Histoire des Juifs en Corse

L'histoire des Juifs en Corse commence en l'an 800, lorsque plusieurs immigrations juives se sont produites. Au cours des siècles, ils sont venus d'Égypte, de plusieurs villes d'Italie et de Palestine.

Antiquité

Après la chute de Jérusalem en 70 après J.-C., l'historien romain Suétone indique que l'empereur Tibère aurait déporté des milliers de Juifs en Corse.

Première immigration Mizrahim

Village de Levie en Corse-du-Sud

Autour de l'an 800[1], une immigration venue d'Égypte se serait installée dans le Sud de la Corse, principalement à proximité de Levie, village situé environ à 20 km de Porto-Vecchio. Par la suite, les membres de la communauté se seraient dispersés un peu partout dans l'île en devenant partie intégrante de la population autochtone[2]..

Immigration marrane

Au XVIe siècle, des Juifs marranes émigrent en Corse[3]. Certains portent des noms devenus aujourd'hui célèbres : Zuccarelli, Giacobbi ou Siméoni[4].

Immigration de Juifs de l'Italie méridionale

Entre les années 1500 et 1530, des juifs venus de Naples et de l'Italie méridionale fuyant les persécutions, se seraient établis dans les montagnes du centre de la Corse[2].

Immigration des Ashkénazes de Padoue et de l'Italie du Nord

Ashkénazes de Padoue

Nom de famille Padovani

Entre l'an 1590 et l'an 1684, les juifs ashkénazes de Padoue sont obligés de vivre dans un ghetto depuis 1516. Cette période est marquée par de multiples violences contre la communauté juive et une grande partie d'entre elle aurait décidé après ces désastreux événements d'émigrer en Corse[2]

Un mythe persistant veut que les habitants les nommèrent Padovani, ce qui signifie : venus de Padoue[2],[5]. En réalité, le nom de famille Padovani, très répandu de nos jours en Corse, est une référence au saint éponyme[6].

Ashkénazes de l'Italie du Nord

Le phénomène de la persécution s'est poursuivi dans le nord de l'Italie et l'immigration juive la plus connue s'est développée entre les années 1750 et 1769, lorsqu'à la fin de la domination génoise qui a duré quatre cents ans, un nombre de 5 000 à 10 000 juifs sont arrivés en Corse, principalement de Milan, Turin et Gênes, ainsi que de Padoue. Pasquale Paoli écrit le 26 juin 1760 au fils de Domenicu Rivarola, consul du Piémont à Livourne : « si les juifs voulaient s’établir parmi nous, nous leur accorderions la naturalisation et les privilèges pour se gouverner avec leurs propres lois, parlez–en à quelque rabbin accrédité »[7]. « Paoli (passe) un accord semblable avec des entrepreneurs français au moment de la guerre de Sept ans (1756-1763), pour l’exploitation des forêts »[8]. En 1763, Paoli qui se propose d’installer toute une colonie juive dans l’île[7], accède à la requête d'un juif nommé Modigliani installé parmi les premiers habitants de la cité d’Ile Rousse, de bénéficier du même droit de vote que les habitants nationaux selon la promesse du général[8]. Il déclare : « Les Juifs ont les mêmes droits que les Corses puisqu’ils partagent le même sort »[5]. La Première République française a ainsi accueilli les Juifs arrivés en Corse en leur reconnaissant les mêmes droits que les autres citoyens, pouvant pratiquer librement leur religion (ce qui n'était pas le cas à l'époque dans de nombreux pays).

Alors qu'auparavant, seuls les marins napolitains et autres pêchaient le corail, Paoli autorise les Juifs de Livourne à le pêcher sur les côtes corses en 1767, occasion pour lui de développer l'économie portuaire et commerciale de la Corse[8].

Le climat de tolérance a favorisé un grand nombre de mariages mixtes, ce qui a conduit à l'assimilation presque totale des juifs aux chrétiens.

