Corium
Le corium est un magma métallique et minéral constitué d'éléments fondus du cœur d'un réacteur nucléaire, puis des minéraux qu'il peut absorber lors de son trajet.
Le terme « corium » est un néologisme formé de core (en anglais, pour le cœur d'un réacteur nucléaire), suivi du suffixe -ium présent dans le nom de nombreux éléments du tableau périodique des éléments : lithium, calcium, uranium, plutonium, hélium, strontium, etc.
Initialement constitué du combustible nucléaire (principalement de l'oxyde d'uranium enrichi), des éléments de l'assemblage combustible et des divers équipements du cœur (barres de contrôle, instrumentation) ou de la paroi de la cuve du réacteur avec lesquels il entre en contact, il se forme à très haute température (environ 3 000 °C, température de fusion de l'oxyde d'uranium) quand le cœur n'est plus refroidi, comme lors d'accidents nucléaires tels ceux de Three Mile Island, de Tchernobyl, ou de Fukushima.
Description
Le corium émet une importante puissance thermique résiduelle, c'est-à-dire que contrairement à la lave d'un volcan qui finit par se refroidir au contact de l'air, le corium continue à émettre de la chaleur pendant des années, laquelle diminue graduellement en raison de la désintégration des produits de fission, après arrêt du réacteur[1].
Hautement toxique, radioactif, extrêmement dense et extrêmement chaud, s'il n'est pas réfrigéré et s'il reste concentré, il peut faire fondre la plupart des matériaux et percer tout ce qui se trouve sous lui.
Depuis quelques années, afin de contrôler les potentiels accidents avec formation d'un corium perçant une cuve de réacteur après fusion du cœur, il est envisagé d'équiper les nouvelles centrales ou des centrales nucléaires existantes de dispositifs de récupération et refroidissement du corium.
Accidents producteurs de corium
La formation du corium est la conséquence d'un défaut de refroidissement du cœur d'un réacteur nucléaire ayant pour conséquence une surchauffe de tous les éléments le constituant.
En effet, après arrêt de la réaction en chaîne, il ne reste plus de chaleur due à la fission mais celle due à la radioactivité (effet thermique de la désintégration naturelle des différents produits de fission).
Cette puissance, dite résiduelle, dépend prioritairement de l'historique de puissance du réacteur précédant l'accident, mais aussi de la nature et de l'enrichissement du combustible, de l’épuisement du combustible (avancement du cycle) et de l’éventuelle période de désactivation.
La puissance résiduelle, si elle n'est pas évacuée par les circuits de refroidissement, fait monter la température du combustible. Au-delà d'un certain seuil (1 200 °C environ), une réaction d'oxydation se produit sur les gaines de Zircaloy des crayons de combustibles. Cette réaction est très exothermique (augmentation de la température de 1 à 10 K/s[4]) ce qui provoque la fusion de l'assemblage combustible. L'étape suivante est la rupture des gaines d'assemblage et donc le relâchement de gaz de fission qui contaminent le cœur et le circuit primaire (c'est une rupture de la première barrière de protection). Si l'élévation de température se poursuit, les éléments combustibles fondent et coulent en fond de cuve.
Le combustible en fusion, mélangé au zirconium partiellement oxydé et une partie des internes inférieurs de la cuve s'accumulent en fond de cuve du réacteur[4].
S'il s'agit d'un réacteur peu puissant (jusqu’à 600 MWe), la cuve peut être refroidie par inondation du puits de cuve pour éviter son percement.
Pour les réacteurs de 1 300 à 1 600 MWe, le faible étalement du corium en fond de cuve rend le refroidissement par inondation du puits de cuve insuffisant pour prévenir le percement de la cuve. De plus il engendre un risque d'explosion de vapeur en cas de rupture de la cuve. L’inondation du puits de cuve n'est pas un dispositif standard de sûreté nucléaire et relève des procédures « ultimes » de limitation des impacts d'une catastrophe nucléaire. La priorité étant donnée au rétablissement d'un refroidissement du cœur, via l'injection d'eau dans le circuit primaire (injection de sûreté) beaucoup plus efficace qu'un noyage du puits de cuve.
