Solidarisme

Le solidarisme[1] est une philosophie politique défendue par le député français radical Léon Bourgeois, qui développe ce courant de pensée en 1896 dans son ouvrage Solidarité[2].

Le solidarisme est défini comme la « responsabilité mutuelle qui s'établit entre deux ou plusieurs personnes » ou encore un « lien fraternel qui oblige tous les êtres humains les uns envers les autres, nous faisant un devoir d'assister ceux de nos semblables qui sont dans l'infortune ».

La philosophie de la solidarité selon Bourgeois peut favoriser la construction « d'une République de la main tendue contre le poing fermé, de la mutualité règle suprême de la vie commune contre la charité réduite à une pitié agissante ». C'est au nom de la solidarité qu'il défendra le principe de l'impôt sur les successions, de l'impôt sur le revenu et la mise en place d'une retraite pour les travailleurs[3].

Au début du XXe siècle, René Demogue, professeur de droit, a été l’un des promoteurs du solidarisme de Léon Bourgeois.

La finalité de la philosophie solidariste

Situé entre individualisme et collectivisme

Léon Bourgeois, l'un des fondateurs du Solidarisme

Le solidarisme se veut être la réponse à la fois au libéralisme et au socialisme, et constituer une réponse aussi moderne que le marxisme, en s'inspirant de ces deux courants tout en dépassant ce clivage.

Entre ces deux positions, les solidaristes constatent que la bourgeoisie républicaine de cette fin de XIXe siècle a besoin d’une doctrine :

La révolution de 1848 et son effondrement dans le bonapartisme du Second Empire ont mis fin à la grande illusion ouverte par la révolution de 1789. La génération de 1789 a pu encore laisser derrière elle l’illusion que toutes les virtualités ouvertes par la liberté, l’égalité et la fraternité républicaines, avaient été contrariées par la main de l’ennemi et non par les limites propres à la république ; mais après 1848, et plus encore après la répression sanglante de la Commune de Paris, la République ne semble plus offrir une réponse globale à tous les problèmes rencontrés par la vie en société. 1848 voit mourir l'illusion selon laquelle il suffirait d’établir la liberté par le suffrage universel masculin, pour établir l’égalité et la fraternité entre les hommes. En 1848 surgit, non pas un spectre qui risque de hanter l’Europe, mais une question laissée sans réponse par les hommes de la IIe République : la question sociale. Dès lors, l’idéal républicain sera combattu par un autre idéal égalitaire : l’idéal socialiste, porté par des hommes comme Barbès, Blanqui, Louis Blanc ou Raspail.

Le solidarisme va irriguer tout le XXe siècle car il imprègne les réalisations pratiques de la IIIe République et réapparait avec le programme du Conseil national de la Résistance à la Libération même si désormais son substrat politique lié au parti radical s'est effacé. Le système français de redistribution par l'impôt provient du programme solidariste[4], notamment l'impôt sur le revenu (mis en place en 1914 en France) ainsi que la protection sociale, déjà proposés par Léon Bourgeois.

La volonté de trouver une réponse à la question sociale

La question sociale, que le progrès continu des libertés publiques ne suffira pas à éteindre, pose à la démocratie cette équation. Comment la conquête de la souveraineté politique, comment une société qui en droit pose les hommes comme étant égaux entre eux, peut-elle modifier très concrètement les conditions de vie et réduire les écarts de fortune ou de conditions entre des citoyens également libres ? Autrement dit, pour les hommes de la IIIe République, comment répondre aux nouveaux enjeux issus de la Révolution industrielle ?

Les évènements de 1848 avec l’instauration du suffrage universel masculin sont une date charnière. Désormais, comme le note Jacques Donzelot dans L’Invention du social : « En se rencontrant pour la première fois, l’idéal républicain d’égalité, de liberté et de fraternité et la forme démocratique dessinée par les contours du suffrage se revendiquant comme universel, conduisent à l’éclatement du droit comme instrument privilégié de l’organisation républicaine de la société. Le droit rassemblant des citoyens égaux contre les privilèges de quelques-uns ne rassemble plus, mais divise et il divisera sur cette question du droit au travail. »

Les hommes de la IIIe République vont être alors confrontés à un nouveau problème : légitimer l’intervention de l’État, comme expression de la volonté générale mais dans le respect de la liberté de chacun.

