Westrich

Westrich est le nom donné à partir du XIIIe siècle au territoire situé au nord de la vallée de la Seille[e 1] entre les Vosges et le Hunsrück[e 2]. Mouvant au sein du Saint-Empire entre duché de Lorraine, évêché de Metz, Luxembourg, archevêché de Trèves, Alsace, Bade et Palatinat[1], c'est aujourd'hui une « province fantôme »[2] que recouvrent la Sarre, le Nord-Est de la Lorraine, l'Alsace bossue, et la zone montagneuse du Palatinat.

Définition et frontières

Paysage du Westrich.
Vue du mont Tonnerre depuis le Potzberg (de).

Les frontières du Westrich sont d'autant plus imprécises qu'elles ont fluctué au cours du millénaire qu'a duré le Saint-Empire.

Le Westrich au sens où l'entendent les Allemands

Le nom de Westrich reste employé de nos jours par les habitants parlant un dialecte francique rhénan, le westrichien (de), au sud de la Nahe et à l'ouest des crêtes de la Forêt Palatine pour désigner leur terroir, c'est-à-dire l'Est de la Sarre, le Bliesgau et le territoire autour de Saint-Wendel ainsi que l'intérieur de l'ancien département du Mont-Tonnerre au sud du Nahegau[e 2].

Carte allemande contemporaine reprenant le nom de Westrich en un sens restreint.

Ce terroir correspond au Palatinat-Deux-Ponts et à la partie du Comté de Deux-Ponts-Bitche qui se trouve aujourd'hui dans la Rhénanie-Palatinat.

Toutefois, le Westrich a connu une certaine survivance dans la « Lorraine allemande » correspondant aux parties du Comté de Deux-Ponts-Bitche, comme le pays de Bitche, et du Palatinat-Deux-Ponts, tel Phalsbourg, qui se trouvent aujourd'hui en Lorraine et où est pratiqué le même dialecte.

Cet emploi contemporain du terme Westrich apparait restrictif par rapport à son emploi savant à la Renaissance.

Le Westrich au XVIe siècle

Dans son atelier de Saint-Dié, Martin Waldseemuller, cartographe du duc de Lorraine René II, élabore à une date non connue mais antérieure à 1508[e 2] une carte publiée par Jean Schott à Strasbourg en 1513 qui recense les comtés du Westrich[e 3]:

Carte[3] du Vastum Regnum comme espace contigu de la Lorraine au-delà de la Seille par Waldseemuller (Nord en bas).

desquels est omis, peut-être pour des raisons politiques, le fief des comtes de Dabo, autour de Dagsbourg.

Y sont jointes sept baronnies[e' 1]:

parmi lesquelles manque également une huitième, Kriechingen (Créhange).

Cette représentation plus politique que géographique correspond assez précisément aux territoires actuels du Saulnois, de la Lorraine allemande, de l'Alsace Bossue, du Land de Sarre et, avec le comté de Deux-Ponts(-Deux-Ponts) très étendu vers le nord, au sud-ouest du Palatinat[e' 1].

Étymologie

Westrich est une forme de l'allemand contemporain Westerreich et signifie « royaume de l'Ouest ». Emergé au XIIIe siècle[e 2], ce concept de « royaume de l'Ouest » est alors inventé comme un pendant[4] au « royaume de l'Est », l'Autriche[e' 2], à une époque où les Wittelsbach affirment leur puissance d'une part vers l'est sur la Bavière et d'autre part vers l'ouest sur le Palatinat en acquérant en 1394 le Palatinat-Deux-Ponts. Westrich et Autriche apparaissent ainsi comme les domaines voisins occidentaux et orientaux des Wittelsbach, sinon comme un affichage de leurs ambitions territoriales.

La traduction latine est Westrichia ou Westratia[1]. Martin Waldseemuller, cartographe du Duc de Lorraine René II de Vaudemont et d'Anjou, le renomme par un jeu de mots Vastum Regnum, c'est-à-dire « Vaste Royaume » que connotent les sous-entendus de dévastation, vide et donc disponibilité, pour des raisons idéologiques, à savoir le présenter comme un domaine naturel d'annexion à la Lorraine[e 4] et non plus au Palatinat. Sa signification originelle d'« ouest du Palatinat » est ainsi gommée.

