoccupations sociales et refuse de mettre au pas le Maroc, un conflit qui sera récurrent jusqu'à son départ en 1925. Le débat qui a lieu à partir du précipite sa démission. Lyautey n'en veut pas car il s'agit d'un sujet sensible, l'aviation, et même s'il a été décidé qu'il se tiendrait en comité secret, il sait que le résultat de ces réunions est connu des Allemands. Ce débat a été voulu par l'opposition, rendue furieuse par la nomination du général Guillemin à la tête de la direction de l'Aviation que Lyautey vient de créer, à la place du sous-secrétariat d'État espéré par les politiques[32](86). Du 11 au 14 au matin, il est à Londres où il a de fructueuses discussions avec les Anglais sur la nécessité de l'unité de commandement[32](89). L'après-midi du 14, devant les députés réunis en comité secret (tribunes évacuées), il commence son discours par : « Je regarde, en pleine responsabilité, que c'est exposer la défense nationale à des risques pleins de périls… » Il est aussitôt interrompu par une bronca de grande ampleur : « On n'a qu'à supprimer le Parlement ! » crie un député. Le vacarme est tel qu'il doit quitter la tribune. Il démissionne le soir même après avoir dit à Guillaume de Tarde : « Tu avais raison, je n'ai jamais rien compris à cette race »[16]:156. Lyautey envoie tout de même le texte du discours qu'il n'a pas pu prononcer aux responsables politiques ; seul Gaston Doumergue répond qu'il l'approuve entièrement[32](110). Deux jours après, c'est Briand lui-même qui démissionne, remplacé par Alexandre Ribot, avec Paul Painlevé comme ministre de la Guerre.

Le , le nouveau chef du gouvernement demande à Lyautey de reprendre son poste au Maroc. Ce dernier part en cure à Vichy. L'offensive Nivelle, déclenchée en avril, est, comme il l'avait prévu, un désastre et Painlevé finit par décider, à la fin du mois, d'appliquer ses idées sur l'unité de commandement, en appelant Foch au commandement suprême des armées et Pétain au poste de chef d'état-major général chargé de faire le lien avec les Alliés. On avait pourtant en janvier refusé à Lyautey la création de ce poste de chef d'état-major général, sans doute parce que le candidat qu'il proposait, Castelnau, ne plaisait pas à la gauche[48]. De retour à Paris début mai, Lyautey est pleinement associé à la nouvelle donne : il voit Ribot, Painlevé, Poincaré, Foch et Pétain[32](123). Clemenceau, revenu au pouvoir à la fin de l'année et dont les relations avec Lyautey ont le plus souvent été conflictuelles, avalise ces décisions et pour certaines les renforce[32](103-104 & 122).

Poursuite du programme

L'équipe Lyautey en 1925.
Pierre Viénot, ministre.
Didier Daurat (musée Guillaumet).
Affiche de Mattéo Brondy.
Jérôme et Jean Tharaud (de droite à gauche).

Lyautey quitte Paris le . Il s'arrête à Madrid pour des conversations approfondies avec le roi et le chef du gouvernement. Alphonse XIII lui fait discrètement savoir qu'il aimerait le voir soutenir l'idée d'une paix séparée avec l'Autriche pour laquelle l'empereur Charles Ier et l'impératrice Zita œuvrent, mais il refuse de s'engager[32](131). Le , après avoir échappé de peu à une torpille lancée par inadvertance par un navire d'escorte anglais[49], il arrive à Casablanca, prêt à reprendre le travail de développement du Maroc où il l'avait laissé.

Pour l'aider, une équipe de fidèles qu'il a choisis et auxquels il fait confiance. Elle a joué un rôle essentiel. Wladimir d'Ormesson dit que « Lyautey créait autour de lui une atmosphère faite à la fois d'intelligence et de confiance »[32](140). Sur la photo de 1925, on peut voir, debout de gauche à droite : le capitaine Pélier, le colonel Huot (l'homme de l'ombre est dans l'ombre), le Maréchal, Pierre de Sorbier, le commandant Ract-Brancaz, le capitaine Fouques-Duparc, Émile Vatin-Pérignon, le capitaine Deschanel, le comte de Saint-Quentin, le capitaine Bourgin. Dans ceux qui sont assis, à l'extrême-gauche, le lieutenant Durosoy et au premier plan au centre, Gaston Palewski. Dans le premier cercle et sur toute la durée, on trouve, côté militaires :

  • le général Poeymirau, le chef militaire, mort en 1924 ;
  • le général Gueydon de Dives, chef d'état-major en 1914, suivi du colonel Jean Delmas, mort en 1921 ;
  • le capitaine Bénédic, futur colonel, chef du cabinet militaire ;
  • le colonel Berriau, chef des affaires indigènes et du renseignement, mort en 1918[50], suivi du colonel Huot;
  • Maurice Durosoy, arrivé en 1924 comme aide de camp, puis chef de cabinet du maréchal, futur général.

S'y rajoutent les officiers d'ordonnance Wladimir d'Ormesson, Édouard Champion (l'éditeur), Joseph Pélier, Yves de Boisboissel, Louis Guillon, Fouques-Duparc, etc. et les membres de son cabinet militaire, le commandant Ract-Brancaz (du service du renseignement), Georges Spillmann (du même service, futur général), le commandant Cellier, Aimery Blacque-Belair (le lieutenant des Dialogues sur le commandement de Maurois), le capitaine et secrétaire d'ambassade Étienne de Felcourt, chargé des renseignements extérieurs, Alfred Droin, l'officier poète[16]:121 96-97, François de La Rocque, à l'état-major de Lyautey de 1913 à 1916, puis brièvement en 1925 comme lieutenant-colonel chargé du deuxième bureau. Parmi les trois militaires qui ont succédé à Lyautey comme résident général, deux l'ont servi au plus près : Charles Noguès et Alphonse Juin. Ce dernier a même poussé l'attachement jusqu'à le suivre en France en 1925, pour continuer à le servir au sein du Conseil supérieur de la guerre. Un troisième futur résident, Augustin Guillaume, n'a que brièvement été au cabinet de Lyautey ; il était néanmoins tout à fait à même d'apprécier ses méthodes. Les trois feront tout le contraire une fois au pouvoir…

Côté civils, le premier cercle comprend :

  • Robert Billecard, chef du cabinet civil de 1912 à 1914, suivi de M. Révilliod et d'Émile Vatin-Pérignon ;
  • Paul Tirard, secrétaire général du Protectorat en 1913-14, suivi d'André Lallier du Coudray ;
  • Pierre de Sorbier, d'abord chef du cabinet diplomatique, puis secrétaire général adjoint du Protectorat en 1917, enfin secrétaire général de 1920 à 1924[51] ;
  • Charles de Saint-Aulaire, diplomate, au Maroc depuis 1902, délégué à la Résidence générale de 1912 à 1916, suivi d'Urbain Blanc ;
  • Guillaume de Tarde, secrétaire général adjoint du Protectorat, puis directeur des affaires civiles de 1917 à 1920 ;
  • François Piétri, chef des services financiers jusqu'en 1924, inspecteur des finances et futur ministre ;
  • René de Saint-Quentin, chef du cabinet diplomatique, futur ambassadeur.

Dans le second cercle, on trouve Henri Gaillard, diplomate, secrétaire général du gouvernement chérifien (poste supprimé en 1917), Félix de Vogüé, seul fils survivant d'Eugène-Melchior, Pierre Viénot, secrétaire particulier[52] ainsi que Georges Hutin[n 9], Gaston Palewski, Gérard de Launay, Henry de Castries et son successeur à la tête du service historique, Pierre de Cenival[53], Tranchant de Lunel (jusqu'à son renvoi en 1923), son successeur, Jules Borély, Paul Boudy, chef du service forestier, Henri Prost et plusieurs de ses collègues architectes. Lyautey a toutefois un défaut : il aime à s'entourer de jeunes gens choisis pour leur physique, ce qui n'est pas un gage d'efficacité… Blacque-Belair écrit à ce propos en 1922 : « Le maréchal s'entoure trop facilement de gigolos, qui débarquent de Paris, passent à Rabat six mois par an et traitent tout un peu à la légère. Porteurs souvent que d'un beau nom ou d'un physique plaisant, ils sont peu disposés à être les porte-parole et les réalisateurs des idées admirables du Maître. Celui-ci a bien perdu en perdant des hommes comme les colonels Delmas et Berriau[54],[n 10]». Le même pense aussi que Lyautey fait un peu trop confiance, car certains membres de l'équipe ont « l'improbité prospère »[54], une accusation qu'il n'est pas le seul à formuler.

L'économie du Maroc est stimulée après guerre par une découverte fortuite faite en 1917 à l'occasion de travaux d'une ligne de chemin de fer : les phosphates de Khouribga. Déjà, depuis 1908, on sait qu'il y a des phosphates au Maroc et c'est une des raisons de l'intérêt des Allemands pour le pays. L'importance du gisement de Khouribga est considérable et on prévoit que la quasi-totalité de la production devra être exportée. Lyautey prend deux décisions : d'abord, l'exploitation sera confiée non à des intérêts privés mais à l'Office chérifien des phosphates, créé en 1920, une décision qui n'est pas celle d'un homme de droite. Ensuite, les travaux (pharaoniques) du port de Casablanca, toujours en cours, sont modifiés avec la création d'un quai des phosphates, doté de larges surfaces d'entrepôts, de grues dédiées et de liaisons ferroviaires. L'exploitation commence en 1921 et est une manne pour le pays. La Banque de Paris et des Pays-Bas, évincée de l'exploitation des phosphates, se rattrape en obtenant, toujours en 1920, la concession du transport ferroviaire au Maroc. Elle crée à cet effet la Compagnie des chemins de fer du Maroc (CFM), dont les débuts sont très lents, tant que la traction électrique n'a pas été adoptée (1925). Cette compagnie devient célèbre dans le monde entier quand elle construit un hôtel de luxe à Marrakech en 1923 : la Mamounia, bientôt suivi des hôtels rachetés à la Compagnie générale transatlantique (Palais Jamaï à Fès, Transatlantique de Casablanca, Meknès et Agadir). La concession de l'électricité suit celle des chemins de fer ; elle est accordée en et autorise, entre autres, la construction de plusieurs barrages sur l'Oum Errabiâ. Une société est créée en  : Énergie électrique du Maroc (EEM), chapeautée encore par la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui la contrôle directement ou via la CFM. Dès , une grosse centrale thermique entre en service sur le site des Roches Noires à Casablanca. Il faut attendre encore un an pour voir démarrer les travaux des premiers barrages[55].

Si le Maroc a naturellement été en retard sur la métropole pour les chemins de fer, il n'en va pas de même pour l'aviation, dont Lyautey a vite compris le potentiel. Déjà, pendant la guerre, il a obtenu en 1916 l'envoi de deux escadrilles pour parer au déficit de troupes au sol, qui servent à la reconnaissance et au bombardement. Elles sont équipées de Voisin et de Farman, et servent en particulier dans la région de Taza et celle du Tafilalet[56]. C'est en 1918 que l'industriel Pierre-Georges Latécoère décide de développer les liaisons aériennes avec le Maroc, et au-delà l'Afrique de l'Ouest et l'Amérique du Sud ; il crée à cet effet la CEMA (Compagnie Espagne-Maroc-Algérie) avec laquelle le gouvernement signe un contrat pour le transport du courrier, comprenant une subvention annuelle de Lyautey. Le , Latécoère est à bord du vol d'essai du Salmson 2A2 qui relie Toulouse à Casablanca, vol effectué en 11h45. À son arrivée, il remet à Lyautey le journal de la veille et à la générale un bouquet de violettes fraichement cueilli[57]. Le , vol inaugural de la ligne postale sur Breguet XIV avec aux commandes Didier Daurat, qui est par la suite le patron de la ligne du Maroc. En , le roi Albert Ier de Belgique en visite à Rabat exprime le souhait de revenir en France en avion et Lyautey organise son voyage, mais tout le monde tremble, y compris le pilote[58]. De 1919 à 1921, il y a eu de nombreux accidents mortels, au point que Lyautey a dû interdire aux membres de son cabinet de prendre l'avion[59]. À l'été 1922, Latécoère demande à Lyautey son aide pour définir les escales de la future ligne vers Dakar. Lyautey confie les reconnaissances nécessaires au capitaine Joseph Roig[60], le chef d'escale de Latécoère au Maroc, et à un officier de goumiers qui sert d'interprète[n 11]. En , premier vol vers Dakar. En 1924, Latécoère transporte 2 000 passagers et des millions de lettres sur la ligne du Maroc. Cependant, durant toutes les années 1920, les escales du sud, Cap Juby (Tarfaya) et Villa Cisneros (Dakhla) posent un problème majeur d'insécurité, avec de nombreux équipages capturés, blessés, ou même tués (voir les aventures de Jean Mermoz et de Saint-Exupéry), les Espagnols étant incapables de pacifier la région et Lyautey se voyant interdire d'y intervenir.

