Théorème d'Hurewicz

En topologie algébrique, le cas le plus simple du théorème d'Hurewicz – attribué à Witold Hurewicz – est une description du premier groupe d'homologie singulière d'un espace topologique connexe par arcs à l'aide de son groupe fondamental.

Ne doit pas être confondu avec Théorème de Hurwitz.

Degré 1

Énoncé

Le groupe fondamental, en un point x, d'un espace X, est défini comme l'ensemble des classes d'homotopie de lacets de X en x, muni de la loi de concaténation des lacets. Il est noté π1(X, x). Si X est connexe par arcs et si y est un autre point de X, les groupes π1(X, x) et π1(X, y) sont isomorphes : des isomorphismes peuvent être construits en utilisant un chemin de x à y. Cependant, de tels isomorphismes sont uniquement définis à conjugaison près.

Si G est un groupe, on note [G, G] le sous-groupe normal de G engendré par les commutateurs de G, appelé groupe dérivé. Le groupe Gab := G/[G, G] s'appelle l'abélianisé de G. Plus grand quotient abélien de G, il est caractérisé par la propriété universelle suivante :

Tout morphisme de groupes de G dans un groupe abélien se factorise à travers Gab.

Un automorphisme intérieur de G préserve les commutateurs, et induit par passage au quotient l'identité sur l'abélianisé Gab.

Pour tout entier naturel q, on note Hq(X, ℤ) le q-ième groupe d'homologie singulière de X à coefficients entiers. En notant (Xk) la famille des composantes connexes par arcs de X, Hq(X, ℤ) est la somme directe des Hq(Xk, ℤ), ce qui permet de ramener l'étude de H1(X, ℤ) au cas où X est connexe par arcs. Le théorème d'Hurewicz affirme dans ce cas l'existence d'un isomorphisme naturel de π1(X, x)ab sur H1(X, ℤ) :

Théorème  Soit X un espace topologique connexe par arcs. Un lacet f : [0,1] → X est, en tant que 1-chaîne, un cycle. Le morphisme de groupes ΦX : π1(X, x) → H1(X, ℤ) induit un isomorphisme appelé isomorphisme d'Hurewicz :

.

De plus, pour toute application continue g : X Y, les morphismes de groupes induits g : π1(X, x) → π1(Y, g(x)) et g : H1(X, ℤ) → H1(Y, ℤ) vérifient :

.

Autrement dit, H1(X, ℤ) est naturellement l'abélianisé de π1(X, x). Plus exactement, on dispose de deux foncteurs covariants de la catégorie des espaces topologiques connexes par arcs dans la catégorie des groupes abéliens, à savoir :

  • Le foncteur H1 qui à un « objet » X associe H1(X, ℤ) ;
  • La foncteur π1ab qui à un « objet » X associe π1(X, x)ab où le point de base x est choisi arbitraire.

Le théorème d'Hurewicz donne l'existence d'un isomorphisme de foncteurs Φ de π1ab sur H1.

Exemples

Le théorème d'Hurewicz permet de calculer le premier groupe d'homologie connaissant le groupe fondamental :

Espace topologique Description Groupe fondamental H1(∙, ℤ)
Espace contractileSe rétracte par déformation sur un pointGroupe trivial0
S1Le cercle unitéLe groupe additif ℤ des entiers relatifs
Pn(ℝ)L'espace projectif réel de dimension n2 = ℤ/2ℤ2
TnLe tore de dimension nLe produit directnn
S1S1Le bouquet de deux cercles (en)Le groupe libre F22
ΣgLa surface compacte orientée de genre gLe groupe présenté par
a1, … , ag, b1, … , bg|[a1, b1] … [ag, bg] = 1〉
2g

Pour tout espace X connexe par arcs, H1(X, ℤ) est trivial si et seulement si π1(X) est parfait. C'est bien sûr le cas si X est simplement connexe mais aussi, par exemple, si X est une sphère d'homologie de dimension > 1.

