Henri de Bournazel
Henri de Bournazel[1] (Henri de Lespinasse de Bournazel, dit L'Homme Rouge) est un militaire français né à Limoges le et mort au combat le dans les montagnes du jebel Saghro, région berbère du sud du Maroc (Anti-Atlas), lors des guerres de « pacification du Maroc »[N 1]. Il fit l'objet dans les années 1930 à 1950 d'un véritable culte patriotique, devenant pour certains le modèle du jeune officier.
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Henri de Bournazel | ||
Carte dédicacée par Henri de Bournazel (n.d.) | ||
Surnom | L'Homme Rouge | |
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Naissance | Limoges |
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Décès | Djebel Saghro, Protectorat du Maroc Mort au combat |
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Années de service | 1916 – 1933 | |
Conflits | Première Guerre mondiale Pacification du Maroc |
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Origine familiale
La famille de Lespinasse de Bournazel est une famille d'ancienne bourgeoisie du Limousin connue depuis le XVIe siècle où ils donnèrent des marchands à Tulle avant que ses représentants n'occupent des charges financières et judiciaires locales et s'illustrent par leur service militaire.
Joseph de Lespinasse épousa en 1721 Marie Jarrige de Bournazel. Leur fils cadet, Jean Joseph (1725-1808), est l'auteur de la branche de Bournazel, il est seigneur de Bournazel, chevalier de Saint-Louis, écuyer. Il vote avec la noblesse en 1789[2].
Biographie
Né le , à Limoges, Henri de Bournazel est le fils de Paul de Lespinasse de Bournazel (1866-1961)[3], lieutenant de cavalerie, et de Mathilde d'Auzac 1870-1959[4].
Le jeune Henri ou Henry[5] de Bournazel est très vite séduit par le métier des armes et exprime des désirs d'évasion, particulièrement influencé par un oncle, officier de l'Armée d'Afrique, qui le fait rêver de pays exotiques.
Première Guerre mondiale
La Première Guerre mondiale éclate alors qu'il n'a que seize ans. Frustré de ne pouvoir s'engager à son âge, il se consacre totalement aux études (lycée privé Sainte-Geneviève) et prépare assidûment l'école militaire de Saint-Cyr. Lorsque son père, colonel, part avec son unité, le 1er régiment de chasseurs d'Afrique, vers le front d'Orient en , il lui arrache l'autorisation de s'engager pour le 4e régiment de hussards à Brissac-Quincé (près d'Angers).
La vie en casernement, à l'arrière, est loin de lui apporter toutes les satisfactions qu'il attendait. Son âge lui interdit de monter au front, et ce n'est qu'au mois de que son régiment emmène le jeune brigadier dans la région de Reims. Toujours volontaire pour les patrouilles de reconnaissance, il découvre cette vie tant souhaitée, avant d'aller se ressourcer quelques jours au château de Bournazel, à Seilhac (Corrèze), lieu idyllique de son enfance, puis d'entrer à Saint-Cyr. Malgré les attraits de la vie d'école, il n'a qu'un désir : aller se battre.
En , promu au grade d’aspirant, il retrouve enfin la « vie rêvée », au 4e hussards qui fait bientôt mouvement vers la zone de Château-Thierry. Mais, atteint de la grippe espagnole, il passe quelques semaines de convalescence au château de ses pères, avant de rejoindre le front en septembre.Il reste jusqu'à l'armistice à la pointe du combat, obtenant brillamment la croix de guerre pour une action audacieuse le , et faisant encore trois prisonniers le matin du .
La vie en garnison dans la zone allemande occupée refroidit son enthousiasme. Puisqu'on se bat au Maroc, il parvient à obtenir, en même temps que le grade de lieutenant, son affectation à la disposition du général en chef commandant les troupes françaises au Maroc. Il embarque le sur le Volubilis.