La colonisation officielle des terres s'est faite sous Lyautey par :

  • rachat de terres guich. Puisque la protection du sultan est assurée par la France, ce statut devient obsolète,
  • rachat de biens habous,
  • rachat de 50 000 ha à de grandes sociétés foncières,
  • confiscation de 30 000 ha appartenant à des Allemands ou Austro-Hongrois,

soit au total quelque 200 000 ha de lots de colonisation officielle, auxquels il faut ajouter les achats privés. Trois corps sont créés pour développer l'agriculture : officiers des eaux et forêts, ingénieurs du génie rural et inspecteurs de l'agriculture. Le service des forêts est confié à Paul Boudy et celui du génie rural à Jacques Nacivet, qui obtient en 1923 que l'hydraulique agricole, si importante au Maroc, soit détachée de la direction des travaux publics et placée sous sa coupe. Quant aux inspecteurs de l'agriculture, ils ont entre autres pour mission la vulgarisation des techniques agricoles, et la distribution d'engrais et de semences. Les cultures passent dans la Chaouia entre 1915 et 1923 de 201 000 ha à 422 000, dont de 16 000 à 31 000 ha pour les lots de colonisation[61]. Quant à la production globale, elle passe de 1915 à 1924 pour les céréales de 13,8 à 22,2 millions de quintaux, et pour les bovins de 548 000 têtes à 1 568 000[62]. Fin cavalier et passionné d'équitation, Lyautey ne manque pas d'imprimer sa patte dans ce domaine. Il a repéré dès 1912 un vétérinaire militaire, le colonel Théophile Monod. Il lui confie le service de l'élevage nouvellement créé, avec en ligne de mire les pur-sang arabes. Ce dernier crée en 1914 le haras de Meknès, qui a pour première tâche les remontes militaires, puis après la guerre l'amélioration génétique et la promotion du jumping[63].

À son retour en 1917, Lyautey a continué de plus belle à récupérer les spécialistes dont il avait besoin et qui étaient au front, qu'ils soient réaffectés ou réformés ; c'est ainsi qu'il invite le Lorrain Jacques Majorelle à venir. Henry de Castries, il y a peu dans l'Oise, retrouve son service historique qui est érigé en Institut historique du Maroc[64]. Plusieurs architectes arrivent, dont Auguste Cadet. Bernard Boutet de Monvel, affecté en 1917 à la base aérienne de Fès, est incité par Lyautey à reprendre ses pinceaux. Le service des Beaux-Arts est la même année à l'origine d'une découverte majeure : les tombeaux saadiens de Marrakech, murés depuis deux siècles, qu'il étudie et publie[65]. Ce service est étoffé en 1918 avec la création d'un Office des arts indigènes, confié à Joseph de La Nézière. En 1919, il est rattaché à la direction de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Monuments historiques à la tête de laquelle vient d'être nommé Georges Hardy. Puis en 1920, l'ensemble du service des Beaux-Arts est réorganisé en trois sections :

  • monuments historiques, palais et résidences, confiée à Edmond Pauty
  • arts indigènes (ateliers, enseignement, musées) confiée à Prosper Ricard et Joseph de La Nézière, épaulés par des ethnographes comme Jean Gallotti et une cohorte de peintres, dont fait partie Azouaou Mammeri[n 12]
  • antiquités, confiée au spécialiste de Volubilis, Louis Chatelain[66]

En 1923, le service est en crise : Lyautey doit renvoyer son chef, Tranchant de Lunel, pris dans des affaires de mœurs et de drogue. Il n'est remplacé qu'en 1924, par Jules Borély. Cadeau de départ du service au maréchal en 1925 : le beau livre de Jean Gallotti Le Jardin et la maison arabes (deux tomes) illustré par Albert Laprade, avec une lettre-préface de Lyautey lui-même : « Vous avez écrit un livre non seulement d'artiste et d'érudit, mais d'amoureux. Un soir de cet été [1925], j'ai pu feuilleter votre manuscrit resté longtemps sur ma table, au milieu des préoccupations que vous savez. C'était comme lorsqu'on pénètre, à la fin d'une journée accablante, derrière les murs hostiles d'une casbah, dans un jardin de cyprès, où vous assaillent la fraicheur des fontaines, le parfum des roses et le vol des colombes ».

Jusqu'à la fin de la guerre, Lyautey avait mobilisé les peintres pour des relevés des monuments à sauver. Ce travail achevé, il incite les artistes de passage (tels que Raoul Dufy) à rester au Maroc en mettant des ateliers à leur disposition et s'occuper activement de la promotion des peintres et sculpteurs, en parrainant de nombreuses expositions au Maroc, à Marseille et à Paris, avec l'aide en particulier de la galerie Georges Petit. Il les structure également. Il y a bien une association des peintres orientalistes en France, mais il veut faire émerger une école proprement marocaine. L'Association des peintres et sculpteurs du Maroc est créée en 1922, placée sous la tutelle de Georges Hardy. Elle comprend au départ douze membres : Jean Baldaoui, Jean Hainaut, Raphaël Pinatel, Paul Lafond, Édouard Brindeau de Jarny, Marcel Vicaire, André Lenoir, Mattéo Brondy, Edmond Pauty, Albert Laprade, Gabriel Rousseau, Blanche Laurent-Berbudeau[67]. Autour d'eux, on peut encore citer : Jules Galand et Bernard Boutet de Monvel, deux officiers-peintres, Tranchant de Lunel, André Suréda, Henri Derche, Charles Duvent (honoré de plusieurs commandes officielles), Camille Josso, Azouaou Mammeri et bien sûr Jacques Majorelle, qui s'installe à Marrakech en 1922. Leurs thèmes favoris sont les médinas, les fantasias et les kasbahs de l'Atlas. Pour accueillir leurs œuvres, un musée d'art moderne est créé en 1923 à Rabat. Il porte le nom du grand ancien, Eugène Delacroix, dont les carnets du Maroc sont célèbres[68].

De 1917 à 1925, un nouveau contingent d'architectes arrive au Maroc : Marius Boyer, Edmond Brion, Auguste Cadet, Jean Balois, Albert Greslin, dont le principal centre d'intérêt est la ville de Casablanca en pleine expansion. Leur style est foisonnant et fait appel à toutes les références, du néo-mauresque à l'art déco, avec souvent des créations très personnelles qui font la richesse de la ville. Certains ont été appelés par Lyautey lui-même.

Mais c'est par le recours aux écrivains que Lyautey s'est directement impliqué dans une autre forme de mise en valeur du Maroc. Frappé par le rôle que Loti a pu jouer vis-à-vis de la Turquie[n 13], il invite, cornaque, cajole toute une série d'écrivains, reconnus ou non. S'ils arrivent sans le sou comme Jérôme et Jean Tharaud, il subvient à leurs besoins matériels et en est payé de retour par des livres qui participent au mythe : Rabat ou les heures marocaines, Marrakech ou les seigneurs de l'Atlas, Fès ou les bourgeois de l'Islam[32](141-143). Des résidents sont mis à contribution : Joseph Vattier (Âmes maghrébines, 1925) ou Aline Réveillaud de Lens (Derrière les vieux murs en ruines, 1922). Des écrivains reconnus sont invités : Edith Wharton en 1917 (In Morocco, 1919), Claude Farrère en 1920 (Les Hommes nouveaux, Lyautey l'Africain, 1922). Le maréchal connaît Paul Desjardins, l'homme des décades de Pontigny, depuis trente ans. Il l'invite à Rabat avec André Gide et d'autres auteurs de la NRF ; il lui présente Pierre Viénot et Aimery Blacque-Belair qui sont à son cabinet et que Desjardins embauche pour ses décades[69]. Divers auteurs de la NRF s'intéressent au maréchal (Roger Martin du Gard et Jean Schlumberger notamment). Autre habitué des décades : André Maurois, invité lui aussi, obtient le droit de rédiger la biographie de Lyautey, la seule qui paraît de son vivant. On peut encore citer Jacques Ladreit de Lacharrière, qui s'intéresse au Maroc depuis le début des années 1910 et a publié de nombreux articles sur Lyautey, André Chevrillon (Visions du Maroc, Marrakech dans les palmes, Un crépuscule d'Islam), et Henry Bordeaux, qui a fait dans les années 1920 de longs séjours au Maroc et en a tiré plusieurs récits, romans ou essais : Un printemps au Maroc, Le Miracle du Maroc, Henry de Bournazel, ou Le Gouffre[70]. Reste un cas un peu à part, celui de Jean Giraudoux, car s'il est venu au Maroc, c'est en service commandé, en tant que responsable du service des œuvres françaises à l’étranger dépendant du Quai d'Orsay. Le courant passe tout de suite avec Lyautey, dont l'influence le marque durablement, notamment ses conceptions urbanistiques[71]. Giraudoux retrouve d'ailleurs au Maroc son camarade de lycée Albert Laprade[72]. Plus étonnant, la personnalité de l'écrivain semble avoir séduit le Sultan[73]. Giraudoux et Lyautey se revoient par la suite en France, en particulier au moment de l'Exposition coloniale.

Le programme de pacification, laissé entre parenthèses pendant la guerre, est repris ensuite, car des tribus sont à nouveau entrées en rébellion dans le Rif, vers Taza, dans le Moyen-Atlas et dans le Sud. Lyautey veut certes pacifier mais aussi rêve de reformer l'empire chérifien du temps de Moulay Ismaïl, de la Méditerranée au Sénégal[4]:243:267-280. Les caïds alliés, Goundafi et Glaoui, sont mis à contribution pour la rébellion du Souss où des tribus sont restées fidèles à El Hiba. Le général Aubert sécurise (provisoirement) la zone de Taza en 1918, le général Maurial fait de même dans le Moyen-Atlas. Le colonel Doury écrase une harka qui menaçait le Tafilalet. Une opération exemplaire a lieu en à Ouezzane. C'est un des sanctuaires les plus vénérés du Maroc, situé dans une région du Rif devenue inaccessible au Makhzen en raison de la présence de tribus qui l'ont mise en coupe réglée. Lyautey veut mettre fin à cette situation en évitant toute effusion de sang, en raison de la présence de ce sanctuaire. Il envoie donc des troupes commandées par Poeymirau et en même temps engage des négociations qui sont couronnées de succès. Lyautey entre à Ouezzane en octobre accompagné du sultan qui reçoit un accueil triomphal et peut aller faire ses dévotions au mausolée du saint, ancien grand maître du soufisme[4]:244-248. À la même époque, il envoie deux colonnes dans le grand sud contre des tribus insoumises de la région de Tarfaya (Cap Juby) mais il s'agit d'une zone d'influence espagnole et il est stoppé net par Paris[4]:280-281. Au printemps 1923, une nouvelle campagne doit être lancée pour réduire la tâche de Taza, qui bloque le passage vers l'Algérie. Elle est menée par le fidèle Poeymirau et donne lieu à de violentes batailles. Sur le terrain, on retrouve Henri de Bournazel et sa légendaire tunique rouge, Durosoy, pas encore aide de camp de Lyautey, Blacque-Belair, laissé pour mort à El Mers[74], et un jeune et déjà brillant capitaine : Jean de Lattre.

