Refus global
Refus global est un manifeste artistique publié secrètement[1] le à Montréal[2] par les Automatistes aux Éditions Mithra-Mythe[3].
Refus global | |
Auteur | Paul-Émile Borduas |
---|---|
Pays | Québec, Canada |
Genre | Manifeste |
Éditeur | Mithra-Mythe |
Lieu de parution | Montréal |
Date de parution | 9 août 1948 |
Son auteur, Paul-Émile Borduas, remet en question les valeurs traditionnelles de la société québécoise comme la foi catholique et l'attachement aux valeurs ancestrales, rejette son immobilisme et cherche à établir une nouvelle idéologie d'ouverture sur la pensée universelle[4]. Il considère alors que le surréalisme ne peut coexister avec le dogme religieux[5] et désire plus que tout se soustraire aux contraintes morales afin d’épanouir sa liberté individuelle[6].
Refus global est plus radical et libertaire que Prisme d'yeux, un autre manifeste rédigé par Jacques de Tonnancour et publié par Alfred Pellan quelques mois auparavant[7].
Le document
Le recueil, publié en 400 exemplaires, contient, en plus du manifeste en tant que tel, une série de textes ainsi que des illustrations et des photographies[8].
Couverture: texte de Claude Gauvreau, dessin de Jean-Paul Riopelle[9] | |
1. Paul-Émile Borduas | Refus global[10] |
2. Paul-Émile Borduas | En regard du surréalisme actuel[11] |
3. Paul-Émile Borduas | Commentaires sur des mots courants[12] |
4. Claude Gauvreau | Au cœur des quenouilles[13] |
5. Claude Gauvreau | Bien-être[14] |
6. Claude Gauvreau | L'ombre sur le cerceau[15] |
7. Bruno Cormier | L'œuvre picturale est une expérience[16] |
8. Françoise Sullivan | La danse et l'espoir[17] |
9. Fernand Leduc | Qu'on le veuille ou non...[18] |
Dans la prose de Borduas, on peut lire une description sans complaisance de la société :
« Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l'écart de l'évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l'histoire quand l'ignorance complète est impraticable[19]. »
Signataires
|
|
Il est contresigné par 15 artistes dont 8 hommes et 7 femmes, proportion hors du commun à cette époque[20].
L’idéologie automatiste n’est cependant pas la même chez tous les signataires. Certains, tels que Pierre Gauvreau et Riopelle, veulent rattraper l'Europe sur le plan artistique, alors que Borduas et Claude Gauvreau, eux, désirent pousser le projet encore plus loin afin de permettre au Québec de se défaire de l’image de « pauvre petit peuple » en processus de décolonisation. Ils recherchent une revendication radicale non seulement artistique, mais aussi sociale. Claude Gauvreau est particulièrement influencé par les précurseurs surréalistes et présurréalistes. Il écrit d’ailleurs son premier recueil de poésie, Étal mixte, à la suite de sa découverte des Vingt-Cinq poèmes de Tzara. Au Québec, contrairement à l'Europe, l’automatisme est mieux compris par les gens du peuple et snobé par l’élite. Il s’agit donc d’un mouvement de démocratisation de l’art. Toutefois, malgré un rapprochement avec les milieux populaires, le langage plastique des automatistes les isole et les met en marge socialement.
Tout comme Borduas, des artistes tels que John Lyman se consacrent spécifiquement à la défense du champ artistique[21].
Contexte et suites
À la fin des années 1940, l’automatisme au Québec commence tranquillement à s’imposer en raison de l'influence des écrits de Nietzsche et de Freud[réf. souhaitée]. Borduas, pour sa part, ne s'associe à aucun parti. Il est plutôt considéré comme un anarchiste[22] et Refus global comme étant avant tout un constat de la décrépitude de la civilisation chrétienne[23].
Refus global apparaît comme le signe d’une évolution du champ culturel québécois. Il s’agit d’une oeuvre de la rupture, qui s’attaque avec vigueur à l’idéologie dominante de son temps, le duplessisme[24]. Le manifeste scandalise les autorités et la presse, qui condamnent et censurent une grande partie du manifeste[4]. Borduas perd son emploi d'enseignant à l'École du meuble, qu'il occupait depuis 1937[4], et doit s’exiler aux États-Unis[25]. Cela mis à part, le manifeste cause peu de remous[26], ce que Jonathan Mayer explique par la quasi-inexistence de la télévision comme medium de masse[27].
Marcel Barbeau lui-même, dans le documentaire Les Enfants de Refus global, explique qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement social très dessiné et que c’était plutôt un manifeste contre une structure sociale très fermée. C’est plus tard que l’on associera Refus global au parti socio-démocrate et néo-nationaliste[28]. En effet, dans les années 1960, période où le Québec s'emploie à faire valoir son identité et son autonomie politique, Borduas sera perçu comme un héros sauvant l’intégrité culturelle du peuple canadien français[29]. Depuis, Refus global est devenu une référence régulièrement citée pour signaler que la « Grande Noirceur » duplessiste n'a pas étouffé toute vie intellectuelle au Québec, étant ainsi présenté comme un signe précurseur de la Révolution tranquille et du Modèle québécois.
L'interprétation du sens du Refus global dans l'histoire intellectuelle du Québec continue de susciter des réflexions même cinquante ans plus tard[30],[31],[32]. Ainsi, en 1998, le prix Condorcet a été remis « À tous les signataires du Refus global ». La même année, Manon Barbeau lançait le film Les Enfants de Refus global[33].