Maroc
Depuis la mise en place du Protectorat en 1912, le maréchal Lyautey y est résident général. Bien que l'armée française soit très présente dans le pays, de nombreux mouvements de résistance se lèvent dans tout le Maroc et s'opposent à la « pax francesa », particulièrement dans les régions montagneuses du Rif, et de l’Atlas et Anti-Atlas. Henri de Bournazel rencontre le maréchal Lyautey à Casablanca et obtient en une affectation au 8e spahis algériens à El Arba-Tahala, qu'il rejoint après avoir visité Rabat, Meknès et Fès. Il commence son acclimatation à la vie marocaine en assurant avec son escadron la protection des convois dans les défilés rocheux. C'est alors que le commandement décide de réduire la « poche de Taza » déjà entreprise l'année précédente, dans le Moyen Atlas autour du village de Skoura, fief de la rébellion.
Henri de Bournazel, muté au 22e spahis marocains, basé à Médiouna, près de Casablanca, va pouvoir enfin participer aux engagements, insistant pour prolonger son séjour au Maroc.
El Mers
Le repaire des tribus guerrières des Marmoucha et Aït Seghouchen se tient dans le massif du Tichchoukt qui culmine à 2 800 mètres, et la position de Skoura est verrouillée au sud par le village d'El Mers qui commande l'accès par le col de Tigoulmamine.
Au mois de mai 1923 sous le commandement du général Poeymirau — « le père Poey » — l’encerclement du massif est entrepris, et de sévères accrochages se succèdent montrant l’opiniâtreté des guerriers tribaux adverses.
À l’extrême pointe de l'avant garde, le peloton d’Henri de Bournazel va connaître le le véritable contact avec l'ennemi ; pour la conquête de l’éperon de Bou Arfa - au sud du massif du Tichchoukt - la bataille va durer toute la journée à travers des taillis épais ; la confusion s’accroît avec un brouillard intense qui couvre bientôt la région. Les Berbères chargent au poignard, et les troupes françaises se dégagent à la baïonnette. De cette journée,
« Henri de Bournazel a eu sa part de baroud. Déchaîné, grisé, riant d’un grand rire heureux, il a chargé à la tête de ses hommes en chantant — ce qui deviendra pour lui une sorte d’habitude. »
Les pertes ont été sévères de part et d'autre ; et dès le une seconde phase se met en marche pour prendre pied sur le plateau de Bou-Khamouj qui domine et défend El Mers : nouvelle journée de combats très durs dans un terrain difficile et très boisé.
« Ici, encore Henri de Bournazel a été de la fête ! Pas un instant, il n'a quitté l'extrême pointe avancée ; il la mène à sa façon qui bientôt va devenir célèbre dans toute la troupe : avec un entrain débordant, exultant d'une joie puissante, gouaillant, riant, chantant, vêtu de pourpre, téméraire et élégant, impeccable et débridé tout ensemble. Adoré de ses hommes et admiré de ses compagnons, il est en train de créer chez eux la mystique du chic et de la bravoure de Bournazel. »
Enfin, troisième temps de la campagne, il faut emporter El Mers, où l'ennemi s'est replié en force. Dès l'aube du , le groupement se met en marche avec à sa tête en éclairage l'escadron Bastien, dont l'élément le plus avancé est le peloton du lieutenant Henri de Bournazel ; à huit heures, le « père Poey », arrivé sur les lieux, donne l'ordre de poursuivre la progression.
À peine remis en route, l'escadron Bastien est violemment pris à partie ; de toutes parts, les Berbères surgissent des champs d'orge ; engageant le combat à l'arme blanche. Bientôt, le lieutenant Berger est tué et le capitaine Bastien grièvement blessé.
Henri de Bournazel prend alors le commandement de l'escadron et la direction du combat, et malgré une blessure légère à la tête, qui lui couvre le visage de sang, il entraîne ses hommes derrière lui, et dans un assaut final poursuit l'ennemi qui recule. Il atteint le premier le sommet qui domine El Mers en entonnant un air de fox-trot à la mode : « The love need », rapporte son camarade, le lieutenant Durosoy, qui, arrivant sur la crête, le hurle en réplique.
Et le soir, dans la ville conquise, sous la guitoune du prince Aage du Danemark, commandant d’une des compagnies de la Légion, les jeunes officiers encore enfiévrés par cette journée tumultueuse se réunissent autour d’un banjo, pour célébrer la victoire.
