Abbaye de Graville

L’abbaye de Graville, également appelée abbaye de Sainte-Honorine, a été fondée au XIe siècle. Elle est située dans le quartier de Graville-Sainte-Honorine au Havre, département de la Seine-Maritime en Normandie[1].

Abbaye de Graville
Présentation
Culte Catholique romain
Type Abbaye
Style dominant Roman et gothique
Protection  Classé MH (1875, 1921)
 Inscrit MH (2000)
Site web https://www.musees-mah-lehavre.fr/
Géographie
Pays France
Région Normandie
Département Seine-Maritime
Ville Le Havre
Coordonnées 49° 30′ 14″ nord, 0° 09′ 53″ est
Géolocalisation sur la carte : Le Havre
Géolocalisation sur la carte : Seine-Maritime
Géolocalisation sur la carte : France

Elle se trouve dans l'agglomération havraise depuis 1919.

L'abbaye fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis 1875 pour son église abbatiale, d'un classement en 1921 pour deux salles souterraines, et d'une inscription en 2000 pour l'ensemble des bâtiments prieuraux[1].

Histoire

Sceau et contre-sceau de Jean Malet, XIIIe siècle
Louis Malet de Graville
Amiral de France
Vue de la façade Sud
L'accès des paroissiens

Abbaye de Graville est l'appellation moderne pour désigner le prieuré de Graville fondé en 1203 par Guillaume Malet, seigneur du lieu avec des chanoines réguliers du prieuré de Sainte-Barbe-en-Auge[2].

L'église est dédiée à sainte Honorine. La légende a nourri, comme bien d’autres, le vide historique ou scientifique. Sainte Honorine n’a pas été martyrisée à Mélamare en 303, c'est-à-dire sous le règne de l’empereur Dioclétien, car le nom même de Mélamare n'est pas antérieur au Xe siècle (Mellomara XIIIe siècle, mare étant issu du vieux norrois marr)[3] et on ne conserve aucune trace d'un nom antérieur avec une substitution de toponyme comme c'est le cas pour Harfleur par exemple. Selon la légende, elle aurait été jetée dans la Seine par des païens de Lillebonne pour venir s’échouer au niveau de l’abbaye. Ces légendes sont loin de la réalité historique.

Les religieux de Graville ont bien abrité les reliques de la sainte, sous le règne d’Eudes Ier (888-898), bien que le lieu même de Graville ne soit pas mentionné avant l'année 1148 (Gerarvilla)[3]. Comte de Paris, Eudes est devenu le premier roi capétien. Il réussit à tenir les Vikings en respect pour un temps et obtint une zone de paix le long de la vallée de la Seine, de Paris à son embouchure. Cependant à l'époque, les Nortmanni s'étaient déjà solidement implantés dans divers endroits de la Seine normande. Durant l'hiver 889-890, à la suite d'une défaite militaire, les nordiques se dirigent vers la Bretagne à l'est et s'approchent dangereusement de Coutances et de Bayeux. On assiste alors à de grands exodes de corps de saints vers l'est, Rouen accueille par exemple les reliques de saint Lô et de saint Romphaire. Les reliques de sainte Honorine semblent à ce moment être conservées dans le diocèse de Bayeux, et doivent elles aussi être mises en sécurité. Puisque de nombreux indices laissent supposer de forts rapports entre Sainte-Honorine de Graville et l'évêché de Bayeux[4], on suppose alors que les reliques sont mises en sécurité à Graville à ce moment, autour de 890[5]. Après la mort d’Eudes Ier, les reliques furent à nouveau menacées par des nordiques, et c’est là qu’elles prirent le chemin de Conflans-Sainte-Honorine en 898.

Toutefois, bien que le corps de la sainte ait quitté le prieuré, le culte de Sainte Honorine reste très fort à Graville. Le recueil des miracles de Conflans[6], dont le récit couvre jusqu’au XIVe  siècle, nous rapporte un épisode qui expliquerait la persistance du culte jusqu'à aujourd'hui. Une riche dame aurait fait fouiller le sarcophage vide, et via le trou percé dans ce dernier, un chevalier parvient à ramener un peu de sang de la sainte, en plus d’une de ses vertèbres. Si on remet en perspective avec la situation du prieuré de Graville au XIIIe  siècle, moment de reconstruction des bâtiments conventuels, du chœur et du cloitre, on comprend alors l’intérêt de relancer le culte de la sainte en s’appuyant sur cette légende. Autrement dit, la présence de reliques de la sainte récemment retrouvées, permettent un afflux de pèlerins, c’est-à-dire  une  rentrée  d’argent  stable  et  abondante[5]. C'est à ce moment que naissent les légendes faisant de sainte Honorine une sainte locale.

