Kagyüpa
La lignée Kagyü, Kagyu ou Kagyupa (tibétain : བཀའ་བརྒྱུད་པ, Wylie : bka' brgyud pa, pinyin tibétain : Kagyu (ou bien) Kagyupa, THL : kagyü pa ; chinois simplifié : 噶举派 ; chinois traditionnel : 噶舉派 ; pinyin : ) est l'une des quatre grandes traditions contemporaines du bouddhisme tibétain[1]. Son nom peut se traduire par « transmission orale ». Elle s’est constituée au XIe siècle à partir d’enseignements indiens récemment importés et s'est rapidement divisée en de nombreuses branches, dont quatre restent notables au XXIe siècle. Les plus importantes sont les branches karma-kagyu (Karma Bka'-brgyud-pa), la mieux implantée en dehors des régions himalayennes, avec à sa tête le Karmapa, et Droukpa Kagyu ('Brug-pa Bka'-brgyud-pa), religion officielle du Bhoutan. Drikung Kagyu et Taklung Kagyu sont deux branches moins développées. Shangpa Kagyü, une branche parallèle disparue au XVIe siècle, a refait surface au XIXe siècle.
La tradition kagyu fut la première à transmettre l’enseignement du mahamudra, adopté ultérieurement à l’intérieur du courant gelugpa à l’initiative du 4e panchen-lama, Lobsang Chökyi Gyaltsen (1570-1662), donnant naissance à la tradition Ganden-Kagyu.
Histoire
Avant kagyu
Selon la tradition bouddhiste, Siddhartha Gautama a laissé plusieurs sortes d'enseignements adaptés aux différentes capacités des êtres, inclus dans le sutrayana (voie des sutras) et le tantrayana (voie des tantras) ; le bouddhisme tibétain ressortit essentiellement à la seconde voie, celle du Bouddhisme vajrayāna. Les premiers disciples du Bouddha ont consigné par écrit ses enseignements oraux ; par la suite, des maîtres ont écrit de nombreux traités en expliquant le sens. À travers les siècles, différentes lignées de transmission se voulant authentiques et précises apparurent, chacune avec ses propres caractéristiques.
Le bouddhisme tibétain inclut tous les enseignements qui proviennent de l'Inde. Grâce aux efforts des traducteurs locaux et des maîtres indiens, le corpus complet des enseignements a été traduit en tibétain. De cette manière, le bouddhisme s’est développé continûment au Tibet jusqu'au milieu du XXe siècle.
Au VIIIe siècle, le roi Trisong Detsen invita Guru Rinpoché et Shantarakshita au Tibet et initia la traduction d'importants textes bouddhistes. C’est ainsi que naquit la tradition nyingma, l'« ancienne tradition », dont les enseignements s'appuient sur les textes de cette première période de traduction. Pendant le XIe siècle, une seconde phase de traduction prit place, accompagnée de la révision de la terminologie des premières traductions. Les traditions qui appuient leur transmission sur cette période sont désignées sous le nom de Sarmapa, « nouvelles traditions ». Les plus connues sont kagyu, sakya et gelug.
Naissance de la tradition kagyu
La principale tradition kagyu remonte à Marpa le Traducteur (1012-1097), médiateur de la pensée des mahāsiddhas (sage) indiens Tilopa (988-1089) et Naropa (1016-1100). Il fut l’élève direct du dernier, dont il obtint en particulier les quatre transmissions (bka' babs bzhi) de Tilopa et le mahamudra ou « grand sceau », un des systèmes de techniques de libération propre au vajrayāna, avec le dzogchen. En Inde il étudia aussi auprès de Maitripa, Jnanagarbha et Kukuripa. De retour au Tibet, il reçut d’Atisha l’enseignement Kadampa, une ancienne tradition sarmapa absorbée ultérieurement par les traditions gelugpa et kagyupa. Milarépa, son disciple, serait devenu le dépositaire de l’enseignement de la méditation, tandis que d’autres disciples tels que Ngok Chöku Dorje, Tsurton Wange et Meton Chenpo auraient reçu son enseignement philosophique. Ces deux traditions de méditation (sGub-grva) et de philosophie (bShad-grva) sont maintenues dans les monastères kagyu.
