Bosphore

Le Bosphore (en turc : İstanbul Boğazı ou simplement Boğaziçi, en français : « le détroit d'Istanbul » et « le détroit ») est le détroit qui relie la mer Noire à la mer de Marmara et marque, avec les Dardanelles, la limite méridionale entre les continents asiatique et européen. Long de 32 kilomètres pour une largeur allant de 698 à 3 000 mètres, il sépare les deux parties anatolienne (Asie) et rouméliote (Europe) de la province d'Istanbul.

Pour les articles homonymes, voir Bosphore (homonymie).

Bosphore

Image satellite du Bosphore.
Géographie humaine
Pays côtiers Turquie
Subdivisions
territoriales
Istanbul
Ponts Pont des Martyrs du 15-Juillet, pont Fatih Sultan Mehmet, pont Yavuz Sultan Selim
Tunnels Marmaray, tunnel Eurasia
Géographie physique
Type Détroit
Localisation Mer Noire et mer de Marmara
Coordonnées 41° 06′ 43″ nord, 29° 04′ 06″ est
Longueur 32 km
Largeur
· Maximale km
· Minimale 0,698 km
Profondeur
· Moyenne 36 à 124[1] m
Géolocalisation sur la carte : mer Méditerranée
Géolocalisation sur la carte : Turquie

Étymologie

Selon une étymologie populaire[2], son nom signifierait « passage de la vache » (de Βοῦς [bous], « la vache », et φερω, [pherô], « emmener ») et ferait allusion, selon Pierre Chantraine, à l'histoire d'Io[3], jeune fille aimée de Zeus, changée par lui en vache, et poursuivie par un taon envoyé par Héra jalouse. En fait, le premier terme (bous) serait plutôt à rapprocher des verbes buō et buzō (ce dernier mot étant lui-même probablement à l'origine du toponyme Buzantion, l'antique Byzance, actuelle Istanbul) et signifiant « resserrer ».

Ainsi, le Bosphore serait un « passage resserré » dont l'origine désignait non le détroit en lui-même mais l'isthme présent jusqu'à la fin du paléolithique reliant alors l'Europe à l'Asie[4]. La théorie liant le déluge à la mer Noire (publiée en 1997 par William Ryan et Walter C. Pitman, III de l'Université Columbia) fait valoir quant à elle que le Bosphore aurait été formé autour de 5600 av. J.-C..

Histoire

Vue panoramique sur le Bosphore en 1870 - Sebah&Joaillier

Antiquité

En 668 av. J.-C., des colons de Mégare fondent la cité de Byzance sur le détroit.

Le roi perse Darius voulut faire passer son armée de l'Asie vers l'Europe lors de son expédition contre les Scythes en 513 av. J.-C. Il fit construire un pont de bateaux sur le Bosphore pour relier les deux rives[5] :

« Darius fit de grands préparatifs contre les Scythes ; il dépêcha de toutes parts des courriers, pour ordonner aux uns de lever une armée de terre, aux autres d'équiper une flotte, à d'autres enfin de construire un pont de bateaux sur le Bosphore de Thrace. »

 (Hérodote, IV, 83)

« L'embouchure de [la Mer Noire, appelée le Pont-Euxin] a quatre stades de large sur environ six vingts stades de long. Ce col, ou détroit, s'appelle Bosphore. C'était là où l'on avait jeté le pont. Le Bosphore s'étend jusqu'à la Propontide [la mer de Marmara]. »

 (ibid, IV, 85)

« Lorsque Darius eut considéré le Pont-Euxin, il revint par mer au pont de bateaux, dont Mandroclès de Samos était l'entrepreneur. Il examina aussi le Bosphore ; et, sur le bord de ce détroit, on érigea, par son ordre, deux colonnes de pierre blanche. Il fit graver sur l'une, en caractères assyriens, et sur l'autre, en lettres grecques, les noms de toutes les nations qu'il avait à sa suite. »

 (ibid, IV, 87)

1453-1774 : principe de la clôture totale

Pont Fatih Sultan Mehmet (1988) et la forteresse de Rumelihisarı (1452)

Après la chute de Constantinople, les détroits du Bosphore et des Dardanelles passèrent sous domination de l’Empire ottoman. Dès lors, fut appliquée une règle fondamentale du droit public ottoman, à savoir la fermeture à la navigation étrangère de la mer Noire, considérée comme une mer intérieure par le pouvoir ottoman[6]. De ce fait, il fallait obtenir la permission du Sultan pour pouvoir y entrer ou en sortir. Les Vénitiens furent autorisés à y circuler pour commercer (en 1479, 1482, 1513 et 1521) l'autorisation étant révoquée en 1540[7].

