Gouvernement Paul Reynaud

Le gouvernement Paul Reynaud ( - ) est l'avant-dernier gouvernement de la Troisième République. À partir de la fin du mois de mai 1940, un conflit s'y déroule entre les partisans de l'armistice avec l'Allemagne et ceux qui souhaitent poursuivre la guerre.

Gouvernement Paul Reynaud

Troisième République

Le gouvernement Paul Reynaud ().
Président de la République Albert Lebrun
Président du Conseil Paul Reynaud
Formation
Fin
Durée 2 mois et 26 jours
Composition initiale
Coalition Union nationale[1] (PRRRS - SFIO - USR - AD - PDP - FR - PSF)
Représentation
XVIe législature
389  /  608

C'est à l'issue de sa réunion à Bordeaux le que les premiers l'emportent et que Paul Reynaud présente sa démission au président de la République Albert Lebrun.

Composition

Portefeuille Titulaire Parti
Président du Conseil Paul Reynaud DVD
Vice-président du Conseil Camille Chautemps PRRRS
Philippe Pétain (à partir du ) SE
Ministres d’État
Ministres d’État Louis Marin (à partir du ) FR
Jean Ybarnégaray (à partir du ) PSF
Ministres
Ministre des Affaires étrangères Paul Reynaud DVD
Édouard Daladier (à partir du ) PRRRS
Paul Reynaud (à partir du ) DVD
Ministre des Finances Lucien Lamoureux PRRRS
Yves Bouthillier (à partir du ) SE
Ministre de la Guerre et de la Défense nationale Édouard Daladier PRRRS
Paul Reynaud (à partir du ) DVD
Ministre de la Justice Albert Sérol SFIO
Ministre de l'Éducation nationale Albert Sarraut PRRRS
Yvon Delbos (à partir du ) PRRRS
Ministre de l'Intérieur Henri Roy PRRRS
Georges Mandel (à partir du ) DVD
Ministre de la Marine militaire César Campinchi PRRRS
Ministre de l'Air Laurent Eynac PRRRS
Ministre du Commerce et de l’Industrie Louis Rollin DVD
Léon Baréty (à partir du ) AD
Albert Chichery (à partir du ) PRRRS
Ministre des Travaux publics Anatole de Monzie USR
Ludovic-Oscar Frossard (à partir du ) USR
Ministre de l'Agriculture Paul Thellier AD
Ministre du Ravitaillement Henri Queuille PRRRS
Ministre des Postes, Télégraphes, Téléphones et Transmissions Alfred Jules-Julien PRRRS
Ministre de l’Information Ludovic-Oscar Frossard USR
Jean Prouvost (à partir du ) SE
Ministre des Colonies Georges Mandel DVD
Louis Rollin (à partir du ) DVD
Ministre du Travail Charles Pomaret USR
Ministre de la Santé publique (jusqu’au ), puis Ministre de la Famille française Marcel Héraud AD
Georges Pernot (à partir du ) DVD
Ministre de la Marine marchande Alphonse Rio USR
Ministre des Anciens Combattants et des Pensions Albert Rivière SFIO
Ministre de l’Armement Raoul Dautry SE
Ministre du Blocus Georges Monnet SFIO
Sous-secrétaires d’État
Sous-secrétaire d’État à la Présidence du Conseil Paul Baudouin (du au ) SE
Sous-secrétaire d’État à la Vice-présidence du Conseil Robert Schuman PDP
Sous-secrétaire d’État chargé de la Défense nationale et de la Guerre Hippolyte Ducos (jusqu’au ) PRRRS
Charles de Gaulle (à partir du ) SE
Sous-secrétaire d’État à l’Intérieur Louis Jacquinot (jusqu’au ) DVD
Sous-secrétaire d’État à l’Économie nationale René Hachette (jusqu’au ) SE
Sous-secrétaire d’État aux Finances Joseph Laniel (jusqu’au ) DVD
Sous-secrétaire d’État aux Travaux publics Fabien Albertin (jusqu’au ) SFIO
André Février (à partir du ) SFIO
Sous-secrétaire d’État chargé des Affaires étrangères Auguste Champetier de Ribes (jusqu’au ) PDP
Paul Baudouin (à partir du ) SE
Sous-secrétaire d’État à l’Armement François Blancho (jusqu’au ) SFIO
Sous-secrétaire d’État aux Fabricants de l’Air Jules Mény SE
Sous-secrétaire d’État à l’Information André Février (du au ) SFIO
Sous-secrétaire d’État à la Marine marchande Noël Pinelli (jusqu’au ) SE
Sous-secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie Amaury de La Grange (jusqu’au ) SE
Sous-secrétaire d’État à la Marine militaire Jean Le Cour-Grandmaison (du 21 au ) SE