Parmi les nombreux disciples de Milarépa, Gampopa (1079-1153) et Rechung Dorjé Drakpa ou Rechungpa (1084-1161) sont chacun à l’origine d’une branche de kagyu. Celle de Rechungpa, Rechung Kagyu ou Dechog Nyangyud, « tradition orale de Dechog » (déité), a disparu en tant que lignée indépendante, mais son enseignement a été repris par Drukpa Kagyu et le groupe Surmang de Karma Kagyu. Gampopa, dépositaire du mahamudra et des six yogas de Nāropa, fonda Dakpo Kagyu, lignée-mère qui se divisa rapidement en 4 branches fondées par trois disciples directs et un disciple de deuxième génération.
Il existe également une branche parallèle nommée Shangpa Kagyü, se rattachant non à Marpa mais à Khyungpo Nèldjor (978 ?-1079 ?), yogi et traducteur originaire de Nyemo Ramang (Tibet central), issu comme Milarépa du clan Khyung. Il se rendit au Népal où il eut pour maître Acharya Sumati, puis en Inde où il reçut l’enseignement de Maitreta, Rahulagupta et des dakinis Sukhasiddha et Niguma ; cette dernière est présentée selon les sources comme la sœur ou la parèdre de Naropa. De retour au Tibet, il prononça ses vœux auprès de Langri Thangpa, maître kadampa. La branche shangpa fonda des monastères à Phenyul et à Shang (Tsang), d’où son nom. La transmission ésotérique se fit directement de maître à un seul élève pendant sept générations jusqu'à Sangye Tönpa (1213-1285, et c'est à compter de son disciple Tsultrim Gompo que les enseignements se sont plus largement répandus.
Quasi-disparition au XVIIe siècle
lors de la montée en puissance des gélougpa, sous l'impulsion des mongols Qoshots dirigés par Güshi Khan, au XVIIe siècle, ils subissent une importante persécution de leur part.
Les Mongols détruisirent la quasi-totalité des établissements Kagyu (bka' brgyud pa) dans les régions centrales du pays ou les transformèrent en établissement Gélugpa (dGe lugs pa)[2]. Chöying Dorje (1604 — 1674), 10e karmapa, a bénéficié de patronage du roi du Tsang, Karma Tenkyong Wangpo (kar ma bsTan skyong dbang po), alors en guerre ouverte avec les autorités du Ü (dbus) qui appuyaient les l'école Gélugpa et les Mongols. Il fut alors contraint à l'exil pour sauver sa vie[3].
Ère moderne
Au XIXe siècle, Jamgon Kongtrul Lodrö Taye, l’un des fondateurs du mouvement non-sectaire rimé, lui consacra un volume de son Trésor des instructions orales (gdams ngag mdzod) et en relança la transmission. C'est l'une de ses « émanations », Kyabje Kalou Rinpoché (1903-1989), qui a fondé plusieurs centres dans le monde à partir de Sonada en Inde, notamment le « Temple des Mille Bouddhas » Dashang-Kagyu Ling en Bourgogne en 1987. Son tulkou (ou « réincarnation ») Yangsi Kalou, né en 1990, a depuis pris la succession, assisté par son régent Kyabje Bokar Rinpoché décédé en 2007.
Branches principales
Il y eut au cours des siècles de nombreuses branches kagyu, dont les plus connues sont les « quatre grandes écoles » (Phaktru, Karma, Tsalpa, Barom) et les « huit petites écoles » (Drikung, Drukpa, Taklung, Yasang, Trophu, Shuksep, Yelpa, Martsang).
- Shangpa Kagyü, lignée de Khyungpo Nyaljor, ressuscitée au XIXe siècle ;
- Rechung kagyu ou Dechog Nyangyud, lignée de Rechungpa ;
- Dagpo Kagyu, lignée de Gampopa ;
- Quatre branches issues de Dakpo Kagyu, fondées par quatre disciples de Gampopa, dont la première reste importante au XXIe siècle :
- Kamtsang (kam tshang) ou Karma-kagyu, fondée par le premier Karmapa, Düsum Khyenpa (1110-1193) ; l'identité du 17e Karmapa fait l'objet d'une controverse ;
- Phaktru ('phag gru) Kagyu, fondée par Deshek Phakmo Trupa Dorje Gyalpo (1110-1170), qui prit le contrôle du Tibet central aux sakyapa (période Phagmodrupa) et introduisit des éléments du lamdre dans la tradition kagyu ; huit disciples de Phakmo Trupa ont fondé des sous-branches, dont trois ont encore une présence notable.