La décision de fermeture de la mer Noire commença à être compromise à partir du début du XVIIIe siècle à la suite de l'expansion de la Russie vers la mer Noire. Avec le traité de Karlowitz du 26 janvier 1699, la Sublime Porte accepta de céder à la Russie le littoral de la mer d'Azov.

Le traité de Küçük Kaynarca (1774) installe définitivement la Russie dans la partie septentrionale de la mer Noire et consacre la liberté de passage et de navigation pour ses navires marchands dans la mer Noire, donc dans les détroits ; la permission demandée nécessairement au Sultan[7] se transforme alors en droit.

1774-1841 : les détroits au cœur des relations diplomatiques

Demeures côtières (yalı) de l'époque ottomane sur le Bosphore

La fin du XVIIIe siècle voit augmenter l’influence de la puissance russe dans la région et les détroits furent longtemps la clef de l'accès aux « mers chaudes » pour la flotte russe. La Russie conclut avec l’Empire ottoman un traité d’alliance défensive le permettant aux navires de guerre de mouiller dans les ports de chacun. L'Angleterre participe bientôt à ce traité et obtient le droit de naviguer en mer Noire. Après l’accord de paix entre la France et l’Empire ottoman en 1801, les navires de commerce français obtinrent le même droit[7].

Le traité des Dardanelles, signé le entre l’Empire ottoman et l’Angleterre, constitue un tournant dans l’histoire des détroits. Par son article 11, la couronne britannique promettait de respecter le principe connu sous l’appellation d'« ancienne règle de l’Empire ottoman » selon lequel les détroits du Bosphore et des Dardanelles sont fermés aux bâtiments de guerre étrangers, « tant que la Sublime Porte se trouve en paix ». Ainsi, une puissance non riveraine obtint presque le droit de surveiller et de contrôler la clôture des détroits aux navires de guerre[7].

La convention internationale des détroits (1841)

Maisons de style ottoman du XIXe siècle dans le quartier Arnavutköy sur la côte européenne du Bosphore à Istanbul

Signée à Londres le , la convention internationale des détroits impose que le Sultan accepte de façon formelle et permanente de préserver en temps de paix l’ancienne règle de l’Empire ottoman, c’est-à-dire de défendre aux bâtiments de guerre des puissances étrangères d’entrer dans les détroits. La Russie, la Grande-Bretagne, la France, l’Autriche et la Prusse s’engagent à respecter le principe de clôture des détroits, non seulement vis-à-vis de la Sublime Porte, mais également l’une envers l’autre. Cette convention constitue un échec diplomatique pour la Russie qui se trouve alors enfermée dans la mer Noire et n’est pas à l’abri des flottes ennemies, puisque la clôture des détroits n’était prescrite « qu’en temps de paix » ce qui autorise l’Empire ottoman à ouvrir le passage aux flottes de guerre de ses alliés. Ainsi pendant la guerre de Crimée, le Sultan permit à l’expédition alliée de passer les détroits pour attaquer Sébastopol[7].

Avec le traité de Paris de 1856 « la convention du , qui maintient l’antique règle de l’Empire ottoman relative à la clôture des détroits du Bosphore et des Dardanelles, a été révisée d’un commun accord » (article X) dans un acte conclu à cet effet et annexé au traité. L’ensemble de la mer Noire fut déclaré neutre ; l’Empire ottoman et la Russie s’engagèrent à démanteler tout arsenal militaire maritime sur le littoral de la mer Noire ce qui évitait l’accès de la Russie à la mer Méditerranée et permettait le retour à la politique britannique c'est-à-dire au principe de fermeture aux navires de guerre de toutes les nations.

Cette règle fut préservée jusqu’à la Première Guerre mondiale[7], où conformément au « 12e point Wilson », le traité de Sèvres, imposé à la Turquie à l'issue de sa défaite, avait institué la libre circulation pleine et entière dans les détroits, en temps de guerre comme en temps de paix.

