Guelfes et gibelins
Les guelfes et les gibelins sont deux factions (parti ou, plus souvent, brigate ou sette[1]) médiévales qui s'opposèrent militairement, politiquement et culturellement dans l'Italie des XIIe et XIIIe siècles. À l'origine, elles soutenaient respectivement deux dynasties qui se disputaient le trône du Saint-Empire : la « pars Guelfa » appuyait les prétentions de la dynastie des « Welf » et de la papauté, puis de la maison d'Anjou, la « pars Gebellina », celles des Hohenstaufen, et au-delà celles du Saint-Empire.
Ne doit pas être confondu avec Welf.
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L'opposition entre guelfes et gibelins se joua principalement dans le cadre des villes de la péninsule italienne, mais eut des répercussions dans l'ensemble de l'Europe. Dans cette bipolarisation, parfois surestimée, les allégeances dynastiques sont parfois secondaires, les adhésions fluctuantes, et il faut attendre le règne de Frédéric II pour que papauté et empire deviennent des symboles forts de ralliement et que se construise une véritable division antithétique. Ce clivage trouve des manifestations dans les domaines civils et religieux et cristallise les tensions entre les villes italiennes, au sein de leurs élites et parfois entre la ville et son contado (le territoire, ou diocèse, qui en relevait). L'écho du conflit se manifeste à des époques ultérieures, en revêtant de nouveaux caractères et en stigmatisant des oppositions idéologiques nouvelles.
Cette opposition joua un rôle majeur à l’origine de la principauté de Monaco. Les Grimaldi, puissance maritime, prirent le parti des guelfes et de la papauté et, menés par François dit « la Malizia », reprirent le château par les armes le 8 janvier 1297, date à laquelle on considère les origines de la souveraineté princière des Grimaldi.
Origine des termes
Les vocables font leur apparition, a posteriori, dans les années 1240, dans la cité de Florence, avant de se diffuser dans toute la Toscane.
- Le terme « guelfe » est une francisation du nom italien « Guelfo » (pl. « Guelfi ») qui provient lui-même du nom de la dynastie des « Welf » – nom-emblème de la famille d'Otton IV – et désigne la faction qui soutient la papauté.
- Le terme « gibelin », ((it), « Ghibello », « Ghibellino » (pl. « Ghibellini »)) est le diminutif de « Guibertus », forme italienne de Waiblingen (Bade-Wurtemberg), château souabe auquel se réfèrent les partisans Hohenstaufen.
L'expression « pars imperii » est le synonyme noble pour gibelins, tandis que « pars ecclesiæ » a la même fonction pour les guelfes.
Genèse de l'antagonisme
L'opposition entre les deux parti a pour origine lointaine la crise relative à la succession, en 1125, de l'empereur Henri V, mort sans héritier. Ceux qui ne sont pas encore identifiés comme guelfes soutiennent une ligne politique d'autonomie contre tout type d'intervention extérieure contre les privilèges nobiliaires et présentent l'Église comme gage d'opposition et d'indépendance face à l'Empire. Les adversaires, futurs gibelins, s'opposent au pouvoir des pontifes en affirmant la suprématie de l'institution impériale. À la mort d'Henri V, les « papistes » installent sur le trône d'Allemagne Lothaire III, duc de Saxe, auquel est opposé Conrad III, de la famille Hohenstaufen, que le pape Honorius II excommuniera en raison de sa lutte contre l'Église.
En 1138, à la mort de Lothaire III, son gendre ne parvient pas à lui succéder et les « impériaux » triomphent en installant durablement les Hohenstaufen sur le trône de l'Empire, Conrad III, puis Frédéric Ier dit « Barberousse ».
L'expédition italienne de Barberousse, au milieu du XIIe siècle, apparaît comme la première étape de l'institutionnalisation des deux factions, en particulier lors de la création de la Ligue des cités lombardes, pensée comme un rempart contre les prétentions de l'Empire dans la péninsule. L'intervention impériale, en menaçant les libertés et privilèges de certaines communautés urbaines, transpose en Italie du Nord un conflit qui, dans le terreau communal, change de nature.
