Démission du Premier ministre français
La démission du Premier ministre français est la procédure par laquelle le Premier ministre français démissionne de sa fonction.
Concept
Définition
La démission du Premier ministre est l'acte juridique par lequel le Premier ministre quitte officiellement sa fonction. La démission est réglée par l'article 8 de la Constitution de la Cinquième république, qui dispose que le Président de la République « met fin à ses fonctions [celles du Premier ministre] sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ».
Cette formulation est toutefois ambiguë en ce qu'elle ne rend pas clair le pouvoir révocatoire du président de la République sur le Premier ministre[1]. Le Premier ministre présente la démission du gouvernement, mais cela peut-il être la résultante d'un ordre du président de la République ? Dans Le Pouvoir et la Vie, Valéry Giscard d'Estaing soutient que l'ambiguïté autour des conditions de démission du Premier ministre est « une lacune de notre Constitution »[2]. L'ambiguïté a été cultivée par les présidents : si François Mitterrand a répondu, dans un entretiens à la revue Pouvoirs du , que « le Premier ministre, qui met en œuvre la politique de la majorité gouvernementale, ne peut être révoqué que par elle »[3].
Dans les faits, la démission du Premier ministre est liée à une décision du président de la République, et non à une décision de démission autonome du Premier ministre[1].
Démission de courtoisie
La démission dite de courtoisie est une tradition républicaine qui consiste en la démission du gouvernement en place à l'issue des élections législatives, y compris lorsque ces dernières voient la victoire du parti ou de la coalition gouvernant[4]. Passées peu ou prou inaperçues pendant des décennies, ces démissions de courtoisie provoquent un certain nombre de réactions médiatiques lors de la démission du premier gouvernement Borne, au surlendemain des élections législatives de 2022[5].
Parmi les démissions de courtoisie, on peut citer, par exemple, celle du premier gouvernement Rocard (22 juin 1988), celle du premier gouvernement Fillon (18 juin 2007), ou encore celle du premier gouvernement Ayrault (18 juin 2012).
Historique
Démission de Michel Debré
La démission de Michel Debré se fait sur le ton du consensus avec Charles de Gaulle. Il écrit, dans sa lettre de démission du 14 avril 1962 : « Comme il était convenu, et cette étape décisive étant franchie, j'ai l'honneur, mon Général, de vous présenter la démission du gouvernement »[6].
Toutefois, dans la lettre de réponse datée du même jour, le président rend clair qu'il considère que c'est une demande du Premier ministre que d'être démissionné, bien qu'il reprenne l'idée d'un consensus : « Mon cher Ami, En me demandant d'accepter votre retrait du poste de Premier ministre et de nommer un gouvernement, vous vous conformez entièrement, et de la manière la plus désintéressée, à ce dont nous étions depuis longtemps convenus »[7].
Démission de Georges Pompidou
Dès sa nomination à l'hôtel Matignon, Georges Pompidou doit remettre à Charles de Gaulle une lettre de démission en blanc, afin qu'il puisse le démissionner lorsqu'il le souhaite[8].
La première démission de Georges Pompidou est liée à l'application de l'article 50 de la Constitution, selon lequel l'Assemblée nationale ayant adopté une motion de censure à l'égard du gouvernement, le Premier ministre doit remettre la démission du gouvernement au président de la République. C'est ainsi que le Premier ministre Pompidou remet sa première démission le [9].
Dans la lettre de démission que le Premier ministre Georges Pompidou adresse au président Charles de Gaulle en 1968, il écrit : « Mon général, Vous avez bien voulu me faire part de votre intention [...] de procéder à la nomination d'un nouveau gouvernement »[10]. Il rend ainsi clair que c'est la volonté du président que de changer de Premier ministre. Cette lettre entérine une double responsabilité du Premier ministre à l'égard de l'Assemblée nationale comme du président[1]. Le sous-entendu est toutefois balayé par Charles de Gaulle, qui répond, dans une lettre datée du même 10 juillet 1968, « je crois devoir accéder à votre demande de n'être pas, de nouveau, nommé Premier ministre »[8].
Démission de Maurice Couve de Murville
Maurice Couve de Murville ne présente pas sa démission à Charles de Gaulle, qui l'avait pourtant nommé, mais à Georges Pompidou. En effet, le gouvernement reste en place durant la présidence par intérim d'Alain Poher. Il ne présente la démission de son gouvernement qu'après l'élection présidentielle de 1969 (JO du 20 juin 1969).
Démission de Jacques Chaban-Demas
Jacques Chaban-Delmas imite la lettre de démission du Premier ministre Georges Pompidou en écrivant, dans sa lettre de démission :« Monsieur le Président de la République, vous m'avez fait part de votre intention de changer de gouvernement »[8].
Démission de Pierre Messmer
Georges Pompidou exige de Pierre Messmer qu'il lui remettre au début de son mandat de Premier ministre une lettre de démission en blanc, à l'image de ce que Charles de Gaulle avait pratiqué avec lui jadis[8].
Démission de Jacques Chirac
Valéry Giscard d’Estaing raconte que, le 28 mars 1974, le Premier ministre nouvellement nommé lui a donné une lettre de démission en blanc, sur laquelle seule la date restait à inscrire. Jacques Chirac aurait déclaré : « Il faut que vous soyez libre de mettre fin à mes fonctions et à celles du gouvernement quand vous le souhaiterez »[2].