Investiture

Le gouvernement de Paul Raynaud obtient l'investiture à l'Assemblée nationale avec une voix de majorité, le [2]. À propos de cette majorité décrochée in extremis, le général de Gaulle rapporte dans ses mémoires que le président de la Chambre des députés, Édouard Herriot, lui aurait confié plus tard n'être « pas très sûr qu'il l'ait eue[3]. »

Siège du gouvernement

Une du journal L'Ouest-Éclair du , évoquant la formation du gouvernement Paul Reynaud.

À la suite de la guerre d'Hiver contre la Finlande lancée par l’URSS[4], et de la non-intervention de la France, le Gouvernement Daladier est renversé le . Le président Albert Lebrun nomme Paul Reynaud le , président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. Édouard Daladier est néanmoins présent en tant que ministre de la Défense nationale et de la Guerre dans le cabinet de son successeur.

Le 10 juin, en prévision de l'entrée des Allemands à Paris, les pouvoirs publics se réfugient à Tours, puis à Bordeaux, le 16 juin. Le président du Conseil s'installe dans l’hôtel du commandant de la XVIIIe région militaire dont le bâtiments est situé rue Vital-Carles, non loin de l'hôtel du préfet de la Gironde[5].

Drôle de guerre

Dès avril, un rapport du député français Pierre Taittinger signale les faiblesses militaires françaises du secteur de Sedan. Mais rien n'y fit, bien que le commandant en chef français, le Général Gamelin, eût été prévenu, en janvier, que l'Allemagne allait attaquer dans les Ardennes[6].

À la suite de sabotages attribués aux communistes, des accidents surviennent à des avions sortant des usines Farman de Boulogne-Billancourt, provoquant la mort de pilotes. Le décret-loi du 9 avril 1940, présenté au président de la République par le ministre SFIO Albert Sérol (J.O. du ), prévoit la peine de mort pour propagande communiste, l'assimilant à la propagande nazie. En avril-mai, une deuxième vague de répression contre les communistes fera grossir le nombre des internés d'au moins 160[7].

Les mines de Kiruna (Suède) fournissent la moitié des importations en fer de l'Allemagne et 10% pour le Royaume-Uni, indispensable pour la guerre. Le fer suédois transitait alors par la ligne de chemin de fer Malmbanan/Ofotbanen jusqu'au port de Narvik (Norvège) qui offrait un accès direct à la mer de Norvège et qui est le seul port praticable en hiver, en raison des glaces qui obstruent les ports du nord de la Baltique. Les Britanniques et Paul Reynaud, voulant occuper la Norvège pour interrompre l'approvisionnement de minerai de fer de Suède vers l'Allemagne, lancent l'opération franco-britannique de Narvik pour mouiller des mines dans les eaux territoriales de la Norvège sans avoir obtenu au préalable l'autorisation du gouvernement d'Oslo. Reynaud proclame alors : « la route du fer est coupée ! ». Le , les Allemands envahissent le Danemark et la Norvège : Opération Weserübung. Les Alliés s'engagent à venir au secours de la Norvège et envoient un corps expéditionnaire franco-anglais. Le , les Allemands se réfugient dans les montagnes enneigées qui bordent Narvik laissant la ville aux mains des Alliés jusqu'au départ des troupes alliées rembarquées pour la bataille de France.

