Elissa Rhaïs

Elissa Rhaïs, née Rosine Boumendil le à Blida en Algérie et décédée dans la même ville le , est une écrivaine, auteur de romans et de nouvelles orientalistes se déroulant en Algérie. Elle se fait à l'époque passer pour une musulmane ayant fui un harem[1]. Elle avouera par la suite être une juive d'Algérie, et certains critiques l'accuseront même de ne pas être l'auteur des romans qu'elle signe.

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Elissa Rhaïs
Elissa Rhaïs vers 1920
Biographie
Naissance
Décès
(à 63 ans)
Blida
Nationalité
Activités

Biographie

L'Algérie

Elissa Rhaïs naît en 1876 à Blida dans une famille juive aux revenus modestes. Son père, Jacob, est boulanger et sa mère, Mazaltov (née Seror), est mère au foyer. Elle va à l'école communale jusqu'à l'âge de douze ans, puis est placée comme domestique dans une famille juive. À dix-huit ans, elle épouse Moïse Amar, rabbin de la synagogue de la rue Sabine, dans la Basse-Casbah d'Alger. Installé dans cette ville, le couple aura trois enfants, une fille, qui meurt à onze ans, puis un fils Jacob-Raymond (1902-1987) et une autre fille Mireille (1908-1930). Jacob-Raymond sera également écrivain ainsi que journaliste sous le nom de Roland Rhaïs, et fut l'un des rares juifs d'Algérie à obtenir la nationalité algérienne après l'indépendance[2].

À trente-huit ans, divorcée, elle se remarie avec un commerçant, Mardochée Chemouil qui lui offre une magnifique villa, la Villa des Fleurs à Alger, où elle s'empresse d'ouvrir un salon littéraire. Très rapidement, elle devient renommée comme conteuse d'histoires. Elle raconte que ses histoires lui ont été transmises par sa mère et sa grand-mère, et font donc partie du riche patrimoine folklorique de sa région natale. Poussée par quelques critiques littéraires fréquentant son salon, elle commence à envoyer ses histoires à des revues littéraires.

Paris

En 1919, Rosine Boumendil décide de s'installer en France et obtient une séparation légale d'avec son mari, car celui-ci désapprouve ses ambitions littéraires. Elle débarque le à Marseille avec son fils Jacob-Raymond, sa fille Mireille et son fils adoptif, Raoul-Robert Tabet, neveu de son second mari. Ils vont s'installer à Paris, où après avoir fait publier trois nouvelles sous le titre Le Café chantant dans la Revue des deux Mondes, elle signe un contrat de cinq ans avec la maison d'édition Plon. Elle publie son premier roman Saâda la Marocaine sous le pseudonyme d'Elissa Rhaïs. Avec son consentement, son éditeur lui invente une histoire romanesque, la fait passer pour une musulmane qui a appris le français en Algérie à l'école publique, puis a vécu dans un harem[réf. nécessaire]. Il la surnomme « L'Orientale ». La mode est alors à l'orientalisme, et les histoires écrites par une femme orientale qui a été cloîtrée, doivent exciter la curiosité de nombreux lecteurs. Le fait qu'elle écrive en français est la preuve de l'apport de la colonisation aux peuples indigènes. Or, ce que la quasi-totalité des lecteurs ignorent, c'est que depuis le décret Crémieux de 1870 qui a donné la nationalité française aux Juifs d'Algérie, ceux-ci ont librement accès à l'école publique et à l'éducation française, ce qui n'est absolument pas le cas pour le reste des natifs.

De 1919 à 1930, Rhaïs publie neuf romans et trois recueils de courtes nouvelles. Ce sont des romans à l'eau de rose, se déroulant dans une Afrique du Nord exotique. Ses récits sentimentaux se déroulent, à quelques exceptions près, dans différents milieux musulmans d'avant la Première Guerre mondiale avec de nombreuses héroïnes féminines.

Une seule exception, Les Juifs ou la fille d'Éléazar, considéré comme son meilleur roman et dont les personnages sont des Juifs de la classe moyenne, se débattant entre modernité et tradition sur fond d'intrigues amoureuses.

À Paris, elle rouvre un salon, fréquenté par de nombreux artistes dont entre autres Colette, Paul Morand, l'actrice Sarah Bernhardt ou le jeune écrivain algérien Jean Amrouche. André Gide la surnomme la « rose du Sahel ».

Séjours à Blida

À partir de 1922, Rhaïs effectue de nombreux séjours en Algérie, à Blida. Il est alors notoire que Raoul Tabet, le neveu de son mari, qu'elle emploie comme secrétaire est devenu son amant. Après la mort de sa fille en 1930, de la fièvre typhoïde, lors d'un séjour qu'ils effectuent ensemble au Maroc, Rhaïs se retire alors de la vie publique et ne publie plus de livres. Très rapidement, elle va tomber dans l'oubli, et il faudra plus de cinquante ans pour que l'on reparle d'elle et que ses livres soient réédités.

Elle meurt brutalement à Blida le .

