Bruce Onobrakpeya

Bruce Onobrakpeya (Agbara-Otor (en), 1932) est un graveur, peintre et sculpteur nigérian.

Bruce Onobrakpeya
Bruce Onobrakpeya en 2017, en train de signer l'une de ses œuvres.
Biographie
Naissance

Agbara-Otor (en)
Nationalité
Formation
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A travaillé pour
Université d'Etat d'Elizabeth City (en)
Distinction

Figure majeure de la Zaria Art Society au tournant des années 1960 et de l'indépendance du Nigeria, Onobrakpeya se distingue pour avoir inventé de nouvelles techniques de l'estampe, notamment le « relief lino en bronze », l'« accident à l'acide chlorydrique » et la « plastographie ».

Biographie

Jeunesse et formation

Bruce Paul Obomoyema Onobrakpeya[1] naît le à Agbara-Otor (en), dans l'État du Delta, au sud du Nigéria[2]. Fils d'un sculpteur urhobo, dont il apprend les rudiments, il est élevé à la fois dans la tradition chrétienne et les croyances traditionnelles de son peuple d'origine, transmises oralement au travers de mythes et légendes[2].

Sa famille déménage à Benin City, dans l'État d'Edo alors qu'il n'est encore qu'un enfant[2]. Il fréquente la Western Boys High School, où Edward Ivehivboje lui enseigne l'art, entre autres sujets. Il suit également des cours de dessin au British Council Art Club de Benin City. Onobrakpeya est inspiré par les aquarelles d'Emmanuel Erabor. Après avoir quitté le lycée, Onobrakpeya est engagé comme professeur d'art au Western Boys High School de 1953 à 1956. Ensuite, il part pour Ondo, où il enseigne pendant un an à l'Ondo Boys High School.

En , Onobrakpeya est admis au Nigerian College of Arts, Science and Technology, devenu aujourd'hui l'université Ahmadu-Bello de Zaria[2]. Cette expérience marque profondément l'art d'Onobrakpeya : il apprend l'histoire de l'art et à travailler en atelier avec de nombreuses techniques et instruments. Le changement d'environnement naturel marque aussi son œuvre : les estampes qu'il produira reprennent ces paysages beaucoup moins verdoyants et ces bâtiments d'influence architecturale arabique et donc plus bas[2].

Grâce à une bourse du gouvernement fédéral, il est formé à la tradition occidentale de l'art figuratif. Parallèlement, il commence à expérimenter des formes en relation avec le folklore, les mythes et les légendes nigérians. Une grande partie de son travail utilise des éléments stylistiques et des compositions dérivés de la sculpture traditionnelle africaine et des arts décoratifs[3],[4].

Indépendance du Nigeria et société artistique

Au tournant des années 1960, le Nigeria acquiert son indépendance et avec elle un débat sur l'esthétique nationale. Les intellectuels nigérians  parmi lesquels des écrivains comme Wole Soyinka et Chinua Achebe, le compositeur Akin Euba, et les peintres Uche Okeke et Demas Nwoko (en)  sont éduqués à la pensée occidentale mais « intensément conscients » de la contribution des civilisations africaines : il fait partie des artistes qui fondent la Zaria Art Society en 1958. Onobrakpeya est actif dans cette dynamique : proche des auteurs du Black Orpheus (créé en 1956), il fait partie des membres du Mbari Club (créé en 1961) et cofonde la Society of Nigerian Artists (it) (en 1963)[5]. La Zaria Arts Society (ou Zaria Art School) appelée plus tard les Zaria Rebels), dont il est l'un des premiers diplômés[6], a été créée le par un groupe d'étudiants en art de la faculté dirigée par Uche Okeke dans le but de « décoloniser » les arts visuels enseignés par les Européens expatriés. Onobrakpeya a déclaré que l'université lui a donné des compétences techniques mais que la Zaria Arts Society, un groupe de discussion, a façonné ses perspectives en tant qu'artiste professionnel. Elle lui a donné la confiance nécessaire pour rechercher un idiome expressif personnel : il allonge ses figures, ignore la perspective et évoque le surnaturel à travers des décorations ambiguës[7].

