Banque Gran Tavola

La banque Gran Tavola, en français banque Grande Table[1], est une banque du XIIIe siècle, fondée en 1255 par Orlando di Buonsignori dans la république de Sienne en Italie. Elle fut l'une des plus influentes en Europe entre 1255 et 1298.

Exerçant ses activités en Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et au Levant, elle exerçait des fonctions bancaires pour la papauté et les royautés mais également des activités de marchand-banquier particulièrement dans les foires de Champagne.

Les débuts et la montée en puissance de la banque

À l’aube du XIe siècle, l’économie en Europe est en expansion, tout comme la démographie et ce, jusqu’à la grande peste noire de 1348. Les foires commerciales de Champagne, avaient débutées tout comme les Croisades vers la Terre Sainte. Les marchands italiens étaient au centre de toute cette activité commerciale terrestre et maritime, mais aussi financière. Ils importaient des épices, de la soie, du coton, de la laine, des céréales, de l’alun et de l’or du Levant vers l’Italie et le nord de l’Europe, tandis qu’ils exportaient vers le Levant du bois, du fer, de l’étain, et de la main d’œuvre[2]. Les marchands de partout en Europe se présentaient aux foires avec différentes monnaies et l’activité de changeurs monétaires (cambistes) devint très importante. Ces marchands avaient parfois aussi besoin de crédit ou voulait pouvoir encaisser le produit de leurs ventes à un endroit déterminé et aussi payer des fournisseurs dans une devise déterminée à un endroit et à un moment donné. D’où la nécessité de la création de la lettre de change. Ces lettres permettaient aussi de contourner l’usure (prêt avec intérêt), que le concile du Latran de 1215 avait prohibé.

Néanmoins, le plus important client des banques était la papauté avec son système de taxation du clergé qu’Innocent III avait mis en place entre 1198 et 1216[3]. Les papes avaient besoin d’agents pour collecter leurs recettes pontificales à travers l’Europe mais aussi de pouvoir transférer les fonds vers Rome et de pouvoir effectuer des prêts à différents endroits en Europe afin de remplir leurs objectifs politiques, financiers, économiques et religieux.

Les Templiers, qui ont d’ailleurs inventé la comptabilité en partie double[4], avaient été les banquiers de la papauté depuis les premières croisades[5] et ils avaient fait évoluer les techniques bancaires établies dans l’Antiquité. Leur montée en puissance et la critique de certains de leurs activités et agissements, de même que l’augmentation de la complexité financière des affaires papales a poussé les papes à se tourner vers les banquiers italiens. Les marchands banquiers de Sienne étaient parfaitement placé pour remplir ce rôle[6], bien que les premières mentions de banques italiennes semblent venir de Gênes vers 1150[7] et plutôt vers 1200 pour Sienne[8].

À cette époque, Sienne était une jeune commune italienne de Toscane dont son plus grand avantage était, en plus d’être près de Rome, sa localisation à la jonction de plusieurs routes importantes qui permettaient de se déplacer à l’intérieur de l’Italie, dont vers Rome, mais aussi vers la Suisse, la Francie et la Germanie[9]. Sienne ne bénéficiait pas d’un approvisionnement en eau suffisant pour proliférer dans l’industrie du textile. Cependant, elle avait accès à des mines d’argent près de la commune qui permettait la frappe de monnaies (création de la monnaie)[10].

Ainsi nait à Sienne les premières grandes banques marchandes, dont celles des Piccolomini en 1193 et des Buonsignori dès 1209 (l’ancêtre de la Gran Tavola)[11]. Dès 1220 et surtout après 1230, les Siennois acquièrent une stature internationale en intensifiant leurs opérations en Champagne et avec la Curie[12]. Celle des Buonsignori était constituée comme une societas, soit une entreprise à responsabilité illimitée et conjointe des associés normalement avec un noyau d’associés d’une même famille. Les contrats d’une societas avaient différents termes et certains ne duraient que quelques années et ils devaient être renouvelés[13]. La societas des Buonsignori fût d’ailleurs la première enregistrée à Sienne et comptait, en plus des Buonsignori, 7 marchands-investisseurs. Elle avait initialement pour bût d’importer du sel à Sienne[14].

Les activités financières entre la papauté et les Buonsignori avait débutées, mais dès 1230, elles se mirent à croitre pour atteindre leurs apogées durant les années 1260[15]. La banque Gran Tavola fût fondée par Orlando di Buonsignori, après la mort de son frère Bonifazio, en 1255. Les Buonsignori avaient développé une relation rapprochée avec le pape Innocent IV (1243-1254) qui était en conflit avec l’empereur Frédéric II. Cette relation étroite se poursuivie sous le pape Alexandre IV (1254-1261) et de nouveaux associés furent ajoutés afin d’augmenter le capital de la banque et de financer les activités anti-Hohenstaufen des papes. Alexandre IV utilisait aussi les services de la banque siennoise Tolomei[16].