- Tsalpa (tshal pa) Kagyu, fondée par Lama Zhang ou Yudakpa Tsondu Dakpa (1123-1193) ;
- Barom Kagyu ('ba' rom), fondée par Barom Darma Wangchuk ;
- Les huit sous-branches issues de Phaktru Kagyu ; les trois premières sont les plus importantes au XXIe siècle :
- Drikung ('bri gung) Kagyu, fondée par Drikhung Kyopa Jigten Sumgyi Gönpo (1143-1217) ; Drikung Kyapgön Chetsang Rinpoche (né en 1946) résidant à Dehradun est son hiérarque actuel ;
- Drukpa ('brug pa) Kagyu attribuée à Drupchen Lingrepa Pema Dorje (1128-1188) et son disciple Tsangpa Gyare Yeshe Dorje (1161-1211) ; leur monastère d’origine était Namdruk au Tibet central Kunkhyen ; plus tard Pema Karpo (1527-1592) fonda le monastère Druk Sang-ngak Chöling au Tibet méridional. C’est la religion d’État du Bhoutan, où elle fut introduite par Shaptrung Ngakwang Namgyal. Le Je Khenpo (moine bhoutanais du plus haut rang) et le roi du Bhoutan Jigme Khesar Namgyel Wangchuck en sont les hiérarques pour ce pays ; Kapgön Drukchen Rinpoche, résidant à Darjeeling, est hiérarque pour les autres régions. Il existe des divisions à l’intérieur de Drukpa et tous les sous-groupes ne se considèrent pas comme l’une des « huit petites écoles ».
- Taklung (stag lung) Kagyu, fondée par Taklung Thangpa Tashi Pal (1142-1210). Taklung Shapdrung Rinpoche, Taklung Matul Rinpoche et Tsatrul Rinpoche en sont les hiérarques actuels.
- Yasang (g.y'a bzang) Kagyu, fondée par Zarawa Kalden Yeshe Senge (? - 1207) et son disciple Yasang Chöje Chökyi Mönlam (1169-1233) qui fonda en 1206 le monastère Yamsang (g.yam bzang) qui lui donné son nom à la branche ;
- Trophu (khro phu) Kagyu, fondée par Rinpoche Gyatsa et son disciple Trophu Lotsawa Champa Pal (1173-1225) qui fonda le monastère Trophu à Tsang (Tibet central) ;
- Shuksep (shug gseb) Kagyu, fondée par Gyergom Tsultrim Senge (1144-1204), qui établit le monastère de Shuksep en 1181 à Nyephu, Chushur, Tibet central ;
- Yelpa (yel pa) Kagyu, fondée par Yelpa Drupthop Yeshe Tsekpa ;
- Martsang (smar tshang) Kagyu, fondée par Martsang Sherab Senge ;
Textes et pratiques
Hormis le canon tibétain rassemblé dans le Kangyour et le Tanjur les différents courants kagyu se basent sur des textes plus spécifiques, comme ceux attribués à Marpa, Milarépa (Les cent mille chants), Gampopa (Le Précieux ornement de la libération), Drikhung Kyöppa Jigten Sumgön, Drukpa Kunkhyen et Pema Karpo, ainsi que les différents Karmapas. Jamgon Kongtrul Lodrö Thayé (1813-1899) l’un des fondateurs du mouvement œcuménique rimé, a compilé le Trésor des mantras kagyu, rassemblant l’essentiel des enseignement, onctions et sadhanas (méditations).