L’Abbaye de Graville est, parmi les grands établissements religieux installés en bord de Seine, le plus en aval. Le site conserve des traces d'occupation antique, et d'un ermitage probable au VIe siècle (on constate encore aujourd’hui, dans des grottes naturelles au nord-est du chœur de l’église prieurale, la présence d’aménagements en pierres de taille). La présence d'une collégiale est attestée probablement dès le IXe siècle. Une charte de 1203[7] rapporte que Guillaume Malet, compagnon de Guillaume le Conquérant, rentrent vainqueur de la bataille d’Hastings, et fonde le prieuré de Graville, qui dépendra de Sainte-Barbe-en-Auge. La charte fixe précisément le nombre de chanoines et les règles à suivre, mais aussi détaille la série de dîmes, de droits d'usage et de patronages donnés au prieuré : c'est grâce à eux que sont érigés les bâtiments conventuels.

Le 1er mai 1252, le journal d’Eudes Rigaud[8] (archevêque de Rouen de 1248 à 1275), mentionne qu’il souhaite restreindre l’accès au chœur de l'église paroissiale, et donc la vénération des reliques, aux laïcs[9]. Les diverses fouilles effectuées aux XIXe  et XXe  siècles n’apportent aucun indice lié à son existence, et aucun stigmate n’est visible dans l’architecture. La présence d’une cloison en dur est donc à écarter. D’autres matériaux ont pu être utilisés sans laisser de trace, mais ni la construction, ni la présence de cette cloison n’étant évoquée dans les textes, son existence est donc tout de même remise en cause[5].  

En 1360, pendant la guerre de Cent Ans, Honfleur est aux mains des Anglais. La tour Nord du massif occidental de l'église prieurale est partiellement détruite de peur qu’elle ne serve de lieu d’observation aux Anglais. Enfin en 1563, pendant les guerres de religion, le Havre change de mains plusieurs fois, et durant un temps l’église aurait été utilisée comme écuries. Naturellement durant ces événements, peu de soins sont accordés à la conservation de l’édifice[10].  

Au cours de son histoire, l'abbaye a accueilli les grands de ce monde comme quartier général : Philippe le Bel en , Henri V d'Angleterre en , Charles Ier de Cossé, maréchal de France et Charles IX en 1563. Le cœur de Louis Malet de Graville, amiral de France a été déposé dans l'église.

Elle intègre les génovéfains en 1641[11]. Dans le chœur, un remarquable retable baroque prend place dans les premières années du XVIIe siècle. Les bâtiments conventuels sont reconstruits au XVIIIe siècle. Ils sont en partie détruits par un incendie en 1787.

Sauvegarde

L'église avec son porche vers 1820

En 1840, il est décidé d’entrer dans une phase de travaux importants afin de préserver l’abbaye de la ruine et de retrouver un état d’origine. L’architecte désigné pour la restauration est Charles Louis Fortuné Brunet-Debaines[12], architecte de la Ville du Havre. Le petit porche au Nord de la nef, visible sur certaines gravures anciennes, est supprimé. À l’intérieur de l’église, la galerie ogivale à l’est de la nef est également supprimée pour retrouver le plan primitif de l’église. La croisée du transept est restaurée. Des fouilles menées par Albert Naef sont entreprises en 1890. Elles ont largement contribué à faire connaître l’Abbaye. En 1909, c’est au tour du pignon et du transept Nord d’être restaurés. L’attention est alors portée aux salles basses, elles seront à leur tour classées Monuments Historiques en 1921. En 1944, l'église, et plus particulièrement le chevet, sont endommagés. Après restauration, la nef et le transept sont rouverts en 1982, puis le chœur quelques années plus tard.

L'abbaye accueille aujourd'hui un musée.

Temporel

La tour-lanterne, le transept et le chœur

Dans la charte de 1203, Guillaume Malet, cède au prieuré les patronnages de Saint-Valéry-de-Fontaine, Saint-Michel-de-Grandcamp, Saint-Sulpice-d'Onvéville, Saint-Nicolas-de-Grandcamp, Saint-Nicolas-de-Tennemare, Saint-Michel-du-Coudray, Saint-Pierre-d'Ermeville, Saint-Martin-de-Cloville, Saint-Pierre-de-Gonneville et de Saint-Sauveur-la-Campagne, dans une autre charte : des droits d'usage dans la forêt des Halates, et dans deux autres chartes : dix acres de terre à la Mare-Blonde et un moulin à Rouelles.