Sienne était une commune Gibeline Hoenstaufen, ce qui créait des tensions dans la commune pour les Buonsignori qui travaillait pour la papauté malgré que la famille était, elle aussi, d’allégeance Gibeline. Florence était Guelfe et était souvent en guerre avec Sienne. D’ailleurs, Alexandre IV excommunia Sienne en novembre 1260 alors qu’elle avait vaincu Florence à Montaperti.

Urbain IV remplaça Alexandre IV en 1261 après sa mort. Malgré les allégeances Gibelines de Sienne, étant donné la force économique des Buonsignori, il les conserva comme banquiers et alla même jusqu’à les introduire au roi d’Angleterre. Clément IV arriva en 1265 et utilisa toutes ses ressources financières pour supporter Charles d'Anjou contre Manfred pour le contrôle du sud de l’Italie. Encore une fois la Gran Tavola était impliquée et elle avait le quasi-monopole des affaires papales à cette époque. Charles d’Anjou vaincu le dernier Hoenstaufen, Confradin, en 1268. Après quelques guerres, Charles d’Anjou converti Sienne en Guelfe en 1270. Orlando di Buonsignori dû quitter la commune, mais il continua de s’occuper des affaires de la papauté. Il mourût un peu après en 1273.

Les banques de Sienne étaient impliquées aussi dans les affaires des foires de Champagne dès 1222, dont celle des Buonsignori, et ce durant tout le XIIIe siècle[17]. La première présence de la banque en France à Paris semble être en 1250. Ils ont aussi été très impliqués à Gênes dès 1253 où ils ont tenté de battre de la monnaie sans succès avec la banque génoise Leccacorvo[18].

Le déclin et la fin

Les descendants de Bonifazio et d’Orlando di Buonsinori continuèrent de diriger la banque, mais leur contrôle n’était pas aussi ferme depuis la mort d’Orlando : d’autres associés étaient devenus importants. À partir de 1275, les Angevins et les papes continuèrent d’utiliser la Gran Tavola, mais dans une moindre mesure, mais il semble tout de même que d’importants dépôts étaient toujours dans les coffres de la Gran Tavola. Les relations entre les Angevins et la papauté s’envenima et en 1282, la Sicile fût perdue auprès du Royaume d'Aragon. Pendant ce temps, la papauté avait débuté à utiliser de plus en plus les banquiers florentins sous Boniface VIII[19].

Malgré les tensions avec les Angevins, la papauté continua de les financer afin de les aider à reprendre le Royaume de Sicile. Durant les années 1280, les papes utilisaient toujours la Gran Tavola dans le nord de la France, en Angleterre, en Écosse, au Danemark et en Allemagne[20]. Honorius IV (1285-1287) réutilisa à nouveau la banque afin de reconquérir la Sicile et lors de la Croisade. Les Buonsignori étaient redevenus importants sous Nicolas IV (1288-1299) qui les utilisa pour financer le fils de Charles d’Anjou afin de reprendre la Sicile.

L’expansion du commerce textile de Florence faisait qu’il n’était plus profitable d’importer des produits finis du nord de l’Europe vers le sud. Ainsi, vers la fin du XIIIe siècle, les foires de Champagne sont devenues moins populaires étant donné les déplacements de la fabrication et des trafics commerciaux. Le florin en or de Florence avait aussi été créé en 1255 et la place de l’argent diminuait. Les conflits continuels entre la France et l’Angleterre rendaient les relations d’affaires très difficiles pour les banques de Sienne et les princes devenaient de plus en plus capricieux et ne voulaient plus honorer leurs prêts. La papauté était aussi en conflit avec le roi de France. Florence trafiquait beaucoup maintenant avec les Angevins dans le sud grâce à son industrie textile. Ainsi, une perte de confiance s’installa chez les déposants envers les banques siennoises et des retraits massifs eurent lieu. Les actifs des banques n’étaient pas suffisamment monnayables devant cette masse de retraits. Les associés étaient aussi souvent en conflit entre eux. Ceci fit en sorte que la Gran Tavola entra dans une phase de restructuration et de changement d’associés.

En 1289, de nouveaux associés arrivèrent. Plusieurs quittèrent et furent remboursés[21]. Le contrat de sociedas fut renouvelé en 1292 et en 1295 avec encore quelques changements encore au niveau des associés. Le fait que les associés étaient conjointement et solidairement responsable de toutes les pertes de la société les rendait très nerveux. Lors du renouvellement du contrat de la societas en août 1298, tous les associés, sauf un, qui ne faisant pas partis de la famille Buonsignori, firent une pétition pour une restructuration de la banque auprès du conseil général de la commune de Sienne, qui selon eux, avait grandement bénéficié du succès de la Gran Tavola durant tout le XIIIe siècle[22].