Invasion allemande de la France

Daladier et le généralissime Gamelin sont les adversaires de Reynaud qui a en tête de remplacer Gamelin. Devant la tournure que prennent les événements, une crise gouvernementale éclate aboutissant à la démission de Reynaud le 9 mai 1940, mais le Fall Gelb (Plan Jaune), dans la nuit du 9 au 10, à 4h30 aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg, mettant fin à la drôle de guerre, conseille au président Lebrun de demander à Reynaud de se rétracter le . Paul Reynaud songe à utiliser le prestige du maréchal Pétain auprès des Français et lui propose en vain, début mai, d'entrer au gouvernement[8]. Pour Reynaud, il s'agit de remonter le moral des Français, de resserrer les rangs et de renforcer sa propre image au parlement[9]. Comme la plupart de ses ministres ou des parlementaires, Paul Reynaud sous-estime le vieil homme initialement taciturne et passif qu’est Pétain, et il n’imagine pas qu’il puisse jouer plus qu’un rôle purement symbolique[10] Franco avait conseillé à l'ambassadeur de ne pas accepter d’apporter sa caution à ce gouvernement.

Les autorités belges[11] expulsent en France des milliers de juifs, dont Léo Ansbacher et Nathan Kornweitz[12] qui sont internés au camp Saint-Cyprien .

Percée de Sedan

Le , les Allemands atteignent la Meuse française, et la franchissent. Le soir vers 21h00, les Allemands attaquent vers Sedan. Toute la semaine suivante sera caractérisée par une consternante absence de réaction du haut commandement. Le , les troupes allemandes traversent les Ardennes, franchissent la Meuse au cours de la journée et encerclent Sedan. Le , elles enfoncent le département de l'Aisne. Le général Gamelin n'a pas de réserve française pour contre-attaquer. L’État-major français ordonne le repli sur une ligne allant de Anvers à Laon le . Les civils se ruent sur les routes à la suite de l’armée française en un véritable exode. Paul Reynaud reprend alors le portefeuille de la Guerre à Édouard Daladier.

Le , la circulaire du Gouvernement Reynaud prévoit le regroupement et l'internement dans des camps de tous les ressortissants étrangers des nations ennemies âgés de 17 à 56 ans, sans exemption possible. Ils sont dirigés vers le camp de Saint-Cyprien et ceux qui sont dangereux, vers Le Vernet d'Ariège. Alfred Kantorowicz[13], écrivain juif allemand réfugié en France, est interné au camp des Milles. Le , alors que jusqu'à présent l'internement ne concerne que les hommes, les mêmes mesures touchent les femmes de 17 à 67 ans (sauf les femmes mariées à un Français ou les mères d'enfants français). Hannah Arendt, Adrienne Thomas, Lou Albert-Lasard, Charlotte Salomon, Thea Sternheim, Greta Saur et Maria Leitner, réfugiées juives allemandes pour les cinq premières et austro-hongroises pour les deux dernières, qui avaient fui le régime nazi, sont internées au camp de Gurs, comme la Russe Mollie Steimer[14]. Le camp de Gurs enferme 12 860 juifs immigrés de toutes nationalités – sauf français. Les militantes politiques sont internées à Rieucros.

Le , Reynaud s'adjoint le maréchal Pétain comme vice-président et Georges Mandel, l'ancien chef de cabinet de Clemenceau, comme ministre de l'Intérieur. Le général Weygand arrive en France le et remplace le général Gamelin, qui trop passif, est écarté de la tête des armées françaises. La nomination de Pétain est bien accueillie dans le pays, au Parlement et dans la presse, quoiqu'elle reçoive moins de publicité que celle de Weygand comme généralissime ou que celle de Georges Mandel, partisan de la résistance à tout prix, comme ministre de l'Intérieur[15].

