Révolutions de couleur
Les révolutions de couleur (de color revolutions en anglais) ou révolutions des fleurs désignent une série de soulèvements populaires, pour la plupart pacifiques et soutenus par l'Occident, ayant causé pour certains des changements de gouvernement entre 2003 et 2006 en Eurasie et au Moyen-Orient : la révolution des Roses en Géorgie en 2003, la révolution orange en Ukraine en 2004, la révolution des Tulipes au Kirghizistan, la révolution en jean en Biélorussie et la révolution du Cèdre au Liban en 2005.
Par extension, le terme définit aussi les soulèvements populaires pro-occidentaux[réf. nécessaire] similaires subséquents.
Origine des « révolutions non-violentes »
Parmi les premières révolutions non-violentes on peut nommer le renversement du dictateur Jorge Ubico Castañeda au Guatemala en 1944 et la révolution des Œillets au Portugal, qui a entraîné la chute de la dictature salazariste en 1974[1]. Depuis la révolution iranienne de 1979, de nombreux pays ont connu des soulèvements populaires pacifiques qui, tels que Solidarność en Pologne et la révolution de Velours en Tchécoslovaquie, ont entraîné un changement de gouvernement.
À la différence des soulèvements populaires pacifiques précédents, les révolutions de couleurs sont davantage inscrites dans une logique géostratégique, l'implication des pouvoirs occidentaux, notamment des États-Unis, est souvent mise en avant.[réf. nécessaire]
Mouvement Otpor et chute de Slobodan Milošević (2000)
D'après Rudy Reichstadt, les révolutions de couleurs trouvent leurs origines dans l'action du mouvement étudiant serbe Otpor qui a contribué à la chute de Slobodan Milošević en l'an 2000. Celle-ci s'est inspirée des techniques de contestation non-violente théorisées par le politologue américain Gene Sharp dans son ouvrage De la dictature à la démocratie (1993), et a été soutenue par des ONG américaines[2].
La révolution du 5 octobre, en 2000, dans la république fédérale de Yougoslavie, conduisit à la chute de Slobodan Milošević. Ces manifestations sont considérées pour beaucoup comme le premier exemple de révolutions pacifiques qui ont suivi[3]. Cependant, les Serbes ont adopté une approche qui avait déjà été utilisée lors des élections parlementaires en Slovaquie (1998) et en Croatie (2000), caractérisée par des mobilisations civiles importantes pour le vote et une unification de l'opposition politique. Les protestataires n'adoptèrent pas une couleur ou un symbole spécifique, mais le slogan Gotov je (Готов је, « Il est fini ! ») devint après coup le symbole de la tâche accomplie. Les manifestations étaient soutenues par le mouvement de jeunesse Otpor, dont certains des membres « exporteront » leur savoir-faire dans les révolutions d'autres pays.
Révolutions de couleur (2003-2005)
Révolution des Roses en Géorgie (2003)
La révolution des Roses en Géorgie, suivant les élections contestées de 2003, conduisit à la chute d'Edouard Chevardnadze et son remplacement par Mikheil Saakachvili après de nouvelles élections législatives en . La révolution était soutenue par le mouvement de résistance civique Kmara.
Révolution orange en Ukraine (2004)
La révolution orange en Ukraine suivit le second tour contesté de l'élection présidentielle ukrainienne de 2004 et conduisit à l'annulation du résultat et à un second vote. Le leader de l'opposition Viktor Iouchtchenko fut déclaré président, battant Viktor Ianoukovytch. La révolution orange était soutenue par Pora!.
Révolution des Tulipes au Kirghizistan (2005)
La révolution des Tulipes fut plus violente que les précédentes et suivit les élections kirghizes parlementaires contestées de 2005. Elle était aussi moins unie que les révolutions précédentes. Les manifestants de différentes régions adoptèrent différentes couleurs pour leur protestation (rose et jaune). Cette révolution était soutenue par le mouvement de résistance des jeunes Kelkel.
