Anachronisme

Un anachronisme (du grec, ana : en arrière, khronos : le temps) dans une œuvre artistique, littéraire ou historique est une erreur de chronologie qui consiste à y placer un concept ou un objet qui n'existait pas encore à l'époque illustrée par l'œuvre.

Une moto au XVIIIe siècle est un anachronisme.

Plus généralement, il consiste à attribuer à une époque ce qui appartient à une autre, qu'il s'agisse de placer un événement à une époque postérieure à celle où il s'est produit (parachronisme) ou à avancer sa date (prochronisme).

Par extension, c'est le décalage entre le moment où survient un fait et le moment où il devrait ou aurait dû se produire[1].

Anachronisme littéraire et historique

Les anachronismes littéraires se retrouvent dans toute littérature à vocation historique où le rédacteur insère involontairement ou volontairement un fait, un personnage ou un objet qui ne correspond pas à l'époque de la scène relatée. C'est le cas de toute la littérature de science-fiction mais aussi de romans à trame historique comme Da Vinci code ou Les Rois maudits, où, par exemple, la guerre médiévale est présentée sous des formes qu'elle ne prendra que bien plus tard[note 1].

Lorsque l'anachronisme est volontaire, on parle de protochronisme ou d'uchronisme car il y a une volonté patente de modifier l'histoire telle que la révèlent les sources, pour l'aligner sur une trame donnée, que ce soit au niveau politique ou théologique. L'anachronisme est parfois un recours doté d'une grande portée créatrice dans la littérature et les arts[2], y compris lorsque des auteurs réinvestissent des formes ou des genres littéraires ayant été touchés par un phénomène d'« obsolescence » ou de « caducité »[3].

Ainsi, pour donner à l'évêque de Rome une légitimité en tant que seul successeur de saint Pierre, au IVe siècle Eusèbe de Césarée inventa les noms des douze premiers papes dans son histoire ecclésiastique[4] (alors que le terme pape n'apparaît réellement qu'en 306) ; pour tenter de légitimer la primauté de Rome sur la Pentarchie, les États de l'Église et le pouvoir temporel des papes, fut inventée la « donation de Constantin », un faux par lequel l'empereur Constantin Ier aurait donné au pape Sylvestre la primauté sur les Églises d'Orient et l'imperium (pouvoir impérial) sur l'Occident (alors que le caractère apocryphe de ce document a été établi en 1442 par l'humaniste Laurent Valla, et que la première donation foncière date seulement de Pépin en 754) ; enfin des auteurs fondamentaux comme Michel Le Quien (Oriens Christianus) ou Charles George Herbermann (Encyclopédie catholique) utilisent le mot « catholique » dans le sens actuel du terme pour désigner toute l'Église des cinq premiers patriarcats d'avant 1054, ce qui fait apparaître l'Église de Rome comme seule héritière légitime de l'Église primitive (alors que depuis Walter Bauer[5], on considère qu’aucune unité doctrinale n’existait dans le christianisme ancien et, depuis Adolf von Harnack[6], que le dogme crée le schisme et que l’hérésie et l’orthodoxie font système).

De la même manière, dans l'histoire russe, abondamment nourrie de sources soviétiques, la Révolution russe est très fréquemment l'objet de raccourcis réducteurs qui occultent ou minimisent la révolution de Février 1917, ignorent la République russe qui en est issue, et présentent le coup d'État mené par Lénine et les bolcheviks le 25 octobre 1917 ( dans le calendrier grégorien) sous la dénomination de « révolution d'Octobre », laissant entendre que c'est cette dernière qui aurait renversé l'autocratie tsariste (opinion très largement répandue dans le public russe et étranger, alors qu'en fait, les bolcheviks ont abattu le gouvernement provisoire et le parlement élu de la République russe) ; ce nom de « révolution d’Octobre » désigne aussi, par extension, l’ensemble des évènements qui ont suivi ce coup d’État, ayant abouti à la création d’un état communiste totalitaire dont les excès sont légitimés anachroniquement à la fois par l'autocratie tsariste du passé (qui n'existait plus à ce moment), par la menace nazie du futur (qui n'existait pas encore) et par l'intervention occidentale dans la Guerre civile russe (réelle mais qui a été présentée ensuite anachroniquement comme expliquant, voire légitimant le Goulag, le Holodomor, les Grandes Purges, les procès de Moscou, le pacte avec l'Allemagne nazie ou la guerre froide)[7].[Information douteuse]

Anachronisme populaire et artistique

L'anachronisme populaire est à l'origine, et en même temps nourrit l'anachronisme dans les arts graphiques et du spectacle. Cela peut concerner la présence d'une technologie dans une période où elle n'existait pas encore (comme des canons dans les armées romaines ou des gouvernails d'étambot sur des navires antiques) ou, à l'inverse, d'un élément qui avait disparu à l'époque et dans le contexte considéré (comme des statues dans le palais d'un calife). Ils peuvent toutefois être issus de détails plus subtils, comme des comportements, des mœurs ou des idées peu habituels ou inexistants dans la période où ils sont placés (Achille traitant avec égards sa captive Briséis dans le film Troie).