Le 18 mai, la percée de l'armée allemande arrive à Cambrai, Saint-Quentin et Péronne. Le 19 mai, elle arrive aux portes d'Amiens. Dans la nuit du 19 au 20 mai, en pleine panique face à l'avance allemande et probablement sous l'emprise de l'alcool[16], des militaires français exécutent 21 personnes de sept nationalités à Abbeville. Amiens est prise le à 9 h, puis les Allemands descendent la Somme vers Abbeville, qu'ils atteignent dans l'après-midi, et enfin Noyelles-sur-Mer et la Manche vers 20 h 00, isolant la majeure partie des forces françaises dans la poche de Dunkerque. Le général Weygand espère encore arrêter l'offensive allemande sur la « ligne Weygand », suivant le cours de l'Aisne, de l'Ailette, du canal Crozat et de la Somme jusqu'à son embouchure, et tente de reprendre Amiens jusqu'au .

Embarquement de Dunkerque

Le , de Abbeville, les Allemands remontent sur Arras pour prendre Dunkerque en tenaille.

Le , l'armée anglaise de lord Gort se replie sur Dunkerque en vue d'y rembarquer[17]. Le , un conseil de guerre se déroule à l’Élysée, réunissant le président de la République Albert Lebrun, le président du Conseil Paul Reynaud, Philippe Pétain, le ministre de la Marine César Campinchi et Maxime Weygand. C'est à cette réunion que l'hypothèse d'un armistice est évoquée pour la première fois par le président de la République Albert Lebrun. Paul Reynaud s'oppose à cette idée et se montre partisan d'une poursuite de la guerre aux côtés des Britanniques. Maxime Weygand, dont l'influence va au-delà de son rôle militaire, ne s'affiche pas partisan de l'armistice, mais le juge sans doute déjà inéluctable[18]. Le colonel de Gaulle est nommé général de brigade, à titre temporaire avec effet au 1er juin. Le , dans une note à Paul Reynaud, Pétain refuse de considérer les chefs militaires comme responsables de la défaite, et rejette la responsabilité du désastre sur « les fautes que [le pays] a et que nous avons tous commises, ce goût de la vie tranquille, cet abandon de l'effort qui nous ont amenés là où nous sommes[19] ». Cette interprétation moraliste de la défaite n'est pas sans annoncer les appels à la contrition nationale et la politique de Révolution nationale qui caractériseront le régime de Vichy.

Après la campagne des 18 jours, Churchill replie ses troupes en Angleterre (Évacuation de Dunkerque). Vaincu à la bataille de la Lys le par rupture de munitions, le roi des Belges Léopold III ordonne la reddition et la capitulation militaire de l'armée belge (sans armistice politique) le à 04 h 00 du matin. Du côté de la ligne Weygand, pour ouvrir un couloir sur Dunkerque, les Français lancent plusieurs offensives qui ne peuvent rejoindre l'armée française de Dunkerque qui finit d’embarquer pour l’Angleterre le en abandonnant un important matériel aux Allemands.

Le , l'armée allemande ayant pris la poche de Dunkerque, redescend sur la Somme pour percer la ligne Weygand. Le maréchal Pétain fait preuve de pessimisme devant l’ambassadeur américain Bullitt. Accusant l'Angleterre de ne pas fournir une aide suffisante à la France en péril, il lui explique qu'en cas de défaite « le gouvernement français doit faire tout son possible pour venir à composition avec les Allemands, sans se préoccuper du sort de l’Angleterre[20] ».

Le , la Wehrmacht lance l'Opération Fall Rot (Plan Rouge) sur la Somme entre Amiens et La Manche, faisant route vers Rouen et Paris, puis le sur l'Ailette.

