Plan Vautrin
Le plan Vautrin est un plan de colonisation dirigé mis en place par le gouvernement du Québec entre 1934 et 1937. Ce nom est donné en l’honneur du ministre Irénée Vautrin qui est responsable de ce projet. En plein cœur de la Grande dépression de 1929-1939, le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau espère que le plan Vautrin contribuera à aider les chômeurs en leur attribuant des terres qu’ils pourront défricher, cultiver et habiter[2].
Visant à remplacer et à bonifier un plan fédéral semblable — le plan Gordon — ce plan de colonisation sera très rapidement appuyé et soutenu par le clergé québécois avec la création de plusieurs sociétés de colonisation[2] (l’Église occupe à cette époque un rôle important au sein de l’État québécois). Bien que cet effort de colonisation soit destiné à toutes les régions rurales du Québec, certaines sont nettement plus touchées, comme : l’Abitibi, le Témiscamingue et le Bas-Saint-Laurent[3].
En tout, quatre plans de colonisation complémentaires se succèdent, au Québec, entre 1932 et les années 1940, soit : le plan Gordon (1932-1934); le plan Vautrin (1934-1937); le plan Rogers-Auger (1937-1939); le plan Bégin (1940-1949). À l’exception du plan Gordon, toutes ces initiatives viennent du gouvernement provincial et ils ont trois objectifs principaux : peupler les régions du Québec, freiner l’exode rural et mettre fin à la hausse du chômage[4].
Contexte
Ouverture des fronts pionniers au XIXe siècle
L’idée d’une colonisation dirigée ne date pas du XXe siècle; dès le début du XIXe siècle, il s’ouvre des fronts pionniers aux limites de l’écoumène bas-canadien. Notamment, des régions comme les Laurentides et le Saguenay-Lac-Saint-Jean s’ouvrent et se développent considérablement entre 1850 et 1900. À cette époque, le clergé canadien-français et le gouvernement tentent d’enrayer le phénomène d’exode de la population rurale francophone vers les nouveaux centres industriels du nord des États-Unis. Les résultats de cette première expérience de colonisation sont décevants et le phénomène d’exode vers les États-Unis n’est pas ralenti. Toutefois, entre la deuxième moitié du XIXe siècle et les années 1930, les industries minières et forestières ont grandement favorisé le développement d’un réseau ferroviaire[5] reliant les zones urbaines de la vallée du Saint-Laurent aux nouvelles régions comme l’Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay-Lac-Saint-Jean et le Nouveau-Québec. Sans ces développements d’infrastructures, les plans Gordon et Vautrin n’auraient certainement pas été possibles.
Les années 30, la Grande Dépression et l’échec du Plan Gordon
Avec l’effondrement de la bourse de New York en octobre 1929, les États-Unis entraînent avec eux le Canada dans la Grande dépression qui durera jusqu’au début de la seconde Guerre mondiale en 1939. Ce genre de crises n’est pas un phénomène nouveau, il fait partie du modèle capitaliste, mais plus le temps passe, et plus le chômage persiste; les gouvernements, et encore plus particulièrement les villes qui ont la charge de soutenir les chômeurs, se retrouvent avec d’importantes masses de travailleurs sans emplois (surtout des jeunes hommes célibataires ou nouvellement mariés) qu’on commence à trouver problématiques[2].
Imprégnées par le libéralisme économique, les mentalités politiques et économiques de cette époque sont défavorables à toute forme d’intervention de l’État dans l’économie; or, le marasme ne cessant de croître, une nouvelle théorie économique apporte avec certaines solutions. En Amérique du Nord, c’est d’abord aux États-Unis, vers 1933, que le keynésianisme trouve sa place avec le New Deal de l’administration Roosevelt; peu de temps après, le gouvernement canadien de William Lyon Mackenzie King adopte — après un premier essai peu concluant de son prédécesseur, le conservateur Richard Bedford Bennett — un plan similaire à celui des Américains, faisant ainsi entrer la théorie keynésienne au Canada. Toutefois, avant même qu’un programme large de sortie de crise soit établi, le gouvernement canadien met en place, en 1932, le plan de colonisation Gordon. Cependant, ce premier plan est très restrictif et la plupart des colons qui ont accès à cette aide finissent par abandonner[2]. C’est donc dans ce contexte, en 1934, que le plan Vautrin du gouvernement du Québec remplacera le plan Gordon.