Comme toutes les lignées du vajrayāna, kagyupa enseigne la voie tantrique dite « voie des upayas » (thabs lam), qui propose différents yogas formant une progression graduelle. Les yidams principaux sont Cakrasamvara et sa parèdre Vajrayogini ou Vajravarahi, les principaux dharmapalas sont Dorje Bernakchen et Palden Lhamo, avec des différences possibles selon les courants ; ainsi, Chagdrupa est un dharmapala plus spécifique à la lignée Shangpa. Une spécificité de kagyupa est le système des six yogas de Nāropa (nA ro chos drug) employé dans la phase de complétion des anuttarayoga-mères. L’adibuddha est Vajradhara.
Kagyu transmet également une voie de libération (grol lam) non tantrique en quatre stades : les quatre yogas du mahamudra (phyag rgya chen po), repris par une partie du courant gelugpa.
Principaux édifices
De nombreux monastères kagyupa sont apparus au fil des siècles au Tibet et dans l’Himalaya. Les plus célèbres sont Dhaklha Gampo, dans le Tibet méridional, fondé par Gampopa, et Tsourphou fondé par le 1er Karmapa dans la vallée de Tölung au Tibet central, et toujours siège officiel du hiérarque de Karma Kagyu. Citons encore Palpung, Jamgon Kongtrul, Surmang et Ralung, siège du hiérarque de Drougpa Kagyu. Rumtek au Sikkim fut fondé par le 16e Karmapa en exil. À Lhodrak au sud du Tibet, région d’origine de Marpa, on montre encore les vestiges d'une tour de neuf étages dont la tradition attribue la construction à Milarépa.
Références
- The Princeton dictionary of buddhism par Robart E. Buswell Jr et Donald S; Lopez Jr aux éditions Princeton University Press, (ISBN 0691157863), pages 121 et 122.
- Modèle:Achard « Il s'est en effet retrouvé au cœur des conflits qui ont agité le Tibet Central au XVIIe siècle et qui ont abouti à l'invasion mongole et à la destruction de la quasi-totalité des établissements bKa' brgyud pa des régions centrales du pays, ou bien à leur transformation en institutions dGe lugs pa. »
- Modèle:Achard
Bibliographie
Textes
- Gampopa, Le Précieux Ornement de la libération, Padmakara, 5-7-1999, (ISBN 2906949167 et 978-2906949164)
- Marpa, maître de Milarépa, sa vie, ses chants, Claire Lumière, 2003, 240 p.
- Milarépa, Œuvres complètes : La vie ; Les cent mille chants suivi de Dans les pas de Milarépa, trad Marie-José Lamothe, Fayard, coll. "Les indispensables de la spiritualité", 2006, (ISBN 2213628971 et 978-2213628974)
- Anonyme, La vie de Naropa. Tonnerre de grande béatitude, trad Marc Rozette, Seuil, coll. "Points Sagesses", 1-10-2004, (ISBN 2020558092 et 978-2020558099)
- L'Ondée de Sagesse. Chants de la lignée Kagyu, trad. Christian Charrier, Ed. Claire Lumière (2006), 496 p. (ISBN 2-905998-81-4)
Études
- Jampa Mackenzie Stewart, Vie de Gampopa, Ed. Claire Lumière (1996). (ISBN 2-905998-35-0)
- Arnaud Dotézac, Les lamas se cachent pour renaître, préface Françoise Bonardel, Xenia (2008) - (ISBN 978-2-88892-060-1)
- Lama Kunsang & Marie Aubèle, L'Odyssée des Karmapas, La grande histoire des lamas à la coiffe noire, Ed. Albin Michel (2011). (ISBN 978-2-226-22150-6)
- Fabrice Midal, La pratique de l'éveil de Tilopa à Trungpa. L'école Kagyü du bouddhisme tibétain, Seuil, coll. "Points Sagesses", 1997.
- Charles Manson, The Second Karmapa, Karma Pakshi: Tibetan Mahasiddha, Shambhala, 2022. (ISBN 978-1-55939-467-3)
Histoire
- (en) Karl Debreczeny, The Black Hat Eccentric: Artistic Visions of the Tenth Karmapa, Rubin Museum of Art, , 33-63 p.
- Compte rendu : Jean-Luc Achard, « Karl Debreczeny, The Black Hat Eccentric. Artistic Visions of the Tenth Karmapa, with contributions by Ian A. Alsop, David P. Jackson & Irmgard Mengele, 2012 », Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient, t. 99, , p. 431-433 (lire en ligne)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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