Couverture du Café chantant de 1920
Couverture de Les Juifs ou la fille d'Éléazar de 1921

Son œuvre

Les romans de Rhaïs vont au-delà des stéréotypes dominant à cette période coloniale, qui voit la femme arabo-berbère sous les traits soit d'une odalisque soit d'une fatma. Elle décrit la vie courante, les coutumes, les habits, les fêtes religieuses et les relations familiales.

Enthousiaste, l'écrivain Jules Roy, lui aussi né en Algérie, la décrit ainsi[3] :

« La George Sand de l’Islam, un Loti enfin authentique, une Eberhardt qui aurait percé... Elle avait réussi ce à quoi tous s’essayaient en vain : ouvrir à la pensée métropolitaine notre empire, précipiter des djellabas et des robes à fleur dans les bras de la République... Elle a chanté tout ce que nous avons aimé et que nous avons quitté pour un ailleurs plus âpre et plus vaste. Elle seule était capable de jouer de l’illusion coloniale comme elle en a joué. Elle fut quelqu’un de merveilleusement suranné : elle incarna le mythe d’une Algérie heureuse et irremplaçable dans nos cœurs. »

.

  • Saâda la Marocaine. Paris: 1919[4]
  • Le Café chantant. Paris : 1920[5]
  • Les Juifs ou la fille d’Eléazar, Paris, 1921[6]
  • La Fille des pachas. Paris : 1922[7]
  • La Fille du douar, Paris, 1924[8]
  • La Chemise qui porte bonheur, Paris, 1925[9]
  • L'Andalouse. Paris: 1925[10]
  • Le Mariage de Hanifa, Paris, 1926[11]
  • Le Sein blanc. Paris: 1928[12]
  • Par la voix de la musique. Paris: 1927[13]
  • La Riffaine suivi de Petits Pachas en exil, Paris, 1929[14]
  • La Convertie. Paris: 1930[15]
  • Enfants de Palestine dans la Revue hebdomadaire, [16].
  • Le parfum, la femme et la prière, théâtre, 1933[17]
  • Judith, dans Le Journal du au

Mystification ou non

Attaques contre le personnage qu'elle s'est créé

Dans les années 1930, la revue antisémite Le Péril Juif de Charles Hagel la critique violemment et la traite d'imposteur pour s'être fait passer pour une musulmane.

La romancière Lucienne Favre dans son roman Orientale[18] de 1930, fait parler une Algérienne musulmane[19]:

« Il parait qu'en France, on aime les Mauresques de toutes conditions. C'est pourquoi il y a une vieille Juive, ancienne femme de rabbin, qui se fait passer pour une Arabe, et raconte d'une manière fausse des histoires sur notre race et nos traditions. Elle gagne ainsi énormément d'argent dit-elle. »

Véritable auteure ou mystificatrice

En 1982, Paul Tabet, le fils de Raoul Tabet, le neveu-amant d'Elissa Rhaïs, publie chez Grasset un livre Elissa Rhaïs[20], dans lequel il affirme que son père lui aurait avoué être le véritable auteur des romans attribués à Rhaïs. Bien que ce livre ait fait beaucoup parler de lui dans les médias, que Paul Tabet ait eu l'honneur d'être interviewé par Bernard Pivot à Apostrophes le [21], la grande majorité des critiques universitaires spécialistes de la littérature maghrébine francophone, considèrent comme peu probables les allégations de Tabet[22].

Denise Brahimi, dans l'introduction intitulée Lire Elissa Rhaïs parle « d'un piètre scandale[23] ».

Dans le second numéro des Nouvelles littéraires traitant de l’Affaire Elissa Rhaïs, Paul Enckell se pose la question « Il n’y a pas d’affaire Elissa Rhaïs. Y a-t-il une affaire Paul Tabet ? »

Une étude approfondie sur le scandale provoqué par le livre de Paul Tabet, avec analyse de la position de nombreux critiques sur le sujet est réalisée par Mireille Rosello, de la Northwestern University sous le titre de Elissa Rhaïs; Scandals; Impostures; Who Owns the Story[24]?.

Le téléfilm Le secret d'Elissa Rhaïs[25] a été tourné pour la télévision en 1993 par le réalisateur Jacques Otmezguine d'après le livre de Paul Tabet. Le scénario reprend donc la thèse de ce dernier d'une façon romancée.