Le contenu du solidarisme

Les bases théoriques de cette nouvelle doctrine politique sont la théorie de la « dette sociale » et du « quasi-contrat »[5]. « Sur le constat que la Révolution française et la déclaration des Droits de l'Homme ont consacré un individualisme et proclamé — dit Léon Bourgeois — une fausse liberté. » Or l'homme n'est pas une abstraction, mais un être concret qui a des obligations, des devoirs et qui est dépendant de ses relations avec les autres (influence du sociologue Émile Durkheim).
Ainsi, tout être se trouve être redevable vis-à-vis de ceux qui l'ont ouvert à l'existence (parents, professeurs, la société et tous les groupes concernés). Chaque homme doit donc « payer sa dette » et la solidarité devient un droit, elle est aussi un devoir auquel l'État doit obliger légalement chacun à contribuer. Pour ce faire, Léon Bourgeois propose [6] la mise en place d'un salaire minimum, d'un système d'assurances protecteur (en cas d'accident, de maladie ou de chômage), de l'impôt sur le revenu (pour participer à l'entretien des services communs), d'un enseignement entièrement gratuit.

L'impact du solidarisme

Le renouveau de la Mutualité française[réf. nécessaire]

La mutualité[Laquelle ?], rendue à sa liberté par la charte de 1898 et unifiée par la création de la Fédération nationale de la mutualité française en 1902, doit davantage à l'action de la gauche républicaine et maçonnique qu’à celle du mouvement ouvrier quand bien même résonne encore dans cette mutualité l'écho des idéaux révolutionnaires poursuivis par Blanqui, Proudhon et quelques autres[non neutre]. Les pères fondateurs, Hippolyte Maze, Jules Arboux, Léopold Mabilleau et Léon Bourgeois, sont tous préoccupés de donner à cette nouvelle république naissante les fondements théoriques qui lui permettront de s’imposer durablement face à ses concurrents libéraux et marxistes. En Belgique, dans les années 2000, l'Union Nationale des mutualités socialistes s'inspira de cette référence[réf. nécessaire] pour le choix du nom de ses mutualités « Solidaris ».

Les mesures législatives

Les solidaristes comptent parmi les défenseurs de nombreuses propositions de lois, dont certaines furent adoptées[7] :

  • 1890 : Suppression du livret ouvrier ;
  • 1893 : Loi reconnaissant à « Tout Français ne bénéficiant pas de ressources financières la possibilité de recevoir gratuitement une assistance médicale chez lui, ou à l’hôpital, si c'est nécessaire » ;
  • 1898 : Loi instituant un dédommagement pour les ouvriers victimes d'accident du fait des machines ;
  • 1901 : Projet de loi sur le droit à la retraite qui aboutit à la loi de 1910 avec d'importantes modifications du fait d'une opposition conjointe des patrons et ouvriers.

Les idées solidaristes contribuent également à l'évolution des esprits en faveur des divers régimes d'allocations familiales, de la réduction du temps de travail des femmes et des jeunes gens.

Les autres formes de solidarisme

Le solidarisme contractuel

Un des piliers du droit civil français, le droit des obligations, connaît en Doctrine un mouvement promouvant le solidarisme contractuel afin d'assurer l'effectivité de l'égalité et de la liberté des parties cocontractantes. Ce mouvement doctrinal a eu comme initiateur René Demogue au début du XXe siècle. La doctrine solidariste a connu un regain dans les années 1990 (Christophe Jamin, Denis Mazeaud) et a essuyé la critique des défenseurs de la conception classique, libérale, du contrat.