Preuve

Le théorème d'Hurewicz énonce l'existence d'un morphisme de groupes et sa bijectivité. L'injectivité demande plus de travail que sa surjectivité. La bijectivité sera ici établie en donnant la construction explicite d'un inverse. On note Δ0 le point, Δ1 = [0, 1] le 1-simplexe standard, et Δ2 le 2-simplexe standard où les points sont repérés en coordonnées barycentriques par (s, t, u) avec s + t + u = 1.

Existence du morphisme d'Hurewicz

Un lacet f de X en un point x est une application continue f : [0,1] → X telle que f(0) = f(1) = x. Une telle application peut être vue comme un 1-simplexe de X ; par définition, son bord est f(1) – f(0) = 0. Donc f est un 1-cycle. Une homotopie entre deux lacets f et g donne un 2-simplexe dont le bord est g f. De ce fait, le 1-cycle f ne dépend, modulo les 1-bords, que de la classe d'homotopie du lacet f. On dispose donc d'une application naturelle :

Cette application est un morphisme de groupes : pour deux lacets f et g de X en x, fg est un 1-cycle. L'élément (fg) – g f de C1(X, ℤ) est le bord du 2-simplexe h défini par :

Comme H1(X, ℤ) est abélien, ce morphisme se factorise à travers l'abélianisé pour donner le morphisme d'Hurewicz :

Construction de l'inverse

Comme X est connexe par arcs, pour y un point de X, introduisons un chemin λy d'origine x et d'extrémité y (l'axiome du choix est ici utilisé). Pour tout 1-simplexe f de X, on définit :

Le lacet ψλ(f) dépend du choix des chemins λy ; il en va de même de sa classe dans l'abélianisé du groupe fondamental. L'application ψλ induit une application ℤ-linéaire :

Des arguments techniques (détaillés ci-dessous) montrent les résultats remarquables suivants :

  • Le noyau de Ψλ contient les 1-bords (bords de 2-simplexes).
  • Malgré la dépendance déjà soulignée en les choix des chemins utilisés, l'application Ψλ en restriction aux 1-cycles en est indépendante.

De ce fait, Ψλ induit par restriction et passage au quotient un morphisme Ψ indépendant de λ :

Ce morphisme Ψ a été construit pour être l'inverse du morphisme d'Hurewicz Φ = ΦX :

  • Pour un élément α de π1(X, x)ab, représenté par un lacet f de X en x, l'image ΦX(f) est représentée par f, vu comme un 1-cycle. Par définition, ΨΦ(α) est la classe de λxf∗λx−1, conjugué de f. Donc dans l'abélianisé, leurs classes sont égales : ΨΦ(α) = α.
  • Pour tout 1-simplexe f, λf(0)f∗λf(1)−1 est égal à f modulo un 1-bord (voir l'argument ci-dessous). Par suite, si σ est un 1-cycle, Φ∘Ψλ(σ) est égal à σ modulo une somme de 1-bords. Autrement dit, Φ∘Ψ vaut l'identité sur H1(X, ℤ).

Degrés > 1

L'énoncé général du théorème d'Hurewicz classique, pour n > 1, est le suivant (il existe aussi une version relative (en)[1]) :

Théorème  Soit X un espace tel que πi(X) = 0 pour i < n ; on a alors Hi(X) = 0 pour 0 < i < n, et πn(X) est isomorphe à Hn(X)[2].

(L'abélianisation de πn est superflue, puisque les groupes d'homotopie en degrés > 1 sont abéliens.)

Notes et références

  1. (en) Allen Hatcher, Algebraic Topology, New York, CUP, , 544 p. (ISBN 978-0-521-79540-1, lire en ligne), p. 366.
  2. Jean-Pierre Serre, « Groupes d'homotopie et classes de groupes abéliens », Ann. Math., 2e série, vol. 58, no 2, , p. 258-294 (lire en ligne [PDF]).
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