Immaculée Conception

L'Immaculée Conception est la conception de la Vierge Marie « sans tache », c'est-à-dire exempte du péché originel. Ce point de foi a été défini par un dogme de l'Église catholique, qui a été proclamé le par le pape Pie IX par la Constitution apostolique : Ineffabilis Deus. Ce point de foi existait déjà de manière documentée depuis au moins le IVe siècle, dans les écrits de plusieurs Pères de l'Église. Cette croyance ne doit pas être confondue par erreur, comme cela arrive souvent, avec la conception virginale de Jésus-Christ, c'est-à-dire le dogme de l'Incarnation. L'immaculée conception se rapporte uniquement à la conception de la Vierge Marie dans le sein de sa mère.

Pour les articles homonymes, voir Immaculée conception (homonymie).

Immaculée Conception

Immaculée conception : La Nativité de la Vierge, par Jean II Restout (1744)
Nom de naissance Marie
Vénérée par Église catholique
Fête 8 décembre
Sainte patronne Portugal, Espagne, États-Unis d’Amérique, Corée, Philippines, Nicaragua, Salvador, Corse

L'Immaculée Conception est célébrée par l'Église catholique le  lors de la fête qui lui est dédiée. Il s'agit d'une fête de précepte.

Si l'Église orthodoxe célèbre la fête de la Conception de Marie et nomme Marie « l'Immaculée », elle ne reconnaît cependant pas ce dogme de l'Immaculée Conception, de même que les protestants ou les autres Églises chrétiennes, qui y voient un théologoumène[1].

De très nombreuses églises de par le monde sont dédiées à l'Immaculée Conception. Dans l'art, en peinture comme en sculpture, l'Immaculée Conception est l'objet d'une iconographie importante.

Définition dogmatique

Le pape Pie IX, qui a proclamé le dogme de l'Immaculée Conception par la Constitution apostolique Ineffabilis Deus.

Le dogme de l'Immaculée Conception signifie que Marie, mère de Jésus-Christ selon la chair, a été conçue et est née exempte du péché originel. La Constitution apostolique Ineffabilis Deus du pape Pie IX le proclame solennellement le , entérinant la foi constante de l'Église catholique à ce sujet :

« Par l'autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et par la Nôtre, Nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine selon laquelle la bienheureuse Vierge Marie fut dès le premier instant de sa Conception, par une grâce et un privilège spécial de Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute souillure de la faute originelle, est révélée de Dieu, et que par conséquent elle doit être crue formellement et constamment par tous les fidèles.

« Si donc quelques-uns, ce qu'à Dieu ne plaise, avaient la présomption de penser dans leur cœur autrement qu'il n'a été défini par Nous, qu'ils apprennent et sachent que, condamnés par leur propre jugement, ils ont fait naufrage dans la foi et quitté l'unité de l'Eglise ; et de plus, que, si par la parole, par l'écriture et par toute autre voie extérieure, ils osaient exprimer ces sentiments de leur cœur, ils encourraient par le fait même les peines portées par le droit. (...)

« Qu'il ne soit donc permis à aucun homme d'enfreindre ce texte de Notre déclaration, décision et définition, ou par une audace téméraire de la contredire et de s'y opposer. Si quelqu'un ne craint pas de commettre cet attentat, qu'il sache qu'il encourra l'indignation de Dieu tout-puissant. »

La Constitution dogmatique Lumen gentium, promulguée par le concile Vatican II, définit que la Vierge Marie a été « rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils » (LG 53) et que, « indemne de toute tache de péché, ayant été pétrie par l'Esprit saint, [elle a été] formée comme une nouvelle créature »[2].

Dans le texte de l'Annonciation, l'ange Gabriel apparaît à une jeune fille nommée Marie, en Galilée. Il lui annonce la venue de Dieu en elle, et Marie répond Oui[3].

Origine du dogme

Littérature chrétienne antique

Statue de l'Immaculée Conception en Slovaquie (XVIIIe siècle)

L'expression de la doctrine de l'Immaculée Conception s'opère très progressivement. Elle puise ses origines dans le cadre de réflexions doctrinales sur la conception et la naissance de Jésus développées dans la continuité des traditions littéraires sur l'enfance de ce dernier, des récits qui s'opposent régulièrement sur la nature humaine ou divine du Christ[4].