Déroulement
Mise en place du plan Vautrin
Dès 1933, plusieurs groupes présentent des mémoires au gouvernement du Québec pour promouvoir le retour à la terre, mais le gouvernement de Taschereau n’est pas favorable à un tel plan[2]. Néanmoins, après de nombreuses critiques et consultations, le plan Vautrin se met finalement en place à partir de 1934; il est d’ailleurs considéré comme le plus important effort de colonisation de la décennie[7]. Administré par Irénée Vautrin, qui est à cette époque le ministre de la Colonisation, c’est la première fois, au Québec, qu’on tente de planifier et de diriger la colonisation à l’échelle provinciale. Le gouvernement propose ainsi « un budget de dix millions de dollars réparti sur deux ans[8] », mais l’aide s’adresse en premier lieu aux fils de cultivateurs; si les cultivateurs envoient leur fils s’établir dans les nouvelles terres, ceux-ci recevront trois cents dollars. Lorsqu’une cinquantaine de colons s’installent sur les nouvelles terres, ceux-ci devront construire des chemins et des bâtiments pendant deux mois sous la tutelle d’employés du gouvernement. Ils seront payés un dollar et soixante cents de l’heure[9]. Le matériel et les chevaux sont également mis à la disposition des colons pour les aider dans leur travail. Une fois le travail fait, les familles peuvent enfin rejoindre leur mari et vivre sur leurs terres avec des primes de construction, de défrichement et de labourage. Les critères de sélection vont finalement changer afin d’élargir l’accès à de nouvelles terres pour plus de monde dans le besoin[9].
En somme, le plan Vautrin réunit cinq programmes d’établissement distincts : la colonisation groupée; la colonisation non groupée; l’établissement des fils de cultivateurs; l’établissement sur les terres libres; le placement des aides-fermiers. Chacun de ces programmes vise à s’adapter aux différents types de demandeurs d’aide; par exemple, un fils de cultivateur sera plus susceptible d’aller s’établir sur une terre libre, alors qu’un urbain n’ayant jamais travaillé la terre ira plutôt vers des régions nouvellement ouvertes à la colonisation[2].
Le rôle prédominant du clergé à travers les sociétés de colonisation
Bien que certaines sociétés de colonisation catholique existent déjà au XIXe siècle, le plan Vautrin favorise la création de plusieurs nouvelles sociétés un peu partout au Québec. Déjà actif dans l’établissement de nouveaux colons, le clergé québécois encourage fortement les mouvements de colonisation dirigés[10], et plusieurs raisons expliquent l’ouverture des nouvelles terres. En ce qui a trait à l’Église, ce n’était pas pour une augmentation de l’économie puisque la majorité des agriculteurs nouvellement installés sur leurs terres faisaient de l’agriculture de subsistance, cela n’amène donc aucun profit. Pour l’Église, l’installation des colons catholiques sur de nouvelles terres lui permettait de faire la promotion de la religion et d’étendre son « champ » de pouvoir[11].
