Zinzolin
Zinzolin, ou gingeolin, est un nom de couleur d'usage vieilli ou littéraire qui désignait autrefois un rouge sombre et aujourd'hui, la plupart du temps, un violet rougeâtre[1]. Il décrit en général des pièces de vêtement.
Origine
Le mot zinzolin viendrait de l'italien zuzzulino et de l'arabe djoudjolân : « semence de sésame », de zizolin (1599, 1617), ou bien de l'espagnol cinzolino et de l’italien giuggiolena, d’où le terme de gingeolin également utilisé[2], parce qu'on peut obtenir à partir de cette graine une teinture. Cette explication remonte à Ménage, qui mentionne aussi une hypothèse latine dérivant zinzolin de hysiginium, une plante dont parle Pline, et de son diminutif hysiginolinum[3]. Les auteurs suivants reprennent cette explication. Littré précise « une teinture violette », sans indication de source[4]. Cette étymologie n'a pas toujours eu la faveur, puisque Chevreul indique que « Ginjolin (ou gingeolin) : couleur du fruit sec du jujubier (Zizyphus officinalis), appelé autrefois gingeole »[5]. Le Dictionnaire italien et françois de 1663 indique en effet l'italien giuggiolino, (jujube) en face de zinzolin[6].
En 1650 Scarron en parle comme d'une couleur de longtemps passée de mode[7], ce qui sans doute explique les incertitudes quant à sa signification.
Le mot, provenant du jargon de la tapisserie[8], a connu un usage littéraire burlesque au XVIIe siècle[9] et au XVIIIe siècle, avec une brochure de 1769, Le zinzolin, jeu frivole et moral, qui reste connu par la critique qu'en a faite Diderot[10]. Rivarol utilise encore le mot à des fins satiriques[11]. Max Jacob a pu utiliser de nombreuses fois zinzolin dans son roman Le terrain Bouchaballe (1923), sans donner aucune indication sur la couleur ou le tissu dont il s'agit, tout en apportant une étymologie suprêmement fantaisiste[12].
Couleur
Rouge-pourpre …
Gingeolin, « couleur roussâtre », est attesté en 1635[13]. Zinzolin, attesté en 1599[2] se trouve décrit sans ambiguïté dans l’Harmonie universelle de Mersenne (1636) comme la couleur extrême de la décomposition de la lumière par le prisme, côté rouge[14]. Le Dictionnaire du tapissier définit le zizzolin ou zinzolin comme une garance pourpre, remontant à l'inventaire de Gabrielle d'Estrées[15].
La teinture à base de sésame, en usage en Inde, donne une couleur rouge-brun[16]. En 1615, on peut comparer le zinzolin de la livrée des hommes de Concini à la couleur du sang[17].
… ou rouge-orangé …
Soixante ans après, toutefois, les auteurs officiels du règne de Louis XIV écrivent dans un Réglement « les orangés, isabelle, aurore, gingeolins, jaune-doré, thuille et chamois, pelure d'oignon, seront teints selon leurs nuances de Gaude & garancés[18] », ce qui ne peut guère indiquer qu'une nuance de jaune-orangé.
Au XIXe siècle, Chevreul entreprend de classer les couleurs entre elles et par rapport aux raies de Fraunhofer. Il classe le « Ginjolin (ou gingeolin) », une couleur de l’Instruction générale pour la teinture de 1671 obtenue avec la garance et voisine de la couleur de tuille, comme 4 rouge-orangé 15 ton (type)[19].
… peut-être pas jaune, gris ou bleu …
On trouve en 1765 une méthode pour « faire l'orpiment gingeolin », ce qui renvoie encore vers le jaune. Mais cet ouvrage traduit de l'italien comporte une « terre jaune claire … qui ne cède en rien au gingeolin » et un « gingeolin de Naples ». Il a probablement traduit giallorino (jaune doré ou Jaune de Naples) par gingeolin[20]. Il peut s'agir d'une erreur de traduction, le terme gingeolin étant déjà désuet, ou de la transcription d'un usage local. Le Dauphiné et la Provence sont proches et liés par le commerce avec l'Italie, et en 1809, le Dictionaire des patois de l'Isère définit le zinzolin, ou gingeolin comme une couleur tirant sur le jaune clair[21]. Le patois de l'Isère pourrait avoir ainsi adopté ou adapté l'italien[22].
En 1911, on trouve, parmi les « vanités et ridicules du jour », « le goût des étoffes d'ameublement claires. Les jaunes citron, les verts pistache, les gris zinzolin, les roses évanescents[23] » et en 2002 bleu zinzolin (Amzallag-Augé 2002).
… mais mauve dans les nuanciers modernes
Dans les nuanciers récents, la couleur zinzolin est un mauve ou un violet. Le changement de teinte du rouge violacé au violet rougeâtre, puis violet tout court, s'est produit dans la deuxième moitié du XIXe siècle ; il est d'autant plus facile que le terme zinzolin sonne bien, mais est toujours rare, littéraire, précieux, voir bizarre[24]. Sans doute faut-il le mettre en rapport avec l'invention des colorants synthétiques et la mode des pourpres et violets des années 1860[25].