Remaniement ministériel

Le , Paul Reynaud remanie son gouvernement, qui intègre de Gaulle comme sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale[21]. Le général Mandel a une influence directe dans ce choix, pour représenter la France à Londres, conformément au vœu de Churchill, et pour lequel Reynaud a une grande estime, malgré l'opposition de plusieurs membres du gouvernement, et que Albert Lebrun n'aime pas. De retour de Londres, de Gaulle part au PC du général Hunzinger, commandant du groupe d'armées Centre, sonder ce dernier pour remplacer Weygand comme généralissime à la tête des armées françaises[22] mais le projet n'aura pas de suite[23]. Le maréchal Pétain ne réagit pas lorsque le général Spears, représentant de Churchill auprès du gouvernement français, l'avertit que si la France s'entendait avec l'Allemagne, « elle ne perdrait pas seulement son honneur, mais, physiquement, elle ne s’en relèverait pas. Elle serait liée à une Allemagne sur la gorge de laquelle nos poings ne tarderont pas à se refermer[20]. » Le gouvernement français est divisé en deux parties, une minoritaire, les tenants d'un armistice avec l'Allemagne pour éviter l’anéantissement et l'occupation totale du pays, groupés autour du maréchal Philippe Pétain et du général Weygand, en face des partisans de la continuation des combats, tels Georges Mandel et le général De Gaulle. Le président de la République Albert Lebrun et Paul Reynaud veulent continuer les combats en Afrique du Nord.

Approche allemande sur Paris et repli du gouvernement

Le , le front français est percé sur la Somme (→ Bataille de l'Ailette), l'armée française se replie sur la Seine, abandonnant Noyon qui est prise le soir et Soissons qui est prise le . Le GQG se replie sur la Loire à Briare. Les troupes allemandes atteignent la Seine à Rouen le .

Le , l'Italie de Mussolini déclare la guerre à la France, contrairement à l'Espagne de Franco qui refuse. Les Allemands percent le front français sur l'Aisne et encerclent Reims. Ils franchissent la Seine à Elbeuf, se dirigeant vers Évreux, qu'ils ont bombardé [24]. Devant la rapidité de l'invasion allemande, lorsque les troupes allemandes s'approchent de Paris menacé, le gouvernement Reynaud déplace son siège à 200 km au sud de Paris, sur Tours et les châteaux environnants le au soir. Dans l'après-midi, Reynaud, lors d'une réunion au PC du général Doumenc dans le manoir de Vaugereau, avec Pétain (vice-président du Conseil) et le général Weygand, accepte la proposition de ce dernier de déclarer Paris « ville ouverte »[25]. Le , la ligne de défense française reconstituée sur la Somme et sur l’Aisne cède. Deux millions de Parisiens fuient l'arrivée des Allemands. Des bagarres ont lieu pour pouvoir prendre les trains (trains d'abord de voyageurs puis devant l'afflux, réquisition de trains de bestiaux)[26]. Une partie de l'armée française et anglaise se trouve enfermée dans la poche du Havre, et doit embarquer (Opération Cycle).

Conseil suprême interallié

Le , Winston Churchill et son secrétaire d'État à la Guerre Anthony Eden arrivent à Briare pour conforter Paul Reynaud. Churchill remarque le seul membre du Gouvernement français à ne pas sombrer dans le pessimisme, le général de Gaulle. Le général Maxime Weygand demande l’intervention des 25 escadrilles de chasse de la RAF qui avaient été promises, mais Churchill refuse car il veut les réserver pour la défense contre une attaque directe du territoire de l'Angleterre.