Les factions dans les villes italiennes
Les termes « guelfe » et « gibelin » apparaissent dans les sources italiennes dans les années 1240–1250, sous le règne de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen (1220–1250), dominant alors la Sicile et l'Italie. Les chroniques, postérieures à la bipolarisation, datent leur apparition aux années 1210-1220. À l'occasion, la prise de parti exprime des tensions préexistantes au sein des lignages nobles[2]. Le conflit, qu'il s'exprime sur un mode militaire, politique ou culturel, se montre particulièrement violent dans les cités à l'économie florissante, telles Gênes et Florence, et met à mal la paix civique. Ainsi, le conflit n'est pas étranger à l'émergence d'instruments politiques et d'institutions comme la podestatie ou la charge de capitaine du peuple.
Selon Machiavel dans Le Prince, Venise entretenait la querelle entre guelfes et gibelins afin de « diviser pour régner »[3], et le résultat fut mauvais.
Montaigne rapporte dans ses Essais que, lors de ses voyages dans la péninsule italienne, il était souvent cru « gibelin par les guelfes et guelfe par les gibelins ».
Les affrontements du XIIIe siècle
La dynastie des Hohenstaufen s'éteignit en 1268 avec la capture de Conradin, petit-fils de Frédéric II, après la bataille de Tagliacozzo (1268) et son exécution en place publique à Naples. Les communes d'Italie passent majoritairement sous influence guelfe après les retentissantes défaites gibelines de Tagliacozzo et de Colle Val d'Elsa (1269). Le conflit semble s'apaiser dans les années 1280.
Le cas des principales communes
- À Gênes, l'une des quatre républiques maritimes d'Italie, le conflit avait pour arrière-plan les querelles intestines entre les quatre familles dominantes et leur alberghi[4] : Grimaldi et Fieschi qui se réclament du parti guelfe contre les familles gibelines Doria et Spinola. Non seulement ces familles peuvent aligner des armées, mais plus encore, le pape et ses alliés, tout comme l'empereur, cherchent à se rallier les puissantes galères génoises.
- À Florence, le conflit a également pour ancrage les querelles entre familles, les Buondelmonti (it) et les Arrighi, qui s'identifièrent respectivement aux gibelins et aux guelfes. En Toscane, cependant, la tragédie de ces guerres prit une tout autre dimension sous la plume du poète Dante. Les guelfes florentins étaient partisans du pape en même temps qu'ils avaient des revendications patriotiques. En 1249, lorsque le fils de Frédéric II pénètre dans la cité accompagné de ses cavaliers allemands, beaucoup de partisans guelfes doivent s'exiler. Cependant, à la mort de Frédéric II en 1250, les gibelins perdent du terrain puis sont contraints de quitter Florence en 1258 pour se réfugier à Sienne, espérant une intervention du deuxième fils de Frédéric, Manfred. Les guelfes reviennent alors en force, mais sont à nouveau défaits lors de la bataille de Montaperti (1260). Ils prennent leur revanche en , à la bataille de Bénévent. La mort de Manfred, la même année, confirme le renversement guelfe en Toscane. En avril de l'année suivante, Charles d'Anjou, principal allié du pape, rentre à Florence avec ses cavaliers et chasse définitivement les gibelins de la ville. Le gouvernement guelfe durera de 1267 à 1280. C'est à cette époque que le pape Nicolas III, inquiet de la prédominance croissante de la France, envoie à Florence le cardinal Latino, afin d'établir un gouvernement également partagé entre guelfes et gibelins.
Guelfes blancs et guelfes noirs
À la fin du XIIIe siècle, le parti guelfe se divise en deux factions : les blancs et les noirs. À l'origine, cette division est encore une querelle de clans, celle qui oppose les Vieri de' Cerchi (it) (blancs) aux Donati (noirs). Cette division est également sociale, les Cerchi étant proches du peuple et les Donati de l'élite florentine. Ces derniers entendent s'opposer aux Ordonnances de justice émises par Giano della Bella.
En 1300, sur la place de la Sainte-Trinité à Florence, éclate une bataille marquant un clivage définitif entre les deux partis. Les guelfes noirs, très proches de Boniface VIII, vont prévaloir sur les blancs, incapables de se défendre convenablement, et Charles de Valois, venu de France en appui du pape, investit Florence sans rencontrer aucune résistance. Dès , on commence à exiler les blancs (à Ravenne notamment), dont Dante Alighieri, ainsi que le père de Pétrarque (Pétrarque, l'écrivain, naquit pendant cet exil). C'est le comte de Gabrielli de Gubbio qui règne alors sur la ville.