Déjà lors des combats précédents, l’adversaire remarquait ce cavalier en tunique rouge toujours en tête de ses troupes ; mais à El Mers commença de se forger la légende de son invulnérabilité, de sa baraka qui écarte les projectiles et dans les années qui suivent, il va conserver, à la tête de ses goums, cette tenue rouge, qui aux yeux de tous le fera reconnaître comme « Bou vesta hamra ».
Désormais Henri de Bournazel est définitivement conquis par le Maroc ; après un repos de six mois en France, il embarque à nouveau sur le Volubilis pour répondre à l’appel du « baroud », cette fois-ci dans la région du Rif, où le célèbre Abdelkrim el-Khattabi rassemble les résistants.
C'est dans les goums qu'il va servir, en tenue d'officier spahi. Certains de ses compagnons affirment alors que « sa tunique est enchantée » en raison de sa chance au combat. Il connaît des heures exaltantes, mais aussi la trahison de certains partisans. Pourtant son expression favorite reste en toutes occasions : « La vie est belle ! »
Après son mariage en avec Germaine Irnis Lahens (1904-1987), il passe quelques années en France, est promu capitaine, mais ne résiste pas à l'appel du Maroc lorsque des opérations sont décidées dans la région du Tafilalet, repaire de dissidents, à la fin de l'année 1931.
Une fois le Tafilalet conquis et pacifié, Henri de Bournazel en est nommé administrateur, et se révèle aussi remarquable dans la gestion et l'aménagement que dans le combat.
Mais l'occupation du territoire par le makhzen et les troupes françaises n'est pas totale dans le Sud marocain et une dernière opération d'envergure se prépare pour prendre d'assaut le jebel Saghro (dans l'Anti-Atlas). C'est là que résident les derniers groupes de résistants de la tribu Aït Atta menés par le cheikh Assou Oubasslam.
Les opérations commencent le . Le 21, le capitaine Henri de Bournazel entraîne ses hommes à la conquête d'un piton rocheux « La Chapelle ». Le , obéissant à l'ordre du général Giraud de recouvrir d'une djellaba sa tunique rouge, il monte à l'assaut de Bou Gafer et tombe, blessé une première fois, rassemble ses hommes, repart à la charge, mais est atteint à nouveau. Il meurt de ses blessures, le , en plein djebel Saghro.
Hommages
Lieux
- Une rue Henry-de-Bournazel dans le XIVe arrondissement de Paris[6].
- Des rues Henri-de-Bournazel à Versailles, Limoges, Quimper, Hyeres, Brive, Tulle, Montferrat[Lequel ?], Seilhac (Corrèze), Preignac (Gironde), Le Verdon (Gironde), Nice, [Brest], etc.
- Une ancienne rue Bournazel à Casablanca (Maroc), actuelle nommé rue Ibnou Khatima (dans le quartier des Hôpitaux).
- Un ancien quartier de Casablanca (Maroc).
- Une rue Capitaine-de-Bournazel à Rabat (Maroc)[N 2].
Organisations
- La promotion 1932-1934 de l'école de Saint-Cyr fut baptisée promotion Bournazel en sa mémoire.
- Le chantier de jeunesse n° 3 de Bourg-en-Bresse basé à Tossiat (Ain) pendant la Seconde Guerre mondiale portait son nom ; ainsi que le groupement n° 8 du chantier de jeunesse n° 24 (Le Pourquoi pas ?), groupe basé dans l’Hérault et l’Aveyron.
- Une troupe scoute de Saint-Servan (Ille-et-Vilaine) portait son nom en 1960
- Le groupe des Scouts et Guides de France 1re Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin) porte son nom, ainsi que le 1re L'Isle-Adam (Val-d'Oise).
- La corniche militaire (école militaire préparatoire à Saint-Cyr) de Toulon porte le nom de Corniche Bournazel.
Dans la fiction
La réputation héroïque du capitaine de Bournazel est telle en France qu'elle est même utilisée sous forme parodique mais en forme d'hommage dans un roman de Maurice Leblanc, mettant en scène les aventures d'Arsène Lupin, l'un des derniers romans de la série des 23 volumes composant la saga Lupin : Les Dents du tigre, paru en 1921 chez l'éditeur Pierre Lafitte.