Le , Pétain favorable à l’armistice, lit au conseil des ministres une note dans laquelle il déclare qu’il n’est aucunement question pour lui de quitter la France pour poursuivre la lutte[27]. L'ultime réunion du Conseil suprême interallié se tient à Tours. Reynaud déclare que sans une aide immédiate des États-Unis, la France est physiquement incapable de continuer et va abandonner le combat, rompant l'accord de ne jamais conclure une paix séparée entre la France et le Royaume-Uni[28]. Stupéfait et consterné, Churchill répond : « Nous devons nous battre, nous nous battrons, et c'est pourquoi nous devons demander à nos amis de se battre. » Reynaud affirme que la France continuera aussi le combat depuis l'Afrique du Nord, si les États-Unis étaient prêts à rejoindre le combat. Reynaud demande aux Britanniques de la compréhension et de libérer la France de son obligation de ne pas conclure une paix séparée[29]. Les dirigeants britanniques rentrent à Londres. Paul Reynaud tente de persuader Weygand de faire capituler l'armée et de transférer la Marine et l'Aviation en Afrique du Nord pour continuer la guerre. Malgré son refus, Reynaud ne le révoque pas. Weygand replie les troupes sur la Loire pour en faire un dernier obstacle à l'avancée allemande. À l'Est, les Allemands menacent d’encercler la 8e armée française qui gardant le Rhin en Alsace, se replie sur les Vosges et la poche de Belfort. Le gouvernement Reynaud hésite entre prendre la direction de la Bretagne ou de Bordeaux, et finalement se replie sur ce dernier le 13 au soir.

Dans la soirée du jeudi , à la préfecture de Tours, Georges Mandel est prévenu par Jean Laurent, chef du cabinet civil de Charles de Gaulle, que le Général souhaite remettre sa lettre de démission en réaction aux manœuvres des ministres partisans de l'armistice. Fermement opposé à ceux-ci, le ministre de l'Intérieur prie de Gaulle de venir le voir, puis l'incite à conserver la légitimité conférée par son appartenance au gouvernement : « De toute façon, nous ne sommes qu'au début de la guerre mondiale. Vous aurez de grands devoirs à accomplir, Général ! Mais avec l'avantage d'être, au milieu de nous tous, un homme intact. Ne pensez qu'à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses. » La résolution de Mandel impressionne de Gaulle, qui relate la scène dans ses Mémoires de guerre : « C'est à cela qu'a peut-être tenu, physiquement parlant, ce que j'ai pu faire par la suite[30]. » Le général part à Londres le .

Le vendredi , les Allemands font leur entrée à Paris, qui se met à l'heure de Berlin. Le gouvernement français arrive à Bordeaux. Pétain se confirme comme le chef de file des partisans de l’armistice, et met sa démission dans la balance.

Dans un appel téléphonique dans la soirée du , le général Alan Brooke persuade Winston Churchill, qu'il n'avait aucune chance de succès et que le plan français de faire retraite et de prendre position en Bretagne n'était pas réaliste, et que toutes les troupes britanniques en France devaient être désengagées et évacuées depuis Cherbourg, Saint-Malo, Brest, Saint-Nazaire et La Pallice (Opération Ariel)[31].

Le , les Allemands franchissent le Rhin en Alsace.

Pour réaliser son projet de poursuivre le combat dans le « réduit breton », de Gaulle part à Rennes, mais la ville est prise le jour même par les Allemands. Le soir, de Gaulle embarque à Brest pour Plymouth en Grande-Bretagne [32] pour organiser l'aide de navires britanniques pour le transfert des troupes françaises en Afrique du Nord.

Le , à Londres, le général de Gaulle déjeune avec Churchill et discute avec lui du projet d'union entre la Grande-Bretagne et la France : l'union franco-britannique de Jean Monnet qui fusionnerait les nations et institutions françaises et britanniques pour continuer la guerre avec leurs empires coloniaux combinés[33]. Le gouvernement de Churchill accepte le projet d'Union franco-britannique.

Dernier conseil des ministres (16 juin 1940)

Le dernier conseil des ministres du 16 juin 1940, se tient dans le grand salon soré de l’hôtel de Nesmond à Bordeaux, aujourd'hui résidence des préfets de Gironde.