Aux IIe et IIIe siècles, s'ils s'accordent pour reconnaître en la mère de Jésus une femme admirable, des théologiens comme Tertullien, Origène ou encore Jean Chrysostome estiment qu'elle n'est pas exempte d'avoir commis des péchés, certes véniels[5]. Avec l'importance que prend progressivement le culte de Marie, « l'imaginaire marial » sur sa sainteté se développe également, propageant l'idée selon laquelle la mère du Christ ne peut avoir commis de faute — même vénielle — contre Dieu, qu'elle est « sans souillure ni corruption »[5].

La question se pose alors aux « mariologues » de savoir à quel moment de son existence remonte cet état de pureté et y différentes réponses sont apportées : dès sa propre conception, dans le sein de sa mère, à sa propre naissance ou encore à la conception de Jésus.[5] Par ailleurs, le développement vers la même époque de la théologie sur le péché originel, censé entacher tout être humain dès sa conception, pousse les tenants d'une intégrale sainteté de Marie à défendre l'idée suivant laquelle elle en a été préservée, ce qui reste encore douteux pour Augustin d'Hippone lui-même[6].

La dévotion à l'immaculée conception de Marie n'apparaît explicitement pas avant les XIe et XIIe siècles[7].

Selon le Dictionnaire de théologie de l'abbé Bergier (1841), les citations suivants de Pères de l'Église soutiennent le dogme de l'Immaculée Conception[8] :

  • Amphiloque d'Iconium (IVe siècle) : « Dieu a formé la sainte Vierge sans tache et sans péché. »
  • Augustin d'Hippone (354-430) : « De la sainte Vierge Marie, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit question lorsqu’il s’agit de péchés. Nous savons en effet qu’une grâce plus grande lui a été accordée pour vaincre de toutes parts le péché par cela même qu’elle a mérité de concevoir et d’enfanter celui dont il est certain qu’il n’eut aucun péché. »[9]
  • Dans la Vulgate, Jérôme de Stridon (347-420) emploie l'expression inmaculata (Ct 5,2 ; cf. 4,7) et attribue à Marie le rôle d'écraser le serpent (Gn 3,15). Dans son commentaire du psaume 73, il indique que « Marie n'a jamais été dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière. »
  • Proclus de Constantinople (390-446) : « la Sainte Vierge a été formée d'un limon pur. »

Théologie médiévale

Vitrail de l'Immaculée Conception en l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche (XVIe siècle, détail).

Un débat théologique va se mettre en place en Europe entre les tenants du dogme de l'Immaculée Conception (les immaculistes), et ses opposants (les maculistes). Ainsi, au XIIe siècle, Bernard de Clairvaux, pourtant célèbre pour sa dévotion mariale, s'oppose en 1146 à cette pratique[10]. Un siècle plus tard, Thomas d'Aquin lui aussi s'opposera à l'opinion de l'Immaculée Conception[11],[12],[13].

Parmi les premiers défenseurs du dogme de l'Immaculée Conception, se trouve Jean Duns Scot (1266-1308)[N 1], qui affirme qu'en tant que Mère de Dieu Marie ne peut être entachée comme les autres par le péché originel[14]. Si le moine carme John Baconthorp était dans un premier temps opposé à ce dogme, en 1340 il en devient un fervent partisan[15]. Pierre Thomas (1305-1366), patriarche latin de Jérusalem et moine carme, rédige un traité où il affirme sa foi en « la conception immaculée de la Vierge Marie »[16].

Le discours maculiste est porté par les Dominicains tandis que les arguments des immaculistes sont principalement l'œuvre de prédicateurs franciscains. Certains papes[N 2] soutiennent les Dominicains et s'opposent à la doctrine de l'Immaculée Conception. Face à eux, les Franciscains sont soutenus par les Carmes[17], les Augustins et les enseignants de l'université de la Sorbonne ainsi que le pape Clément VII (1378-1394) et la cour pontificale d'Avignon[18].