Difficultés fatales

Malgré le travail considérable accompli, le second séjour de Lyautey contraste singulièrement avec le premier : on passe d'un parcours presque triomphal à ce qui est à certains égards un chemin de croix. Il doit affronter deux types de difficultés : personnelles avec une santé de plus en plus chancelante, et politiques avec l'opposition grandissante des colons, l'administration qui lui échappe et le gouvernement qui lui est de plus en plus hostile. Ces difficultés l'amènent à présenter trois fois sa démission, fin 1923 après le départ ou la disparition de plusieurs de ses fidèles, en après le départ d'Alexandre Millerand qui le soutenait, et en 1925 après la nomination de Pétain pour diriger les opérations militaires[75].

Il a toujours été un bourreau de travail, aux activités incessantes, dormant très peu et épuisant ses officiers d'ordonnance. Comme il ne se ménage pas, le corps quelquefois ne suit pas et il accumule notamment les crises de foie : une en 1915, une autre après son départ du ministère qui l'oblige à un mois de cure à Vichy[32](112). En , de retour d'Alger en voiture, il manque d'y rester, réussit à regagner Fès où les médecins diagnostiquent une crise de vésicule biliaire qui nécessite une opération. Il est intransportable. La foule se rassemble sous ses fenêtres et les oulémas lui font réciter des prières, l'iman de Moulay Idriss vient avec un flacon d'eau de la source du lieu et des cierges qu'il place au pied du lit du maréchal. Le lendemain, il se sent mieux et on crie au miracle[16]:161. Une semaine plus tard, il peut envisager de partir à Paris se faire opérer. Début 1924, nouvelle crise et nouvelle opération. Il passe plusieurs mois à Paris jusqu'aux élections. À Lucien Saint qui l'accompagne à la gare de Lyon, il dit : « Je ne retourne à Rabat que pour faire mes malles… les élections, ma santé, c'est bien fini »[4]:303-304.

Lyautey était contre la colonisation de peuplement mais il n'a pas pu s'opposer à ce déferlement qui a accompagné les premières années de son proconsulat. Hors les risques de conflit avec la population locale sur l'appropriation des terres ou des emplois, il craignait que ceux, très nombreux, qui venaient du reste de l'Afrique du Nord ne veuillent transposer au Maroc le régime algérien de l'administration directe. Ses craintes se sont révélées fondées. Plusieurs organes ont structuré les mécontentements : les chambres de commerce, les chambres d'agriculture, les réseaux francs-maçons et la presse d'opposition. Dans un document publié sans fard et des plus instructifs, Les Francs-maçons et Lyautey, les frères détaillent leur conflit avec Lyautey, les objectifs visés et les méthodes utilisées[76]. Première méthode : monter en épingle des incidents secondaires en s'appuyant sur une presse qu'ils dominent (Vigie marocaine, Annales marocaines, Action marocaine, Petit Marocain). À plusieurs reprises, ils exploitent la rivalité entre Casablanca et Rabat et la frustration de la capitale économique de n'être pas aussi la capitale administrative. Ils tirent à boulets rouges en 1919 contre la décision de supprimer la parité entre le franc et la monnaie locale, le hassani. Clemenceau donne raison à Lyautey et ils doivent s'incliner. En 1924, ils en appellent aux droits de l'homme et réclament le départ de Lyautey, parce que, à la suite d'un triple assassinat sur la route de Safi, les corps ont été rapatriés à dos de mulet. Ils soulèvent aussi des problèmes de fond : Lyautey a créé en 1919 un conseil de gouvernement formé de professionnels et à rôle consultatif ; au nom de la démocratie, ils voudraient en faire un conseil élu avec rôle délibératif en matière budgétaire. C'est inconciliable avec les principes du protectorat. Ils s'attaquent aussi à l'autorité des pachas et caïds sur les villes et régions. Ils qualifient ce système de féodal et en dénoncent les abus par ces potentats locaux. Ils sont loin d'avoir tort, mais cela fait partie de la realpolitik de Lyautey : soutenir ces pachas et caïds en échange du maintien des tribus qu'ils contrôlent dans l'obéissance. Autre problème de fond : la politique islamique de Lyautey. La thèse des frères est que le maréchal a grandement favorisé la propagation de la religion dans un pays jusque-là peu islamisé. Il est de fait qu'un des piliers de sa politique a été la consolidation des pouvoirs du Sultan, descendant du Prophète et imam couronné. Il est en particulier reproché à Lyautey d'avoir apporté son aide au pèlerinage de la Mecque, d'avoir cherché l'appui de l'Islam officiel et des confréries religieuses, ou d'avoir subventionné la mosquée Karaouiyine. Ils lui reprochent même d'avoir expulsé des franciscains et jésuites qui voulaient convertir les Marocains. Des missionnaires protestants anglo-saxons trop zélés ont subi le même sort[77].

Ce que veulent avant tout les francs-maçons, c'est une révision de la politique de colonisation de Lyautey. Comme ils l'expliquent très bien, le maréchal est contre la colonisation de peuplement et s'oppose à la distribution des terres. Ils mettent en avant le chiffre « ridiculement bas » de 1.5 % des terres cultivables attribués aux colons. Le Petit Marocain du radical-socialiste Pierre Mas condamne cette politique « qui n'est ni d'assimilation, ni de substitution, mais d'éducation », et son rédacteur Goulven réclame, « à l'exemple de l'Algérie, une modification du régime de l'aliénation des terres domaniales ». Ils réussissent à transporter le débat en France, à travers leurs instances nationales et tous les hommes de gauche qui adhèrent à leurs idées. C'est pourquoi le pessimisme de Lyautey est à son comble après l'arrivée au pouvoir du cartel des gauches. Un dernier reproche qu'ils font ne manque pas d'étonner : la guerre du Rif est dénoncée comme « le résultat des provocations de Lyautey à l'encontre d'Abd El Krim, dans le but de soutenir l'Espagne et le roi d'Espagne ». On savait Lyautey très attaché à Alphonse XIII, mais pas au point de déclencher une guerre pour lui, et alors même qu'il se heurte aux prétentions espagnoles sur le Rio de Oro, Tarfaya et Ifni, qu'il considère comme partie intégrante de l'empire chérifien qu'il rêve de reformer. Deux décisions du gouvernement heurtent profondément Lyautey : le décret du dotant la Mauritanie du statut de colonie et la rattachant à l'A.O.F., et peu après les Confins algéro-marocains érigés en région militaire autonome rattachée à l'Algérie[4]:282.

Le problème avec les colons se double d'un problème avec l'administration. Ses cadres français ne comprennent pas la nécessité de partager le pouvoir avec des indigènes et ont une tendance naturelle à l'accaparer. D'où un dérapage continu pendant la guerre qui amène Lyautey à taper du poing sur la table en 1920 : c'est le fameux texte dit « du coup de barre », en fait, une lettre au président du Conseil du  : « Voici le moment de donner un sérieux coup de barre au point de vue de la politique indigène et de la participation de l'élément musulman aux affaires publiques. Il faut regarder bien en face… la situation du monde musulman et ne pas se laisser devancer par les événements. Ce n'est pas impunément qu'ont été lancées à travers le monde les formules du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les idées d'émancipation… Il faut bien se garder de croire que les Marocains échappent ou échapperont longtemps à ce mouvement général… Ce serait absolument une illusion de croire que les Marocains ne se rendent pas compte de la mise à l'écart des affaires publiques dans laquelle ils sont tenus. Ils en souffrent et ils en causent… Ils ne sont ni barbares, ni inertes… Il se forme chez eux une jeunesse qui se sent vivre et veut agir, qui a le goût de l'instruction et des affaires. À défaut des débouchés que notre administration lui donne si maigrement et dans des conditions si subalternes, elle cherchera sa voie ailleurs… Il faut donc entrer résolument et vite dans une nouvelle voie »[n 14]. Le problème est que la classe politique n'est pas prête à entendre un tel discours, mais Lyautey s'inquiète des revendications d'indépendance qu'il commence à percevoir dans un pays qui n'est plus « figé dans une forme théocratique immuable » et que le choc du protectorat a réveillé. Pour éviter le piège de l'administration directe, la solution qu'il préconise dans ce texte et tente de mettre en œuvre est celle de la formation d'élites marocaines, qui prendront peu à peu la relève. Il rappelle qu'il a en 1916 proposé de former des jeunes issus des collèges musulmans en leur procurant des stages dans la fonction publique mais que cette proposition est restée lettre morte.

Autour de 1914, Lyautey a fondé des collèges musulmans à Fès (collège Moulay Idriss) et à Rabat (collège Moulay Youssef), puis en 1918 à Meknès (collège militaire de Dar el Beïda[78]). Leur inconvénient est le manque de débouchés car ils ne permettent pas de passer le baccalauréat. Néanmoins, l'intégration d'élèves officiers de Dar el Beïda dans l'armée est facilitée. En application du programme transmis au gouvernement, Lyautey décide en 1921 que les trois premiers de chaque promotion de Dar el Beïda se verront offrir des postes à la Résidence, au Makhzen et au renseignement, mais comme leur bagage est insuffisant, il organise pour chaque promotion des stages et voyages en France, avec visite des principales institutions de la République et rencontres avec les hauts responsables de l'État[79]. Parallèlement, il crée en 1920 l'Institut des Hautes Études marocaines à Rabat, dont l'animateur est le grand arabisant Évariste Lévi-Provençal, avec mission d'acculturer à petites doses l'élite de la société[80]. Aux congrès de l'Institut, Lévi-Provençal tient d'ailleurs ses discours en arabe. Ces réformes ne suffisent pas pour vaincre les résistances de l'administration qui sont renforcées par l'arrivée de nouveaux résidents généraux.

La guerre du Rif

Abd El Krim

Après l'arrivée au pouvoir du cartel des gauches, les instructions envoyées à Lyautey changent : « Le Maroc a assez coûté, il faut maintenant qu'il rapporte[4]:305 ». On veut pour cela qu'il modifie la structure du pays et adopte celle de la métropole, en d'autres termes, qu'il passe à l'administration directe. Lyautey s'y refuse en s'abritant derrière les traités. En réponse, ses crédits sont rognés, ses décisions critiquées[4]:306. Il s'apprête à démissionner quand Abd El Krim, en révolte depuis trois ans contre l'Espagne dans les montagnes du Rif, invite ses compatriotes à se retourner contre la France. Du coup, le gouvernement change de discours et demande à Lyautey de rester. Il accepte et défait ses bagages. L'adversaire qu'il affronte est d'une toute autre envergure que les chefs de tribus auxquels il s'est heurté jusqu'ici : il est intelligent, cultivé, et a un vrai sens politique. Il a étudié à l'université Al Quaraouiyine, à Fès, et été nommé cadi de Mellila, avant d'être jeté en prison pour s'être opposé à la politique de conquête espagnole. Lyautey est resté dans l'expectative au début du conflit, peut-être lorgnait-il du côté de Larache et Tanger, mais il était surtout préoccupé d'empêcher une jonction entre les tribus qui contrôlent la tâche de Taza (qu'il combat de façon discontinue depuis 1914) et celles du Rif. Les choses changent quand le sultan Moulay Youssef refuse en 1924 de rejoindre le combat d'Abd El Krim ; ce dernier appelle donc directement à la révolte contre la France. Lyautey peut d'autant moins reculer qu'Abd El Krim a franchi la ligne rouge en contestant l'autorité du Sultan et en parlant ouvertement de le remplacer[16]:174, comme El Hiba dans le sud dix ans auparavant[n 15]. Déjà, dans toute la zone, les oulémas disent la prière en son nom[4]:318.

En 1924, Abd El Krim se contente d'établir une ligne de postes fortifiés face à ceux des Français. Lyautey demande à l'automne combien la métropole peut lui envoyer de troupes en cas d'assaut. Onze bataillons, répond l'état-major[4]:322. Les premières attaques surviennent en avril 1925 dans la région de l'Ouergha. Les troupes résistent péniblement. Une deuxième offensive a lieu au début de l'été, visant l'est et l'ouest du premier front : Taza et Ouezzane ; offensive à nouveau stoppée. Abd El Krim, qui se vantait d'être à Fès le , n'y est pas et c'est au contraire Moulay Youssef qui y vient et exhorte son peuple à la résistance[81]. Lyautey constate qu'une grande partie des tribus est restée fidèle au Makhzen[4]:337, mais il est très fatigué car il n'a dormi que quatre heures par nuit pendant l'offensive ; il demande donc qu'on lui envoie un général pour assurer la conduite des opérations sur le terrain, qui remplace en quelque sorte Poeymirau, mort l'année précédente. Le gouvernement choisit le général Naulin.

