Marginalisme
En économie, le marginalisme est un courant essentiel de l'analyse néo-classique. Cet aspect de la théorie économique repose sur l'idée que la valeur économique résulte de « l'utilité marginale » (l'utilité de la dernière unité consommée). Cette théorie résulte de travaux menés dans la seconde moitié du XIXe siècle de façon indépendante par des chercheurs comme le Français Walras, l'Autrichien Menger et l'Anglais Jevons. Surnommée « révolution marginaliste », elle contribue fortement à la formation des écoles néo-classique et autrichienne.
Histoire
La première publication concernant une théorie d'utilité marginale est écrite par Daniel Bernoulli, dans Specimen theoriae novae de mensura sortis[1]. Mais cette théorie remonte à Gabriel Cramer dans un courrier privé à Nicolas 1er Bernoulli dans une tentative de réponse au paradoxe de Saint-Pétersbourg[2]. Par exemple, mathématiquement, l'espérance de gain est infini à un jeu, et les joueurs refusent de jouer tout leur argent. Ils intronisent la fonction d'utilité marginale (dérivée de la fonction utilité de la monnaie) et postulent qu'elle décroit. Cependant, ces deux auteurs divergent sur la fonction d'utilité : logarithme naturel pour Bernoulli et racine carrée pour Cramer. Leur découverte est ensuite restée oubliée pendant de nombreuses années.
Ce n'est que vers le milieu du XIXe siècle que le concept d'utilité marginale émerge de nouveau (avec les travaux rigoureux et complets, en 1854, sur le concept de " l'utilité marginale " réalisés par l'Allemand Gossen dans ses " Lois des relations humaines ")[3]. La révolution marginaliste est souvent perçue comme l'un des meilleurs exemples de « découverte multiple » dans l'histoire de la science économique. En effet, simultanément mais indépendamment, trois penseurs européens — William Jevons, Carl Menger et Léon Walras — vont développer le concept d'utilité marginale (utilité de la dernière unité consommée d'un produit). Cette conjonction est d'autant plus surprenante qu'à cette époque, le contexte intellectuel et le développement économique de Cambridge, Vienne et Lausanne sont très différents.
Le développement du marginalisme engendre un changement de paradigme. Alors qu'Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx et les classiques anglais expliquent la valeur relative d'un bien comme la quantité de travail nécessaire pour le produire (valeur-travail), les marginalistes l'expliquent via l'utilité marginale. Autrement dit, la valeur d'un bien dépend de l'utilité de sa dernière unité utilisée. Ce changement fondamental marque le passage de l'économie classique à l'économie néoclassique, accompagné par l'abandon presque complet de la « théorie objective » de la valeur en faveur de la « théorie subjective » de la valeur. Ce rejet de la théorie de la valeur-travail est favorisé par la controverse entre Marx et les Classiques, à la suite de sa publication, en 1867, du Livre 1 du capital[4]. Dans cet ouvrage, l'auteur montre, en effet, que le bénéfice réalisé par l'entrepreneur n'est que du travail impayé produit par l'ouvrier[4]. Marx a ainsi montré les contradictions de la théorie classique de la valeur-travail. Néanmoins, le débat est loin d'être clos entre les chercheurs sur cette histoire. Emil Kauder (chercheur américain d'origine allemande) considère qu'avant 1880, Marx n'était pas connu à l'extérieur de l'Allemagne et de l'Autriche et il semble que les auteurs néo-classiques, qui ont publié l'essentiel de leurs travaux dans la première moitié des années 1870, ne l'ont pas lu. Par ailleurs, malgré leur penchant libéral, les auteurs marginalistes n'étaient pas d'accord avec l'ordre établi. Menger était critique à l'égard de la monarchie et Walras a été exclu de l'université et exilé en Angleterre à cause de ses idées socialistes. La suprématie de la théorie (certains parlent de révolution) marginaliste est donc particulièrement prouvée par le concept de l'utilité marginale de Gossen et de l'absence de ses contradictions internes[4]
Notion de marge
Un diamant a un prix plus élevé que l'eau, élément dont la privation totale cause la mort. Ce paradoxe — explique Jevons [5] — tient à ce que l'utilité n'intervient dans le prix qu'à la marge : ainsi une (relativement) petite quantité d'eau est indispensable pour boire et survivre et son utilité est immense, sinon infinie. D'autres quantités d'eau sont ensuite réputées assez utiles pour se laver, faire la cuisine. D'autres quantités enfin sont requises de manière moins impérative pour arroser les plantes ou laver sa voiture. Au total, il apparait qu'il convient de dissocier différents niveaux d'utilité, entre autres l'utilité marginale et l'utilité totale.