Innovations dans le domaine de la gravure

Onobrakpeya suit ensuite une série d'ateliers de gravure à Ibadan, où il apprend la technique de la pointe sèche lors d'un talelier de gravure organisé conjointement par l'université d'Ibadan et le Mbari Club en 1963, Oshogbo, Ife et à la Haystack Mountain School of Crafts (en), dans le Maine (États-Unis)[6],[5]. Sa production alterne ainsi entre la peinture à l'huile, le dessin, la sérigraphie, la gravure à la pointe sèche, la linogravure et l'eau-forte[5].

En 1967, il crée une technique de gravure à l'époxyde, qu'il déclare être accidentelle : s'exerçant à l'eau-forte sur des plaques de zinc ou de cuivre, il endommage l'une de ses plaques et essaie de la réparer en utilisant de l'araldite. Imprimant une estampe de cette plaque, il constate un rendu « sculptural » intéressant et continue d'expérimenter à partir de cette technique[5],[alpha 1]. Il explore toujours la possibilité de réutiliser les plaques usées et prépare des plaques en résine (plastocast) à partir de celles-ci, à la manière des moules utilisés en sculpture ; le rendu de ce procédé lui-même (la matrice avant l'impression) peut être considéré comme une œuvre d'art[5],[8].

Onobrakpeya innove aussi en linogravure, réutilisant le faible relief que propose cette technique. Il monte ainsi des plaques de lino sur des panneaux durs ou en contreplaqué et les peint avec des couleurs bronze, ce qui produit « un charme considérable ». Lors d'autres expériences, il utilise plusieurs petits morceaux pour les assembler comme dans un collage pour couvrir de grandes surfaces et que la méthode elle-même est adaptée à la conception de frises ou de grands murs : c'est ainsi qu'il crée le relief en lino bronzé[5],[8]. Il cherche par ailleurs de nouveaux rendus visuels dans ses linogravures en utilisant des papiers plus délicats et fibreux. Il privilégie pour cela le papier japon, fin et absorbant, ne laissant pas de bords épais et permettant d'imprimer des couleurs plus subtiles[9].

Sa première exposition personnelle a lieu en 1959 à Ughelli (en), dans le delta du Niger. Plus tard, il expose aux États-Unis, en Italie, au Zimbabwe, en Allemagne, en Grande-Bretagne et au Kenya notamment[7].

Transmission

Onobrakpeya est une force importante dans la renaissance de l'art contemporain au Nigeria. Pendant de nombreuses années, il enseigne au St. Gregory's College (en), à Lagos[10].

Onobrakpeya crée en 1999 la Fondation Bruce Onobrakpeya, dont il est le président et qui organise l'atelier annuel de l'Harmattan dans sa ville natale d'Agbara Otor, dans l'État du Delta[6]. La fondation est une organisation non gouvernementale dirigée par des artistes et vise à encourager la croissance de l'art et de la culture en donnant aux artistes la possibilité d'acquérir des compétences, tout en sensibilisant le public à l'art africain et à ses avantages pour la société. La fondation a organisé le Amos Tutuola Show, à Lagos, en 2000. Elle a participé à de nombreux autres salons[11].

Œuvre

Son œuvre est d'abord particulièrement influencée par le Delta, son sol rouge et sa végétation foisonnante, mais aussi par Benin City, où il se confronte à d'autres courants culturels, comme les tapisseries yorubas ou les sculptures en bronze de la cour Edo[2].

Il puise dans ses deux traditions religieuses sa représentation des forces divines : la force de la pureté humaine au travers de la figure du Christ d'un côté et la puissance de la nature de l'autre. L'équilibre entre le naturel et le surnaturel est ainsi très prégnant dans la culture africaine[2].

Bruce Onobrakpeya a apporté des contributions distinctives à l'art contemporain grâce à ses compétences techniques, qui l'ont poussé à innover et expérimenter toute sa carrière[12],[13]. Il a notamment mis au point le « relief lino en bronze », l'« accident à l'acide chlorydrique » et la « plastographie » qui utilise des plaques coulées dans du plâtre[13]. Continuant à expérimenter avec cette technique, il recouvre les plaques originales de bronze afin de transformer les moulages en œuvres d'art elle-mêmes[13]. Plus tard, il les refond en structures de résine pour créer des installations sculpturales, détournant ainsi l'idée originale de la gravure et réinterprétant les traditions africaines en matière de sanctuaires pour donner à ces lieux rituels de nouvelles significations[13].