Le plan Vautrin fut également favorable pour l’Église puisque celui-ci était fait en partenariat avec le gouvernement. Cela fait déjà quelques années que le gouvernement et l’Église envoient sur les nouvelles terres des missionnaires colonisateurs officiels. Ceux-ci apparaissent lors des débuts de la colonisation de l’Abitibi en 1911 peu de temps après son annexion. Ils possèdent un budget donné par le gouvernement. Dans les années 1920, ceux-ci se seraient vus allouer par le gouvernement Taschereau la somme de cinquante mille dollars pour rapatrier 200 familles franco-américaines. Les missionnaires-colonisateurs en auraient rapatrié 115 et en auraient envoyé 86 s’établir en Abitibi[8]. Ainsi, l’Abitibi n’a pas été peuplée seulement lors du plan Vautrin, mais depuis son annexion. C’est la même chose pour le Témiscamingue qui commença à être peuplée en 1930 par les missionnaires colonisateurs officiels et le Témiscouata en 1931. Le clergé devra donc coexister avec le gouvernement de 1934 jusqu’à 1936-1937, année de son abolition dans les politiques de colonisation sous Maurice Duplessis[8]. Le Plan Gordon créé par le gouvernement fédéral amène la modification de l’organisation locale de colonisation au Témiscamingue et en Abitibi par le clergé. Toutefois, celui-ci s’avéra un échec. Lorsque le plan Vautrin est mis en place, celui-ci prend la forme d’un partenariat complet avec le clergé. L’Église exerce désormais une plus grande influence et un plus grand contrôle sur la vie des colons.
Finalement, le plan Vautrin est abandonné en 1936 par le nouveau gouvernement de Maurice Duplessis qui décide de changer l’orientation des politiques de colonisation et par la même occasion d’abolir le rôle des missionnaires-colonisateurs officiels[8]. Néanmoins, le nouveau gouvernement poursuit la colonisation dirigée, mais en adoptant son propre plan soit, le plan Roger-Auger. Plusieurs raisons expliquent l’abolition des missionnaires colonisateurs. D’une part, le gouvernement pensait que la colonisation devait rester entre les mains du gouvernement. D’autre part, le gouvernement ne pouvait s’assurer que l’Église reste fidèle au ministre, qu’elle possède une neutralité politique et qu’elle ne fasse pas d’erreurs pour embarrasser le gouvernement[8].
Les régions touchées
Le plan Vautrin va majoritairement toucher l’Abitibi-Témiscamingue; ce sont 12 305 chefs de famille qui s’établissent dans cette région entre 1934 et 1937. L’Abitibi verra sa population multipliée par trois entre 1931 et 1941 passant de 24 000 à 68 000 habitants, elle est la région qui reçoit le plus de colons lors du plan Vautrin[4]. Le Témiscamingue fut la deuxième région la plus touchée par le plan Vautrin. Toutefois, l’histoire de la colonisation du Témiscamingue est différente de l’Abitibi. Les habitants se sentaient délaissés par le gouvernement du Québec et beaucoup de leurs ressources furent détournées vers l’Ontario[12]. Malgré tout, de 1935 à 1937, 4286 chefs de famille s’installent au Témiscamingue[4]. De 1931 à 1941, cette région voit sa population multipliée par deux, passant de 21 000 à 40 000 habitants[10].
Outre ces deux régions, la Gaspésie, le Saguenay-Lac-Saint-Jean reçoivent également un bon nombre de colons; la Mauricie, le Bas-Saint-Laurent et plusieurs autres régions reçoivent quant à elles un plus petit nombre de colons et ce sont pour la plupart des fils de cultivateurs qui s’établissent sur des terres libres[2]. Lorsque le gouvernement libéral est défait par l’élection de l’Union nationale, en 1936, le nouveau gouvernement annonce la fin du plan Vautrin qui se termine officiellement à la fin de l’année budgétaire 1936-1937[2]. Dans les faits, le gouvernement unioniste de Maurice Duplessis n’est pas contre l’idée de la colonisation dirigée, mais ce dernier s’est plusieurs fois opposé à la gestion du projet par le ministre Irénée Vautrin.