Ces débats théologiques entraînent également des turbulences dans la société de l'époque : la Sorbonne est paralysée un an par cette querelle. En 1387, un théologien aragonais Johannes de Montesono (ou Jean de Montson en français), est condamné, car il enseignait que la Vierge Marie était née avec le péché originel[19]. Pierre d'Ailly, aumônier du roi Charles VI, défend en 1388 devant la papauté d'Avignon l'idée de l'Immaculée Conception. Sa plaidoirie remporte l'adhésion des autorités ecclésiastiques (face aux plaidoiries des Dominicains), et fort de son succès, à son retour à Paris, il fait renvoyer de la maison royale tous les Dominicains qui contestaient cette doctrine[20].

Au XIVe siècle le débat se poursuit entre Franciscains et Dominicains. Cette bataille théologique est illustrée dans des peintures murales découvertes à Saint-Flour et qui sont un hymne à sainte Anne et à la femme de la part des Dominicains[21].

Proclamation du dogme

De 1830 à la proclamation solennelle

Médaille de l'Immaculée Conception, ou médaille miraculeuse (1830).

Lors des apparitions mariales dont Catherine Labouré s'est dite favorisée, rue du Bac à Paris en 1830, la Vierge se serait présentée, selon son récit, comme « conçue sans péché ». La médaille miraculeuse, frappée avec l'invocation « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous », popularise la foi en la conception immaculée de Marie[22].

Dans l’Église catholique, plusieurs voix se font alors entendre pour demander au pape la formulation du dogme de l'Immaculée Conception. Ainsi, le VIIe concile de Baltimore en 1849 conclut ses travaux « en estimant opportun de définir comme un dogme l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie »[23].

Pour répondre aux demandes des évêques, Pie IX, après son élection, institue le une commission de vingt théologiens et une congrégation antépréparatoire de huit cardinaux[N 3]. Le pape sollicite ensuite par écrit l'avis de tous les évêques, via l'encyclique Ubi primum du .

Le , le pape réunit une commission spéciale pour élaborer le texte définitif qui, après l'approbation par un consistoire, est promulgué le sous le titre d'Ineffabilis Deus.

Arrière-plan historique et théologique

Image pieuse représentant l'Immaculée Conception (imprimée à Nancy en 1835).
Le pape Pie IX entrant dans la basilique Saint-Pierre de Rome, porté solennellement sur la sedia gestatoria.

Claude Langlois, historien du catholicisme contemporain, est amené à replacer la promulgation de ce dogme dans le contexte des documents pontificaux de la même époque : le Mirari vos de Grégoire XVI (1832) ainsi que les divers textes de Pie IX, Qui pluribus (1846), Ineffabilis Deus (1854), Quanta cura et Syllabus (1864). Pour lui, la proclamation d’un dogme marial au milieu d’une série concernant en particulier la montée en puissance du rationalisme, ne présente pas, à première vue, une véritable cohérence avec la série[24].

Or la doctrine de l'Immaculée Conception traite du péché originel dont seule Marie, la mère du Christ, serait exempte. Il s’agit donc, pour Claude Langlois, de stigmatiser par là tous les courants qui revendiquent l’exercice autonome de la raison, devenue faillible par une corruption de l’esprit humain due à la faute d’orgueil originelle. Dans cette perspective, le dogme s'inscrit bien dans la série. Claude Langlois insiste cependant sur d'autres points : la tradition de cette croyance, le fait que c'est la première fois que le pape use de l'infaillibilité pontificale avant même que celle-ci ne soit définie à son tour par un dogme en 1870[25].

Pie IX se caractérise en effet par son « intransigeance » qui refuse toute « transaction » avec les quatre principales causes des « malheurs du temps », selon sa terminologie : l'esprit de la Réforme protestante, la philosophie des Lumières, l'héritage de la Révolution française et le libéralisme étatique[26]. Cette position ne saurait toutefois se réduire au rejet du courant moderniste : Pie IX, dernier souverain des États pontificaux, comme le souligne Yves-Marie Hilaire[27], s'efforce avant tout de préserver et de transmettre le « dépôt de la foi » de l'Église catholique au moment même où celle-ci paraît menacée de toutes parts[26]. Dès lors, tout en s'employant à favoriser la renaissance de la religion[27], Pie IX considère la promulgation de nouveaux dogmes aussi bien comme le nécessaire exercice de ses droits de souverain pontife que comme « un approfondissement et un aboutissement de la tradition vivante de la foi à travers les siècles »[26].