Si le corium en fond de cuve n'est pas suffisamment refroidi, il continue sa montée en température jusqu’à atteindre le point de fusion de la cuve, la percer et se répandre dans le bâtiment réacteur (c'est une rupture de la deuxième barrière de protection). L'enceinte de confinement joue alors seule le rôle de 3e barrière, les dispositifs de sauvegarde (aspersion, dispositif ultime U5) permettent d'en éviter la rupture.
Selon le CEA et l'IRSN[5], quand le corium attaque le sol de béton (et/ou d'autres matériaux plus en hauteur s'il a été expulsé de manière explosive), « une quantité importante de gaz incondensables est libérée provoquant une montée en pression progressive de l’enceinte de confinement. Afin d’éviter la rupture de l’enceinte qui pourrait en résulter, un dispositif d'éventage-filtration (dispositif U5) a été installé sur les réacteurs à eau sous pression et peut être mis en œuvre 24 heures après le début de l’accident, en cas de défaillance du système d’aspersion enceinte »[5].
Un scénario catastrophe surnommé « syndrome chinois » envisage le cas où le corium perce ou fait exploser sous la pression le bâtiment réacteur puis s'enfonce dans le sol, brisant la troisième et ultime barrière de protection et se répandant dans le milieu naturel.
Avec l'augmentation de la puissance des réacteurs, des dispositifs de récupération et d’étalement du corium sont développés afin d'assurer leur refroidissement en cas de percement de la cuve : les récupérateurs de corium.
Récupérateur de corium
Dans le réacteur pressurisé européen (EPR), le réacteur ATMEA1 et le réacteur russe VVER-1200 (AES-2006), un dispositif particulier (le « cendrier » ou core-catcher[6]) composé d'éléments réfractaires en céramique[7] a été prévu pour contenir puis refroidir le corium, s'il venait à percer la cuve du réacteur, afin de l'empêcher de s'enfoncer dans le sol.
En ce qui concerne le projet américain AP1000, selon ses concepteurs, il est prévu de maintenir le corium à l'intérieur de la cuve et de refroidir celle-ci par l'extérieur[8].
Retours d'expérience
Ce sont surtout ceux des accidents historiques suivants :
Accident de Three Mile Island
Un incident sur les pompes principales d'alimentation en eau du circuit secondaire de la centrale nucléaire de Three Mile Island le a conduit, à la suite de nombreuses défaillances et erreurs, à la formation d'une bulle de vapeur dans le haut du cœur du réacteur de 900 MW électriques (2 722 MW thermiques) mis en service commercial trois mois plus tôt. Cette bulle privant de refroidissement le haut des éléments combustibles pendant plusieurs heures, environ 45 % du cœur fondit et forma un corium qui coula au fond de la cuve[9]. Selon l'IRSN, le combustible avait commencé à fondre moins de 3 heures après le début de l'accident [10]. La cuve ne fut pas percée et le bâtiment du réacteur a joué son rôle d'ultime barrière de confinement. La seule contamination extérieure à déplorer s'est produite à la suite d'erreurs de manutention d'effluent liquide.
Catastrophe de Tchernobyl
Une production de corium a eu lieu lors de la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine le dans un réacteur RBMK de 1 000 MWe (3 200 MWth). La dalle de béton supportant le réacteur menaçait d'être transpercée par le corium formé à la suite de l'accident. Le professeur Vassili Nesterenko avait diagnostiqué que si le cœur en fusion atteignait une nappe d'eau accumulée par l'intervention des pompiers, une explosion de vapeur était susceptible de se produire et de disséminer des éléments radioactifs à une très grande distance. Une nouvelle équipe d'employés de la centrale est formée pour évacuer cette eau en ouvrant les vannes de vidange de la piscine de suppression située sous le plancher de la cavité du réacteur.