Régime juridique défini en 1936 et trafic actuel

Vapur desservant les deux rives du Bosphore

Le statut international du détroit est régi par la convention de Montreux du sur le régime des détroits turcs. Ce traité, dont la France est dépositaire, octroie à la Turquie le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles.

Ces détroits sont considérés comme des eaux internationales pour les navires de commerce, et la Turquie n'a pas le droit de restreindre leur usage en temps de paix. Les autorités maritimes turques peuvent inspecter les navires pour des raisons sanitaires ou de sécurité, imposer des droits de passage, mais n'ont pas le droit de leur interdire le franchissement du détroit.

En temps de guerre, la Turquie peut restreindre l'accès au détroit.

Le trafic y est un des plus importants au monde et s'y croisent de nombreux tankers transportant le pétrole de la mer Noire. En 2003, 47 000 navires ont transité dans le détroit, dont plus de 8 000 transportaient une cargaison dangereuse, le plus souvent du GNL ou du pétrole. Le trafic a atteint quelque 53 000 navires en 2004.

Chaque matin, environ un million d'habitants de la rive anatolienne, soit près du quart de sa population, empruntent quelque cent cinquante navires, publics ou privés, pour aller travailler dans l'Istanbul européenne.

Le 26 février 2022, à la suite de l'invasion russe de l'Ukraine, la Turquie interdit le passage de navires militaires de la Marine russe dans le Bosphore et dans les Dardanelles. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky salue cette décision et remercie Recep Erdoğan pour son soutien face à l'intervention russe.[8]

Pont Fatih Sultan Mehmet (1988) sur le Bosphore

Hydrologie

Sous-marin traversant le Bosphore à Istanbul

L'eau de surface de la mer Noire étant plus légère et moins salée qu'en mer de Marmara et en Méditerranée, à cause notamment du déversement d'eau douce de nombreux fleuves, le niveau de la mer Noire est surélevé d'environ 30 cm par rapport à celui en mer de Marmara. Il existe ainsi un courant gravitaire en surface pouvant atteindre le mètre par seconde, par lequel la mer Noire se déverse vers le sud. Ce courant rendait difficile la navigation à voile en direction de la mer Noire[9]. La force du courant, mû par la pression barotrope, est modulée par la météo, à cause des variations de pression au sol ; et la vitesse du courant varient ainsi de 50 % à quelques jours d'intervalles[10].

En profondeur en revanche, c'est de l'eau méditerranéenne intermédiaire qui entre en mer Noire pour en remplir le fond, produisant un courant fort de sens contraire d'intensité similaire avec une halocline extrêmement marquée[11]. La différence de masse volumique potentielle entre le fond et la surface atteint ainsi 17 kg m−3 et la différence de salinité 19 PSU[10].

Les courants en surface et en profondeur sont toujours dans le même sens[10]. Néanmoins dans la mesure où le courant va dans les deux sens à tout moment, on ne peut pas parler de fleuve dans le cas du Bosphore.

Franchissement

Maritime

Le pétrolier «Aegean Harmony» (IMO 9338917) au passage de Beşiktaş dans le Bosphore. Février 2020.

Le trafic maritime dans le Bosphore comprend à la fois un nombre important de ferries entre les deux rives et de navires de plaisance, mais aussi de nombreux tankers et cargos l'empruntant comme une voie maritime internationale.

Entre sa limite nord de Rumeli Feneri à Andolu Feneri, et sa limite sud de Ahirkapi Feneri à Kadiköy incinurnu Feneri, de nombreux obstacles sont dangereux pour les navires de commerce international, requérant des virages serrés et un visuel des obstacles. Le passage entre Kandili Point et Aşiyan est notamment connu pour nécessiter un virage à 45 degrés à un endroit où le courant peut atteindre sept à huit nœuds (3,6 à 4,1 m/s). Dans la partie sud, à Yeniköy, un autre virage à 80 degrés est nécessaire. La circulation est rendue encore plus dangereuse par l'obstruction visuelle du trafic venant en sens inverse et par le trafic des ferries.

Pour ces raisons, la circulation est interdite la nuit pour les tankers. Cependant, de par son internationalisation, la présence d'un pilote à bord ne peut être exigée et plusieurs graves accidents s'y sont produits, notamment trois graves collisions entre deux pétroliers suivies d'incendies, dont celle du qui causa la mort de 25 marins. Le , un autre navire cargo panaméen transportant de la ferraille coula dans les eaux du détroit.