Leblanc attribue dans ce roman à Arsène Lupin, engagé sous un faux nom dans la Légion étrangère, un fait d'arme authentique d'Henry de Bournazel qui, un jour, durant la révolte d'Abd El Krim dans le Rif, au Maroc, chargea à l'aube avec une nonchalance affectée, les mains dans les poches et la cigarette à la bouche, révélant son courage, un camp de redoutables cavaliers berbères endormis, traversant tout le camp sous les yeux stupéfaits des guerriers berbères, admiratifs et respectueux. Ces excellents tireurs firent feu sur l'intrus sans le toucher, ce qui, avec cet acte d'un courage inouï fit beaucoup pour entretenir parmi les rebelles, et à leur suite le Maroc puis la France entière, la légende d'invincibilité de « l'Homme à la veste rouge ».
Notes et références
Notes
- Expression alors utilisée en France.
- Cette rue débouchait sur le bas de l'avenue de la République, face au grand garage qui servit de cadre au film Casablanca tourné avec Humphrey Bogart. La rue Capitaine-de-Bournazel longeait un des côtés de l'immeuble du quotidien L'Écho du Maroc. Il y avait, au coin avenue de la République - rue Capitaine-de-Bournazel l'immeuble Leroi-Liberge (entrée au 11 de la rue Capitaine-de-Bournazel).
Références
- Né Henri Marie Just de Lespinasse de Bournazel (« Cote LH/1616/26 », base Léonore, ministère français de la Culture).
- Pierre-Marie Dioudonnat, Le Simili-Nobiliaire Français, 2012, p. 513
- Futur général de brigade. Lieutenant-colonel durant la Grande Guerre, il commandera durant celle-ci le 1er régiment de chasseurs d'Afrique, qui s'illustrera dans les Balkans au sein de la brigade de cavalerie Jouinot-Gambetta. Voir notice biographique dans Biographies des principales personnalités françaises décédées au cours de l'année, Hachette, 1962, pp.140-141
- Acte de naissance n°272 de Limoges du 21 février 1898, lire en ligne
- Pour la rue de Paris portant son nom, c'est l'orthographe Henry qui a été adoptée. BNF/Data emploie également cette orthographe
- Voir sur v1.paris.fr
Voir aussi
Bibliographie
- Henry Bordeaux, Henry de Bournazel, Le Cavalier Rouge ou L’Epopée marocaine, Henri de Bournazel, Paris, Plon, 1935 et 1941
- Paluel-Marmont, Bournazel, l’homme rouge, Paris, Denoël (collection La Fleur de France, Les grands capitaines n°8), 1942
- Yves Krier et Jean Brian (ill. Jean Brian), Bournazel : l'homme rouge du Riff et du Tafilalet, Dardelet, Grenoble, , 64 p. (OCLC 929679591, BNF 32325923)
- Albert Réche, Bournazel, le cavalier rouge, Paris, Edition des loisirs (collection L’Ame de la France), 1943 (réédité 1946)
- Jean d'Esme, Bournazel, l'Homme Rouge, 1952
- Maurice Grolleau, Trois héros de France : un fidèle, Charles d’Artagnan, un ange victorieux, Hélène Boucher, un chef, Henri de Bournazel, Saïgon, L. Feuillet, sans date
- Germaine de Bournazel, Le Cavalier Rouge, édition France Empire, 1971
- Claude et Maurice Capez, Bournazel, coll. « Vie et symbole », n° 9, éditions les Flots bleus, 1956
- Pierre Montagnon, L’armée d’Afrique : De 1830 à l’indépendance de l’Algérie, Paris, Flammarion, coll. « Pygmalion », , 466 p. (ISBN 978-2-7564-0574-2), pp. 261-277, chap. XX (« Le dur baroud marocain »)Dans cette vaste fresque historique, les pages 273 à 277 relatent l'affaire du jebel Saghro où tomba au combat et y mourut le capitaine Henri de Bournazel.
Article connexe
Liens externes
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