Théologie de la Croix
La théologie de la Croix, également appelée staurologie, est une branche de la théologie chrétienne centrée sur le mystère de la Crucifixion.
Développée dès l'Antiquité, notamment dans plusieurs épîtres de Paul et chez Origène, la théologie de la Croix est ensuite mise à l'honneur par Martin Luther, puis dans la théologie protestante. Au XXe siècle, elle tient une place centrale dans l'œuvre du cardinal Hans Urs von Balthasar.
Principe
La théologie de la Croix est une forme particulière de la théologie en ce qu'« il s’agit de penser la connaissance de Dieu à partir, non pas de ses attributs divins, de la raison humaine, de la révélation naturelle ou de la métaphysique mais seulement à partir de la croix »[1].
En conséquence, toute la construction théologique doit être ordonnée à la croix et à la crucifixion, du fait de leur rôle unique dans le salut, ce qui permet et contraint à la fois à une nouvelle appréhension du divin, notamment dans l'inversion de ses prérogatives. Dieu, à la croix, se révèle faible et mourant, et non fort et puissant[1].
Histoire
Dans les épîtres de Paul
Un des textes les plus fondateurs de la théologie de la Croix est l'« hymne aux Philippiens », aux versets 6 à 11 du deuxième chapitre de l'épître aux Philippiens[2] :
« le Christ Jésus, bien qu’il fût dans la condition de Dieu, n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur[3]. »
Le pape Benoît XVI interprète la conversion de Paul comme un mystère centré sur la croix et la mort de Jésus, avec une double dimension d'universalité — Jésus est mort pour l'humanité tout entière — et de relation personnelle — Jésus est mort pour moi personnellement —. La Croix est dans cette perspective un salut donné comme grâce de manière unilatérale[4].
Dans la théologie d'Origène
Origène voit une préfiguration de la Croix salvatrice dans la bataille entre les Hébreux et les Amalécites relaté dans le Livre de l'Exode, quand Moïse lève les bras pour faire vaincre les Hébreux, soutenu par Aaron et Hur[5].
Chez d'autres théologiens antiques
Irénée de Lyon établit une relation directe entre Création et Rédemption, méditant sur la forme même de la croix comme mesure de l'amour de Dieu et figure du Dieu créateur[5].
Chez Urs von Balthasar
Chez Hans Urs von Balthasar, la Croix est indissociablement liée à la gloire de la Trinité[6]. Pour lui, la Croix est l'aboutissement final d'une kénose qui commence au sein même de la Trinité, et non pour le seul Christ[7].
Autres théologiens
Le théologien indien Vengal Chakkarai (en) développe une théologie proprement indienne qui s'appuie, non pas principalement sur des éléments johanniques mais plutôt pauliniens, en particulier l'épître aux Philippiens, et surtout les versets 6 à 11 du chapitre 2, dit « Hymne aux Philippiens ». Ces versets sont la révélation la plus explicite du mystère de la kénose[2].
Toutefois les kénoses sémitique et orientales ne sont absolument pas synonymes, étant héritières de deux traditions philosophiques oxymoriques. Mais la démarche de Paul et de Chakkarai sont similaires, ce qui amène Chakkari encore plus loin que son prédécesseur. Dans la version de Chakkarai, la Croix est un outil de déréliction encore plus absolu dans la mesure où elle prive même le Christ de la relation à Dieu le Père[8].
Représentation artistiques
Antiquité
Dans les représentations antiques, la Croix est peu représentée comme instrument du salut, car elle continue d'être utilisée par l'Empire romain comme instrument de torture, notamment vis-à-vis des premiers chrétiens. La première représentation connue d'une croix comme instrument de salut date de l'évangéliaire de Rabbula, dont les enluminures sont datées du VIe siècle[5].
Dans le mausolée de Galla Placidia, la Croix est placée au centre de la décoration en mosaïque de la coupole, et y figure l'axe du cosmos[5].
- La coupole du mausolée de Galla Placidia, où la Croix figure l'axe du cosmos.
Moyen Âge
Raban Maur, dans son Liber de laudibus Sanctae Crucis, représente la Croix en calligramme comme signe du règne cosmique du Christ[5].
- Verso du feuillet 4 du Liber de laudibus Sanctae Crucis de Raban Maur, montrant un calligramme cruciforme.
Notes et références
- Dettwiller & Zumstein 2002, Introduction — 1., p. 108.
- Jean-Claude Basset 1983, III. La Kénose selon V. Chakkari, p. 425 à 427.
- Bible Crampon 1923/Philippiens 2,5.
- Benoît XVI, « La théologie de la Croix dans la christologie de saint Paul — Audience générale », Saint-Siège, (consulté le ).
- David Sendrez, « La croix, une clef pour les théologiens », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne).
- Vincent Holzer 2007, Introduction, p. 153.
- Vincent Holzer 2007, I. Métaphysique de la “différence” et kénose christologique, p. 158.
- Jean-Claude Basset 1983, V. Différences et rapprochements, p. 429 à 431.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- [Jean Hering 1929] Jean Hering, « La pensée d'Origène », Revue d'histoire et de philosophie religieuses, Université de Strasbourg, vol. 9, nos 4-5, , p. 319-340 (ISSN 0035-2403, DOI 10.3406/rhpr.1929.2735, lire en ligne)
- [Jean-Claude Basset 1983] Jean-Claude Basset, « Théologie de la croix et culture indienne. L'interprétation de V. Chakkarai à la lumière de Philippiens 2/6-11 », Revue d'histoire et de philosophie religieuses, Université de Strasbourg, vol. 63, no 4, , p. 417-433 (ISSN 0035-2403, DOI 10.3406/rhpr.1983.4732, lire en ligne)
- [Jean Zumstein 2001] Jean Zumstein, « Paul et la théologie de la croix », Études théologiques et religieuses, vol. 76, no 4, , p. 319-340 (ISSN 2272-9011, présentation en ligne)
- [Dettwiller & Zumstein 2002] Andreas Dettwiller et Jean Zumstein (trad. de l'allemand par Elian Cuvillier), « Die ‘Kreuzestheologie’ als Leseschlüssel zum Markusevangelium », dans Andreas Dettwiller & Jean Zumstein (dir.), Kreuzestheologie im Neuen Testament [« La “théologie de la croix” comme clé de lecture de l'évangile de Marc »], Tübingen, , 367 p. (ISBN 978-3-16-147775-1, lire en ligne), p. 107-150
- [Vincent Holzer 2007] Vincent Holzer, « Théologie de la croix et doctrine trinitaire. Contribution à une théologie négative christologique : une autre analogie », Revue Théologique de Louvain, vol. 38, no 2, , p. 153-186 (ISSN 0080-2654, lire en ligne)
- [Pascal Ide 2018] Pascal Ide, « Deux christologies d’aujourd’hui », Nouvelle Revue théologique, vol. 140, no 4, , p. 625-639 (ISSN 0029-4845, présentation en ligne)
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