Le droit des obligations a été réformé par l'Ordonnance n° 2016-131 du portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Une réforme par voie d'ordonnance ne fait pas l'objet d'un débat parlementaire.

Le solidarisme catholique

Hors de France, le solidarisme républicain initié par Léon Bourgeois eut moins de succès. Néanmoins, en Allemagne, un autre solidarisme apparu à la même époque[8]. Contrairement au solidarisme républicain et laïque, il se basait sur le christianisme. Le constat fait par ce solidarisme était le même : les intérêts de tous convergent et le système individualiste ne permet pas de réaliser la solidarité. Il se voulait également une alternative au libéralisme individualiste comme au socialisme. Les solidaristes catholiques pensaient que la solidarité ne devait pas se faire par les lois, mais par l’évolution des consciences dans laquelle l’Église jouait un rôle. Comme l’explique von Mises, pour eux, ce sont « des prescriptions morales, l’amour du prochain, [qui] doivent déterminer les individus à remplir leur devoir social »[9]. Représentée notamment par le jésuite Heinrich Pesch, puis par Oswald von Nell-Breuning, cette école marqua la doctrine sociale de l'Église catholique et posa les bases de la démocratie chrétienne en Europe[10].
Après la Seconde Guerre mondiale, en Italie aussi, sous l’influence de l’économiste Guido Menegazzi, certains s’intéressèrent à nouveau à ce solidarisme, notamment au sein de Démocratie chrétienne, où il créa un « mouvement solidariste ». Cependant, en dehors de l'Allemagne et de l'Italie, le solidarisme catholique eut peu d'influence[10].

Le solidarisme d'extrême droite

Dans les années 1930, en Belgique, Joris Van Severen fonda un parti, le Verdinaso, dont l’idéologie était dite « national-solidariste ». Il s’agissait d’un parti nationaliste flamand, autoritaire et militariste rejetant le marxisme et le capitalisme international. Il était relativement proche, idéologiquement, du NSDAP ou du Parti fasciste italien[11]. Malgré le qualificatif de « solidariste », le mouvement était très éloigné de la doctrine de Léon Bourgeois même s’il était parfois qualifié de « version fascisante du solidarisme »[12].

En France, c’est à partir de 1967 que se forma un courant dit « solidariste », à l’extrême droite de l’échiquier politique, bien que ses membres réfutaient ce positionnement et se disaient en dehors du clivage droite-gauche. Ils refusaient le matérialisme et s’opposaient aussi bien au « marxisme totalitaire » de l'URSS qu’au « capitalisme international » des États-Unis[13]. En 1975, l’Union solidariste fut notamment créée autour de Jean-Pierre Stirbois et Michel Collinot. Ses militants venaient en partie du Mouvement solidariste français (MSF) et du Mouvement jeune révolution (MJR), lui aussi « solidariste ». Le discours du parti incluait la défense des travailleurs[14]. En 1977, l’Union solidariste rejoignit le Front national dont Jean-Pierre Stirbois devint secrétaire général en 1981, où il maintint une tendance dite « solidariste ». En dehors du FN, le solidarisme continue d'être représenté par le Groupe action jeunesse (GAJ), dont le bulletin, sous la direction de Jean-Gilles Malliarakis, prend en 1977 le titre de Jeune nation solidariste : en 1979, le GAJ est remplacé par le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), qui continue à se réclamer du solidarisme, et cède ensuite lui-même la place à Troisième voie qui finit par éclater en 1991. Le solidarisme d'extrême droite fait partie des mouvances rattachées au nationalisme révolutionnaire[15].

Du solidarisme aux idées du Care

Les théories du « care », issues du mouvement féministe américain (en particulier Carol Gilligan, Une voix différente, Flammarion, 2008 et Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, 2009) peuvent être considérées comme une forme de prolongement du solidarisme, au sens où les théories du care entendent faire droit à la place des femmes dans l'exercice de la solidarité et cherchent à faire le lien avec les conditions réelles d'exercice de la solidarité et de la justice[16].