Environ 400 mineurs provenant des environs de Moscou et du bassin houiller de Donbass creusèrent une galerie de 150 m de longueur jusque sous le réacteur afin de refroidir le cœur. Cette galerie qui devait initialement abriter un système de refroidissement par azote liquide fut finalement remplie de béton pour isoler le corium de l'environnement extérieur.
Lors des inspections faites dans les dix ans qui ont suivi, 1 370 tonnes (±300 tonnes) de corium[11] ont été retrouvées dans les différents locaux du bâtiment réacteur transpercé sur trois niveaux. Borovoi & Sich[11] et Pazukhin (1997)[12] ont estimé que ce corium avait ainsi progressé en perçant d'épais murs et planchers de béton jusqu'au sous-sol en quelques jours (quatre selon Borovoi et neuf selon Pazukhin).
Les déversements de sable sur le cœur dans le cours de l'accident, la présence de serpentinite et une quantité importante de produits de décomposition du béton se sont mélangés au corium (sa masse ne contenait qu'environ 10 % d’uranium), réduisant sa puissance volumique. Cette diminution de puissance plus sa dispersion ont interrompu sa progression à l'intérieur du bâtiment réacteur avant qu'il ne s'enfonce vers la nappe[13].
Accident de Fukushima
En , lors des accidents qui ont concerné quatre des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, à la suite du tsunami et du séisme du 11 mars 2011 (de magnitude 9) qui ont dévasté le Nord-Est de l'île de Honshū, les cœurs de 3 des 6 réacteurs de la centrale ont commencé à fondre à la suite de la perte de leur refroidissement.
Le , l'opérateur Tepco admettait que les barres de combustibles du réacteur 1 avaient fondu seulement cinq heures et demie après le tsunami[14]. Mais selon les inspecteurs de l’AIEA, les calculs indiquent que le cœur du réacteur no 1 aurait fondu trois heures après le séisme, puis percé la cuve deux heures plus tard. Le cœur no 2 aurait commencé à fondre 77 heures après le séisme en perçant la cuve encore trois heures après. Enfin le cœur no 3 aurait fondu 40 heures après le séisme et percé sa cuve 79 heures encore après[15],[16].
Contenu en radioéléments et radioactivité d'un corium
Ces deux facteurs varient selon le type de réacteur, le contenu en combustible initial (uranium enrichi, MOx…) et l'âge du combustible au moment de l'accident ; dans l'exemple ci-dessous, le corium ne contenait qu'environ 10 % (en masse) d’uranium.
Recherche
De nombreux travaux ont porté sur le comportement du béton à haute température[17], d'autres matériaux des réacteurs[18], et surtout sur les propriétés thermophysiques des coriums[19],[20],[21] et individuellement[22] des matériaux qui les composent (dont le zirconium[23] et le dioxyde d'uranium[24] et divers alliages contenant de l'uranium (ex : U-Fe et U-Ga)[25]).
Ces études ont porté sur de nombreux facteurs : viscosité[26] et rhéologie des métaux en fusion (et en cours de solidification[27], densité, émissivité, conductivités thermiques, température initiale, radioactivité, capacité érosive, vaporisation, couches limites thermiques, physico-chimiques et rhéologiques, les transferts de calories des liquides vers des solides[28], etc.).
Pour produire ou caler des modèles suffisamment crédibles, on a étudié le comportement rhéologique de basaltes (différentes compositions de basalte et mélange basalte contenant jusqu'à 18 %m d'UO2), ainsi que de mélanges de différentes compositions (principalement UO2, ZrO2, FexOy et Fe pour les scénarios en cuve, plus SiO2 et CaO pour les scénarios hors-cuve) [29].
Divers auteurs ont montré que la viscosité de coriums ne peut être décrite par des modèles classiques par exemple de suspensions de sphères non-interactives[29] ; une loi de type Arrhenius[30] a été proposée, avec un facteur multiplicatif tel que n = exp(2.5Cφ)[29], C étant compris entre 4 et 8. C est plus important dans le cas des faibles vitesses de cisaillement et de refroidissement.