Suites de la promulgation

Assassinat de l’archevêque de Paris

Marie-Dominique Sibour (1792-1857), archevêque de Paris, par Thomas Couture, musée Carnavalet.

Deux ans après la proclamation du dogme, Marie Dominique Auguste Sibour, archevêque de Paris, est poignardé en pleine église à l'issue d'une cérémonie, le par Jean-Louis Verger ancien curé, visiblement déséquilibré[28], et déjà sanctionné par l’Église[N 4]. Si lors de son crime il s'écrie « À bas les déesses », expliquant que son geste est une contestation du dogme de l'Immaculée Conception, quelques heures après il se rétracte, donnant une autre motivation à son meurtre (une protestation contre le célibat des prêtres)[29]. En plus d'avoir eu plusieurs problèmes avec les autorités religieuses (avant cette affaire) qui lui ont valu une série de sanctions, Verger avait déjà eu maille à partir avec la justice pour plusieurs affaires de vols ou de scandales sur la voie publique. Lors d'un précédent procès, un médecin avait déclaré « Il a toute sa lucidité, mais c'est un homme dangereux »[28]. Son procès, qui se conclura par sa condamnation et son exécution le , donne lieu à de nouveaux esclandres de sa part[30]. Une plaque scellée, à l'entrée de la nef de l'église Saint-Étienne-du-Mont commémore le meurtre de l'archevêque[31].

Apparitions de Lourdes

Vitrail de la basilique de l'Immaculée-Conception - 16e apparition de la Vierge qui révèle à Bernadette : « Je suis l'Immaculée Conception ».

À Lourdes, Bernadette Soubirous affirme que, le , soit quatre ans après la promulgation du dogme, la dame qui lui est apparue s'est elle-même présentée ainsi, en gascon, dans la grotte de Massabielle, à Lourdes : « Que soy era immaculada councepciou » (« Je suis l'Immaculée Conception »)[32]. Jean-Paul II indiquera dans une homélie que cette déclaration vient confirmer le dogme de l'Immaculée Conception puisque « à Lourdes, [Marie] s’appela du nom que Dieu lui a donné de toute éternité; oui, de toute éternité, il la choisit avec ce nom et il la destina à être la Mère de son Fils, le Verbe éternel »[33].

Apparitions de Gietrzwałd

En 1877, lors des apparitions mariales de Gietrzwałd, les voyantes affirment que la dame qu'elles voient leur déclare « Je suis la très sainte Vierge Marie immaculée ». Et quelques jours plus tard, la Vierge demande aux jeunes filles de faire installer un reposoir avec une statue de l'Immaculée Conception. Ces apparitions ont été reconnues comme « authentiques et digne de foi » en 1977, à l'occasion du centenaire des apparitions. Lors de cette proclamation, était présent l'archevêque Karol Wojtyła, futur pape Jean-Paul II[34].

Apparitions de Beauraing

En 1932, lors des apparitions mariales de Beauraing, les voyants affirment que l'apparition qu'ils voient (qu'ils ont très vite désignée comme la Vierge Marie), leur déclare qu'elle est « la Vierge immaculée ». Si les enfants rapportent d'autres titres mariaux connus comme « la Mère de Dieu, la Reine des Cieux », ils ne précisent pas « Immaculée Conception », mais simplement, par deux fois, « la Vierge immaculée ». Ces apparitions (une trentaine) sont reconnues par l'évêque du lieu, et ainsi par l'Église catholique en 1947[35].

Église catholique au XXe siècle

Le Catéchisme de l'Église catholique, concernant ce dogme de foi, indique :

  • « Pour être la Mère du Sauveur, Marie fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d’une si grande tâche »[36], il ajoute « par la grâce de Dieu, Marie est restée pure de tout péché personnel tout au long de sa vie. »[37].
  • « La bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel »[38].

Il affirme également que ce dogme prononcé par Pie IX en 1854 est le fruit d'une lente prise de conscience de l’Église « au long des siècles »[36] qui remonte aux pères de la tradition orientale  c'est-à-dire aux premiers siècles de l’Église[37].