Blason

Le Westrich n'étant pas un fief mais un enjeu politique certain, des armoiries imaginaires lui ont été attribuées à la Renaissance par une manière de revendication généalogique, à savoir coticé d'or et d'azur de huit pièces[5]. Ce blason, revendiqué par René II de Lorraine comme antérieur à celui de la Maison de Lorraine[6], traduit un imaginaire[e 5] reliant la Lotharingie à l'Austrasie[7]dont les armoiries, tout aussi imaginaires mais reprises avec pour brisure une bordure de gueules par une Bourgogne[8] prétendant reconstituer l'antique Lotharingie, étaient « bandé d'or et d'azur de six pièces »[8].

Aussi retrouve-t-on dans un armorial plus tardif[9] les armes du Westrich presque identiques à celles-ci de l'Austrasie, bandé d'argent et d'azur de six pièces[10].

Histoire

Dans l'Antiquité, la partie ouest de la Belgique première est parcourue par la « via regalis » reliant Divodurum (Metz) à Mongotiacum (Mayence) et à Borbetomagus (Worms) en passant par la future Villa Luthra (Kaiserslautern). Elle croisait en l'actuel lieu-dit Champ noir (de), entre les actuels Sarrebruck et Hombourg, la route reliant Augusta Trevorum (Trèves), capitale des Gaules romaines ou sécessionnistes, et Argentoratum (Strasbourg) le long de la vallée du Saravus (Sarre) en passant par Martiaticum (Merzig) et Pons Saravi (Sarrebourg).

Le far-west du Palatinat (880-1525)

Le Lion (de) aux couleurs des Hohenstauffen apparaît en 1190 sur des monnaies de Conrad Ier et gagne une couronne avec la Bulle d'Or. Il a depuis été adopté par de nombreux cantons du Westrich allemand.

Une zone intermédiaire entre les centres de pouvoir

Ressort aux confins de la Germanie supérieure des cités des Trévires, qui occupent la basse Moselle, pour sa partie nord et des Médiomatriques, qui sont en amont, pour sa partie sud, puis respectivement des diocèses de l'archevêque de Trèves et de l'évêque de Metz, ce territoire sort du Haut Moyen Âge par ses marges:

Développement et naissance du Westrich au XIIIe siècle

Le Westrich acquiert son nom au siècle suivant[e 2]. C'est l'époque où Hasbourgs et Capétiens construisent leurs territoires nationaux et qui s'achève en 1299 par l'entrevue de Quatrevaux au cours de laquelle est fixée sur la Meuse la frontière entre Empire et Royaume.

Le terme lui-même de Westrich est mentionné dans un document de 1295[e' 3], le plus ancien qui reste. Ses fiefs sont décrits dans de nombreux documents postérieurs[11] dont, un siècle et demi plus tard, une carte de Nicolas de Cues[e 6], Westrichois de naissance. Ce nom, qui signifie en allemand royaume ou région de l'Ouest, indique un peuplement autour de quelques seigneuries agricoles et forestières, telle celle les Comtes sauvages (de) de Salm, et de quelques abbayes isolées, telle celle de Herbitzheim, organisé à partir de la rive droite du Rhin[e' 3] et Heidelberg, capitale du Bas-Palatinat ou Palatinat du Rhin.

À partir d'exploitations traditionnelles, s'y développent également au cours du XIIIe siècle, grâce aux inventions cent cinquante ans plus tôt du moulin à arbre à cames et du harnais pour cheval qui multiplie par deux la productivité du débardage, des centres industriels qui bénéficient des ressources en bois et en eau et fournissent les cours princières et épiscopales voisines en minerais et métaux, en papier et en sel, tel Marsal, en céramique et verre, tel Sarrebourg. En 1357, les comtes palatins font leur le palais impérial de Kaiserslautern. En 1394 Robert de Wittelsbach annexe une partie du comté de Deux-Ponts, renommée Palatinat-Deux-Ponts, une des cinq contrées du Palatinat[12], à l'ouest du Rhin.

Bouleversements sociaux clôturant le Moyen Âge

Mercenaires, prostitution et massacres sont, durant la guerre civile et religieuse, le sort des zones rurales et frontalières tels le Westrich, la Suisse, la Flandre.

Le développement économique et démographique ne va pas sans exacerber les conflits entre bourgeoisie et noblesse locale qui tâche parfois de ne pas déroger en prenant des charges de maître de forges ou maître verrier. Dès 1381, le château de Sarreck est incendié par les marchands de Sarrebourg. Quatre-vingt-trois ans plus tard, le , le pouvoir central est obligé d'intervenir et le duc de Lorraine Jean d'Anjou et de Calabre prend Sarrebourg pour en faire une garnison permanente.