Lyautey souhaite ménager Abd El Krim, dont il a reconnu la valeur, qu'il ne désespère pas d'amener à résipiscence et verrait bien comme un caïd du Rif, reconnaissant l'autorité du Makhzen[n 16]. C'est pourquoi il ne poursuit pas l'offensive contre lui, il veut juste, en plein accord avec Naulin, continuer sa bonne vieille méthode : l'alternance de la diplomatie et de l'usage de la force. Militairement, il n'envisage pour l'instant que de récupérer le terrain perdu, en donnant au passage une leçon aux tribus qui ont trahi, dont les Beni Zeroual[81]:258-259. Attitude incompréhensible pour le gouvernement qui est toujours dans le même état d'esprit que pendant la Grande Guerre et veut écraser l'adversaire. On se souvient du refus d'une paix séparée avec l'Autriche qui aurait pourtant épargné bien des vies humaines. Il est donc décidé à Paris de décharger Lyautey de toute responsabilité militaire, de passer des accords avec l'Espagne pour une offensive conjointe de grande ampleur et de nommer Pétain comme commandant en chef des forces armées. Décision prise le mais tenue secrète sur le moment. Pétain, que Painlevé avait envoyé au Maroc en juillet pour une évaluation de la situation, y revient le avec cette fois les pleins pouvoirs. La guerre qu'il livre de concert avec Primo de Rivera et Franco, en alignant quelque 400 000 hommes, est conforme aux vœux des politiques : les forces d'Abd El Krim sont écrasées sans merci et l'usage d'armes chimiques fait des ravages dans la population civile.

Démission et retour

Plaque au domicile parisien du maréchal Lyautey, no 5 rue Bonaparte.

Son état-major est retiré à Lyautey dès l'arrivée de Pétain, qui lui signifie « que son temps est révolu et qu'il ne va pas tarder à être remplacé par un Résident civil »[4]:344. Il est de fait convoqué à Paris fin août. Une fois dans la capitale, ses amis lui dépeignent l'hostilité qui règne à son égard dans les milieux politiques. Il a vite confirmation qu'on veut sa tête et repart sans avoir vu les ministres. Il met ses affaires en ordre et rédige le sa lettre de démission : « Du jour où la menace rifaine s'est réalisée, je n'ai plus eu d'autre pensée que de tenir le coup avec les moyens réduits dont je disposais au début, et de sauver la situation. Aujourd'hui, on peut sincèrement affirmer que le danger est écarté et que, avec les effectifs à pied d'œuvre, l'avenir peut être envisagé avec confiance. C'est donc en toute sécurité de conscience que je demande à être relevé de mes fonctions [4]:345». Cet état des lieux rend difficilement compréhensible l'hécatombe qui a suivi l'intervention de Pétain et de ses alliés.

Le maréchal entame ensuite une tournée d'adieux de dix jours. Sa dernière entrevue, le , est pour le Sultan. Les tribus lui envoient une lettre d'adieux dans laquelle elles adressent « leurs remerciements à l'homme plein de sollicitude qui, par sa grande et belle œuvre… étend partout le manteau de l'ordre, jette à bas les citadelles de l'anarchie et fait toujours en sorte qu'il n'y ait aucun conflit entre la civilisation et les coutumes anciennes du pays »[16]:179-180. Le à Casablanca où il embarque sur l'Anfa, le port est noir de monde. Dans la foule compacte, Lyautey circule presque en silence, serrant des mains, murmurant quelques mots. Sur le pont, il fait un signe d'adieu et se retourne : « Les officiers sont effrayés de voir l'expression de son visage, c'est celui d'un homme terrassé par le chagrin »[4]:348. Au passage de Gibraltar, la flotte anglaise lui rend les honneurs militaires. L'arrivée à Marseille est glaciale : aucune troupe, aucun officiel, juste les amis au premier rang desquels d'Ormesson, qui émet une vigoureuse protestation dans le Figaro sous la forme d'une lettre ouverte au Président du Conseil[32](196-199).

La fin de sa vie en Lorraine

Le bureau de Lyautey au Palais de la Porte dorée.
Pavillon du Maroc à l'exposition coloniale.
Le Sultan Mohammed chez Lyautey à Thorey.
Tombeau de Lyautey aux Invalides.

Après l'incendie et le pillage par les troupes allemandes de la propriété familiale à Crévic, effectués en représailles du traité de protectorat du Maroc, le maréchal Lyautey a décidé de s'installer à Thorey, village qui adjoint à son nom celui de son célèbre résident. À partir de 1922, il y fait construire par Albert Laprade un château sur l'édifice d'une gentilhommière héritée de sa tante maternelle, Mlle de Villemotte, dont il était très proche et s'y installe en 1925, à 71 ans. Cette vaste demeure comprend une grande bibliothèque, une salle marocaine et une salle lorraine, ornée des portraits des ducs. Lyautey a décidé de s'intéresser de près à sa province de naissance. Il soutient le musée lorrain dont il préside la société d'amis. Il est membre de l'académie de Stanislas. Il fait construire un nouveau pavillon pour les étudiants catholiques de Nancy. Son amitié avec le prince Sixte de Bourbon-Parme lui donne l'occasion de renforcer ses liens avec sa sœur, l'impératrice Zita et à travers elle, avec toute la Maison de Habsbourg-Lorraine. En accord avec eux, il fait dire une messe annuelle à la mémoire des ducs de Lorraine en l'église des Cordeliers de Nancy[n 17] et reçoit à son domicile parisien l'archiduc héritier, Otto de Habsbourg-Lorraine.

Le a lieu l'inauguration de la Grande Mosquée de Paris. Lyautey n'y est pas invité. Il compte pourtant parmi les promoteurs du projet, qu'il a toujours ardemment soutenu, pour lequel il a mis ses architectes à disposition et dont il a présidé la cérémonie de pose de première pierre le [réf. nécessaire]. À cette occasion, il a rappelé le mot de Maurice Colrat à propos de cette construction : « Il ne montera vers le beau ciel de l'Ile-de-France qu'une prière de plus, dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses »[82]. Le gouvernement a pris soin d'inviter le sultan Moulay Youssef. Quand ce dernier arrive à Paris et constate la situation, sa réaction est éloquente : aussitôt après la cérémonie, il file à Thorey avec toute sa suite saluer le maréchal[réf. nécessaire].

En 1927, il accepte le poste de commissaire général de l'exposition coloniale internationale qui se tient à la Porte Dorée à Paris en 1931. Aidé par une poignée de ses anciens, avec Gérard de Launay en chef de cabinet, il réussit le tour de force de présenter des reproductions des monuments des cinq continents, tels que les temples d'Angkor, des mosquées, des ksour, la maison de George Washington, des paillotes tahitiennes, avec force animations, et de tenir son budget à l'équilibre grâce aux 33 millions de billets vendus[16]:188. Au milieu de ces constructions éphémères trône le Palais de la Porte Dorée, un chef-d'œuvre art déco signé d'Albert Laprade, ancien architecte de Lyautey au Maroc. Après l'exposition, le palais abrite un musée des colonies, remplacé récemment par un musée de l'Histoire de l'immigration. Le bureau de Lyautey, quintessence de l'art déco, a néanmoins été conservé, mais sans son portrait par László qui a été transféré au musée du Quai Branly. Il subsiste une attraction voulue par lui sur place : l'aquarium tropical abrité par le Palais.

En est inauguré le monument Barrès (une lanterne des morts) sur la colline de Sion voisine de Thorey. Après la mort de Maurice Barrès en 1923, la construction de ce monument sur la « colline inspirée » avait été décidée et c'est Lyautey qui a présidé le comité chargé de son érection. En 1929, de concert avec Foch et Fayolle, il encourage le colonel de La Rocque à prendre la tête des Croix-de-Feu. Il a maintenu des liens d'amitié avec La Rocque, dont il partage les idées et qui le vénère[32](203). Il lui fait connaître, au début des années 1930, Robert Garric, qui s'inscrit dans la lignée d'Albert de Mun et Eugène-Melchior de Vogüé, le catholicisme social, et a fondé en 1920 les Équipes sociales, qui œuvrent en milieu ouvrier ; Lyautey a adhéré dès 1922 à ce mouvement. Il lui présente aussi Georges Lamirand, un centralien, promoteur en Lorraine des Équipes sociales et auteur en 1932 du livre Le Rôle social de l'ingénieur, préfacé par le maréchal. Dans son importante étude sur les Croix-de-Feu, Albert Kechichian parle à propos de La Rocque de « ses nombreuses et chaleureuses séances de travail au domicile » [parisien] « du maréchal Lyautey, avec Robert Garric et Georges Lamirand, entre 1931 et 1933 »[83]. Lyautey est très intéressé à discuter du programme des Croix-de-Feu mais prudent à l'égard du mouvement auquel il n'adhère pas. Le patronage de Lyautey est acquis mais il n'a rien d'exclusif : « Le maréchal ne ménageait pas les encouragements, mais de loin et sans interférer, ni donner à penser qu'il avait délégué une mission »[84]. Par contre, il est clair que La Rocque cherche à le récupérer, comme en témoigne la cérémonie de pose en d'une plaque à Saint-Germain en souvenir de l'article sur le rôle social de l'officier, où les troupes Croix-de-Feu paradent et qu'ils qualifient de « magnifique réunion de propagande »[85].

Le maréchal meurt à Thorey le , âgé de 79 ans, quinze jours après avoir reçu la visite du Sultan, accompagné de son jeune fils Hassan. Lyautey a demandé que ses obsèques aient lieu à Nancy et son inhumation au Maroc. Le gouvernement lui accorde des obsèques nationales mais, contrairement à la tradition, il accepte qu'elles n'aient pas lieu à Paris mais à Nancy. Après une messe à Thorey, le cortège funèbre gagne Nancy le et la foule défile pendant trois jours devant son cercueil dans l'église des Cordeliers. Le , une messe solennelle est célébrée en la cathédrale de la ville en présence du président Albert Lebrun, puis les honneurs militaires lui sont rendus place Stanislas. Le corps est ensuite déposé dans la crypte de la cathédrale. À l'annonce de sa mort, le Sultan du Maroc, qui était à Marseille et allait s'embarquer, vient s'incliner devant la dépouille du grand homme : « Il pleurait » nous dit André Maurois[16] :189.

Un an après, sa dépouille est inhumée à Rabat dans un mausolée, un mur entier de la salle mortuaire étant occupé par l'épitaphe composée par lui-même avec une traduction en langue arabe et qui résume sa vision : « Ici repose Louis Hubert Lyautey, qui fut le premier Résident Général du Maroc, de 1912 à 1925. Décédé dans la religion catholique, dont il reçut, en pleine foi, les derniers sacrements. Profondément respectueux des traditions ancestrales et de la religion gardée et pratiquée par les habitants du Maghreb auprès desquels il a voulu reposer, en cette terre qu'il a tant aimée. Dieu ait son âme dans la paix éternelle »[4]:377-378. En 1961, le Maroc s'inquiète du sort du mausolée de Lyautey, une koubba, située dans le parc de la Résidence, à l'époque encore ambassade de France, dont une partie des locaux a commencé à être rétrocédée. Le roi Mohammed V ne veut pas prendre le risque que le tombeau soit profané et demande le rapatriement de la dépouille du maréchal. Son homme de confiance, Si Mammeri, vient à Paris exposer son point de vue et suggère que Lyautey repose aux Invalides. Le général de Gaulle accepte[4]:383-384. Les inscriptions suivantes, tirées de déclarations du maréchal, sont gravées sur les côtés de son tombeau[n 18] :

  • D'un côté en Français, « Être de ceux auxquels les hommes croient ; dans les yeux desquels des milliers d'yeux cherchent l'ordre ; à la voix desquels des routes s'ouvrent, des pays se peuplent, des villes surgissent »[n 19].
  • Et de l'autre côté, en Arabe : « Plus je vis au Maroc, plus je suis persuadé de la grandeur de ce Pays »[86].