Bilan
Malgré les nombreuses critiques, le plan Vautrin aura contribué à l’élargissement de l’écoumène régional québécois. Plus qu’un simple plan d’aide économique pour les chômeurs et leurs familles, ce plan de colonisation dirigée tente en parallèle d’endiguer le phénomène d’exode rural et d’abandon massif de l’agriculture[13]. Ce plan s’inscrit dans un vaste mouvement d’agriculturisme (retour à la terre) et dans un effort de préservation des valeurs chrétiennes traditionnelles de l’Église catholique. En outre, il s’agit d’un exercice sans précédent de coopération entre l’État et le clergé québécois; l’État fournissait les ressources (matérielles et pécuniaires) et un certain encadrement, tandis que l’Église prenait soin d’établir ses « ouailles » dans les paroisses.
Pour ce qui est des résultats du plan Vautrin, on les constate surtout dans le court terme, car il a effectivement une légère hausse de la superficie des terres cultivables et un bon nombre de familles parviennent à vivre de l’agriculture; à long terme toutefois, on constate un dépeuplement de l’Abitibi-Témiscamingue et de la Gaspésie. Néanmoins, le plan de colonisation Vautrin n’avait pas pour vocation un peuplement rural sur le long terme; comme le rappelle l’historien Roger Barrette : « […] malgré le désir de ses concepteurs d’en faire une œuvre permanente dans le prolongement de la tradition agraire canadienne-française, le plan Vautrin n’est autre chose qu’une œuvre à court terme, fruit d’un contexte particulier[2] ».
Filmographie
- En pays neufs, film documentaire financée par le ministère de la Colonisation en 1937
Notes et références
- « BAnQ numérique », sur numerique.banq.qc.ca (consulté le )
- BARETTE, Roger. « Le plan de colonisation Vautrin ». Mémoire de maîtrise, Ottawa, Université d’Ottawa / University of Ottawa, 1972, 245 p.
- « Alloprof aide aux devoirs | Alloprof », sur www.alloprof.qc.ca (consulté le )
- VINCENT DOMEY, Odette. Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue. Institut québécois de recherche sur la culture. Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, 763 p., Coll. Collection Les Régions du Québec, 0714–0630 ; 7.
- BIAYS, Pierre. « Une ville d’Abitibi : Senneterre ». Cahiers de géographie du Québec, vol. 2, n0 3 (1957), p. 63‑74.
- « Éditoriaux, opinions, lettres ouvertes, courrier des lecteurs », sur La Presse (consulté le )
- TREMBLAY, Simon. « La colonisation agricole et le développement du capitalisme en Abitibi de 1912 à 1950. » Anthropologie et Sociétés, vol. 6, n0 1 (1982), p. 229‑253.
- LEMIEUX, Frédéric. « Les missionnaires-colonisateurs “gouvernementaux” entre Église et État, 1911-1936 ». Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 72, n0 2 (2018), p. 41‑68.
- DUBÉ, Claude. « La colonisation dirigée ». Continuité, n0 48 (1990), p. 51‑55.
- BOILEAU, Gilles. « L’annexion du territoire de l’Abitibi au Québec ». Histoire Québec, vol. 4, n0 2 bis (1999), p. 30‑33.
- MORISSONNEAU, Christian et Maurice ASSELIN. « La colonisation au Québec : une décolonisation manquée ». Cahiers de géographie du Québec, vol. 24, n0 61 (1980), p. 145‑155.
- HARVEY, Fernand. « L’historiographie régionaliste des années 1920 et 1930 au Québec ». Les Cahiers des dix, n0 55 (2012), p. 53‑102.
- RODRIGUE, Barry, Michel BOISVERT, Yves ROBY, Dean LOUDER, Cécile TRÉPANIER, Éric WADELL, Yves BROUSSEAU et Clermont DUGAS. « La mobilité géographique » dans Serge COURVILLE (dir.), Population et territoire. Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1997 (coll. « Atlas historique du Québec »). [En ligne] https://atlas.cieq.ca/population-et-territoire/la-mobilite-geographique.pdf.
Articles connexes
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