Révolution en jean en Biélorussie (2005)
La révolution en jean est une tentative avortée de révolution pacifique en Biélorussie menée par le Zubr et soutenue par les États-Unis[4] dans le but de mener à la destitution du président Alexandre Loukachenko.
Révolution du Cèdre au Liban (2005)
La révolution du Cèdre au Liban, contrairement aux révolutions en Europe de l'Est ou en Asie centrale, ne suivait pas une élection contestée, mais l'assassinat d'un leader de l'opposition, Rafiq Hariri, en 2005. Et au lieu de l'annulation des élections, elle exigeait le retrait des troupes syriennes du pays. Mais certains éléments et méthodes utilisés lors des protestations sont assez similaires pour que ces évènements aient été traités par la presse et les commentateurs comme une des révolutions de couleur. Ainsi, une énorme contre-manifestation du Hezbollah, parti pro-syrien, ne fut pas evoquée par la BBC, alors qu'elle montrait sans cesse la foule anti-syrienne[réf. nécessaire]. Le cèdre du Liban est le symbole du pays, et la révolution fut nommée d'après lui, les manifestants pacifiques utilisant les couleurs blanche et rouge du drapeau du Liban.
Rôle des ONG et des fondations américaines
Influence américaine
À travers un réseau d'ONG (National Endowment for Democracy (NED), National Democratic Institute for International Affairs (NDI), Freedom House, Open Society Institute), les États-Unis affichent leur soutien à « des programmes de formation à l’action civique et à la prévention des fraudes électorales ou encore [à] la liberté de la presse, [aux] droits de l’homme et [à] la lutte contre la corruption » dans le monde. Rudy Reichstadt souligne que « l’idée d’un lien intime entre économie de marché, développement et démocratie libérale est en effet au cœur de la doctrine de sécurité américaine. (...) Dans le monde issu de la fin de la Guerre froide, les Etats-Unis font coïncider leurs intérêts stratégiques à long terme avec le soutien aux transitions démocratiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils encouragent les aspirations démocratiques là où elles se manifestent »[2].
Les opposants aux révolutions de couleur, mais aussi des personnalités comme l'ancien secrétaire adjoint au Trésor de l'administration Reagan, Paul Craig Roberts, accusent la fondation Soros et/ou le gouvernement américain de soutenir et même « d'organiser les révolutions » dans le but de « servir les intérêts occidentaux ». Après la révolution orange plusieurs pays d'Asie centrale menèrent des actions contre l’Open Society Institute de George Soros de différentes façons — l'Ouzbékistan, par exemple, obligea les bureaux régionaux de l’OSI à fermer quand les médias tadjikes, contrôlés par le pouvoir, accusèrent l’OSI du Tadjikistan de corruption et de népotisme.
Des preuves suggérant une implication du gouvernement américain incluent USAID (et UNDP) soutenant des structures Internet (appelées Freenet), qui sont maintenant connues comme une part majeure de la structure Internet dans au moins un des pays — le Kirghizistan — dans lequel une des révolutions de couleur se produisit[5].
« Les États-Unis à la conquête de l'Est », un documentaire de la reporter française Manon Loizeau lors de la révolution des Tulipes au Kirghizistan, montre l'implication des États-Unis dans cette révolution. On y voit ainsi Mike Stone de la Freedom House participer à l'organisation. On y voit aussi les acteurs des révolutions précédentes comme Guiorgui Bokeria, de la révolution des Roses en Géorgie, venir soutenir le groupe qui préparait la révolution des Tulipes[6]
Le journal britannique The Guardian déclara que USAID, National Endowment for Democracy, l’International Republican Institute, le National Democratic Institute for International Affairs et Freedom House sont intervenus directement[7]. Des informations sur les sites Internet de ces organisations (dont les quatre premières sont financées par le budget américain) confirment ses affirmations. Projet pour les démocraties en transition participe également à ce genre d'opérations.