Le dimanche , les Allemands arrivent à Orléans, ville déserte bombardée à plusieurs reprises par leur aviation[34]. Les ponts routiers (Joffre et George-V) sont détruits pour empêcher la progression des Allemands vers le sud. Seul le pont de chemin de fer ou pont de Vierzon n'a pu être détruit, laissant les troupes allemandes rejoindre la rive gauche de la Loire. Les Allemands passent la Loire en plusieurs points entre Gien et Nantes. Les troupes françaises déplorent soixante mille morts en cinq semaines de combats[35]. Dans l'après-midi du dimanche , Paul Reynaud réunit le gouvernement à Bordeaux pour lui soumettre le projet d'union des nations française et britannique, défendu par Winston Churchill et Charles de Gaulle. Mais il ne rencontre aucun écho parmi la majorité des présents, selon les mémoires de Reynaud[36], et à la place est acceptée la proposition de Camille Chautemps consistant à demander à l'Allemagne ses conditions pour un armistice. Les ministres se divisent alors en une dizaine de partisans de la poursuite de la guerre (Paul Reynaud, Georges Mandel, César Campinchi, Louis Marin ...), environ sept fermes partisans de l'armistice (Philippe Pétain, Yves Bouthillier, Jean Prouvost, Jean Ybarnégaray...), et des indécis plutôt marqués par le climat d'effondrement. Cependant la question n'a pas donné lieu à un vote formel.

Démission et succession

Alors que Lebrun, Reynaud, Jeanneney, le président de la Chambre des députés Herriot, Mandel et de Gaulle pensent que la poursuite de la lutte est possible depuis l'Afrique du Nord et l'Empire[37], la position pour l'armistice du général Weygand, du maréchal Pétain et Pierre Laval, emporte la décision de la majorité du Conseil des ministres. Le point d'accord entre Pétain et Laval, pariant sur une victoire finale du Reich, est leur volonté de cesser un combat jugé « meurtrier et inutile » et bénéficie du soutien de la grande majorité des Français. Le courant de l'armistice devient progressivement majoritaire, à l'issue de la réunion à Bordeaux, Paul Reynaud[38], qui n’a pu obtenir des États-Unis une promesse d’engagement militaire, présente la démission du Gouvernement et suggère, suivi en cela par les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, de confier la présidence du Conseil au maréchal Pétain, choix aussitôt approuvé par le président de la République Albert Lebrun le 16 juin en début de soirée[27] : « Ah ! quel malheur quand, dans l'extrême péril, ce sont les généraux qui se refusent à combattre[37] ! ».

Le général De Gaulle rentre le soir même à Bordeaux (21 h 30) pour faire signer le projet d'union franco-britannique par le président du Conseil mais Paul Reynaud a démissionné il y a quelques minutes.[39]

Albert Lebrun appelle aussitôt sur proposition de Reynaud, le maréchal Pétain, partisan de l'armistice, à former le nouveau gouvernement, le gouvernement Philippe Pétain qui sera le dernier de la Troisième République.

Dans la matinée du , de Gaulle repart à Londres dans l'avion du général Edward Spears, en faisant croire à un enlèvement[40] et peut ainsi rencontrer à nouveau Churchill à 14h30[40]. Ils conviennent que dès l'annonce de l'ouverture de négociations d'armistice par le nouveau gouvernement français, de Gaulle pourra lancer un appel à BBC pour la poursuite du combat.

Pétain annonçant une négociation d'armistice ce même jour, Churchill donne formellement son accord le lendemain, et de Gaulle prononce alors l'appel du 18 juin.

Les conditions de l'armistice sont communiquées par les Allemands le à Pétain, qui face à un Lebrun qui refuse de se mettre en retrait, obtient le 10 juillet un vote des deux chambres réunies qui lui confient les pleins pouvoirs constituants pour signer l'armistice et résoudre la crise politique.