Le détroit constituant ainsi un goulet d'étranglement, certains supertankers peuvent attendre plusieurs semaines avant de pouvoir le franchir : le projet du canal d'Istanbul a pour objectif de désengorger ce détroit[12], mais il est encore débattu[13].

Ponts

Trois ponts suspendus routiers ou mixtes (route/voie ferrée) franchissent le détroit :

Tunnels

  • Un tunnel ferroviaire de 13,7 km de long, le Marmaray destiné à une ligne de train urbain a été inauguré le  ; environ 1 400 m du tunnel passent sous le détroit, à une profondeur d'environ 55 m[14].
  • Un tunnel autoroutier, le Tunnel Eurasia (Avrasya Tüneli) de 5,4 km relie les deux rives entre Kazliçeşme et Göztepe. La construction a débuté le et il a été inauguré le [15].
  • L'aqueduc du Bosphore est un aqueduc passant dans un tunnel de 5,5 km de long construit en 2012 et permettant d'acheminer l'eau entre la province de Düzce à l'est du détroit vers la rive européenne d'Istanbul, sur une distance de 185 km[16].
  • Plusieurs fibres optiques sous-marines reliant Istanbul sont présentes dans le détroit, notamment MedNautilus[17].

Références

  1. , Encyclopædia Britannica.
  2. Populaire mais ancienne : Appien cite cette étymologie à la fin des guerres de Mithridate, texte écrit au IIe siècle.
  3. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, t. 1, Éditions Klincksieck, , 1368 p. (lire en ligne), article βόσπορος, p. 187.
  4. Dictionnaire des noms de lieux - Louis Deroy et Marianne Mulon (Le Robert, 1994) (ISBN 285036195X).
  5. Hérodote, L'Enquête, IV, 83-89 et 118, passage consultable ici.
  6. Aidé par les Tatars, l'Empire ottoman conquiert l'ensemble des rives de la Mare maggiore et en fait cette fois un « lac turc » appelé Kara deniz mer Noire »).
  7. [PDF] Les détroits, atouts stratégiques majeurs de la Turquie. Tolga Bilner, doctorant à l’université Panthéon-Assas (Paris II, France) et assistant de recherche à l’université Galatasaray (Istanbul, Turquie).
  8. « Article 7sur7.be : "La Turquie interdit le Bosphore et les Dardanelles à tous les navires militaires" », sur 7sur7, (consulté le )
  9. Bernard Lory, La mer Noire, à nulle autre pareille - Esquisse géographique, CEMOTI, Cahiers d'Études sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien, Année 1992, 13, pp. 135-140.
  10. (en) Michael C. Gregg, Emin Özsoy et Mohammed A. Latif, « Quasi-steady exchange flow in the bosphorus », Geophysical Research Letters, vol. 26, no 1, , p. 83–86 (ISSN 0094-8276, DOI 10.1029/1998gl900260, lire en ligne, consulté le )
  11. (en) Hüseyin Yüce, « Mediterranean Water in the Strait of Istanbul (Bosphorus) and the Black Sea Exit », Estuarine, Coastal and Shelf Science, vol. 43, no 5, , p. 597–616 (ISSN 0272-7714, DOI 10.1006/ecss.1996.0090, lire en ligne, consulté le )
  12. (en) « Turkey to build Bosphorus bypass », sur New Civil Engineer, (consulté le )
  13. (en) « İstanbul Canal project to open debate on Montreux Convention » (version du 30 avril 2011 sur l'Internet Archive), sur Today's Zaman,
  14. (en) « Turkey's Bosporus tunnel to open sub-sea Asia link », sur bbc.co.uk,
  15. (en) Unicredit - Yapı Merkezi, SK EC Joint Venture, Eurasia Tunnel Project, (lire en ligne)
  16. (tr) « Melen hattı Boğaz'ı geçti », CCNTürk, (consulté le )
  17. (en) GülnaziYüce, « SUBMARINE CABLE PROJECTS at First South East EuropeanRegional CIGRÉ Conference », sur Regional CIGRÉ ConferencePortoroz, Slovenia, 7-8 juin 2016 (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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