Immigration de Palestine, de Syrie et d'Afrique du nord

Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, des familles juives de la Syrie et du Liban sous mandat français arrivent en Corse[9], chassées par les ravages de la campagne du Sinaï et de la Palestine que mènent les armées de l'empire ottoman et de l'empire allemand. Après cette arrivée au port d'Ajaccio le 14 décembre 1915 de 744 à 800 personnes[3], grâce à l'Alliance israélite universelle, c'est au tour de quelque 700 juifs d'Algérie et du Maroc, ayant refusé de renoncer à leur nationalité française ou à leur statut de protégés français ou anglais, de faire escale en Crète pour débarquer ensuite en Corse, l'été de la même année[10],[5].

À l'arrivée de Juifs de Palestine, la solidarité corse s'organise. L'épouse du préfet Albert Marie Georges Henry aide les miséreux. « Un grand élan populaire vient au secours de ces 740 démunis, des « Syriens » qui ne parlent que l’arabe et l’hébreu ». Des bulletin de paie d'instituteurs montrent qu'ils ont versé une partie de celle-ci pour payer le tissu permettant de confectionner des habits européens pour les « Syriens »[5]. Salomon ben Samoun, « grand-rabbin des réfugiés syriens » présente des remerciements pour toutes les marques de solidarité reçues par la population et des autorités bastiaises, à Bastia-Journal[11].

Les Juifs s'établissent dans les grandes villes de la côte, à Bastia (180 Syriens[5]) et à Ajaccio, et sont bien accueillis par l’administration et la population corses[12], dans les villages ou couvents comme Oletta, Coti-Chiavari, Cervione, Morsiglia, Luri ou Corte, soit onze villages au total où l'on avait besoin de main d'œuvre, qui y accueillent également d'autres réfugiés[13],[14]. La plupart repartent en Palestine après la fin de la Grande Guerre mais quelques-uns s'établissent en Corse[15]. D'autres ayant retrouvé la misère en Palestine reviennent en Corse[5].

Dans l'Entre-deux-guerres

Synagogue Beth Meier à Bastia, fondée en 1934.

Les esprits commencent à être « travaillés dans l’île, durant l’Entre-deux guerres, par la presse d’extrême droite et la presse irrédentiste comme «A Muvra». À la fin des années trente, ce journal justifie les agressions auxquelles nazis et fascistes se livrent contre les peuples en avançant que les dictateurs fascistes luttent « contre la grande offensive hébraïque ourdie à Moscou et à Londres ». « Si les Juifs et les francs-maçons veulent la ruine de Hitler et de Mussolini qu’ils y aillent eux-mêmes », peut-on lire dans ce journal à la veille de la guerre »[16].

Les Juifs de Corse dressent en 1934 la synagogue Beth Meir de Bastia[17].

Seconde Guerre mondiale

Durant la Seconde guerre mondiale, la Corse est occupée par l'Italie pendant dix mois.

Ces familles Ebrei Juifs » en langue corse) au nombre de 210, soit 600 à 800 juifs de Corse et quelques dizaines d'autres venant du continent[18], sont en quelque sorte « protégées » par des particuliers. À Asco, 57 d'entre elles sont assignées à résidence par les Italiens[16], et sauvées de la déportation dans les camps d’extermination nazis pendant le deuxième conflit mondial, n'étant pas livrés aux Allemands[19],[20]. In fine, on ne déplorera qu'un seul juif de Corse, d'origine tchèque, déporté accidentellement et assassiné dans un camp de l'est[20].

Le régime de Vichy reproche au préfet Paul Balley (qui sera décoré de la Francisque puis révoqué sans pension[21]) et de son administration de ne pas être assez diligent pour recenser les Juifs de l’île, qu'en réalité il protège (en indiquant à sa hiérarchie qu'il n'y a pas de Juif en Corse de la catégorie réclamée[20]). Des sous-préfets semblent également traîner les pieds ; celui de Bastia, Pierre-Henry Rix, gaulliste, F.F.L., s'entretient à Marseille en mars 1942 avec Bedi Arbel, consul général de Turquie (neutre dans le conflit), pour faire déclarer sujets turcs tous les juifs de son arrondissement, auxquels sont délivrés des passeports[22], afin de n'en recenser aucun[23],[16] ; le sous-préfet Pierre Joseph Jean-Jacques Ravail à Sartène (qui sera renvoyé sans ménagement sur le continent en mars 1943[24],[25]) protège également les anti-fascistes et les Juifs, en travaillant avec le réseau mis en place par les partisans de Paul Giacobbi[4],[5]. « Dans la seule région de Marseille, le chiffre de 20 000 passeports est avancé. Le consul Beli Arbel disposait également de laissez-passer turcs pour traiter les cas les plus urgents »[22].