Dans le feuilleton « Napoléon » en Pologne, en 1807, l'orchestre joue une valse de Strauss, composée après 1860. Dans le film « Il faut sauver le soldat Ryan », on trouve un soldat noir parmi les blancs, or les noirs combattaient dans des unités séparées (commandées par des blancs) et c'est seulement en 1945 qu'est constituée la première unité mixte ; la mixité dans l'armée ne se généralisera qu'avec la guerre de Corée et ne sera complète qu'au Vietnam. Dans « Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain » : Amélie enfant éteint un téléviseur avec une télécommande infrarouge qui n'existait pas en 1980.

Ces anachronismes ne sont pas toujours involontaires (c'est-à-dire résultant de l'ignorance de l'auteur) ; en effet, certains peintres italiens de la Renaissance, étaient tout à fait conscients des différences vestimentaires entre leur époque et l'Antiquité mais réalisaient pourtant des scènes antiques dans le style qui leur était contemporain, afin que leur public puisse en ressentir l'actualité du thème.

Les anachronismes peuvent également constituer une forme d'humour ironique. Ils sont aussi utilisés dans les jeux des anomalies. Sofia Coppola a inséré volontairement un anachronisme dans son film Marie-Antoinette, en montrant une paire de Converse All Star lorsque la jeune reine choisit ses tenues et ses chaussures. Le film Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ est entièrement basé sur le comique de l'anachronisme : par exemple, Léon Zitrone y présente un journal télévisé.

On retrouve le même monde anachronique dans la bande dessinée. Dans le journal de bandes dessinées Pif Gadget, l'homme préhistorique dénommé Rahan rencontre des dinosaures, et il réalise des inventions grâce à un raisonnement de type scientifique, sans compter son comportement social évolué. Les personnages comiques préhistoriques les Pierrafeu utilisent des techniques et outils du XXe siècle. Beaucoup de gags sont aussi basés sur l'anachronisme dans Astérix.

Notes et références

Notes

  1. Comme le décrit Georges Duby, au Moyen Âge il n'y avait pas de « guerres nationales », France contre Angleterre par exemple, mais des guerres entre seigneurs, dynastie capétienne des Valois contre dynastie (d'origine française également) des Plantagenêts, certes rois d'Angleterre, mais dont les troupes continentales étaient surtout composées d'hommes du continent, armés par leurs vassaux : on peut donc analyser la guerre de Cent Ans comme une guerre civile française, et par ailleurs cette « guerre », à l'époque, était surtout une suite d'escarmouches, d'assauts et de pillages où l'on cherchait aussi à prendre en otage les seigneurs adverses pour les retourner ou les rançonner, tandis qu'une « bataille » (rangée) n'était pas une tactique de « guerre » mais le moyen d'y mettre fin en aboutissant à un traité ; voir aussi Jean Favier, Le temps des principautés, Éditions Fayard, 1992 et Étienne de Montety, « Maurice Druon, un seigneur des lettres est mort », Le Figaro, 15 avril 2009.

Références

  1. Anachronisme sur cnrtl.fr.
  2. Montandon, Alain, et Neiva, Saulo, Anachronismes créateurs, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, , 306 p. (ISBN 978-2-84516-817-6 et 2-84516-817-9, OCLC 1076490097, lire en ligne)
  3. Neiva, Saulo, et Montandon, Alain., Dictionnaire raisonné de la caducité des genres littéraires, Genève, Droz, , 1171 p. (ISBN 978-2-600-01742-8 et 2-600-01742-9, OCLC 869723158, lire en ligne)
  4. « La Préparation évangélique », sur www.jesusmarie.com (consulté le )
  5. Walter Bauer, Orthodoxy and Heresy in Earliest Christianity, éd. Sigler Press, 1996 (ISBN 978-0-9623642-7-3) (rééd.); Traduction originale en anglais (1934) en ligne
  6. Adolf von Harnack (trad. Eugène Choisy, postface Kurt Kowak), Histoire des dogmes, Paris, Cerf, coll. « Patrimoines. Christianisme », , 2e éd., 495 p. (ISBN 978-2-204-04956-6, OCLC 409065439, BNF 35616019)
  7. Michel Dreyfus (dir.), Bruno Groppo, Claudio Ingerflom, Roland Lew, Claude Pennetier, Bernard Pudal et Serge Wolikow, Le Siècle des communismes, Paris, Éditions de l'Atelier, , 542 p. (ISBN 978-2-7082-3516-8, OCLC 300131775, lire en ligne).

Voir aussi

Articles connexes

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