On trouve en fil à broder zinzolin 1122[26] ou 2704 Violet Zinzolin[27] ; pour les bâtiments T03 Zinzolin[28], en béton coloré Zinzolin 271[29] ; en vernis à ongles Violet Fine Zinzolin[30].
Voir aussi
Bibliographie
- monographies
- Élizabeth Amzallag-Augé, Bleu zinzolin et autres bleus : un parcours en zigzag dans les collections du Centre Pompidou, Paris, Centre Pompidou, , 48 p. (ISBN 2-84426-147-7)
- chapitres
- Rémy de Gourmont, « Zinzolin », dans Couleurs, (lire en ligne)
- articles
- Marie-Claire Durand Guiziou, « Le zinzolin, le zinzoline et la zinzolinette, etude du motif de l'étoffe dans Le terrain Bouchaballe de Max Jacob », EPOS: Revista de filología, (lire en ligne) ; Marie-Claire Durand Guiziou, « La symbolique des nombres trois, sept, douze et la valeur graphique du zinzolin dans Le terrain Bouchaballe de Max Jacob », EPOS: Revista de filología, (lire en ligne)
Articles connexes
Notes et références
- Trésor de la langue française, « Littré: Zinzolin », sur gallica.bnf.fr.
- (de) Wilhelm Fritz Schmidt, Die spanischen Elemente im französischen Wortschatz, Halle a. S., Niemeyer, (lire en ligne), p. 141.
- Gilles Ménage, Dictionnaire etymologique de la langue françoise, Paris, (lire en ligne)
- Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, (lire en ligne)
- Chevreul 1861.
- Dictionnaire italien et françois, Paris, (lire en ligne).
- « L'héritier ridicule (1650) », sur gallica.bnf.fr.
- Pierre Richelet, Dictionnaire françois, Amsterdam, J. Elzevir, (lire en ligne).
- « Les néologismes chez les Burlesques du XVIIe siècle », Cahiers de l'Association internationale des études francaises, no 25, , p. 45-58 (lire en ligne) (p. 56).
- « Œuvres de Diderot ».
- Adolphe de Lescure, Rivarol et la société française pendant la Révolution et l'émigration, Paris, (lire en ligne)
- Durand Guiziou 2002.
- Philibert Monet, Invantaire des deus langues françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez de l'un et de l'autre idiome, Lyon, (lire en ligne), p. 874
- Marin Mersenne, Harmonie universelle, contenant la théorie et la pratique de la musique, (lire en ligne).
- Jules Deville, Dictionnaire du tapissier : critique et historique de l'ameublement français, depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, Paris, C. Claesen, (lire en ligne) ; voir aussi Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, t. 2, Amsterdam, Jansons, (lire en ligne)
- Paul Schützenberger, Traité des matières colorantes, t. 2, Paris, Masson, (lire en ligne), p. 419.
- Alfred de Vigny, Œuvres complètes, t. 7, (lire en ligne) (La Maréchale d'Ancre).
- Louis XIV, Règlemens et statuts généraux pour les longueurs, largeurs & qualitez des draps, serges & autres étoffes de laine & de fil, et pour la jurisdiction des procez et différens concernans les manufactures, Paris, (lire en ligne). Même liste chez Furetière (1701), « Rouge », sur gallica.bnf.fr.
- Michel-Eugène Chevreul, « Moyen de nommer et de définir les couleurs », Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, t. 33, , p. 118 (lire en ligne). La couleur déduite de cette cote est celle, ayant, pour un écran sRGB conforme, une longueur d'onde dominante de 606 nm (« aux 3⁄4 entre C et D », une luminosité de 10 % (« 15 ton » et une pureté colorimétrique de 70%.
- Antoine-Nicolas Joubert de L'Hiberderie, Le dessinateur, pour les fabriques d'étoffes d'or, d'argent et de soie, avec la traduction de six tables raisonnées tirées de l'"Abecedario pittorico", imprimé à Naples en 1733, Paris, (lire en ligne).
- J.-J. Champollion-Figeac, Nouvelles Recherches sur les patois ou idiomes vulgaires de la France, et en particulier sur ceux du département de l'Isère, suivies d'un Essai sur la littérature dauphinoise, Paris, Goujon, (lire en ligne)
- Voir à ce sujet Nicolas Charbot et Hector Blanchet, Dictionnaires des patois du Dauphiné, (lire en ligne), p. 290 « Jail, Jailli » (jaune).
- Octave Uzanne, Sottisier des mœurs : le spectacle contemporain : quelques vanités et ridicules du jour, modes esthétiques, domestiques et sociales, façons de vivre, d'être et de paraître, Paris, (lire en ligne), p. 7.
- Albert Racinet, Le costume historique, Paris, Firmin-Didot, (lire en ligne).
- Philip Ball (trad. Jacques Bonnet), Histoire vivante des couleurs : 5000 ans de peinture racontée par les pigments [« Bright Earth: The Invention of Colour »], Paris, Hazan, , p. 285-335.
- « Nuancier colonne n°7 », sur annika.fr (consulté le )
- « Isacord - Violets et mauves », sur filoom.com (consulté le )
- Municipalité de Crozet (Ain), « Nuancier communal de Crozet », sur www.crozet.fr (consulté le ).
- « Le nuancier », sur dlucem-matieres.com (consulté le ).
- « Violet Fine Zinzolin », sur obsessio-nails.fr (consulté le )
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