Ce point de foi exprimé dans le Catéchisme de l’Église est appuyé sur des citations bibliques (Lc 1,28, Ep 1,3-4, Ep 5,27)[39],[N 5] ainsi que sur la constitution dogmatique Lumen Gentium (§ 53 et 56).

Autres confessions chrétiennes

Église orthodoxe

Dand l'Église orthodoxe, cette doctrine n'est pas acceptée.

Wladimir Guettée s'étonne que, malgré la forte opposition à l'Immaculée Conception dont témoignent selon lui les grands docteurs scolastiques, la bulle de proclamation du dogme puisse qualifier la croyance en cette doctrine de constante, unanime et universelle[40]. D'autre part, Jean de Shanghaï affirme qu'aucun des textes des anciens Pères (mis en avant par les catholiques) qui ont exalté la pureté de Marie n'a parlé spécifiquement d'une conception sans péché originel ou même d'une purification de la Sainte Vierge dans le sein de sa mère[41],[N 6]. Salon Guettée, la Mère de Dieu est appelée dans les livres de prières orthodoxes « toute-sainte », « toute-pure », « toute-bienheureuse », « toute-glorieuse », « toute-immaculée », non par une absence du péché des ancêtres, mais par une absence de tout péché personnel qui, jusqu'à l'Annonciation, fut le fruit de sa lutte personnelle jointe à l'abondance de grâce répandue en elle[N 7]. Toujours selon Guettée, en déclarant cela, l'Église orthodoxe se veut fidèle à la tradition des Pères. Guettée cite en exemple, saint Ambroise ou saint Augustin qui tous deux parlent de la Sainte Vierge comme « sans défaillances », « immaculée » ou « sans péchés », mais qui affirment par ailleurs : « Parmi tous ceux qui sont nés des femmes, il n'y a de parfaitement saint que le Seigneur Jésus : lui seul par la manière ineffable dont il a été conçu, et par la puissance infinie de la divine Majesté, n'a point éprouvé la contagion du vice qui corrompt la nature humaine. » (saint Ambroise, in Luc, II, 55) ; et « Jésus-Christ seul n'a jamais eu de péché ; il n'a pas pris la chair de péché, quoiqu'il ait pris de sa mère une chair qui était celle du péché ; car ce qu'il en a pris de sa mère, ou il l'a purifié avant de le prendre, ou il l'a purifié en le prenant. » (saint Augustin, de Peccatt. remiss., livre II)[42].

Concernant la "convenance" de l'Immaculée Conception, le point de vue des orthodoxes peut être résumé par cette phrase du théologien orthodoxe Vladimir Lossky : « Si la Sainte Vierge avait été isolée du reste de l’humanité par un privilège de Dieu lui conférant d’avance l’état de l’homme avant le péché, alors son consentement libre à la volonté divine, sa réponse à l’archange Gabriel, perdraient le lien de solidarité historique avec les autres actes qui contribuèrent à préparer, au long des siècles, l’avènement du Messie »[43],[44]. Le dogme catholique de l’Immaculée Conception, en offrant une possibilité de libération du péché originel avant la crucifixion de Jésus, remet finalement en cause tout le plan divin du salut et de la Rédemption après la chute, ce qui est incompréhensible pour les pères grecs[45].

Les catholiques répliquent généralement à cette objection en disant qu'être libéré du péché originel n'enlève pas le libre arbitre. Or il s'agit pour les orthodoxes d'affirmer que « Marie incarne le libre élan vers Dieu de l'humanité, non-rédimée encore »[46].

Pour Martin Jugie, qui note la croyance en l'Immaculée conception parmi certains orthodoxes et spécialement les vieux-croyants, ce refus de l'Immaculée Conception serait une théorie adoptée par les orthodoxes sous l'influence d'orthodoxes formés chez les protestants, et par rejet du catholicisme latin. Il cite par exemple le règlement intérieur du Monastère de Bélokrinitsa : « la Mère du Créateur de tout l'univers, non seulement n'a participé en rien à la tache originelle, mais elle est toujours demeurée pure comme le ciel et toute belle »[47]. Pour Georges Florovsky, au contraire, ces traces d'une doctrine de l'Immaculée Conception ne sont que la manifestation de l'influence de la théologie catholique romaine en Russie au dix-septième siècle[48].