Parcours religieux

Gagné dans les années 1880 par un scepticisme religieux qui l'angoisse, le capitaine Lyautey entame un long cheminement spirituel. Le questionnement intense auquel il se soumet[87] ne l'éloigne cependant pas définitivement de l'idée de Dieu et de son admiration pour l'Église, dont il reste culturellement proche et dont il partage la plupart des positions morales, sociales et politiques. Il reste particulièrement lié à son condisciple le docteur Paul Michaux, figure emblématique de l'intelligentsia catholique parisienne et fondateur en 1898 de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France.

L'approfondissement se construit pour Lyautey en trois étapes : recherche et questionnement de jeunesse face à son scepticisme naissant (« Je voudrais aimer Dieu, mais je n'arrive pas à le faire par gratitude » - ), fascination dans sa vie d'homme pour le Dieu des idées (« Mais l'admiration n'est pas l'amour ») et redécouverte apaisée du Dieu-Amour dans sa vieillesse[88]. À côté de Thorey se trouve la « colline inspirée », Sion, lieu de pèlerinage depuis des siècles. Un monastère confié aux missionnaires oblats y existe depuis le milieu du XIXe siècle ; le maréchal le fréquente assidûment et reçoit les frères chez lui. Lyautey achève pleinement sa réconciliation avec l'Église le jeudi saint 1930 (), lorsque, après s'être confessé, il reçoit la communion du curé de Thorey, source d'une immense joie dont il s'ouvre quelques jours plus tard à son ami Wladimir d'Ormesson[32](222) et qui ne le quitte plus jusqu'à sa mort.

Il redécouvre aussi la foi par le scoutisme et fait la connaissance d'un chef scout en route vers le sacerdoce, le futur père Patrick Heidsieck[89]. Une correspondance naît entre le jeune prêtre qui devait partir pour la Pologne et le vieil officier qui, dès 1930, de par ces échanges, reprend le chemin de l'Église, de la confession et de la prière à genoux tous les soirs. Lyautey brisait ainsi une longue période de traversée du désert religieuse et renouait avec une jeunesse où sa foi était ardente.

Vie privée

Selon les historiens

En 1907, ayant dépassé la cinquantaine, le général Lyautey fait la connaissance d'Inès de Bourgoing qu'il épouse deux ans plus tard, le , à Paris. Celle qu'on appellera « la maréchale Lyautey », issue d'une vieille famille du Nivernais, avait épousé en premières noces à 18 ans le capitaine d'artillerie Joseph Fortoul, mais celui-ci avait mis fin à ses jours en 1900 [90]. Faisant preuve d'un grand dévouement, elle œuvra de concert avec son mari, qui disait d'elle qu'elle était « son meilleur collaborateur ».

Si l'homosexualité de Lyautey semble avérée[n 20],[n 21], certains auteurs parlent plutôt d'une « sensualité homophile » et nombre de ses biographes esquivent cet aspect de sa personnalité afin, selon Arnaud Teyssier, de ne pas entacher sa réputation[91]. Ce n'est qu'à partir des années 1970 qu'il est fait mention d'une inclination qui se retrouve dans les écrits de l'officier, dans différents ouvrages français sur l'homosexualité[92].

L'historien militaire Douglas Porch souligne le paradoxe des fréquentations de ce conservateur, proche de cercles artistiques dont les vues politiques étaient assez éloignées des siennes[93].

Georges Clemenceau aurait dit de lui : « Voilà un homme admirable, courageux, qui a toujours eu des couilles au cul… même quand ce n'étaient pas les siennes »[94].

En littérature

Un certain nombre d'auteurs se sont emparés avec délectation de l'allusion de Clemenceau à l'orientation sexuelle de Lyautey. Elle est notamment reproduite par Christian Gury dans son livre Lyautey-Charlus[95], consacré aux rapports entre Lyautey et l'homosexualité. Gury essaie notamment de montrer de quelle façon Lyautey aurait pu servir de modèle au baron de Charlus, le célèbre personnage d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, bien que le modèle le plus généralement reconnu de Charlus soit Robert de Montesquiou et que la vie parisienne de Lyautey ait été fort limitée. Guy Dupré évoque également l'homosexualité de Lyautey dans son livre Les Manœuvres d'automne[96] et Angelo Rinaldi en fait état à plusieurs reprises dans Service de presse[97].

Jean Cocteau, qui le connaissait bien, dit que Lyautey lui avait demandé un exemplaire de son Livre blanc, un livre semi-clandestin paru en 1928 sans nom d'auteur, plus tard illustré de dessins homoérotiques dans le style aisément reconnaissable de Cocteau[98].

Le maréchal Lyautey est au centre de deux intrigues publiées sous forme de polars ésotériques (tenant en compte la rareté de ce genre littéraire au Maroc) :

  • Elmehdi Elkourti, Les Cinq Gardiens de la parole perdue, éditions Casa Express, 2013 (ISBN 9789954912256) (finaliste Prix Grand Atlas 2014) ;
  • Noureddine Hany, Esprit chasseur : Le Secret des Maures vivants, éditions Aquila, 2019, p. 390 (ISBN 9789920684002) (répertorié par la Bibliothèque de l'Académie Française des Sciences d'Outre-mer sous la cote 63.172 (recension d'octobre 2020)..

Lyautey et les affaires étrangères

Turquie

Mustafa Kemal

Parallèlement à ses activités officielles, Lyautey s'est intéressé de près à trois dossiers : la Turquie, l'Europe et les pays méditerranéens. Il suit le dossier turc depuis l'entrée en guerre des puissances alliées contre ce pays car le sultan Mehmed V n'est pas seulement un chef politique, il est aussi le Calife de l'Islam[n 22]. Les Allemands ont profité de cette situation pour le pousser à déclarer la guerre sainte. Lyautey s'inquiète encore plus quand il voit les conséquences du traité de Sèvres, imposé en 1920 à la Turquie. L'empire ottoman est littéralement dépecé et de nombreux pays sont créés artificiellement en application des accords Sykes-Picot de 1916, la Turquie elle-même est amputée de larges parties de son territoire et mise sous étroite tutelle. On connaît la suite : les Turcs se révoltent sous la conduite de Mustafa Kemal, qui refuse le traité et va destituer le sultan ; il a installé sa capitale pour l'instant provisoire à Angora (future Ankara). Lyautey juge alors de son devoir d'intervenir pour sauver l'amitié franco-turque et à travers elle l'amitié franco-arabe. Il écrit le au président du Conseil, Georges Leygues, une lettre dans laquelle il critique le fait que les lieux saints soient passés sous le contrôle d'un État vassal des Occidentaux, fait part de l'inquiétude que ce conflit a suscitée chez les Marocains et réclame qu'une paix véritable soit recherchée avec la Turquie, qui serait accueillie au Maroc avec un véritable soulagement[4]:290. Par l'intermédiaire d'une amie, Berthe Georges-Gaulis[n 23], il entre en contact avec Mustafa Kemal et tient le gouvernement au courant de ces échanges. Il obtient d'Aristide Briand l'envoi d'une mission parlementaire à Ankara, conduite par Henri Franklin Bouillon, qui propose que la France se retire de la coalition des ennemis de la Turquie, considère le traité de Sèvres comme nul et non avenu, et accorde au peuple turc une paix équitable et l'indépendance[4]:291. La ratification de cet accord a lieu en octobre 1921 après un ultime effort de Lyautey pour convaincre le gouvernement. Le de la même année, Mustafa Kemal écrit à Lyautey pour lui exprimer sa profonde reconnaissance. Il ajoute : « Parmi ceux qui, dans une claire vision des intérêts supérieurs de la France et de la situation qu'elle occupe dans la Méditerranée, se sont déclarés pour le maintien de la politique traditionnelle de la France au Proche-Orient, Votre Excellence figure au premier rang et nul ne doute que votre haute intervention ait fait pencher la balance dans ce sens »[4]:292.

Europe

Émile Mayrisch, par Théo van Rysselberghe

Guillaume de Tarde a dit de Lyautey jeune : « Spectacle étonnant que celui de ce capitaine de cavalerie qui a horreur de la guerre et qui considère que le Pouvoir a pour objectif essentiel de l'éviter »[99]. Il conservera toute sa vie cet objectif : lutter pour la paix en Europe. Ceci explique sa réaction horrifiée à l'annonce de la guerre de 14 qu'il qualifie de guerre fratricide, ou de guerre civile européenne. Certes, en , il refuse d'intervenir en faveur d'une paix séparée avec l'Autriche comme le lui demande le roi Alphonse XIII, alors même que celui qui est à la manœuvre est son ami le prince Sixte de Bourbon-Parme, frère de l'impératrice Zita, mais il sait qu'il va se heurter à l'opposition irréductible de Clemenceau. Après la guerre, il déplorera cette occasion manquée de faire avancer la paix et d'épargner des vies humaines. Une lettre du à sa sœur nous en dit plus sur son état d'esprit après l'armistice : « On se grise follement de Metz et Strasbourg en perdant de vue tout ce qui importe le plus pour la reconstruction de demain. Je n'ai aucune confiance dans notre Premier [Clemenceau] pour le trop connaître… Sa haine jacobine des trônes l'emporte et lui a fait faire la pire faute, l'insulte gratuite à l'empereur d'Autriche il y a dix mois [le rejet de ses offres de paix] et ensuite la dislocation de cette même Autriche, sur qui il fallait construire notre point d'appui européen. Nous allons nous retrouver dans le vide entre l'Allemagne reconstituée en démocratie industrielle et impérialiste, l'Italie si fortifiée et que nous retrouverons avant peu recollée à l'Allemagne sans le contrepoids de l'Autriche, l'Espagne hostile par notre faute[4]:237 ». Il fait des propositions en vue du traité de Versailles, dont la création d'un état indépendant en Sarre[100], mais elles sont refusées, de même que sa demande que le Maroc participe à la signature du traité.

L'esprit revanchard qui règne de part et d'autre du Rhin dans les années 1920 le préoccupe vivement et, une fois retraité à Thorey, il va mettre sur pied en 1926 avec son ancien équipier Pierre Viénot un Comité franco-allemand d'information pour lutter contre les campagnes de presse hostiles dans les deux pays et tenter un rapprochement entre eux. Ce projet est soutenu en France par Wladimir d'Ormesson, l'ambassadeur Charles Laurent, André Siegfried, Henri de Peyerimhoff, Henri Chardon, Lucien Romier, Jean Schlumberger, Edme Sommier, Félix de Vogüé, etc. Il est prévu que le comité siège au Luxembourg, hébergé par les membres du groupe de Colpach animé par le grand Européen Émile Mayrisch, dont Viénot va épouser la fille[32](206-207). Dans le même temps, il applique un principe qui lui est cher : montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir, et accepte la présidence du Comité français de propagande aéronautique fondé par André Michelin. Au sein de ce comité, il va militer pour que la France ne se laisse pas distancer par l'Allemagne, tant en ce qui concerne l'aviation militaire que civile. À son instigation, une émanation de ce comité est créée en 1929 qui s'occupera de défense passive contre les bombardements aériens : la Commission de défense aérienne, transformée en 1931 en Ligue de défense aérienne, présidée par La Rocque[101].

En 1933, le danger nazi devient prégnant ; Charles Maurras et ses troupes sont vent debout contre le nazisme. Sur suggestion du général Lachèvre, un éditeur maurassien, Fernand Sorlot, décide de traduire Mein Kampf sans l'autorisation de Hitler et sans faire de coupes. Il est curieusement rejoint par un mouvement de l'autre bord, la LICA, ancêtre de la LICRA, qui offre de partager le tirage. À tous, il paraît essentiel que les Français soient mis au courant du programme liberticide et raciste d'Hitler, et de sa haine de la France, alors que nombreux sont ceux, en France, qui sont aveuglés par le pacifisme. Lyautey approuve l'opération et la traduction paraît en aux Nouvelles Éditions latines avec sur la couverture un bandeau : « Tout Français doit lire ce livre », signé Lyautey[102]. La réaction des avocats d'Hitler est immédiate : ils obtiennent la saisie du livre avant la parution d'une édition expurgée en 1938.