Lors de la grande rafle des Juifs apatrides d'août 1942, aucun Juif de Corse n'a été envoyé sur le continent pour subir un sort fatal[20].

L'historien Iannis Roder, responsable de la formation à la Fondation pour la mémoire de la Shoah, rappelle toutefois qu'à cette époque, des Corses manifestent leur hostilité aux Juifs en distribuant des tracts antisémites et en maculant les vitrines de commerce leur appartenant. La presse pétainiste et judéophobe corse comme «Bastia journal» du 21 juin 1941 fustige « les fauteurs de discorde, Juifs échappés des ghettos, francs-maçons chassés de leurs termitières, communistes impénitents, apatrides saboteurs »[16]. La presse catholique à travers le «Bulletin diocésain» d’août 1941 justifie la persécution que les Juifs subissent «…parce qu’ils commençaient à trop s’identifier avec les peuples au milieu desquels ils vivaient et qu’ils étaient en train de perdre leur originalité ; alors Dieu a permis qu’ils fussent ramenés durement à leur destinée ». Juste après la rafle du vél d’Hiv, l'année suivante, cette même publication diocésaine du 24 août 1942 récidive en justifiant les persécutions du peuple juif qui n’aurait pas reconnu Jésus comme le Messie[16].

Cependant, la Corse reste le seul département français où il n'y a eu aucune dénonciation, aucune déportation de Juifs[20].

Reconnaissance

En  octobre 2010, l’association juive Hommage aux villages de France, regroupant des enfants et des familles de Juifs ayant été sauvés pendant la guerre, a rendu hommage au village de Canari en Cap Corse, pour avoir sauvé des familles de Juifs pendant la guerre[4],[3].

Devant l'Assemblée territoriale de Corse, l'historien Serge Klarsfeld exprime le désir que la Corse soit considérée comme « île des Justes », en souhaitant pour elle le titre de « Juste parmi les nations » auprès de Yad Vashem[20],[3]. D'aucuns estiment néanmoins qu'il s'agirait d'un hommage « exagéré », à n'attribuer qu'à titre individuel[16],[4],[3].

En 2017, le B'naï Brit remet deux menorah d'or aux deux présidents des conseils départementaux corses, en reconnaissance de l'action protectrice en faveur des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale[20],[26].

De nos jours

« De nos jours, la communauté juive de l’île, très peu nombreuse, se concentre essentiellement à Bastia. Son président Mr Ninio, natif de Tibériade, ouvre deux fois dans l’année la synagogue qui possède deux Rouleaux de la Torah en parfait état: pour Roch Hachana, le jour de l’an Juif et Yom Kipour »[5]. Sur toute l'île, la petite communauté juive est estimée à moins d’une centaine de personnes ; elles portent les noms de Bardini, Bueno, Antonelli, Ferrer, Guespin, Lameta[5].

Filmographie

Le secret de Zia Maria, un film écrit et réalisé par Isabelle Balducchi en 2012 : ce film parle du secret de la grand-mère de la réalisatrice, qui a caché un membre de la communauté juive de Bastia pendant la Seconde Guerre mondiale[27].

Bibliographie

  • Didier Long, Mémoires juives de Corse, Lemieux éd., pp. 212, 2016, (ISBN 9782373440607)
  • Simon Giuseppi (contribution), Corse terre d'accueil, terre d'exil 1914-1918, Éditions Alain Piazzola, 2017, pp. 288, (ISBN 978-2364790759)
  • Hélène Chaubin, Corse des années de guerre, 1939-1945
  • Jean-Marie Arrighi, Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, 2008

