Phénomène de Gibbs
En mathématiques, lors de l'étude des séries de Fourier et des transformées de Fourier, il apparaît parfois une déformation du signal, connue sous le nom de phénomène de Gibbs. Ce phénomène est un effet de bord qui se produit à proximité d'une discontinuité, lors de l'analyse d'une fonction dérivable par morceaux.
Pour les articles homonymes, voir Gibbs.
Histoire
Le phénomène fut mis pour la première fois en évidence en 1848 par Henry Wilbraham[1], mais cette découverte ne connut guère d'écho.
En 1898, Albert Michelson développa un système mécanique capable de calculer et sommer la série de Fourier d'un signal donné en entrée. Il observa alors un effet d'amplification des discontinuités, qui persistait malgré l'augmentation du nombre de coefficients calculés.
Alors que Michelson soupçonnait un défaut dans la fabrication de son engin, Josiah Willard Gibbs montra que le phénomène était d'origine mathématique et se produisait dans des conditions très générales[2]. En 1906, Maxime Bôcher donna la première interprétation satisfaisante du phénomène[3] auquel il donna le nom de phénomène de Gibbs.
Description du phénomène
Le phénomène de Gibbs est, en quelque sorte, un « défaut d'approximation » pour une fonction continue de classe C1 par morceaux. Pour une telle fonction f, le théorème de Dirichlet assure que la série de Fourier de f converge simplement vers la fonction f sur l'intervalle où f est C1 par morceaux. En tout point x de continuité, la somme de la série de Fourier est f(x).
Le polynôme trigonométrique SN(f), N-ième somme partielle de la série de Fourier, est une fonction continue ; il est donc normal qu'il ne puisse approcher uniformément la fonction au voisinage des points de discontinuité. Inversement, sur un segment sur lequel f est dérivable, on observe une convergence uniforme, conformément au théorème de Weierstrass trigonométrique (c'est le cas des zones de « plateau » dans l'exemple de la fonction créneau).
Au point de discontinuité x, SN(f) subit une forte oscillation, une sorte de « ressaut » qui se mesure en comparant les valeurs en et . En effet, toujours d'après le théorème de Dirichlet, la série de Fourier de f converge aussi simplement aux points de discontinuités mais vers la régularisée de Dirichlet, i.e. la demi-somme des valeurs de f de part et d'autre du point de discontinuité. Lorsque N devient grand, l'amplitude de ces oscillations tend vers une limite strictement plus grande que l'amplitude de la discontinuité, alors que la largeur de la zone d'oscillation tend vers 0.
Il est remarquable que le phénomène s'exprime quantitativement de façon indépendante de la fonction considérée. Si la fonction a une discontinuité d'amplitude Δy, alors SN(f), tout en restant continue, connaîtra un « ressaut » en ordonnée valant de l'ordre de 9 % de plus au voisinage de la discontinuité.
Explication pour le signal carré
Considérons un signal carré impair de période . On se place sur la discontinuité en 0, et le saut est fixé à π/2. On se place dans le cas d'une somme SN(f) pour N pair, sans perte de généralité. On a alors
En particulier, le théorème de Dirichlet nous donne en x = 0
De plus,
soit, en utilisant la fonction sinus cardinal normalisée :
Or le terme de droite n'est autre qu'une approximation de l'intégrale par une méthode du point médian de pas 2⁄N. Comme le sinus cardinal est continu, la somme converge vers la valeur exacte de l'intégrale pour N → ∞ :
De même, on a :
La quantité
est appelée constante de Gibbs-Wilbraham. C'est l'apparition de cette constante qui explique la surélévation du signal près de la discontinuité.
Liens avec la causalité
Les appareils de mesure se comportent comme des filtres passe-bas : ils sont incapables de réagir à des signaux de trop haute fréquence. Supposons que l'on mesure un échelon de tension : il sera déformé et fera apparaître des oscillations avant et après la discontinuité du signal réel.
Cependant, cela signifierait que les oscillations se sont produites avant que l'échelon ne soit mesuré, ce qui briserait la causalité. En réalité, cela peut avoir deux interprétations : soit les appareils ne sont pas des filtres parfaits (ce qui est compréhensible), soit l'échelon de tension ne peut être parfaitement discontinu.
Si on considère l'une ou l'autre de ces corrections, la transformée de Fourier est simplement décalée : les oscillations débutent au moment où l'échelon est envoyé, l'échelon n'étant observé qu'après un léger retard.
Notes et références
- (en) H. Wilbraham, « On a certain periodic function », Cambridge Dublin Math. J., vol. 3, , p. 198-201.
- (en) J. W. Gibbs, « Fourier Series », Nature, vol. 59, , p. 200 et 1899, p. 606.
- (en) M. Bôcher, « Introduction to the theory of Fourier's series », Ann. Math., vol. 7, , p. 81-152.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- (en) Dave Benson, Music : A Mathematical Offering, Cambridge University Press, , 411 p. (ISBN 978-0-521-85387-3, lire en ligne), p. 53
- (en) Antoni Zygmund, Trigonometrical series, Dover Publications, 1955
Lien externe
(en) Eric W. Weisstein, « Wilbraham-Gibbs Constant », sur MathWorld
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