Jean Malet, en 1256, donne une moitié de moulin à Rouelles, et en 1260, dix acres de terre à la Lande-Alart

En 1346, Jean Malet donne une pièce de terre à la Lande-Alart[13].

Sigillographie

  • 1384 : Le christ en croix accosté de la Vierge et de Saint Jean, au-dessous, un prieur.
  • 1474 : Le Christ en croix accosté de la Vierge et de Saint Jean
  • 1475 : prieur de Sainte-Honorine de Graville: écu portant trois fermaux
  • 1678 : Le christ en croix accosté de deux personnages, celui de gauche tenant une palme et un livre, celui de droite crossé, tenant aussi un livre, au-dessous, un écu portant trois yeux (fermaux), S•HONORINA•B•P•DE•GRAVILLA•AVOVST
  • 1689 : Écu portant trois fermaux timbré d'un Tau, dans un cartouche[14].

Architecture

L'abbaye sur le cadastre napoléonien
La nef romane

Le site du monastère est sur une falaise morte, dominant l'estuaire de la Seine. Les chanoines ont organisé les bâtiments sur un terrain fortement en pente vers le sud. Le cadastre napoléonien garde la trace de l'enceinte avec ses deux accès, celui de l'Ouest où les paroissiens de Graville accèdent par un escalier au parvis, puis à l'église et à la nef qui leur est réservée, celui de l'Est qui donne sur une cour desservant les bâtiments réguliers et les annexes de fonctionnement. À l'intérieur des murailles, se trouve, au Nord, un bois dans la partie la plus pentue, puis l'église avec au sud le cloître qui organise la vie des chanoines. Sur le croisillon Sud du transept, est accrochée la salle capitulaire dont il reste un arc trilobé datant de la charte de Malet de Graville puis le bâtiment récent des religieux avec les dortoirs et autres lieux de vie. Sur ce cadastre, on voit un bâtiment ruiné fermant le cloître au Sud, parallèle à l'église qui devait recevoir le réfectoire s'il respectait l'organisation générale des monastères augustiniens.

L'église

Cette église, fortement remaniée - parfois maladroitement - depuis son érection et dont la datation est toujours controversée, semble être construite sur une église pré-romane dont des débris calcinés ont été découverts en 1889. Elle avait un porche aux formes typiquement carolingiennes avec deux tours dont il ne reste qu'une partie de celle du Nord et une tribune donnant sur la nef avec des bas-côtés, un chevet avec un chœur en abside et des chapelles sur le transept.

Sa construction est de la fin du XIe siècle et la nef est terminée au début du XIIIe siècle. Cette nef a deux niveaux avec arcades et fenêtres hautes sur des piliers cruciformes. Les six travées reçoivent une charpente. Toutes les deux travées, un pilier avec une colonne engagée renforce la structure. Une tour avec deux étages de baies géminées est à la croisée du transept dont la façade du croisillon Nord est remarquable par sa décoration sculptée. Le chœur gothique du XIIIe siècle, modifié aux XVe et XVIe siècles a subi une restauration parfois maladroite en 1850-1860 et a été réparé après 1944. Le centre est couvert de voutes d'ogives.

Arc trilobé de la salle capitulaire

Les dimensions de l'église sont les suivantes :

  • longueur : 47,50 m ;
  • largeur : 13 m ;
  • transept : 23 m ;
  • hauteur du chœur : 10 m ;
  • hauteur de la nef : 10,50 m ;
  • hauteur de la tour du clocher : 33 m.

La sculpture

Dans la nef, les chapiteaux des colonnes sud sont riches et variés et représentent des entrelacs, soleil, quadrupèdes, un homme, un animal dressé sur sa queue, une tête d'homme, des draperies, des volutes, des hommes qui semblent se battre, des chevaliers l'épée au poing, des têtes de chevaux, des feuillages et des arabesques, un homme sur un cheval.