Églises protestantes

Selon la Fédération protestante de France, les protestants, dont les chrétiens évangéliques, estiment que les éléments de la dévotion à Marie sont excessifs, voire tendent à la « mariolâtrie ». S'ils ne reconnaissent pas à la Vierge le titre de « Mère de Dieu » (titre issu du concile d'Éphèse), ils sont opposés au dogme de l'absence du péché originel chez Marie[49].

Autres Églises

Le Groupe des Dombes (réunissant des protestants et catholiques de langue française) écrit : « Dans la mesure où les catholiques admettent que le fiat de Marie lors de l'Annonciation n'était possible que moyennant la grâce de Dieu, ils peuvent justement présenter l'Immaculée Conception comme une expression radicale de cette grâce […]. Inversement, dans la mesure où les protestants reconnaissent que le don de la grâce ne dispense pas Marie de répondre librement et activement à la volonté de Dieu, ils peuvent alors mieux comprendre le sens de la position catholique selon laquelle l'Immaculée Conception n'a pas pour effet d'arracher Marie à la condition humaine, mais plutôt de la préparer à pouvoir un jour, comme toute créature rachetée, apporter sa réponse active à l'initiative de Dieu »[50].

L'Union d'Utrecht n'accepte pas le dogme de l'Immaculée Conception[51].

Culte

Patronne de pays et de régions

L'Immaculée Conception, patronne du Portugal, de la Corse et des États-Unis.

Si la Vierge Marie a été proclamée sainte patronne principale de la France par Pie XI en 1922, à la suite entre autres du vœu de Louis XIII, c’est sous le vocable de Notre-Dame de l’Assomption, fêtée le 15 août et non celui de l’Immaculée Conception[52],[53].

Le Portugal est placé sous le patronage de la Vierge Marie depuis le Moyen Âge. Le , après 60 ans d’union avec l’Espagne, les Portugais reprennent leur indépendance. Six ans plus tard, le nouveau roi João IV place le pays sous la protection de l’Immaculée Conception : dans l’église de Vila Viçosa où se trouve le palais familial, il dépose la couronne royale sur la tête de Notre-Dame de la Conception (Nossa Senhora da Conceição) qui est proclamée Reine et patronne du Portugal[54],[55]. Par la suite, les rois du Portugal ne porteront plus jamais la couronne sur leur tête[56]. Aujourd’hui encore, le 8 décembre est au Portugal le jour férié où les catholiques portugais fêtent celle qui est reine, patronne et protectrice de leur pays.

Les insurgés corses, réunis au couvent Saint François à Orezza en 1735, décidèrent de faire sécession d’avec la République de Gênes et proclamèrent l'indépendance de l'île. Ils placèrent leur jeune nation sous la protection de l’Immaculée Conception, dotant la Corse de son hymne religieux Dio Vi Salvi Regina consacré à la Vierge Marie et de son jour de fête nationale, le 8 décembre[57]. Aujourd'hui encore, dans les villes et les villages de Corse, le est un jour de célébrations religieuses et de réjouissances. Ce jour-là, l'Université de Corse est fermée et aucun cours n'y est dispensé.

En 1846, le VIe concile provincial de Baltimore proclame la « bienheureuse Vierge Marie conçue sans péché », c'est-à-dire Immaculée Conception, patronne des États-Unis d’Amérique[23].

Fête de l'Immaculée Conception

L'Immaculée Conception se fête le 8 décembre, neuf mois avant la fête de la Nativité de Marie et date « supposée » de la conception de Marie, depuis 1476, par décision de Sixte IV.

Les premières traces de cette fête de « l'Immaculée Conception » dans la chrétienté remontent au VIIIe siècle dans l'Église grecque. Elle était alors célébrée le à Constantinople. Certains émettent l'hypothèse que cette fête était déjà célébrée au VIe siècle dans les laures monastiques. Georges de Nicomédie, au IXe siècle y fait référence comme étant « la fête de la Vierge la plus récente ». À la même époque, cette fête était déjà connue en Irlande, au Danemark et en Angleterre aussi[58].