Le déclassement face à la bourgeoisie triomphante de la petite noblesse, incapable de subvenir à l'ost et réduite à la rapine et à la vendetta qui s'ensuit, concurrencée par la piétaille des lansquenets et Suisses au service de riches banquiers, tentée par la sécularisation des biens du clergé et encouragée par la contestation luthérienne, provoque la mutinerie des chevaliers du Palatinat (de). Elle est conduite durant les années 1522 et 1523 dans le Westrich par un syndicat constitué, à l'instar de la Ligue de Souabe, autour de Franz von Sickingen, seigneur de château de Nanstein (de). Cette année de violence marque un effondrement de l'ordre social et un coup d'arrêt à la prééminence du comte palatin et de l'Électeur, Prince Archevêque de Trèves, dans la région.

Elle est suivie en 1525 par le « chambardement d'Herbitzheim », lieu de rassemblement des « paysans » du Bliesgau, du Saargau et du bailliage allemand[13] de la Lorraine partant rejoindre à Saverne Érasme Gerber dans sa guerre des Rustauds. La répression menée par le duc Antoine confère à celui-ci aux yeux de ses pairs impériaux une légitimité à établir dans une région réputée ensauvagée au sein du Cercle du Rhin un ordre au secours duquel se portera très vite la Contre-Réforme.

L'expansionnisme lorrain

Dès lors, la partie vosgienne du Westrich devient l'objet de l'expansionnisme progressif et systématique de la Lorraine, déjà présente dans la partie aval depuis le condominium sur Merzig conclu en 1368 par Raoul le Vaillant avec l'archevêque de Trèves. Tombent successivement dans le ban de la maison de Lorraine accroissant son bailliage allemand jusqu'aux frontières actuelles et le tiers aval de l'actuel Sarre:

La Réforme et le partage du Westrich

Cette annexion de 1629, avec celle de Bockheim, est entérinée par un accord avec les Nassau protestants. En 1556, durant le concile de Trente, la Réforme luthérienne avait été introduite par des prédicateurs proches du coprince Adolf de Nassau en Sarrewerden, en conflit avec le duc de Lorraine, dans le comté de Sarrewerden. C'est l'origine de son rattachement futur à l'Alsace. La réforme concernait l'éducation, en ouvrant des établissements, le culte, en formant les prêtres, l'administration, en en éliminant les catholiques, et les mœurs, en interdisant les fêtes telles que les feux de la Saint-Jean. En 1575, c'est le comté de Sarrebruck, nouvellement dirigé par Philippe IV de Nassau-Weilbourg, qui avait été réformé par le prédicateur Gebhardt Beilstein. L'annexion de 1629 expose donc les habitants de l'Alsace bossue à la Contre-Réforme.

La guerre de Trente Ans

Le Bûcher - Jacques Callot - 1633.
La guerre de Trente Ans et son horreur moderne internationalise un conflit civil antérieur.

Le Westrich est durement touché par la guerre de Trente Ans et certaines zones se dépeuplent. Par exemple celle de Sarrebruck perd au moins 60 % de sa population.

  • Deux ans plus tard, en 1637, on ne compte que soixante-dix survivants dans Sarrebruck détruite.

S'ensuivent épidémies de peste et famines.

La Sarre franco-suédoise (1660-1815)

Vers 1665, Sarreck, Fénétrange, Sarrewerden, Sarralbe, Sarreguemines et Bitche sont constitués par le duc de Lorraine Charles IV en un duché de « Sareland » au bénéfice de son fils adultérin, le prince de Vaudémont, lequel duché retourna en 1707 au duc de Lorraine[e 7].

Cela n'empêche pas le Royaume de continuer sa politique d'encerclement de la Lorraine impériale. En 1677, au décours de la bataille de Consarbrück, Sarrebruck est incendié, seules huit maisons restant debout. En 1680, les troupes du maréchal de Duras investissent Deux-Ponts. Aussitôt la Sarre (comté de Sarrebruck augmenté de la région de Sarrelouis) et l'Alsace bossue (comté de Sarrewerden), en tant que temporel du diocèse de Metz, un des Trois-Évêchés, sont réunies à la France, comme l'Alsace et la Franche-Comté par ailleurs, et Sarrelouis fondée. Toute la région est occupée jusqu'au Rhin et la Sarre est confiée à un intendant, Antoine Bergeron de la Goupillière[e' 4].

En 1690, malgré les protestations de l'archevêque de Trèves, cette confiscation est confirmée par le Traité de Ryswick sur le seul bailliage de Sarrelouis, possession du duc de Lorraine évincé, et l'année suivante, à la mort sans descendance de son duc, le Palatinat-Deux-Ponts, est transmis au roi de Suède allié de la France, laquelle n'évacue ses troupes et dissout l'intendance qu'en 1697.