Des échantillons trempés ont fait l’objet d’analyses de structure qui ont montré que ce facteur dépend de la morphologie de la particule. Enfin, ce type de loi rhéologique avec un facteur C de 6,1, a permis de recalculer de façon satisfaisante un essai d'étalement en corium à 2100 K sur un plan horizontal[29].
Il s'agit de comprendre et modéliser[31] pour anticiper ou mieux maîtriser le comportement du corium lors de sa formation, sa coulée, son étalement[32] et son refroidissement. Il faut aussi comprendre la cinétique chimique complexe du corium au cours de son évolution.
Ce besoin découle notamment de la démonstration qu'un accident nucléaire grave avec rupture de confinement primaire était plus probable qu'on ne l'avait initialement calculé.[réf. nécessaire]
Ces études se font généralement sous l'égide de l'AIEA et en Europe, avec le soutien de la Commission européenne via par exemple :
- le projet CSC (Corium Spreading and Coolability) ;
- le projet ECOSTAR (European Core Stabilization Research) ;
- le projet ENTHALPY (European Nuclear Thermodynamic database for Severe Accidents) ;
- le GAREC (Groupe d’Analyse de la R&D sur la Récupération du Corium) ;
- le Centre Commun de Recherches d'Ispra et l'installation FARO[33] ;
- le Laboratoire d'essais pour la maîtrise des Accidents graves (LEMA).
Des codes de calculs et des logiciels spécifiques ont été développés (ex : logiciel CRUST du CEA pour modéliser le comportement mécanique de la croute qui se forme en surface d'un corium, et qui interfère avec son déplacement, le refroidissement de la coulée (cf croute isolante freinant le relâchement de la chaleur latente) du corium fondu et son rayonnement) (Gatt et al., 1995)
« Corium prototypique »
Pour éviter de s'exposer aux risques et dangers d'un vrai corium, les physiciens nucléaires utilisent dans le cadre de leurs recherches un faux corium (dit « corium prototypique »), substitut dont les caractéristiques sont supposées assez proches du vrai.
C'est avec ce « corium prototypique », porté à très haute température que sont réalisés les tests jugés par leurs promoteurs comme étant les plus crédibles pour tester divers scénarios d'accidents majeurs (impliquant tous la fonte du cœur d'un réacteur), notamment en France par le Centre CEA de Cadarache, en collaboration avec EDF, l'IRSN, AREVA, le CERDAN[Quoi ?], le laboratoire PROMES-CNRS, de nombreux chercheurs, en lien avec le groupe « Hautes Températures » de la Société Française de Thermique.
Ce « corium prototypique » a une densité et des propriétés rhéologiques proches de celles du vrai corium, et des propriétés physiques en grande partie comparables. Il en diffère cependant thermodynamiquement (ce n'est pas une source de chaleur autocatalytique, c'est-à-dire autoentretenue par la radioactivité) et a une composition isotopique différente puisqu'il est composé d'uranium appauvri ou d'uranium naturel en remplacement de l’uranium enrichi. Quelques produits de fission, quand ils sont présents, présentent alors une composition isotopique naturelle…) qui le rendent bien moins dangereux qu'un vrai corium[34].
Notes et références
- Cinq ans après l'arrêt, la puissance résiduelle du cœur d'un réacteur de 1 000 MWe - 3 200 MWth ayant fonctionné un an sans interruption est voisine de 100 kW par valeur supérieure ; après 15 ans elle est de l'ordre de 6 kW (un gros radiateur électrique)
- Document de formation de la NRC concernant la sûreté nucléaire, page 100 section 4.3.6, fig 4.3.1, nrc.gov, consulté le 12 mars 2021
- Document de formation de la NRC concernant la sûreté nucléaire, page 112 section 4.4.6, fig 4.4.1, nrc.gov, consulté le 12 mars 2021
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- Core Catcher
- Core-catcher-Komponenten für EPR
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Voir aussi
Bibliographie
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