Monde arabe

Si Kaddour ben Ghabrit.

Parmi les idées les plus surprenantes de Lyautey, il faut mentionner celle d'un califat occidental. À vrai dire, l'idée n'est pas nouvelle : on sait que mille ans auparavant, un califat a existé à Cordoue, porté par une branche des Omeyyades. Comme les saadiens descendent du Prophète par la branche dite chérifienne, l'un d'entre eux, Ahmed al-Mansour a tenté de se présenter comme calife[103]. L'idée est reprise par la France et l'Angleterre à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les Anglais souhaitent faire du chérif de La Mecque, Hussein ben Ali, qui appartient à la dynastie hachémite[104], un calife, pour faire pièce au sultan ottoman ; du coup, les Français s'inquiètent car ils ne tiennent pas que ce calife étende son pouvoir à l'Afrique du Nord, d'où l'idée du calife occidental, qui pourrait même étendre son influence aux nouveaux territoires sous mandat français du Proche-Orient. C'est en 1915 que Lyautey songe à l'instauration de ce califat occidental, nous dit Jalila Sbai[105]. Mais il se heurte aussitôt à l'opposition forcenée des responsables algériens, qui y voient une tentative hégémonique. Il change donc son fusil d'épaule et prépare une intervention conjointe avec les Anglais sur le Hedjaz. À la manœuvre, un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères spécialiste des questions religieuses : Si Kaddour Benghabrit, futur promoteur de la Grande Mosquée de Paris. Cette expédition, lancée en 1916, a trois objectifs :

  • militaire : stopper et même repousser les Ottomans, qui avaient le contrôle de la région ;
  • religieux : faciliter les pèlerinages aux lieux saints, où les épidémies prolifèrent en l'absence de toute hygiène et de toute structure médicale, et où l'infrastructure hôtelière est très insuffisante ;
  • politique : aider matériellement le chérif des lieux saints, Hussein ben Ali, avec l'arrière-pensée que contrôler à deux le futur calife limiterait les risques.

Le chef de la mission militaire sera le colonel Édouard Brémond, ancien du Maroc où il a opéré de 1907 à 1914. Il sera accompagné d'une cinquantaine d'officiers et sous-officiers, dont plusieurs sont musulmans. En outre, un millier d'hommes sera tenu en réserve du côté de Suez. Quant à Si Kaddour ben Ghabrit, Guillaume Jobin nous dit que sur les instructions confidentielles de Lyautey, il va jouer un rôle à la fois d'ambassadeur informel de France à La Mecque, et surtout de véritable commissaire politique et religieux du détachement français[106]. Le déroulement et le bilan de la mission ont été décrits par Pascal Le Pautremat dans un excellent article[107]. Le principal succès concerne l'accueil des pèlerins : grâce à Si Kaddour, il a été possible de contourner l'obstacle de l'interdiction faite à des chrétiens d'acheter des immeubles. Il a en effet créé une société ad hoc, la Société musulmane des Habous des lieux saints, contrôlée par des musulmans d'A.F.N., qui va racheter les immeubles à transformer en hôtellerie, à Médine et à La Mecque. Les premiers pèlerinages depuis le début de la guerre commencent en  ; le paquebot Orénoque a été affrété pour les transporter. Si Kaddour aura néanmoins fort à faire, car un agitateur a distribué aux pèlerins une brochure où il est expliqué que les Français ont l'intention de s'emparer de la Kaaba pour la transporter au Musée du Louvre[108] ! Mais la mission est un large échec sur les plans politique et militaire, d'abord à cause du caractère velléitaire du chérif Hussein, qui pourtant avait demandé l'aide des Français, mais revient sur sa décision d'autoriser une force militaire à opérer sur place, ensuite parce qu'un obstacle imprévu va surgir en la personne du fameux Lawrence d'Arabie, qui considère que la France opère sur sa chasse gardée et s'ingénie à lui mettre des bâtons dans les roues. Le gouvernement en tirera les conséquences en transférant son effort militaire du Hedjaz à la Palestine en 1917. Lyautey en gardera une certaine amertume à l'égard de nos alliés, comme en témoigne sa lettre au président du Conseil du citée plus haut.

Après la guerre, il souhaite profiter de l'effacement de l'Allemagne et du mandat français au Liban pour lancer en 1922 une fédération franco-musulmane des pays de la Méditerranée[4]:294-297. Cette proposition n'aura pas de suite immédiate mais sera reprise beaucoup plus tard par les promoteurs de l'Union pour la Méditerranée. Lyautey obtient juste de Millerand l'institution d'une conférence annuelle des gouverneurs et résidents généraux d'Afrique française du Nord destinée à coordonner leurs actions[4]:298.

Opinions

D'origine aristocratique par sa mère et descendant de Saint Louis, Lyautey affiche des opinions monarchistes. Défenseur de la cause légitimiste, il est en désaccord avec son père, fervent orléaniste. L'aïeule de Lyautey pour ses 80 ans aurait déclaré devant sa nombreuse descendance rassemblée pour l'occasion : « Vous êtes ici plusieurs centaines, et je bénis le ciel que, s'il y a des légitimistes, des orléanistes, des bonapartistes, il ne se trouve pas un seul républicain »[109]. Il a longtemps manifesté une adoration presque fétichiste pour le « comte de Chambord », puis fréquenté au Maroc les membres de la famille d'Orléans qui y résidaient. Il cultive ses liens d'amitié et d'estime avec le roi Alphonse XIII d'Espagne. Mais il a aussi une inclination, comme chez certains Lorrains, pour les descendants de leurs anciens ducs, membres de la Maison de Habsbourg-Lorraine[109].

Il s'est rallié néanmoins à la République à la fin des années 1890 après un entretien privé avec le pape Léon XIII, acceptant de la servir sans pour autant renier ses convictions. Ainsi, en 1897, il affirme que la France est forte malgré la République, à cause de la qualité de son peuple : « Il faut que la pâte individuelle française soit d'une rude qualité pour avoir résisté à un régime pareil »[110].

« Moi, je suis un homme du Nord, un Lorrain, un Normand, un Rhénan ; il y a de tous ces sangs-là dans mon sang ; mais rien qui vienne d'au-dessous de la Loire… Je n'ai jamais pu regarder un Toulousain comme un compatriote. »
« […] Dieu sait si j'aime la Lorraine – c'est mon pays… Mais quand je sortais de Lorraine pour aller en Alsace, je trouvais un ordre, une propreté, une discipline qui contrastaient avec le fumier des rues de nos villages, le laisser-aller. L'Alsace m'offrait le spectacle de tout ce que j'aime dans la vieille France et de tout ce que j'admire dans l'Allemagne – ce qu'il y a de meilleur dans l'une et dans l'autre… Je n'aime pas la Prusse. Mais l'Allemagne, c'est un grand peuple et qui a fait de grandes choses. Et j'espérais que tout cela serait maintenu dans l'Alsace, étendu à toute la France pour son profit… »
L'Alsace, la Lorraine – les « pays », quoi… c'est du réel, de l'humain… Après la guerre, j'avais cru, j'avais espéré qu'en respectant là-bas ce qu'il fallait respecter, on pourrait faire quelque chose d'intéressant, de neuf, dont le reste du pays aurait pu ensuite s'inspirer et aurait recueilli le bénéfice. Un régionalisme vivant, souple, aéré… Mais non ! Il fallait tout centraliser, tout unifier, tout ramener au gabarit, et cette illusion-là est allée rejoindre les autres illusions de la victoire »
[111]

En 1895, au cœur de l'affaire Dreyfus, Lyautey exprime dans ses lettres ses doutes sur la culpabilité de l'accusé : « Ce qui ajoute à notre scepticisme, c'est qu'il nous semble discerner là une pression de la soi-disant opinion ou plutôt de la rue, de la tourbe […] Elle hurle à la mort contre ce Juif, parce qu'il est Juif et qu'aujourd'hui, l'antisémitisme tient la corde »[112]. Clemenceau s'en est souvenu plus tard, qui l'a soutenu au cours de sa carrière ministérielle et à la présidence de la Commission des armées. Selon le général Mordacq qui fut le chef de cabinet de Clemenceau et connaissait le maréchal depuis le Tonkin en 1895, « le Tigre » aurait regretté la mise à l'écart de Lyautey puis son départ du Maroc lors de la guerre du Rif, où le gouvernement dit du « cartel des gauches » lui adjoignit sur le plan militaire Philippe Pétain, ce qui le poussa à donner sa démission[113].

Son jugement sur l'État-major, depuis les colonies : « Coteries d'admiration mutuelle, adorateurs des clichés et des formules, à l'écart des grands courants sincères que la troupe seule révèle, forts en thème, portant au Ministère, près du haut commandement, les petites vilenies de collège, flatteries au pion, recherche du satisfecit, rétractation de la personnalité et de l'indépendance d'esprit. C'est pourquoi, il y a quatre ans, sitôt le pied sur le bateau, il m'a paru que je m'échappais d'une geôle »[16]:46.

À Albert Laprade, Lyautey déclare : « Quelle chance vous avez d'être architecte ! Au moins de vous il restera des pierres, des arbres énormes. Tandis que de moi, il ne restera rien. Les hommes sont des ingrats »[114].

Distinctions

Réception de Lyautey à l'Académie française. Louis Duchesne, à droite, préside la séance
Lyautey, académicien, en 1920. Il porte la plaque de grand-croix de la Légion d'honneur, la médaille militaire et le Ouissam Alaouite
Armoiries en tant que chevalier de l'Ordre de Charles III d'Espagne.

Il est brillamment élu (avec 27 voix) à l'Académie française le au fauteuil 14. Il ne sera reçu qu'après la guerre, le , accueilli par l'historien moderniste Mgr Louis Duchesne qui prononcera son discours de réception. Il est associé-correspondant de l'académie de Stanislas depuis 1900. À la fondation de l'académie des sciences d'outre-mer en 1923, il y est élu membre titulaire[115].

Le , il est fait grand-croix de la Légion d'honneur, et le , il reçoit la médaille militaire. Parmi ses autres décorations : officier du Mérite agricole, grand cordon de l'Ordre de Léopold de Belgique, officier de l'Ordre du Soleil levant (Japon), chevalier de l'Ordre du Christ (Portugal) et de l'Ordre de Saint-Stanislas de Russie, commandeur de l'Ordre royal du Cambodge, de l'Ordre du Dragon d'Annam et de l'Ordre de l'Étoile d'Anjouan. Au Maroc, il a reçu la médaille coloniale avec barrettes, la médaille commémorative du Maroc, l'Ordre du Mérite militaire chérifien et le grand cordon du Ouissam Alaouite.

Il est élevé à la dignité de maréchal de France le . Le même jour, il reçoit[n 24] du prétendant orléaniste au trône de France, Philippe d'Orléans, la plaque de l'ordre du Saint-Esprit[n 25]. L'année suivante, il entre au Conseil supérieur de la guerre. Il est aussi élevé à la dignité de grand-croix de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand (Vatican) en 1930.

Membre du comité de patronage des Éclaireuses Éclaireurs de France aussitôt après leur fondation (1911), ainsi que de celui des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France, il se voit offrir la présidence d'honneur des scouts de France en 1929. Le château de Thorey-Lyautey abrite aujourd'hui un musée du scoutisme.

En 1926, il devient président du Comité français de propagande aéronautique créé à l'initiative d'André Michelin. Il est nommé en 1927 commissaire général de l'exposition coloniale internationale tenue en 1931 et, à ce titre, fait construire le Palais de la Porte Dorée. Son portrait par Laszlo était accroché dans ce bâtiment.

Il devient membre du Jockey Club, le , parrainé par le duc de Doudeauville et par le général de Mac Mahon, duc de Magenta.