Dante et le guelfisme
On considère souvent que Dante, qui vit pleinement ces événements, puisqu'il fait partie de diverses assemblées politiques florentines, est guelfe blanc. En effet, il est exilé le , à la suite d'un voyage officiel à Rome pour y rencontrer Boniface VIII ; il y est emprisonné puis s'en évade. Mais si les vicissitudes politiques de son temps et de ses relations l'obligent à s'allier à plusieurs partis, il est clair que d'un point de vue doctrinal, Dante est gibelin, comme le prouve son traité De Monarchia, qui plaide très clairement en faveur d'un empereur, unique souverain, régnant depuis Rome, avec la bénédiction du pape. Il mit d'ailleurs ses espoirs de rénovation impériale en la personne de l'empereur romain Henri VII, qui mourut trop tôt pour accomplir ce que Dante attendait de lui.
Postérité
La trace des guelfes perdure dans le Saint-Empire et la Confédération germanique ; elle se retrouve jusque dans l'influence des Welf de Hanovre dans l'Empire allemand du XIXe siècle.
La division se retrouve par exemple à Florence et dans la Toscane des Médicis au XVIe siècle : les guelfes sont partisans des Français (ennemis de l'Empire, voir les guerres d'Italie) et donc eux aussi hostiles à un rôle politique de l'empereur en Italie.
Au XIXe siècle, la philosophie allemande s'inspira de l'opposition entre guelfes et gibelins pour définir ce qui est à gauche et ce qui est à droite, ce qui est libéral et ce qui est conservateur.
L'idéologie gibeline survécut encore plusieurs siècles, principalement en Italie (par exemple Sienne), en Allemagne et en Espagne sous les Habsbourg. Au moment de la Réforme, les gibelins devinrent les champions de la cause catholique, contre des guelfes devenus protestants.
Notes et références
- Jacques Heers, « Guelfes et Gibelins », Clio.fr.
- Le chroniqueur Giovanni Villani, ainsi que Dino Compagni, attribue leur naissance à Florence à la rupture, en 1215, de fiançailles entre Buondelmonti et les Amidei et à la vendetta qui s'ensuivit entre les deux familles. (it) Giovanni Villani, Nuova Cronica, VII - 65, cité par Jean-Claude Maire Vigueur, Cavaliers et citoyens : guerre, conflits et société dans l'Italie communale, XIIe-XIIIe siècles, École des hautes études en sciences sociales, 2003, p. 313.
- Chap. 20 : « Les Vénitiens, qui, je crois, pensaient à cet égard comme nos ancêtres, entretenaient les partis guelfe et gibelin dans les villes soumises à leur domination. ».
- (en) Steven A. Epstein, Genoa and the Genoese, 958-1528, UNC Press, 2001.
Voir aussi
Bibliographie
- Jacques Heers, Les partis et la vie politique dans l'Occident médiéval, Presses Universitaires de France, 1981.
- Élisabeth Crouzet-Pavan, Enfers et paradis : l'Italie de Dante et de Giotto, Paris, Albin Michel (Bibliothèque de l’évolution de l’humanité), 2001.
- (de) Robert Davidsohn, Geschichte von Florenz : Band II. Guelfen und Ghibellinen, Adamant Media Corporation, 2001 (réédition de 1908).
- J. C. L. Simonde de Sismondi, Histoire des Républiques italiennes du Moyen Âge, Tomes deuxième & troisième, Gallica.fr.
Articles connexes
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Patrick Gilli et Julien Théry, « La vague guelfe dans l'Italie des communes urbaines après la bataille de Bénévent : une mission pontificale à Crémone et à Plaisance (1266-1267) », dans Le gouvernement pontifical et l'Italie des villes au temps de la théocratie (fin-XIIe-mi-XIVe s.), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2010, p. 113-200.
- Jacques Heers, « Guelfes et Gibelins », Clio.fr.
- Esther Ouellet, « Des guelfes et des gibelins : la poésie politique dans l’Italie médiévale », compte-rendu, Acta Fabula, , volume 7, numéro 2, Fabula.org.
- Julien Théry (2012), « Cum verbis blandis et factis sepe nephandis. Une mission pontificale en Lombardie après la bataille de Bénévent (1266-1267) », dans Legati e delegati papali. Profili, ambiti d’azione e tipologie di intervento nei secoli XII-XIII, dir. Maria Pia Alberzoni, Claudia Zey, Milan, Vita & pensiero, 2012, p. 195-218, disponible en ligne sur le site academia.
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