Sur le côté nord, les chapiteaux sont plus cubiques voire d'inspiration carolingienne et contrastent avec la fantaisie de ceux du sud. Ils permettent un rapprochement avec ceux de l'abbaye Saint-Georges de Boscherville, de l'abbaye Sainte-Trinité de Lessay, de l'église Saint-Gervais de Falaise et d'autres églises en Angleterre, ce qui place l'église de Graville au centre de courants et d'échanges artistiques entre le duché et l'Angleterre.

La façade du croisillon nord du transept est remarquable avec, de bas en haut, deux petites baies romanes, puis deux grands arcs cintrés dont l'enlacement forme trois ogives, celle du milieu percée d'une fenêtre. Le fronton est orné de deux baies géminées. La frise est couverte de losanges avec un carré et le monogramme du Christ, deux lièvres en pleine course, des entrelacs, des étoiles, des zigzags, une figure de Sagittaire, un lion luttant avec un serpent, une étoile et un lion, une bête monstrueuse, des oiseaux, des dragons, une tête d'âne, un griffon ailé[15].

Notes et références

  1. Notice no PA00100694, base Mérimée, ministère français de la Culture
  2. Neustria pia, pages: 861 à 865
  3. François de Beaurepaire (préf. Marianne Mulon), Les Noms des communes et anciennes paroisses de la Seine-Maritime, Paris, A. et J. Picard, , 180 p. (ISBN 2-7084-0040-1, OCLC 6403150), p. 88 - 107
  4. Jacques le Maho, « Ermitages et monastère de la baie de Seine au haut Moyen âge (VIe-Xe siècle) », cahiers havrais de recherche historique, , p. 228
  5. Timothée Barbier, L'église de Sainte-Honorine de Graville : l'édifice de son origine (XIè siècle) à nos jours, (Mémoire de Master d'Archéologie, Sorbonne Université), Paris, , 215 p., p. 8-10
  6. (la) Translatio et miracula S. Honorine, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, manuscrit latin, xiiè siècle, folio 10 à 18
  7. Copie de la charte de fondation du prieuré de Sainte-Honorine de Graville, ordre de Saint-Augustin (1596), Archives départementales de Seine-Maritime, A 62.     
  8. Regestum visitationum archiepiscopi Rothomagensis. Journal des visites pastorales d'Eudes Rigaud, archevêque de Rouen (1248-1269), Thodose Bonnin, dir. Evreux, 1845.  
  9. A-M. Carment-Lanfry « Les églises romanes dans les anciens archidiaconés du Grand Caux et du Petit Caux au Diocèse de Rouen », dans Revue des Sociétés Savantes de Haute-Normandie, n° 35. CTHS, Rouen, 1964, p.48.
  10.   F.  Deshoulières,  « L’église  de  Graville-Sainte-Honorine »,  dans  Congrès archéologiques de Rouen, 89e  cession, Association Les Annales de Normandie, Rouen, 1926, p. 520-521.
  11. Lucien Musset, Aspects du monachisme en Normandie, J. Vrin, Paris, 1982, 186 p., p. 129.
  12. Suivant les principes développés par Viollet-le-Duc.
  13. J. Brianchon: Reconnaissance de la sépulture de Guillaume Malet, pages: 11, 12, 16 ,19
  14. G. Demay: Inventaire des sceaux de Normandie, n° 3006 à 3010, 3037, 374: sceau de Jean Malet
  15. Maylis Bayle: L'architecture normande au moyen-age, page: 114; Albert Naef dans: Normandie monumentale et pittoresque, Seine-Inférieure, direction: Léon de la Sicotière, pages: 387 à 392; Jean Benoît Désiré Cochet : Les églises de l'arrondissement du Havre, volume: 1, pages: 64 à 69; Maylis Bayle: Aspect de la sculpture normande de 1100 à propos de Graville Sainte-Honorine dans: Annales de Normandie, 1979, volume: 29, n°2, pages: 157 à 178

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean Benoît Désiré Cochet: Sainte-Honorine de Graville dans: Les églises de l'arrondissement du Havre, volume: 1, pages: 60 à 96.
  • Albert Naef, Guide à l'èglise et l'ancien prieuré de Graville-Ste. Honorine, Imprimerie H. Micaux, 1892, 223 p.
  • G. Priem, Prieuré de Graville Sainte-Honorine, C.R.D.P., 1979, 36 p.
  • M. Deshoulières, « L'église de Graville-Sainte-Honorine », Congrès archéologique de France tenu à Rouen en 1926, , p. 508 (lire en ligne).

Articles connexes

Liens externes

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