Pierre d'Ailly, aumônier du roi Charles VI, lui conseille la célébration de la fête de l'Immaculée Conception. La Chapelle royale commence cette célébration en décembre sous le règne de Charles VI, vraisemblablement en 1389[20].

Aujourd'hui, dans l’Église catholique, la fête de l'Immaculée Conception est célébrée le 8 décembre avec rang de solennité[59]. En France, cette fête est particulièrement marquée dans le diocèse de Lyon depuis 1852. La fête a été renommée de manière profane en Fête des lumières[60],[61] (à ne pas confondre avec la chandeleur). Le est férié dans les cantons suisses de culte majoritaire catholique (Argovie, Fribourg, Jura, Lucerne, Nidwald, Obwald, Saint-Gall, Tessin, Uri, Valais, Zoug)[62].

Basiliques notables

Autres églises notables

À Sées, Orne, se trouve la première église au monde mise sous le vocable de l'Immaculée Conception (1859)

Immaculée Conception dans l'art

Le dogme de l'Immaculée conception est devenu un thème dans l'art sacré [63]. Ce thème est très représenté dans l'art baroque [64]. Peu de peintures représentent la naissance de Marie[65]. L'attribut associé à Marie Immaculée est le croissant de lune, ou encore les douze étoiles, l'attitude d'orante, à cela s'ajoute parfois le serpent situé sous ses pieds[66]. Éléments qu'on retrouve par exemple sur les peintures ci-dessous, réalisées par Bartolomé Esteban Murillo, Francesco Vanni et Pierre Paul Rubens.

Notes et références

Notes

  1. Voir aussi Pierre Auriol.
  2. Comme Jean XXII (1316-1334), Benoît XII (1334-1342) ou Clément VI (1342-1352).
  3. Congrégation composée d'un secrétaire et de cinq consulteurs. Elle est présidée par le cardinal Lambruschini.
  4. L'ouvrage indique que Rome lui avait retiré la prêtrise en 1856 (Larue 2009, p. 94).
  5. L'argument consiste à remarquer dans un premier temps que ces versets bibliques s'applique à l’Église (universelle), et dans un deuxième temps que la Vierge Marie qui est identifiée comme « fille de Sion », personnalise l’Église, et qu'elle est donc « Immaculée ». Joseph Ratzinger a écrit un texte en ce sens en 1975. Voir Joseph Ratzinger 2002, p. 72-79.
  6. Selon l'orthodoxe Justin Popovitch, c'est le théologien Paschase Radbert (IXe siècle) qui, le premier, a parlé d'une conception sans péché de la Vierge Marie (voir Justin Popovitch, Philosophie orthodoxe de la Vérité, t. 2, L'Âge d'Homme, p. 240).
  7. « Ainsi, l’Église orthodoxe ne sépare pas Marie du reste de la descendance d’Adam et ne la range pas à part des autres justes de l’Ancien Testament. C'est seulement par une grâce spéciale, préfigurant celle du salut pour l'annoncer, que les Justes de l'Ancienne Alliance ont pu, dans une certaine mesure, accéder à une certaine connaissance des choses divines et aussi se préserver des passions mauvaises et pratiquer les vertus » (Jean-Claude Larchet, Maxime le Confesseur, médiateur entre l'Orient et l'Occident, Cerf, p. 94).