Notes et références

  1. L'écrivain Joseph Boumendil stipule que l'épisode du harem a été inventé par le romancier Paul Tabet.
  2. Jean Déjeux, Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française, , 404 p. (ISBN 978-2-86537-085-6, lire en ligne), p. 184.
  3. Vie d'Elissa Rhaïs overblog du 2 mai 2008, consulté le 6 juillet 2010
  4. Saâda la Marocaine; édition originale: Plon-Nourrit; 1919; ASIN: B001BTLP4E; réédition: éditeur: Bouchène; collection: Escales; 3 décembre 2002; (ISBN 2912946611); (ISBN 978-2912946614)
  5. Le café-chantant. kerkeb. noblesse arabe: édition originale: Plon-Nourrit; 1920; ASIN: B0000DNACV; réédition: éditeur: Bouchène; 19 mars 2003; (ISBN 2912946670); (ISBN 978-2912946676)
  6. Les Juifs ou la fille d’Eléazar: édition originale: Plon-Nourrit; 1921; ASIN: B0000DP862; réédition sous le titre La Fille d’Eléazar, L'Archipel, Collection Archipel.Archip, 5 février 1997 (ISBN 284187057X et 978-2841870578)
  7. La Fille des pachas: édition originale: Plon; 1922; ASIN: B0000DWWCM; réédition: éditeur: Bouchène; collection Escales, 19 mars 2003; (ISBN 2912946638); (ISBN 978-2912946638)
  8. La Fille du douar : édition originale: Plon-Nourrit; 1924; ASIN: B001BTPKLS
  9. La Chemise qui porte bonheur: édition originale: Plon-Nourrit; 1925; ASIN: B001BTLPCG
  10. L'Andalouse: édition originale: Fayard; 1925
  11. Le Mariage de Hanifa: édition originale: éditeur: Plon-Nourrit; 1926; ASIN: B001BTPKJK
  12. Le Sein blanc: édition originale: Ernest Flammarion; 1928; ABE:1329960586; réédition: éditeur: L'Archipel; collection: Archipel.Archip; 24 janvier 1996; (ISBN 2841870197); (ISBN 978-2841870196)
  13. Par la voix de la musique: édition originale: éditeur : Les Petits-fils de Plon et Nourrit; 1927; ASIN: B001BTLP5I
  14. La Riffaine. Petits Pachas en exil: édition originale: Ernest Flammarion; 1929; ASIN: B001BTK1QW
  15. La Convertie: édition originale: Ernest Flammarion; 1930; ASIN: B001BTLPBM
  16. Enfants de Palestine; réédition: éditeur: Manuscrit; 1er juin 2007; (ISBN 2748193784); (ISBN 978-2748193787)
  17. Comoedia / rédacteur en chef : Gaston de Pawlowski, [s.n.], (lire en ligne)
  18. auteur: Lucienne Favre; éditeur: Bernard Grasset; 1930; ASIN: B00183RZQK
  19. Élissa Rhaïs, conteuse algérienne (1876 -1940); Jean Dejeu; Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée (R.O.M.M); année 1984; volume: 37; pages: 47 à 79; consulté le 7 juillet 2010
  20. Paul Tabet, Elissa Rhaïs, Grasset; 5 mai 1982 (ISBN 224627611X) (ISBN 978-2246276111)
  21. (en) Apostrophes du 7 mai 1982; émission télévisuelle de Bernard Pivot
  22. Grandeur d'âme, exubérance des sens et sentiments exacerbés ; Blandine Longre ; critique du Café chantant, mai 2003, consulté le 7 juillet 2010
  23. Denise Brahimi: Actes du Congrès mondial des littératures de langue française; Responsable du volume : Giuliana Toso-Rodinis; éditeur: Centro Stampa di Palazzo Maldura; Padoue; 1984; pages: 463 à 471
  24. (en) Elissa Rhaïs; Scandals; Impostures; Who Owns the Story?, Mireille Rosello, Northwestern University, Research in African Litteratures, Volume 17, Numéro 1, printemps 2006, consulté le 7 juillet 2010
  25. Le secret d'Elissa Rhaïs; téléfilm de Jacques Otmezguine; 1993.

Annexes

Bibliographie

  • Jean-Pierre Allali, Elissa Rhaïs. La mystérieuse conteuse de Blida, Tribune juive, no 1369, 1996, page 29
  • Joëlle Bahloul, « Elissa Rhais » in: Anthologie des écrivains francophone du Maghreb, dirigée par A. Memmi, Seghers, 1985, pages 275-281
  • Albert Bensoussan, « L'image de la femme judéo-maghrébine à travers l'œuvre d'Elissa Rhais, Blanche Bendahan, Irma Ychou », Plurial, numéro spécial, La femme dans la société francophone traditionnelle, 1986, pages 29–34
  • Joseph Boumendil, Elissa ou Le mystère d'une écriture, enquête sur la vie et l'œuvre d'Élissa Rhaïs, Biarritz ; Paris : Séguier, 2008 (ISBN 978-2-84049-514-7)
  • Denise Brahimi, Femmes arabes et sœurs musulmanes, Tierce, collection Femmes et sociétés, Paris, 1984 (ISBN 2903144281 et 978-2903144289)
  • Guy Dugas, « Une expression minoritaire : La littérature judéo-maghrébine d'expression française » in: Littératures maghrébines, colloque Jacqueline Arnaud, Paris, 1990, pages 135–143
  • Guy Dugas, La Littérature judéo-maghrébine d'expression française: Entre Djéha et Cagayous, L'Harmattan, , (ISBN 2738408370 et 978-2738408372)
  • André Spire, « Un conteur judéo-arabe d'Afrique du Nord : Elissa Rhaïs » in: Souvenirs à bâtons rompus, Albin Michel, collection Spiritualité, (ISBN 222604776X et 978-2226047762)

Liens externes

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