Le coup de grâce pour la banque fût lorsque le roi Français Philippe IV emprisonna et gela tous les actifs des marchands siennois en France en juillet 1307 alors qu’il demandait un remboursement de 54 000 livres Tours par la Gran Tavola[23]. Les marchands de Sienne durent payer le roi à la place de la banque. S’ensuivit un long processus de négociation des marchands auprès du conseil général de Sienne afin qu’ils puissent se faire rembourser par les associés de la banque au prorata de leur participation et que si un associé était incapable de payer, les autres, incluant les descendants, devenaient responsable de la créance toujours selon sa participation[24]. La famille Buonsignori repaya 19 000 livres Tours en 1309[25]. À la fin de 1310, malgré les lentes tergiversations du conseil général de la commune, les actifs de la banque avaient été liquidés et les marchands de la commune furent repayés. Devant cette crise de confiance, les autres banques siennoises se mirent toutes à tomber dont la Tolomei en 1313, deuxième en importance.

Au début des années 1340, à la suite de la déconfiture des banques florentines des Bardi et Peruzzi, Clément VI continua l’enquête de ses prédécesseurs pour récupérer les sommes qui leurs étaient dues par les banques, dont celles de Sienne. En 1344, il ordonna que 80 000 florins soit remboursés par les associés de la Gran Tavola à la Curie. Le conseil général de Sienne pris la situation en main en juillet 1345. Le pape excommunia la commune la même année. Les descendants des associés de la Gran Tavola s’acquittèrent finalement de leur dette à la fin de 1356, après avoir essayé de s’en sauver[26]. La famille Buonsignori avait encore beaucoup de richesse malgré la faillite de la banque[27].

Bibliographie

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  • Pounds, N. J. G., An Economic History of Medieval Europe, Second edition, New York, Routledge, 1994, 536 p.
  • Renouard, Yves, Les hommes d'affaires italiens du Moyen Âge, Paris, Éditions Tallandier, 1949, 383 p.
  • Sapori, Armando., Le marchand italien au Moyen Âge, Armand Colin, Paris, 1952, 126 p.

Références

  1. De ROOVER, Raymond, The Rise and Decline of the Medici Bank: 1397 – 1494, New York, BeardBooks, 1963, p. 15. Le nom banque ou table vient du fait que les commis qui faisaient des affaires étaient assis derrière un banc (banco) ou une table (tavola). Ce nom était déjà utilisé en antiquité grecque
  2. BALARD, Michel, GENET, Jean-Philippe, ROUCHE, Michel, Nouvel Atlas Historique : Le Moyen Âge en Occident, 6ième édition, Vanves, Hachette-Supérieur, 2017, p. 150
  3. KLEINHENZ, Christopher, Medieval Italy : An encyclopedia, New York, Routledge, 2004, (DOTSON, John E.) p. 91
  4. DAUPHIN-MEUNIER, A., Histoire de la banque (Que sais-je), Paris, Presses Universitaires de France, 1964, p. 45
  5. Ibid DAUPHIN-MEUNIER, A. p. 41
  6. Ibid KLEINHENZ, Christopher, p. 91
  7. MENANT, François, L’Italie des communes (1100-1350), Paris, Belin, 2005, p. 304
  8. Ibid MENANT, François, p. 305
  9. MAGINNIS, Hayden B.J., The World of the early Sienese painter, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2001, p. 17
  10. Ibid MAGINNIS, Hayden B.J., p. 17
  11. Ibid DAUPHIN-Meunier, A. p. 51
  12. Ibid MENANT, François p. 307
  13. ENGLISH, Edward D., Enterprise and liability in Sienese banking: 1230-1350, Cambridge, The Medieval Academy, 1988, p. 2
  14. Ibid ENGLISH, Edward D., p. 9
  15. Ibid ENGLISH, Edward D., p. 11
  16. Ibid ENGLISH, Edward D. p. 14
  17. Ibid ENGLISH, Edward D., p. 44
  18. Ibid ENGLISH, Edward D., p. 46
  19. Ibid KLEINHENZ, Christopher, p. 92
  20. Ibid ENGLISH, Edward D., p. 37
  21. Ibid ENGLISH, Edward D. p. 55
  22. Ibid ENGLISH, Edward D. p. 58
  23. Ibid ENGLISH, Edward D. p. 69
  24. BOWSKY, William M., A Medieval Italian Commune: Sienna under the nine, 1287-1355, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, p. 241
  25. Ibid BOWSKY, William M., p. 250
  26. Ibid ENGLISH, Edward D. p. 110
  27. Ibid BOWSKY, William M., p. 18
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