Notes et références

  1. « Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly) », sur assemblee-nationale.fr (consulté le ).
  2. Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire » (no 73), , 445 p. (ISBN 2-02-006777-3), p. 388.
  3. Charles de, Impr. CPI Brodard & Taupin), L'appel 1940-1942, vol. 1, Pocket, impr. 2010 (ISBN 978-2-266-20599-3 et 2-266-20599-4, OCLC 690860234, lire en ligne), p. 36.
  4. L'URSS est encore officiellement alliée de l’Allemagne à la suite du pacte germano-soviétique et de l'attaque conjointe de la Pologne en , elle craint toutefois une intervention allemande contre la Finlande qui menacerait son propre accès à la mer Baltique, dans le cas d'un encerclement de Leningrad et des pays baltes.
  5. Site rue89bordeaux.com, article "Le 16 juin 1940 : une république est morte à Bordeaux", consulté le 22 octobre 2020.
  6. Karl-Heinz Friezer, Le mythe de la guerre éclair, p. 101, l'« incident de Mechelen-sur-Meuse », éd.Belin, Paris 1995.
  7. Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier, juin 1940, la négociation secrète, Les éditions de l'Atelier, 2006, p. 80.
  8. Amouroux 1976, p. 360.
  9. Ferro 2009, p. 7-11.
  10. Amouroux 1976, p. 360-361.
  11. le 10 mai 1940 les autorités belges avaient raflé et déporté vers la France tous les ressortissants allemands âgés de 17 à 56 ans exilordinaire.org
  12. Traces & empreintes, « Les arrestations du 10 mai 1940 », sur le site jewishtraces.org.
  13. Alfred Kantorowicz, Exil in Frankreich, Hambourg, Christian Verlag, 1983, p. 35.
  14. Camp dont elles parvinrent à s'enfuir avant de rejoindre les États-Unis pour les deux premières et Marseille pour la dernière.
  15. Amouroux 1976, p. 357.
  16. Paul Aron, José Gotovitch, Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, éditions André Versaille, Bruxelles, 2008, (ISBN 9782874950018), p. 420 et sq.
  17. Lord Keyes, Un règne brisé, p. 322, 323, 324, déclaration des généraux Pownall et Gort au colonel Davy « nous nous fichons complètement de ce qui peut arriver aux Belges ».
  18. Crémieux-Brilhac 1990, p. 571.
  19. Crémieux-Brilhac 1990, p. 572.
  20. Amouroux 1976, p. 372.
  21. http://www.cndp.fr/entrepot/index.php?id=1109
  22. Guichard 2008, p. 319-322.
  23. Selon De Gaulle, Huntziger avait accepté et il avait informé Reynaud de cet accord, Huntziger le niera par la suite. Reynaud dans les quelques jours qui lui restent à la tête du conseil ne donnera pas suite à cette nomination.
  24. Guichard 2008, p. ?.
  25. Guichard 2008, p. 322.
  26. Les routes de l'exode en 1940, chemins croisés: réfugiés espagnols et l'exode des Français Intervention d'Éric Alary sur France Inter, 31 juillet 2010
  27. Ferro 2009, p. 75-103.
  28. Accord donné lors de la réunion du Conseil suprême à Londres le 28 mars 1940.
  29. (en) Sir Edward Spears, The Fall of France, Londres, Heinemann, , 333 p., p.199-208
  30. Favreau 1996, p. 385-386.
  31. Alanbrooke, War Diaries 1939–1945, entry 14 June 1940
  32. De Gaulle entre deux mondes: une vie et une époque de Paul-Marie de la Gorce 1964, p. 160
  33. The End of the Affair - the Collapse of the Anglo-French Alliance, 1939 - 40 d'Eleanor M Gates, 1981.
  34. (fr) Histoire de la ville d'Orléans, consultée le 5 mai 2013
  35. « France 1940 – Autopsie d'une défaite », dans L'Histoire, avril 2010, no 352, p. 59.
  36. Léon Noël, « Le projet d'union franco-britannique : de juin 1940 », Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no 21 (6e année), , p. 29 (JSTOR 25731563).
  37. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre – Le salut : 1944-1946 (tome III), éd. Plon, Paris, 1959 ; rééd. Pocket, 1999 (nouvelle édition 2006), 567 p. (texte intégral) (ISBN 2-266-16750-2 et 978-2266167505), p. 31-32.
  38. Amouroux 1976, p. 478.
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