Toutes ces techniques lui ont permis de répondre à une démarche propre à l'artiste qui souhaite combiner de fortes lignes  grâce à des incises plus profondes dans la plaque  à une texture de surface travaillée et remettre en question l'art eurocentré en réinventant ses codes[12],[13],[14].

Il aborde différentes thématiques que l'on peut regrouper en trois catégories principales : activités de la vie quotidienne nigériane ; scènes religieuses ou mythologiques ; sujets plus abstraits accompagnés d'expérimentations sur la matière. La première est celle qui fait sa popularité, étant plus facile à appréhender pour le grand public local ou étranger, et lui apportant la reconnaissance de préserver la culture nigériane[12],[14].

Illustrations

Sélection d'ouvrages illustrés d'œuvres d'Onobrakpeya[15] :

  • Cyprian Ekwensi, African Nights Entertainment, 1961.
  • Chinua Achebe, No Longer at Ease, 1962.
  • Solomon Babalola (en), Iwe Ede Yoruba, 1963.
  • Kola Onadipe (en), Sugar Girl, 1964.
  • Rosemary Uwemedimo (en), Akpan and the Smugglers, 1964.
  • Catholic National Cathechism (Nigeria), 1968.
  • Kola Onadipe, Flight from Home, 1970.
  • Kola Onadipe, The Magic Land of the Shadows, 1970.
  • Onuora Nzekwu (en) et Michael Crowder (en), Eze Goes to School, 1986.
  • Daniel O. Fagunwa (en), Forest of A Thousand Daemons, 2013.

Expositions notables

Sélection d'expositions notables d'estampes d'Onobrakpeya[15] :

Conservation

Collections publiques

Collections privées

Lieux publics

Reconnaissance

« Bruce Onobrakpeya est l'un des artistes les plus accomplis à avoir émergé en Afrique de l'Ouest au cours du XXe siècle. Il exerce une influence continue et prépondérante sur la génération d'artistes nigérians qui ont atteint leur maturité au cours de la période postcoloniale. »

 John Picton[21].

Il est régulièrement considéré comme le meilleur graveur du Nigeria voire d'Afrique[14].

  • Honorary D. Litt, de l'université d'Ibadan (1989)[22],[4];
  • Mention honorable à la Biennale de Venise[14];
  • Membre de la Society of Nigerian Artists depuis 2000 ;
  • Prix du Pape Jean Paul II pour avoir peint la vie de Saint Paul ;
  • Membre du prix de l'Asele Institute ;
  • Prix Sadam Hussein ;
  • Prix Solidra Circle et prix de l'échange scolaire Fulbright[4]
  • Trésor humain vivant de l'UNESCO (2006) ;
  • Prix de la Créativité nigériane, décerné par le gouvernement fédéral du Nigeria en 2010 ;
  • Honorary Degree of Doctor of Arts (Hon. D. A) de l'université d'État du Delta (en) (2017) ;
  • Prix de l'Ordre national nigérian du mérite (en) (2017)[1].