Œuvre dérivée
En février 2010, pour le 50e anniversaire du décès de Paul-Émile Borduas, l'organisme MU lance la production d'une murale dans la ruelle de la Place Paul-Émile-Borduas afin de rendre hommage à l'apport de l'auteur à la vie culturelle québécoise. C'est aussi le 5e anniversaire de l'ouverture de la Grande Bibliothèque. L’œuvre est un diptyque mural composé d'extraits du Manifeste du refus global sur le côté nord. La face sud de la ruelle « met en valeur Paul-Émile Borduas, l’homme, ainsi que des moments charnières de sa vie, des mots-clés liés à son œuvre, etc.»[34], tout en reprenant certaines représentations de la face nord, notamment les codes barres.
Sur la face nord, on peut lire les phrases suivantes, reprises du Manifeste :
Des perles incontrôlables suintent hors des murs.
Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.
Nous entrevoyons l'homme libéré de ses chaines inutiles
Nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération.
Place a la magie! Place aux mystères objectifs!
Place a l'amour!
Nous l'imprévisible passion
À nous le risque total dans le refus global.
Bibliographie
- Michel Nestor, Sur les traces de l’anarchisme au Québec : les années 1940, Ruptures, no 5, printemps 2005, texte intégral.
- Louis Gill, Art, politique, révolution. Manifestes pour l’indépendance de l’art. Borduas Pellan, Dada, Breton, Rivera, Trotsky, Montréal, M Éditeur, 2012, introduction, p. 9-13.
- François-Marc Gagnon, Chronique du mouvement automatiste québécois, Lanctôt Éditeur, 1998, 1023 p.
- Sophie Dubois: Refus global. Histoire d’une réception partielle. Nouvelles études québécoises. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal 2017.
- Sébastien Dulude, Esthétique de la typographie, Roland Giguère, les éditions Erta et l'École des arts graphiques, éditions Nota Bene, p. 226.
- Paul-Émile Borduas, Refus Global et Projections Libérantes. Montréal: Les Éditions Parti pris, 1977, 155 pp. Collection: “Projections libérantes”.
- Pierre Popovic, « Les prémices d’un refus (global) », Études françaises, volume 23, numéro 3, hiver 1987, p. 19–30 (lire en ligne).
Notes et références
- Julie Gaudreault, Le recueil écartelé. Étude de Refus global, Québec, Éditions Nota Bene,2007, p.9.
- Miméographié à 400 exemplaires, il est présenté à la librairie de Henri Tranquille, rue Sainte-Catherine.
- iris.banq.qc.ca
- Refus global sur L'Encyclopédie canadienne
- Louise Vigneault, Identité et modernité dans l’art au Québec. Borduas, Sullivan, Riopelle, Montréal, v, coll. « Beaux-Arts », , chap. 132, p.109.
- Vigneault 2002, p. 101.
- Louis Cornellier, Art et politique: une relation malaisée, Le Devoir, 24 mars 2012, lire en ligne.
- Les Automatistes et le livre
- Description de la couverture du Refus global
- Voir le document .
- En regard du surréalisme actuel
- Commentaires sur des mots courants
- Au cœur des quenouilles
- Bien-être
- L'ombre sur le cerceau
- L'œuvre picturale est une expérience
- La danse et l'espoir
- Qu'on le veuille ou non...
- Cette information est issue du document .
- Jonathan Mayer, Les échos du refus global, Québec, Éditions Michel Brûlé, 2008. p.13.
- Vigneault 2002, p. 108.
- Michel Nestor, « Sur les traces de l’anarchisme au Québec : les années 1950 », Ruptures, n° 6, printemps 2006, texte intégral.
- Jonathan Mayer, Les Échos du Refus global, Québec, Éditions Michel Brûlé, 2008. p. 48.
- Pierre Popovic, « Les prémices d’un refus (global) », Études françaises, volume 23, numéro 3, hiver 1987, p. 19–20 (lire en ligne).
- Jean Ethier-Blais, Autour de Borduas – Essai d'histoire intellectuelle, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1979, p. 40.
- Éric Bédard, Histoire du Québec pour les nuls, Éditions First, 2015, p. 251.
- Jonathan Mayer, Les échos du refus global, Québec, Éditions Michel Brûlé, 2008, p. 15.
- Lise Gauvin, Les automatistes à Paris, actes d'un colloque [Laval, Québec], Les 400 coups, 2000. p. 97.
- ledevoir.com
- L'art à l'époque de la « grande noirceur »: Le Refus Global.
- Le Refus global, 50 ans plus tard.
- Dubois, Sophie,, Refus global : histoire d'une réception partielle, Montréal, Presses de l'Université de Montréal (ISBN 978-2-7606-3805-1 et 2760638057, OCLC 1005082282, lire en ligne)
- Film de Manon Barbeau, Les enfants de Refus global.
- « MU » Manifeste à Paul-Émile Borduas - 2010-2011 - Thomas Csano », sur MU (consulté le )
Expositions
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Archives de Radio-Canada
- Refus global sur L'Encyclopédie canadienne
- Le texte automatiste : essai de théorie : pratique sémiotique textuelle par Jean Fisette
- Refus global et Projections libérantes
- Les Enfants de Refus global (Documentaire de Manon Barbeau, 1998, 74 min 47 s)
- Portail du Québec
- Portail des arts
- Portail de l’anarchisme