Références

  1. Judith Marie Gentle, Robert L. Fastiggi, De Maria Numquam Satis : The Significance of the Catholic Doctrines on the Blessed Virgin Mary for All People, University Press of America, 2009 (ISBN 9780761848479), p. 1 sq.
  2. Paul VI, « Lumen gentium », sur Vatican, vatican.va, (consulté le ), chap 53.
  3. La-Croix.com, « Que veut dire Immaculée Conception ? », sur Croire (consulté le )
  4. Simon Claude Mimouni, Introduction à l'histoire des origines du christianisme, Bayard, (ISBN 978-2-227-49344-5), chap. 21 (« La Virginité »), p. 390
  5. Marie-Jeanne Bérère, Marie, éditions de l'Atelier, (ISBN 978-2-7082-3417-8), p. 97-98
  6. n.s., « Le dogme de l'Immaculée Conception », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  7. Simon Claude Mimouni, Introduction à l'histoire des origines du christianisme, Bayard, (ISBN 978-2-227-49344-5), chap. 42 (« Théologie mariale »), p. 700
  8. Bergier, Dictionnaire de théologie, t. 2, Paris, Outhenin-Chalandre fils, , nouvelle éd., 156-8 p. (lire en ligne), « Conception immaculée de la Sainte Vierge »
  9. Augustin d'Hippone, De natura et gratia 36,42 PL 44,267
  10. Bernard de Clairvaux, Lettre no 174, Aux chanoines de Lyon, sur la conception de la Sainte Vierge dans Bernard de Clairvaux, Œuvres complètes de Saint Bernard, t. I, Paris, Louis Vivès, , 568 p. (lire en ligne), p. 242-246. La Lettre CLXXIV de Saint Bernard est disponible sur Wikisource ou sur L'Atelier du Centre de recherches historiques
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  12. Thomas d'Aquin, « SOMME THÉOLOGIQUE IIIa Pars - Le Christ, Les sacrements (non fini) | QUESTION 14 : LES DÉFICIENCES DU CORPS ASSUMÉES PAR LE FILS DE DIEU | ARTICLE 3 : Le Christ a-t-il contracté les déficiences du corps ? », sur Clerus.org (consulté le ) : « 31 Il faut répondre au premier argument, que la chair de la Vierge a été conçue dans le péché originel (4), et c'est pour ce motif qu'elle a contracté ces défauts : au lieu que la chair du Christ a reçu de la Vierge une nature sans tache. »
  13. Thomas d'Aquin, « SOMME THÉOLOGIQUE IIIa Pars - Le Christ, Les sacrements (non fini) | QUESTION 27 : LA SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE | ARTICLE 1 : La Bienheureuse Vierge Mère de Dieu a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance? », sur Clerus.org (consulté le ) : « 33 Il faut répondre au troisième, que la bienheureuse Vierge a été purifiée dans le sein de sa mère du péché originel quant à la tache personnelle, mais elle n'a pas été délivrée de la dette qui pesait sur la nature entière et qui ne permettait d'entrer dans le paradis que par le sacrifice du Christ; comme on le dit des patriarches qui ont existé avant le Christ. »
  14. Olivier Boulnois, Duns Scot : la rigueur de la charité, du Cerf, coll. « Initiations au moyen age », , 160 p. (ISBN 978-2-204-05720-2).
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  17. Dont François Bacon (+1372), maitre de Paris et provincial de Catalogne, qui est un défenseur du dogme de l'Immaculée Conception. Voir Anne-Elisabeth Steinmann, Carmel Vivant, Paris, St Paul, coll. « Terre et Louange », , 384 p., p. 45.
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Annexes

Bibliographie

Ouvrages généraux
  • Alain Corbin (dir.), Histoire du christianisme, Points/Histoire, 2007 (ISBN 978-2-7578-6112-7)
  • Yves-Marie Hilaire (dir), Histoire de la papauté : 2000 ans de mission et de tribulations, Points/Histoire, 2003 (ISBN 978-2-02-059006-8)
Études spécialisées
  • Martin Jugie, « Photius et l'Immaculée Conception », Échos d'Orient, t. 13, no 83, , p. 198-201. (lire en ligne)
  • Vladimir Lossky, « En la fête de la Conception de la très Sainte Vierge Marie », Le Messager, no 20, (lire en ligne) (journal de l’Exarchat du Patriarcat russe en Europe occidentale).
  • Karl Rahner, Marie Mère du Seigneur, Paris, Éditions de l’Orante, .
  • Jean Galot, s.j., Maria : Études sur la Sainte Vierge, t. VII, Paris, Beauchesne, , 457 p. (ISBN 978-2-7010-0292-7), livre XI. De L'Immaculée conception à la glorieuse Assomption.
  • Bertrand de Margerie, Le Cœur de Marie, cœur de l'Église : Essai de synthèse théologique, Pierre Téqui, , 132 p. (ISBN 978-2-7403-0119-7).

Articles connexes

Liens externes

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