Notes et références

Notes

  1. De nombreux détails sur la technique d'Onobrakpeya sont décrits dans Lawrence 1978, p. 3.

Références

  1. (en) « Mr ONOBRAKPEYA, Paul Bruce, NNOM », sur meritaward.ng (consulté le ).
  2. Lawrence 1978, p. 2.
  3. (en) « Grillo Pavilion honors Bruce Onobrakpeya », sur Vanguard, (consulté le ).
  4. (en) « Biographie de Bruce Onobrakpeya », sur africansuccess.org, (consulté le ).
  5. Lawrence 1978, p. 3.
  6. (en) « Biographie de Bruce Onobrakpeya », sur pendulumartgallery.com (consulté le ).
  7. Singletary 2005, p. 632.
  8. Onobrakpeya 1973 cité dans (en) Emmanuel Okeke Eze, Bruce Onobrakpeya - A Research into the Print Experiments of a Contemporary Nigerian Artist (thèse de BA inédite), Nsukka, University of Nigeria, , p. 43-44.
  9. (en) Bruce Onobrakpeya, Notes and Comments on 46 Prints (August 1974-February 1978), no 9, cité par Lawrence 1978, p. 4.
  10. (en) « Biographie de Bruce Onobrakpeya », sur Urhobo Historical Society (consulté le ).
  11. (en) « About us », sur Fondation Bruce Onobrakpeya (consulté le ).
  12. Lawrence 1978, p. 4.
  13. (en) Helena Cantone, « Bruce Onobrakpeya (1932--) », dans Routledge Encyclopedia of Modernism, Routledge, (DOI 10.4324/9781135000356-REM888-1, lire en ligne).
  14. (en) « Bruce Onobrakpeya », sur contempafricanart.com (consulté le ).
  15. Lawrence 1978, p. 29.
  16. (en) « Bruce Onobrakpeya », sur Minneapolis Institute of Arts (consulté le ).
  17. (en) « Biographie et œuvres de Bruce Onobrakpeya », sur Musée national d'Art africain (consulté le ).
  18. (en) « Bruce Onobrakpeya », sur British Museum (consulté le ).
  19. (en) « Bruce Onobrakpeya », sur Tate Modern (consulté le ).
  20. (en) « Bruce Onobrakpeya », sur Victoria and Albert Museum (consulté le ).
  21. (en) John Picton, Image and Form (prints drawings and Sculpture from Southern Africa and Nigeria), School of African and Oriental Studies (SOAS), University of London, .
  22. Onome Mudiare's Blog, « Doctoral Citation », Mudiare (consulté le )

Annexes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (en) Dele Jẹgẹdẹ, Trends in Contemporary Nigerian Art : A Historical Analysis, Indiana University, , 828 p..
  • (en) Wendy Lawrence (préf. Robert Barde), Bruce Onobrakpeya: Nigeria's Master Printmaker, The Best of Africa, (lire en ligne [PDF]). 
  • (en) Richard A. Singletary, « Bruce Onobrakpeya: His Art and International Reputation », dans Peter Palmer Ekeh, Studies in Urhobo culture, Urhobo Historical Society, (ISBN 978-067-769-0, lire en ligne). 
  • (en) C. Spring, Angaza Africa - African Art Now, Londres : Laurence King Publishing, 2008.
  • (en) Contemporary African artists : changing tradition ; El Anatsui, Youssouf Bath, Ablade Glover, Tapfuma Gutsa, Rosemary Karuga, Souleymane Keita, Nicholas Mukomberanwa, Henry Munyaradzi, Bruce Onobrakpeya, New York : Studio Museum in Harlem, 1990, 148 p. (ISBN 094294903X).
  • (en) Hampton University Museum Collection of Modern Nigerian Art : Museum Accession Records of Works of Modern Nigerian Art from the Harmon Foundation Donation Covering Acquisitions from 1962-1972, Hampton University Museum, .
    Les artistes représentés sont : Jonan Chinyere Achara, Ben Enwonwu, Akinola Laeskan, Etso Clara Ugbodaga Ngu, Uche Okeke, Simon Okeke, Godfrey Okiki et Bruce Onobrakpeya.
  • (en) Bruce Onobrakpeya, « Techniques and Themes of Bronzed Lino Reliefs, Deep Etchings and Plastocasts », dans Lecture to Museum Society, Lagos, .

Filmographie

  • (en) Kindreds Spirits: Contemporary Nigerian Artists, Smithsonian World, Washington D.C. (États-Unis).
  • (en) The Magic of Nigeria, d'Ola Balogun, Lagos (Nigeria), 1993.
  • (en) Recalling the Future Art, de Joanna Grabski et Claudine Pommier, Arts in Action Society, Vancouver (Canada), 2002.
  • (en) The Harmattan Workshop Experience: The Journey so far, documentaire sur les 10 ans de l'Agbarha-Otor Harmattan workshop Experience, produit et réalisé par Bruce Onobrakpeya, 2009.
  • (en) RedHot, de Sandra Obiago, Lagos (Nigeria), 2011.

Liens externes

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