Héritage

Dans une déclaration faite le au conseil de politique indigène, Lyautey a fixé le cap : «Il est à prévoir… que dans un temps plus ou moins lointain, l'Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome se détachera de la Métropole. Il faut qu'à ce moment-là - et ce doit être le but suprême de notre politique - cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent toujours à se tourner avec affection vers la France… Je n'ai pas cessé d'espérer créer entre ce peuple et nous un état d'âme, une amitié, une satisfaction intime qui font qu'il restera avec nous le plus longtemps possible, mais qui auront pour résultat final que si les événements le détachent politiquement de nous, toutes ses sympathies resteront françaises. C'est la pensée avec laquelle je vis, qui me porte »[116]. Texte prémonitoire, sauf sur un point : les successeurs de Lyautey vont dilapider l'héritage pour en arriver à prendre le contre-pied de sa doctrine et provoquer ainsi une situation d'affrontement.

Théodore Steeg, qui succède à Lyautey en 1925, est un homme politique classé à gauche et ancien ministre. Daniel Rivet dit de lui qu'il rétablit avec fermeté la primauté des civils sur les soldats, amplifie la colonisation officielle financée par l'État et ouvre grand les vannes du fonctionnariat[117]. En fait, depuis le départ de Lyautey jusqu'à l'indépendance, les terres de colonisation vont presque doubler. Après lui, Lucien Saint est responsable du dahir berbère de 1930 si décrié, qui applique le diviser pour régner et entraîne des réactions nationalistes. En 1936, faible lueur d'espoir avec la désignation comme ministre de tutelle de Pierre Viénot, ancien de Lyautey. On note juste qu'il nomme deux de ses collègues au Maroc : Charles Noguès comme Résident général et Aimery Blacque-Belair comme directeur du Tourisme, avec pour mission secrète de maintenir des contacts avec les nationalistes[118].

Hommages

En 1931 à Paris, le sultan Mohammed ben Youssef a déclaré : « En venant admirer l'Exposition Coloniale, cette belle réussite de votre génie, il nous est particulièrement agréable de profiter de cette occasion pour apporter notre salut au grand Français qui a su conserver au Maroc ses traditions ancestrales, ses mœurs et ses coutumes, tout en y introduisant cet esprit d'organisation moderne sans lequel aucun pays ne saurait vivre désormais. Pouvons-nous oublier, en effet, qu'à votre arrivée au Maroc, l'empire chérifien menaçait ruine. Ses institutions, ses arts, son administration branlante, tout appelait un organisateur, un rénovateur de votre trempe pour le remettre dans la voie propre à le diriger vers ses destinées[32](212-3) ».

Le , à l'occasion du transfert des cendres du maréchal, le général de Gaulle a déclaré aux Invalides : « Dans un monde où tout change, la flamme qui l'animait est vivante, l'exemple qu'il donna reste bon, la leçon qu'il a léguée demeure féconde. Vingt sept années après sa mort… voici qu'il nous apparaît comme un homme d'à présent, car ce que fit ce grand romantique de la pensée et de l'action porte l'empreinte d'une œuvre classique, c'est-à-dire valable en tous cas et en tous temps parce que ce fut une œuvre immense ».

La compagnie Paquet, qui dessert le port de Casablanca depuis Marseille, a lancé en 1924 un paquebot Maréchal Lyautey, construit aux chantiers navals de la Seyne-sur-Mer, remplacé en 1952 par un paquebot Lyautey, construit aux mêmes chantiers.

Le , par arrêté viziriel[119], la ville marocaine de Kénitra, qui avait été l'objet de tous les soins du maréchal (urbanisme et port fluvial), devient Port-Lyautey, jusqu'à la fin du protectorat. Elle fut ensuite rebaptisée « Kénitra » (située à environ 30 km au nord de la capitale, Rabat). En 1936, Marcel L'Herbier tourne le film Les Hommes nouveaux, d'après le roman de Claude Farrère qui se passe au Maroc, avec Gabriel Signoret jouant le rôle de Lyautey.

Au Maroc, le lycée Lyautey de Casablanca est l'un des plus grands lycées français de l'étranger. Le portrait du maréchal Lyautey qui orne l'établissement a été réalisé dans les années 1990, sur une proposition de la direction, et a soulevé un débat parmi les élèves quant au regard à porter sur l'œuvre et les responsabilités du maréchal Lyautey.

Un hôpital militaire situé à Strasbourg, aujourd'hui fermé, a porté le nom de Lyautey. Dans le foyer étudiant du GEC à Nancy, un bâtiment porte le nom du général Lyautey ainsi que sa signature gravée sur le béton. Des écoles élémentaires portent son nom à Allonnes, Caen, Riedisheim et Vichy. Un collège porte son nom à Contrexéville.

La corniche Lyautey du lycée militaire d'Aix-en-Provence est également placée sous son patronage depuis 1956. La 17e promotion du collège interarmées de défense porte son nom[120]. Le 1er escadron du 4e régiment de chasseurs basé à Gap (Hautes-Alpes) a été commandé par le maréchal Lyautey et porte son nom. Plusieurs troupes de scouts portent aussi son nom[121].

En 1947, Fernand Chaussat écrit une pièce radiophonique en deux actes consacrée à Lyautey[122]. En 1980, Gilles Grangier réalise un téléfilm en plusieurs épisodes intitulé L'Aéropostale, courrier du ciel, où le rôle de Lyautey est bien expliqué. Le téléfilm est diffusé de à .

Devant l'ancienne gendarmerie de Nancy s'élève une statue d'Hubert Lyautey sculptée par François Cogné[123].

Œuvres

Armoiries

Figure Blasonnement

D'azur à une foi d'or sommée d'un soleil du second et soutenus de trois cinquefeuilles d'argent.[124]

Notes et références

Notes

  1. Comme l'a signalé Charles-André Julien dès 1946, qui l'a reprécisé dans son ouvrage Le Maroc face aux impérialismes : 1415-1956, Les Éditions du Jaguar, Paris, 2011, la devise de Lyautey, Joy's soul lies in the doing n'est pas de Shelley, mais de William Shakespeare : Troilus and Cressida, Acte I, scène II (The Dramatic Works of William Shakespeare with a life by Thomas Campbell, London, George Routledge and Sons, 1866, p. 607).
  2. Il y avait deux frères Glaoui : l'aîné, Madani, était pacha de Marrakech et grand vizir du sultan de 1908 à 1911. À sa mort en 1918, le cadet, Thami, lui a succédé ; il est mort en 1955
  3. Près de Khenifra, l'armée subit un grave revers en novembre 1914 avec une colonne anéantie par suite de l'imprudence de son chef, le colonel Laverdure. Voir Maurois
  4. Lyautey dit de Tranchant : « C'est lui qui a inventé l'architecture des maisons marocaines actuelles… Ce n'était pas facile de combiner le goût indigène… avec notre goût des fenêtres et balcons extérieurs. Tranchant leur a fabriqué des immeubles… que les indigènes daignent accepter, et qui enchantent les Européens. Je ne sais comment il s'y est pris, mais les résultats sont là » (Voir Claude Farrère, Lyautey créateur)
  5. Juan Vernet, dans Ce que la culture doit aux Arabes d'Espagne, en donne plusieurs exemples. Il rappelle, entre autres, ce fait peu connu : le seul ouvrage subsistant de la fabuleuse bibliothèque de 400 000 volumes des califes de Cordoue est conservé à Fès (p. 49-50 et note 143)
  6. Pas encore de sucrerie à l'époque. C'est Saint-Louis à Marseille qui fournit le Maroc. La première raffinerie de canne, la COSUMA, sera fondée en 1929.
  7. Cette phrase manque à toutes les biographies de Lyautey mais figure à la page 23 de l'ouvrage de Maurois, Dialogues sur le commandement, écrit en collaboration avec un ancien du cabinet de Lyautey, Aimery Blacque-Belair, et le philosophe Alain .
  8. Économiste aux préoccupations sociales affirmées, Max Lazard, de la famille de banquiers du même nom, a été cofondateur avant-guerre des Universités populaires et après-guerre du Bureau International du Travail
  9. Les deux membres du cabinet de Lyautey qui ont servi au Maroc le plus longtemps sont Georges Hutin et Aimery Blacque-Belair.
  10. Dans À l'ombre de Lyautey, Yves de Boisboissel précise que non seulement Lyautey ne se cachait pas de choisir ses collaborateurs pour leur physique, mais même qu'il s'en vantait (p. 129).
  11. Lire en ligne la notice Joseph Roig.
  12. Peintre de talent, d'origine berbère algérienne et cousin de Si Mammeri, le précepteur du roi Mohammed V, Azouaou Mammeri est intégré en 1928 dans le corps des inspecteurs des arts indigènes
  13. Dans Lyautey créateur, Claude Farrère cite cette confidence du maréchal : « Pierre Loti… par la seule puissance de son génie, a su faire admettre à l'Europe entière que les Turcs sont des hommes comme nous. Il a retourné pour eux l'opinion mondiale »
  14. De plus larges extraits de ce texte fondamental se trouvent dans Wladimir d'Ormesson, op. cit., p. 170-176.
  15. El Hiba est mort en 1919, mais son frère a continué la lutte
  16. Dans son Lyautey, Arnaud Teyssier écrit qu'« il avait espéré jusqu'au bout qu'il pourrait ramener Abd El Krim dans le giron du protectorat, au prix de quelques concessions, un fief ».(p. 391)
  17. Cette messe est toujours dite en octobre. L'archiduc Otto de Habsbourg s'est marié dans cette église en 1951 et y a célébré ses noces d'or
  18. Dessiné par Albert Laprade à la demande de Malraux
  19. Phrase tirée des Lettres du Tonkin, mais tronquée par Pierre Lyautey, ce qui change quelque peu les choses. Dans la version d'origine, Lyautey écrit avant : « J'ai cru que peut-être j'allais… », et après : « Je me suis bercé de tout cela » Voir Arnaud Teyssier, Lyautey, p. 549-550.
  20. Marc Oraison écrit dans La Question homosexuelle, Paris, Le Seuil, (lire en ligne), p. 10 : « Sait-on habituellement qu'un homme de l'envergure de Lyautey était homosexuel ? Et cela n'avait rien de sordide, bien au contraire. »
  21. Son épouse, en sortant de la tente du maréchal, s'adresse en ces termes aux jeunes officiers : « Messieurs, j'ai le plaisir de vous informer que cette nuit je vous ai fait tous cocus ».
  22. Un de ses ancêtres a obtenu ce titre d'un membre de la branche du Caire de la dynastie abbasside, après l'avoir vaincu en 1517
  23. Berthe Georges-Gaulis est l'auteure de La France au Maroc, l'œuvre du général Lyautey, paru en 1919. En 1921, elle est en train d'écrire un autre livre sur le nationalisme turc
  24. Lyautey et son épouse assisteront néanmoins dix ans plus tard aux obsèques du prétendant légitimiste au trône de France, Jacques de Bourbon : « Obsèques de Don Jaime de Bourbon, duc d'Anjou et de Madrid », Figaro, vol. 106, no 281, , p. 2 (lire en ligne, consulté le )
  25. Laissé s'éteindre par Louis-Philippe à partir de 1830 mais, par la suite, porté et conféré par divers prétendants au trône de France.