La lettre de démission de Jacques Chirac à Valéry Giscard d'Estaing (1976) témoigne d'une indépendance de la décision de démission du Premier ministre à l'égard du président. Chirac écrit en effet « Je ne dispose pas des moyens que j'estime aujourd'hui nécessaires pour assurer efficacement mes fonctions de Premier ministre et dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin »[11].
Démission de Raymond Barre
Raymond Barre démissionne une première fois en 1977. Valéry Giscard d'Estaing déclare : « Demain matin, je demanderai à M. Raymond Barre de diriger un nouveau gouvernement »[12]. Il présente sa démission la dernière semaine de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing[13].
Démission de Pierre Mauroy
La lettre de Pierre Mauroy maintient un flou au sujet de la responsabilité de la décision de démission du Premier ministre. Il écrit dans sa lettre de démission du , « comme nous en avons constaté la nécessité ... ». Le président Mitterrand y répond en écho dans sa propre lettre de remerciement, datée du même jour, où il écrit : « Comme nous en sommes convenus au cours de nos récents entretiens, l'évolution de la situation politique... »[8].
Démission de Laurent Fabius
La démission de Laurent Fabius est décidée par François Mitterrand après la victoire de la droite aux élections législatives de 1986. Le 17 mars 1986, Laurent Fabius envoie sa lettre de démission, où il rappelle que les Français ayant élu une nouvelle majorité la veille, il se « tient à [la] disposition [du président] pour [lui] présenter [s]a démission et celle de [s]on gouvernement au moment qu['il] juger[a] le plus opportun »[14].
Démission de Michel Rocard
Michel Rocard écrit une lettre mettant en avant la décision du président de la République de changer de gouvernement, en écrivant en 1991 : « Vous avez bien voulu me faire part de votre intention de former un nouveau gouvernement »[8].
Démission d’Édouard Balladur
Dans Le pouvoir ne se partage pas, où il retrace le déroulement de la deuxième cohabitation, Édouard Balladur remarque qu'« il ne fut pas question, comme cela avait été parfois le cas depuis 1958, que le Premier ministre, le jour de sa nomination, signe à l'adresse du président de la République une lettre de démission en blanc ». Il attribue à la cohabitation l'impossibilité de la mise en œuvre d'une telle pratique[15].
Démission de Manuels Valls
Manuel Valls présente la démission de son gouvernement à peine 147 jours après avoir été nommé à l'hôtel Matignon, du fait de ses divergences avec certains ministres, dont Arnaud Montebourg. Cette démission est qualifiée par Frédéric Rouvillois de « super remaniement déguisé », car il ne s'agit que d'un prétexte pour que le président demande au Premier ministre de nommer immédiatement après un nouveau gouvernement[16].
Notes et références
- Delphine Dulong, Premier ministre, CNRS, (ISBN 978-2-271-13890-3, lire en ligne)
- Valéry Giscard d'Estaing, Le pouvoir et la vie: L'affrontement, Cie. 12, (ISBN 978-2-903866-26-6, lire en ligne)
- Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La constitution, Éditions Points, (ISBN 978-2-7578-6899-7, lire en ligne)
- William Vuillez, « Législatives 2022 : qu'est-ce que la "démission de courtoisie", que pourrait déposer Borne ? », RTL, (lire en ligne)
- François Vignal, « Elisabeth Borne était-elle obligée de remettre sa démission à Emmanuel Macron après les législatives ? », Public Sénat, (lire en ligne)
- Raymond Triboulet, Un ministre du Général, Plon, (ISBN 978-2-259-23333-0, lire en ligne)
- France, Journal officiel de la République française: Lois et décrets, Direction, rédaction et administration, (lire en ligne)
- Olivier Duhamel et Guillaume Tusseau, Droit constitutionnel et institutions politiques - 5e édition 2020, Editions du Seuil, (ISBN 978-2-02-144198-7, lire en ligne)
- Loïc Chabrier et Benoit Haudrechy, Droit constitutionnel de la Ve République, Editions Ellipses, (ISBN 978-2-340-05415-8, lire en ligne)
- « La lettre du Premier ministre », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Johanna Noël, Le Droit Constitutionnel de la Ve République en cartes mentales, Editions Ellipses, (ISBN 978-2-340-06254-2, lire en ligne)
- Jean Vigreux, Croissance et contestation - 1958-1981, Editions du Seuil, (ISBN 978-2-02-140387-9, lire en ligne)
- Serge Berstein et Jean-François Sirinelli, Les années Giscard: 1978-1981 : les institutions à l'épreuve ?, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-27132-9, lire en ligne)
- Véronique Champeil-Desplats, Les grandes questions du droit constitutionnel, Editions l'Etudiant, (ISBN 978-2-84624-279-0, lire en ligne)
- Édouard Balladur et François Mitterrand, Le pouvoir ne se partage pas: conversations avec François Mitterrand, Fayard, (ISBN 978-2-213-65136-1, lire en ligne)
- Frédéric Rouvillois, Droit constitutionnel (Tome 2) - La Ve République, Flammarion, (ISBN 978-2-08-149153-3, lire en ligne)
- Portail de la politique française
- Portail du droit français
- Portail de la France