Des activistes d’Otpor en république fédérale de Yougoslavie et de Pora! en Ukraine ont dit que les publications et les formations qu'ils avaient reçues du personnel de l’Albert Einstein Institution, basée aux États-Unis, ont contribué à la formation de leurs stratégies.
Interprétations
D'après Rudy Reichstadt, et cette analyse n'est que son opinion personnelle, les révolutions de couleurs ont changé de signification et de connotation à travers leur traitement par la littérature conspirationniste et les régimes hostiles (Russie, Venezuela, Syrie, Iran) : « De révolution populaire pacifique traduisant les aspirations sincères d’une société civile exaspérée par les fraudes, la corruption et l’étouffement des libertés publiques, « révolution de couleur » en est venu à désigner une tentative d’ingérence visant à fomenter des coups d’État soft contre des régimes jugés trop indociles à l’égard des États-Unis ». Rudy Reichstadt considère que cette approche a plusieurs limites :
- le déni de toute volonté ou capacité d’action autonomes aux peuples ;
- « sa représentation fantasmée des États-Unis, conçus comme une entité à la fois démoniaque et monolithique qui serait dotée d’une volonté immuable tout au long de l’histoire, en dépit des changements d’administration » ;
- le fait « de négliger un ensemble de facteurs historiques et matériels qui ont leur part dans ces révolutions de couleurs » et, à l'inverse, de surestimer « le rôle d’ONG de promotion des droits de l’homme » par rapport aux régimes en place[2].
D'après l'anthropologue et sociologue Boris Pétric, les révolutions de couleur sont les manifestations d'un monde globalisé politiquement qui n'est toujours pas sorti de certaines idéologies de la guerre froide. Ainsi, les médias et l'opinion publique des deux camps sur-analysent les causes et responsabilités de ces révolutions. D'après lui, « les analyses de ces événements ont été marquées par une polarisation simpliste : côté russe, la théorie du complot, consistant à voir dans ces révolutions essentiellement la main américaine; de l’autre, la minimisation ostensible du rôle des ONG et des autres acteurs occidentaux dans les changements en cours.[8] »
Notes et références
- (en) Daniel Ritter, The Iron Cage of Liberalism: International Politics and Unarmed Revolutions in the Middle East and North Africa, Oxford University Press, 2015
- Reichstadt 2015.
- "CEI : La fin des « révolutions colorés » ?", Mémoire de géopolitique du Lieutenant-Colonel Patrick Justel
- Film de Manon Loizeau diffusé par France Ô.
- Tm, tj, kz et les autres… Ainsi, les sites de Freenet financés par l’aide américaine fournissaient dans tous les pays d’Asie centrale des versions en langue kazakhe, tadjike, ouzbèke et kirghize
- « Etats-Unis à la conquête de l'Est », sur Le blog de l'Atlas alternatif / L'autre info sur le monde, (consulté le ).
- US campaign behind the turmoil in Kiev Funded and organised by the US government, deploying US consultancies, pollsters, diplomats, the two big American parties and US non-government organisations, the campaign was first used in Europe in Belgrade in 2000 to beat Slobodan Milosevic at the ballot box.
- Boris-Mathieu Pétric, « À propos des révolutions de couleur et du soft power américain », Herodote, vol. 129, no 2, (DOI https://doi.org/10.3917/her.129.0007, lire en ligne, consulté le )
Bibliographie
- Boris Pétric, « À propos des révolutions de couleur et du soft power américain », Hérodote, vol. 2, no 129, , p. 7-20 (DOI 10.3917/her.129.0007, www.cairn.info/revue-herodote-2008-2-page-7.htm)
- Rudy Reichstadt, « Les « Révolutions de couleurs » : coups d’État fabriqués ou soulèvements populaires ? », Diplomatie. Affaires stratégiques et relations internationales, no 73 « Théories du complot : délires conspirationnistes ou armes de propagandes ? », , p. 60-63 (lire en ligne)
- (en) Thomas Vinciguerra, « The Revolution Will Be Colorized », The New York Times, (lire en ligne) : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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