Références

  1. « The soul's joy lies in doing »
  2. Lire en ligne
  3. lire en ligne la généalogie
  4. Jacques Benoist-Méchin, Lyautey l’Africain ou, Le rêve immolé : 1854-1934, Paris, Éditions Perrin, , 486 p., 21 cm (ISBN 978-2-26200-116-2, OCLC 643469555, lire en ligne).
  5. « Page sur Hubert Lyautey », sur emsomipy.free.fr, (consulté le )
  6. Henry-Louis Dubly, Lyautey-le-magicien, Mercure de Flandre, , p. 20.
  7. Paul Doury, « La Grande Maladie de Lyautey », Histoire des sciences médicales, t. XXVII, no 2, , p. 155 (lire en ligne [PDF]).
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  9. Gilbert Mercier, Lyautey, le prince lorrain, Éditions de l'Est, , p. 17.
  10. Michel Guy, Bâtisseurs d'empire, J. de Gigord, , p. 78.
  11. Georges Blondel, « En souvenir du maréchal Lyautey », Revue d'économie sociale et rurale, 10e série, no 9, , p. 257 (lire en ligne).
  12. Maurice Durosoy, Lyautey, Lavauzelle, , p. 18.
  13. Gilles Ferragu, Philippe Levillain, Albert de Mun, Hubert Lyautey, correspondance publiée et annotée, Société de l'histoire de France, 2011
  14. Jean Garrigues et Philippe Lacombrade, La France au XIXe siècle : 1814-1914, Paris, Armand Colin, , 191 p. (ISBN 978-2-20035-318-6, OCLC 662425153, lire en ligne), p. 194.
  15. Edward Berenson, auteur de « Les héros de l'empire : Brazza, Marchand, Lyautey, Gordon et Stanley à la conquête de l'Afrique », intervention dans l'émission La Marche de l'histoire, 9 mars 2012.
  16. André Maurois, Lyautey, Paris, Plon (lire en ligne), p. 20-21.
  17. André Le Révérend, Lyautey, p. 150
  18. :156.
  19. Lire en ligne
  20. « Le Général Lyautey, l’inventeur du Soft Power ? », sur penseemiliterre.fr (consulté le )
  21. André Maurois, Lyautey, Paris, Hachette, , 253 p., p. 61.
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  24. Jean Brignon et alii, Histoire du Maroc, p. 341
  25. Augustin Bernard, « La France au Maroc », Annales de géographie, t. 26, no 139, , p. 42 (lire en ligne, consulté le )
  26. Lettre à Albert de Mun, citée par André Maurois, p. 112
  27. Lettre à Albert de Mun, citée par André Maurois, p. 112-113
  28. :177
  29. Lire en ligne
  30. Lire en ligne
  31. Albert Laprade, blessé en février 1915, il est réclamé par Lyautey sur le conseil de Prost. Il arrive à Casablanca en août.
  32. Wladimir d'Ormesson, Auprès de Lyautey, p. 159-160
  33. Marc Méraud, Histoire des A.I., le service des Affaires indigènes du Maroc, La Koumia, 1990
  34. André Hardy, Sidi el Hakem, mémoires d'un contrôleur civil au Maroc, 1931-1956
  35. Roger Gruner, Le contrôle civil au Maroc, p. 27
  36. Roger Gruner, op. cit., p. 20-21
  37. Mylène Theliol, Le service des Beaux-Arts, Antiquités et Monuments historiques, clé de voûte de la politique patrimoniale française au Maroc sous la résidence de Lyautey, Outre-mers, 2011, vol. 98, no 370, p. 186.
  38. Mylène Theliol, op. cit., p. 187
  39. Mylène Theliol, op. cit., p. 191.
  40. Mylène Theliol, op. cit., p. 187-188
  41. Mylène Theliol, op. cit., p. 192
  42. Hubert Lyautey, Paroles d'action, p. 489-490
  43. Lire en ligne
  44. Négib Bouderbala, Les Terres collectives au Maroc dans la première période du Protectorat, Revue du monde musulman et de la Méditerranée, vol. 79 (1996), numéro 1, p. 147-150
  45. Général Patrick Garreau, En relisant Galliéni et Lyautey, colloque 2008 de la Saint-Cyrienne
  46. lire en ligne l'excellent article de Jean-Yves Puyo sur la politique forestière de Lyautey, qui déborde le cadre strictement forestier et donne de précieuses informations sur les structures du pays
  47. Ibid.
  48. :83. Castelnau était appelé le moine-soldat.
  49. (137). Dans les Dialogues sur le commandement, Maurois transforme l'incident en torpillage véritable (p. 63-64). Cela fait partie des modifications au dialogue qui ont irrité Alain et Blacque-Belair au point de les faire refuser de cosigner le livre
  50. Il venait d'épouser Simone Bossis (Simone Berriau).
  51. Voir de Bertrand Desmazières, Pierre de Sorbier de Pougnadoresse, le Colbert de Lyautey.
  52. lire en ligne la bio de ce futur ministre et futur héros de la Résistance.
  53. lire en ligne sa notice.
  54. Philippe Champy, op. cit., p. 76.
  55. lire en ligne l'article de Samir Saul sur l'électrification du Maroc.
  56. lire en ligne cet Historique de l'aéronautique au Maroc
  57. Lire en ligne
  58. Lire en ligne
  59. P.G. Latécoère, Correspondance, présentée par Laurent Albaret, p. 78
  60. P.G. Latécoère, Correspondance, présentée par Laurent Albaret, p. 27. Il rappelle que Roig est un ancien du cabinet de Lyautey
  61. Henry-Hervé Bichat et Maurice de Vaulx, « La Politique agricole de Lyautey », Lyautey, paroles d'action pour aujourd'hui, ASAF, 2014, p. 23-26.
  62. Daniel Rivet, Lyautey et l'institution du protectorat français au Maroc, tome III, p. 65 et 68
  63. Jamal Hossaini-Hilali, Des Vétérinaires au Maroc sous le Protectorat français
  64. Lire en ligne
  65. Les relevés en sont faits à l'aquarelle par Gabriel Rousseau
  66. Mylène Theliol, op. cit., p. 188-189
  67. lire en ligne l'article de Mylène Theliol, dans Rives méditerranéennes
  68. Réalisés au cours d'un séjour de six mois en 1832.
  69. Philippe Champy, op. cit., p. 82-83
  70. Lire en ligne
  71. Lire en ligne
  72. Albert Laprade, « Souvenirs sur Jean Giraudoux et le maréchal Lyautey », Bulletin de la Société d'émulation du Bourbonnais, tome 54, 1966, 1er trimestre
  73. Lire en ligne
  74. Maurice Durosoy, Avec Lyautey, p. 35-36
  75. Arnaud Teyssier, Lyautey, p. 494
  76. Lire en ligne
  77. Daniel Rivet, Lyautey et l'institution du protectorat français au Maroc, tome II, p. 126
  78. Lire en ligne
  79. Daniel Rivet, Lyautey et l'institution du protectorat français au Maroc, tome III, p. 243-244
  80. Daniel Rivet, op. cit., p. 245-246
  81. Vincent Courcelle-Labrousse et Nicolas Marmié, La Guerre du Rif, p. 229-230
  82. Lire en ligne
  83. Albert Kechichian, Les Croix-de-Feu à l'âge des fascismes, p. 107
  84. Jacques Nobécourt, Le Colonel de La Rocque, p. 241-242
  85. Jacques Nobécourt, op. cit., p. 241
  86. Lyautey, Paroles d'action, discours de 1922, p. 423
  87. Voir les écrits regroupés par Patrick Heidsiek dans son ouvrage Présence de Lyautey (1944).
  88. André Le Révérend, Lyautey écrivain : 1854-1934, Orphrys, 1976 (p. 41).
  89. Https://data.bnf.fr/fr/12032780/patrick_heidsieck/
  90. « Nouvelles militaires », La Dépêche tunisienne, , p. 2 (lire en ligne).
  91. « Les fausses pudeurs dont font preuve ses biographes les plus éminents exposent Lyautey lui-même à la dérision, plus qu'elles ne protègent une réputation. », Arnaud Teyssier, Lyautey, p. 226.
  92. Robert F. Aldrich, Colonialism and Homosexuality, éd. Routledge, 2003, p. 64-70, extraits en ligne.
  93. Cité par Robert F. Aldrich, op. cit.
  94. Cité par Régis Revenin qui écrit « ses contemporains connaissent clairement son homosexualité » mais précise à cet égard « Georges Clemenceau aurait ainsi écrit… », Homosexualité et prostitution masculines à Paris, Paris, L'Harmattan, , 225 p. (ISBN 978-2-74758-639-9, lire en ligne), p. 136.
  95. Christian Gury, Lyautey-Charlus, Kimé, 1998, p. 86.
  96. Olivier Orban, 1989 ; Le Rocher, 1998.
  97. Plon, 1999.
  98. Claude Arnaud, Jean Cocteau, p. 414.
  99. Guillaume de Tarde, Lyautey, p. 61
  100. Jean-François Thull, Le Retour de Lyautey en Lorraine, Annales de l'Est, numéro spécial 2004, p. 136 (Actes du colloque Lyautey de Nancy)
  101. Jacques Nobécourt, Le Colonel de La Rocque, p. 132
  102. Et non une préface de Lyautey comme certains l'ont écrit
  103. Voir Nabil Mouline, Le Califat imaginaire d'Ahmad al-Mansûr.
  104. Ultérieurement à la tête de l'Irak et de la Jordanie.
  105. Lire en ligne.
  106. lire en ligne l'article de Guillaume Jobin, qui parle aussi du projet de califat occidental.
  107. Lire en ligne.
  108. lire en ligne l'article de Sylvia Chiffoleau.
  109. Henri d'Orléans « comte de Paris », Mémoires d'exil et de combats, p. 24.
  110. Arnaud Teyssier, Lyautey : Le ciel et les sables sont grands, éd. Perrin, 2004 p. 191.
  111. Raymond Postal, id.
  112. Voir Dreyfusards, Coll. Archives, Gallimard, Paris, 1965.
  113. Général Mordacq, Clemenceau au soir de sa vie, II, p. 74-77
  114. Albert Laprade, Souvenirs sur Jean Giraudoux et le maréchal Lyautey, bulletin de la Société d'émulation du Bourbonnais, 1966, p. 32
  115. Lire en ligne
  116. Cité par beaucoup. Chez Wladimir d'Ormesson, p. 184-185
  117. Daniel Rivet, Histoire du Maroc, p. 311
  118. Philippe Champy, op. cit., p. 104
  119. op. cit. Laplanche 1986, p. 77.
  120. La 17e promotion (2009-2010) du Collège interarmées de défense, promotion maréchal Lyautey.
  121. Hubert Lyautey sur Scoutopedia
  122. BNF, Arts du spectacle, document dactylographié
  123. « Monument à Hubert Lyautey – Rue des Cordeliers – Nancy », sur e-monumen.net.
  124. www.heraldique-europeenne.org.

Sources

Les papiers personnels de Hubert Lyautey sont conservés aux Archives nationales sous la cote 475 AP.

Voir aussi

Bibliographie

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  • André Maurois, Lyautey, Plon, 1931.
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  • Marie André, Un ami des scouts : Lyautey, Éditions Alsatia, 1940.
  • Guillaume de Tarde, L'Enseignement de Lyautey, Firmin-Didot, 1942.
  • Raymond Postal, Présence de Lyautey, Éditions Alsatia, 1946.
  • Raymond Dumay, Lettres d'aventures, Éditions Julliard, 1948.
  • Jean Mauclère, Lyautey, prince lorrain, Paris, Spes, 1951.
  • Général de Boisboissel, Dans l'ombre de Lyautey, Bonne, 1953.
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  • Guillaume de Tarde, Lyautey, le chef en action, Gallimard, 1959.
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  • Jacques Benoist-Méchin, Lyautey l’Africain ou, Le rêve immolé : 1854-1934, Paris, Éditions Perrin, , 486 p., 21 cm (ISBN 978-2-26200-116-2, OCLC 643469555, lire en ligne).
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  • Arnaud Teyssier, Lyautey : Le ciel et les sables sont grands, Perrin, 2004.
  • Guillaume Jobin, Lyautey, le Résident : Le Maroc n'est qu'une province de mon rêve, Casa Express Éditions/Magellan & Cie, coll. « La France au Maroc », 2014.
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  • H.-L. Laplanche, Kénitra (ex Port-Lyautey) : Historique de la ville européenne sous le Protectorat Français 1911-1956, Recherches fondées, en partie, sur des témoignages, Faculté des Lettres et Civilisations (Univ. Jean-Moulin Lyon III), coll. « Mémoires de Maîtrise d'Histoire », , 160 p., p. 6 qui fondèrent le comptoir de Thymiateria (ou Thymiaterion) sur l'emplacement de l'actuelle Mehdia au Ve siècle av. J.-C..
  • Roger Gruner, Du Maroc traditionnel au Maroc moderne, le contrôle civil au Maroc, 1912-1956, Nouvelles éditions latines, 1984
  • Jean Brignon, Abdelaziz Amine, Brahim Boutaleb, Guy Martinet, Bernard Rosenberger, Histoire du Maroc, Hatier 1968

Articles connexes

Liens externes

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