Utilité marginale et utilité totale
L'utilité marginale d'un bien ou d'un service est l'utilité qu'un agent économique tirera de la consommation d'une unité supplémentaire. Cette utilité marginale décroît avec la quantité de biens déjà disponibles[6]. Par exemple, si l'on possède déjà deux stylos, l'utilité apportée par un stylo supplémentaire est faible, comparée à la situation où l'on ne possède initialement aucun stylo. La valeur est en fait tirée de « la queue de l'utilité marginale » (Paul Samuelson). Si l'on reprend l'exemple de l'eau et du diamant, l'eau est indispensable alors qu'on peut se passer facilement de diamant (en tant que bijou ; le diamant a maintenant une valeur industrielle qu'il n'avait pas à l'époque de l'énoncé du paradoxe par Étienne Bonnot de Condillac), et pourtant le diamant est infiniment plus cher. Certes, un homme assoiffé payera une somme très importante pour un verre d'eau ; mais une fois le premier verre d'eau consommé, et un deuxième voire un troisième, l'utilité marginale, très importante au premier verre, décroît nettement si bien que le dernier verre (avant l'état de satiété où la consommation n'entraîne plus de satisfaction supplémentaire) n'est demandé que pour un prix très faible ; symétriquement, du côté de l'offre, un homme qui dispose encore de dix verres d'eau après avoir bu jusqu'à plus n'avoir soif est prêt à les céder pour presque rien. Inversement, le diamant est suffisamment rare pour que la demande reste forte, d'autant que son extraction est difficile ce qui conduit les offreurs à réclamer un prix élevé.
L'utilité totale est mesurée par la somme des utilités marginales dégagées par la somme des quantités consommées. En d'autres termes, l'utilité totale d'un bien est la somme des utilités marginales des unités consommées de ce bien.
Productivité marginale des facteurs de production
Le raisonnement marginaliste s'applique non seulement à la consommation mais également au domaine de la production et plus précisément dans l'étude des facteurs qui y concourent.
L'économiste Ricardo, cherchant à comprendre le mécanisme de la rente foncière, pointe que la productivité des terres est inégale : elles ne procurent pas le même revenu foncier[réf. nécessaire]. Ce revenu (la rente ou le loyer de la terre) est lié directement au degré de la fertilité des terres cultivées. Il met alors en évidence la notion de rente différentielle qui préfigure l'approche marginaliste. Sont d'abord mises en culture les terres réputées être les plus fertiles. Sont ensuite mises en œuvre - sous la pression d'une demande croissante des besoins qui sont liés directement à la croissance démographique- celles qui parmi les friches sont réputées être les plus fertiles parmi celles qui restent. La rente est ainsi déterminée par la différence de rendement entre une terre donnée et celui de la plus mauvaise terre agricole éventuellement disponible.
En généralisant le propos, pour un facteur de production donné, on peut dire que tout facteur de production utilisé se valorise selon sa productivité marginale. De même, pour une combinaison de plusieurs facteurs de production donnés, le raisonnement est également valide. En pratique, l'analyse marginaliste étudie la variation d'utilisation et de rendement d'un facteur sous l'hypothèse que les quantités utilisées des autres facteurs demeurent constantes. Dans cette hypothèse, et selon la loi des rendements décroissants (mise en évidence par l'économiste physiocrate A. Turgot), la productivité marginale du facteur variable devient finalement décroissante.
Économie optimale
De la sorte l'analyse marginale est un gage d'efficacité. Elle explique que tout facteur de production va s'employer justement là où sa productivité marginale est la plus forte, avec pour conséquence au niveau global que l'économie entière mobilise ses ressources disponibles de la manière la plus efficace qui soit.
L'analyse marginale fournit également une réponse présentée comme logique à certains dysfonctionnements :
- L'inégalité des revenus s'explique par le différentiel de productivité objectivement constatable d'une situation ou d'une combinaison de ressources donnée.
- Le chômage tient à ce que le chômeur exige pour revenir au travail un revenu supérieur à sa productivité marginale effective.
- Un facteur de production doit être utilisé jusqu'à ce que sa productivité marginale devient égale à son coût marginal (i.e. le coût de la dernière unité utilisée du facteur). Tant que cet équilibre n'est pas encore atteint, chaque unité additionnelle du facteur utilisé apporte plus qu'elle ne coûte.
Les critiques contre le marginalisme
La théorie marginaliste eut à subir une critique partie de l'Université d'Oxford en 1939 qui déclencha une controverse qui dura jusqu'au milieu des années 1950 et qui est connue sous l'appellation "controverse sur le marginalisme".
Notes et références
- (en) Daniel Bernoulli, Specimen theoriae novae de mensura sortis, in Commentarii Academiae Scientiarum Imperialis Petropolitanae 5 (1738)
- Gabriel Cramer, Lettre du 21 mai 1728 à Nicolas Bernoulli [(en) lire en ligne].
- Frédéric Poulon, Économie générale, Paris, Dunod, , 423 p. (ISBN 2-10-002914-2), p. 14
- Frédéric Poulon, ..., p. 15
- (en) The Theory of political economy, 1871.
- ce n'est pas toujours vrai en toute rigueur, il existe des exceptions dans certains cas, tel que le cas des biens qui réclame une certaine habitude ou maitrise pour procurer le maximum de plaisir : sports, musique, cigarettes, etc. ; néanmoins même dans ces cas il y a un moment où l'utilité marginale devient décroissante
Voir aussi
- Portail de l’économie