Carte de 1783 montrant le morcellement politique de l'ancien Westrich.

Entre les deux puissances étrangères, le comté de Sarrebruck, restitué aux Nassau-Ottweiler et Nassau-Sarrebruck, devient au XVIIIe siècle un pôle de développement attirant huguenots et autres réfugiés protestants, nœud de la future Sarre. Cette stabilisation, exceptionnelle depuis deux siècles, perdurera jusqu'en 1780. Elle profite également au côté lorrain du Westrich où le duc Léopold favorise les immigrants du Tyrol et de Suisse venus repeupler un pays dévasté. Certaines seigneuries de cette aire continuèrent à former des enclaves germaniques dans la Lorraine ducale et dans le royaume de France, jusqu'à la Révolution qui en évinça les princes possessionnés pour unifier le territoire national.

Le traité de Paris opère en 1815 un dernier changement de frontière en faisant basculer Sarrelouis et la vallée de la moyenne Sarre, lorraine depuis près d'un demi-millénaire, du côté prussien.

Villes

Villes du Westrich :

en France :

en Allemagne :

Personnalités

Notes et références

  1. I. Kupcick, trad. S. Bartosek, Cartes géographiques anciennes, p . 84-85 & 100, Gründ, Paris , 1981.
  2. A. Eiselé, A la recherche d'un pays fantôme - Le Westrich, Éditions Au Pays de Sarrebourg de la Société d'histoire et d'archéologie de Lorraine, Sarrebourg, 1988.
  3. J. Schott, Geographia Ptolemai, Strasbourg, 1513.
  4. L. Benoît, Notes sur la Lorraine allemande - Le Westrich in Mémoires de la Société d'archéologie lorraine XI, série II, v. 3, p. 26, A. Lepage impr., Nancy, 1861.
  5. Cf. supra carte.
  6. L. Benoît, Notes sur la Lorraine allemande . Le Westrich in Mémoires de la Société d'archéologie lorraine II, v 3, p. 46 & 47, Nancy, 1861.
  7. J. Mussey, Epitre in La Lorraine ancienne et moderne, ou L'ancien duché de Mosellane, véritable origine de la maison royale et du duché moderne de Lorraine, -, Nancy, 1712.
  8. Ch. Segoing, Trésor héraldique ou Mercure armorial, p. 84, Clouzier Clouzier & Clément, Paris, 1657.
  9. Wappenbuch, II, p. 3, Bibliothèque de Nancy, Nuremberg, 1657.
  10. L. Benoît, Notes sur la Lorraine allemande - Le Westrich in Mémoires de la Société d'archéologie lorraine XI, série II, v. 3, p. 47, A. Lepage impr., Nancy, 1861.
  11. L. Benoît, Notes sur la Lorraine allemande - Le Westrich in Mémoires de la Société d'archéologie lorraine XI, série II, v. 3, pp 22-28, A. Lepage impr., Nancy, 1861.
  12. Bassompierre - Journal de ma vie.
  13. L. Benoît, Notes sur la Lorraine allemande - Le Westrich in Mémoires de la Société d'archéologie lorraine XI, série II, v. 3, p. 24, A. Lepage impr., Nancy, 1861.
  1. p. 304.
  2. p. 298.
  3. p. 307.
  4. p. 301 et 303.
  5. p. 32.
  6. p. 299.
  7. p. 315.
  1. p. 33.
  2. p. 35.
  3. p. 34.
  4. p. 42.

.

Voir aussi

Bibliographie

  • Auguste LAUER, Les seigneurs du Westrich, 1968.
  • Bernard Riebel, Confidences du Westrich, recueil de poèmes, éditions Les Pierres, 2004.
  • Albert Eisele, À la recherche d'un pays fantôme : le Westrich, Société d'histoire et d'archéologie, section de Sarrebourg, 1988, 279 p.
  • Louis Benoît, Étude sur les institutions communales du Westrich et sur le livre du vingtième jour de Fénétrange, A. Lepage, Nancy, 1866
  • Louis Benoît, Notes sur la Lorraine allemande : le Westrich, in : Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 1861, 2e série, vol. 3, p. 22-48.
  • Johann Philipp Crollius, Prolusio de Westrasia, Deux-Ponts, 1751 (Première monographie consacrée au Westrich). Online
  • Sebastian Münster, Cosmographia…, durch Henrichum Petri, Bâle, 1545

Lien externe

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