Critiques du solidarisme

Pour Ludwig von Mises, le solidarisme consiste en l’abolition de la propriété, puisque le propriétaire ne peut faire ce qu’il veut de ses biens ; on lui ôte la disposition de sa chose. Il s’agit d'une doctrine qui « croit être foncièrement différente du socialisme d'État » alors qu’en réalité, elle possède le même idéal. Il classe ainsi le solidarisme comme un « pseudo-socialisme »[9].

Au contraire, le solidarisme est critiqué par les socialistes comme étant l'archétype de la collaboration de classes, qui, en prétendant dépasser le socialisme et le libéralisme par un socialisme libéral, ne devient en réalité qu'un libéralisme social, ne modifiant pas la logique capitaliste de la production, de l'exploitation et de l'échange.

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Serge Audier, Léon Bourgeois : Fonder la solidarité, Paris, Éditions Michalon, coll. « Le Bien Commun », , 126 p.
  • Serge Audier, La pensée solidariste : Aux sources du modèle social républicain, Paris, PUF, coll. « Le Lien social », , 335 p. (ISBN 978-2-13-057095-0). 
  • Joseph Drioux, De la solidarité sociale, Orléans, Imprimerie orléanaise, 1902, 31 p.
  • Jacques Mièvre, « Le solidarisme de Léon Bourgeois », Cahiers de la Méditerranée, no 63, , p. 141-155 (lire en ligne)

Ouvrages d'auteurs solidaristes :

Articles connexes

Liens externes

  • Solidarité, l'ouvrage de L.Bourgeois, retranscrit intégralement à cette page par des universitaires bénévoles de l'UQAC :
  • Biographie de René Demogue par Daniel Mainguy, professeur à la faculté de droit de Montpellier
  • Article de Deni Mazeaud professeur à l'université Panthéon-Assas, Paris II : " La bataille du solidarisme contractuel : du feu, des cendres, des braises ..." .

Notes et références

  1. Léon Bourgeois : du solidarisme à la Société des Nations par Alexandre Niess, Maurice Vaïsse (dir.), Éditions Guéniot, 2006.
  2. [PDF]Solidarité Ouvrage en ligne.
  3. Léon Bourgeois : fonder la solidarité de Serge Audier. Ed. Michalon.
  4. Pénélope Pélissier, « Léon Bourgeois (1851 - 1925) : L'inventeur du solidarisme. », sur Hérodote.net (consulté le )
  5. Françoise Marcard, La France entre 1870 et 1918, A. Colin 2005.
  6. Françoise Marcard, op. cit.
  7. Françoise Marcard, op. cit.
  8. Audier 2010, p. 3.
  9. Ludwig von Mises (trad. Paul Bastier, André Terrasse et François Terrasse), Le Socialisme : Étude économique et sociologique, Paris, Éditions M.-Th. Génin, (1re éd. 1922) (lire en ligne), partie III, chap. 2 (« Les conceptions pseudo-socialistes »).
  10. Audier 2010, p. 4.
  11. Alexandre Vick, « Au cœur de l'idéologie national-solidariste », sur RésistanceS : web-journal de l'Observatoire belge de l'extrême droite, (consulté le ).
  12. Manuel Abramowicz, « Rectification historique : Au source du vrai solidarisme », sur RésistanceS : web-journal de l'Observatoire belge de l'extrême droite, (consulté le ).
  13. « Le Mouvement Solidariste Français », sur Institut d'histoire des identités nationale et régional (consulté le ).
  14. Abel Mestre et Caroline Monnot, « Marine Le Pen, Hénin-Beaumont : un copycat de Stirbois à Dreux en 1983 ? », Droite(s) extrême(s), Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
  15. Nicolas Lebourg, Qu’est ce que le nationalisme-révolutionnaire ?, Fragments sur les Temps Présents, 2009.
  16. Serge Guérin, De l'État providence à l'État accompagnant, Ed. Michalon, 2010.
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