Notes et références

  1. Brigitte Peressini, « Heureux comme un Juif en Corse ? », N° 62, sur calameo.com, Tribu 12, (consulté le ), p. 20-21
  2. Tribune Juive, « L'histoire des juifs en Corse », sur Tribune Juive, (consulté le )
  3. (en-US) Paula Haddad, « Corse, île des Justes ? », sur The Jerusalem Post | JPost.com, (consulté le )
  4. « מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים« La Corse, Île des Justes ? » : France 5 relance le débat », sur מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים, (consulté le )
  5. http://$P$Bn/acz2Y0kXqdGrBWVV8I5prHUkXD7, « Les juifs de Corse: une histoire si méconnue », sur LPH INFO, (consulté le )
  6. Ghj. P., « HISTOIRE. Les Juifs en Corse, la destruction d'un mythe », Corse-matin, 21 septembre 2017.
  7. Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli : Père de la patrie corse, Taillandier, 2002, (ISBN 2847341692)
  8. « LES JUIFS DE PAOLI », sur memoria ebraica di a Corsica, (consulté le )
  9. En 1915, 750 Juifs syriens débarquent à Ajaccio. Lire en ligne
  10. Meïr Long, « Des Juifs palestiniens et marocains en Corse (1915-1920) », sur memoria ebraica di a Corsica, (consulté le )
  11. « מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים20150519_191017-copie », Article signé Salomon ben Samoun, publié dans Bastia-Journal, sur מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים, (consulté le )
  12. « Conférence de Simon Giuseppi « Les Juifs en Corse» | Cercle de Généalogie Juive », sur www.genealoj.org, (consulté le )
  13. « Quand la Corse était la terre d’accueil de milliers d’étrangers déplacés par la guerre », sur France 3 Corse ViaStella, (consulté le )
  14. Jean-Marc Raffaelli, « La Corse, terre d'accueil d'exil et de captivité », sur Corse Matin, (consulté le )
  15. Florence Bercéot, « Une escale dans la tempête. Des Juifs palestiniens en Corse (1915-1920) », Archives juives, vol. 38, (lire en ligne)
  16. Antoine Poletti, « La Corse île Juste ? Un excês d’honneur selon Yad Vashem – ANACR 2A », (consulté le )
  17. Antoine Albertini, « Le kaddish perdu des juifs de Corse », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
  18. Hélène Chaubin (correspondante en Corse du Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, de l'Institut d'Histoire du temps présent et du Centre d'histoire sociale du XXe siècle), conférence prononcée à Ajaccio le 15 avril 2009 au Palais des Congrès d'Ajaccio, voir note 5 dans La Corse île Juste ? Un excès d’honneur selon Yad Vashem
  19. Charles Monti, « « Corse, terre d’accueil, terre d’exil : 1914-1918 » le nouveau livre de Simon Giuseppi », sur Corse Net Infos - Pure player corse (consulté le )
  20. « מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִיםSerge Klarsfeld : la Corse « île des justes » », sur מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים, (consulté le )
  21. Gérard Bonet, « Balley (Paul, Louis, Emmanuel) », dans Nouveau Dictionnaire de biographies roussillonnaises 1789-2011, vol. 1 Pouvoirs et société, t. 1 (A-L), Perpignan, Publications de l'olivier, 2011, 699 p. (ISBN 9782908866414)
  22. Jean-Pierre Girolami, « Mars 1942 : les Juifs de Corse sauvés par un passeport turc », sur Corse Matin, (consulté le )
  23. « RIX, le sous-préfet Résistant de Bastia – ANACR 2A », Extrait de Libération de la Corse par le Général Gambiez, Ed Hachette littérature, 1973, p. 63. (consulté le )
  24. « Georges Krieger : ancien sous-préfet à Corte | Corti d'Eri », sur cortideri.fr (consulté le )
  25. Jean-Louis Panicacci, L’Occupation italienne: Sud-Est de la France, juin 1940-septembre 1943, Presses universitaires de Rennes, (ISBN 978-2-7535-6736-8, lire en ligne), p. 239
  26. Jean-Marc Raffaelli, « Ménora d'Or remise à la Corse "Notre façon de lui dire merci" » , sur https://www.corsematin.com/, (consulté le )
  27. « Le Secret de Zia Maria », sur www.film-documentaire.fr (consulté le )

Annexes

Articles connexes

Liens Externes

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