Affaire du « détail »

L'affaire du « détail » est une polémique faisant suite aux déclarations de l’homme politique français Jean-Marie Le Pen, d'abord exprimées en 1987, selon lesquelles les chambres à gaz sont un « point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Ces propos lui valent d’être condamné en justice et participent au processus de « diabolisation » du parti qu'il préside alors, le Front national.

Contexte

Lorsque la polémique intervient, Jean-Marie Le Pen, président du Front national, parti classé à l’extrême droite de l’échiquier politique français, prépare sa candidature à l’élection présidentielle de 1988. Les études d’opinion le créditent de 18 % des voix, juste derrière les candidats de droite Jacques Chirac et Raymond Barre[1].

Depuis plusieurs années, le dirigeant frontiste travaille à se donner une image consensuelle alors que le FN connaît une ascension électorale rapide et importante : tandis que Jean-Marie Le Pen avait recueilli seulement 0,7 % des voix à l’élection présidentielle de 1974, le parti obtient 11 % des suffrages exprimés aux européennes de 1984 et 35 députés à l’Assemblée nationale à l’issue des législatives de 1986. Son discours anti-immigration attire de nombreux sympathisants de la droite traditionnelle (RPR, UDF), dont une partie envisage des accords électoraux avec le Front national[2],[3].

Jean-Marie Le Pen cherche en parallèle à acquérir une stature internationale. Anticommuniste et résolument libéral sur le plan économique, il rencontre plusieurs personnalités étrangères, dont le président des États-Unis, Ronald Reagan, au début de l'année 1987[4]. Il participe dans le même temps, à New-York, au Congrès juif mondial, lors duquel il tient un discours résolument en faveur d’Israël qui est ovationné par l’assistance[5].

Déclarations

Entretien du

Le , Jean-Marie Le Pen est invité au Grand Jury RTL-Le Monde. Alors que la thèse universitaire d'Henri Roques fait polémique concernant le révisionnisme, il est interrogé par Olivier Mazerolle à propos de la contestation par des négationnistes de l'utilisation par les nazis de chambres à gaz homicides.

Il déclare alors : « Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Face à la réaction du journaliste, il répond : « Non, la question qui a été posée, c'est de savoir comment ces gens ont été tués ou non »[alpha 1].

Réitérations (1997, 2008, 2009)

Près de vingt ans plus tard, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, Jean-Marie Le Pen exprime ses regrets pour avoir blessé lors de sa déclaration. Le , il fait, à la demande de Florence Belkacem, un instant de silence à la mémoire des victimes juives de ce camp[6].

Mais le , lors d'une conférence de presse organisée en compagnie de Franz Schönhuber, à Munich, il réitère son idée en déclarant : « dans un livre de mille pages sur la Seconde Guerre mondiale, les camps de concentration occupent deux pages et les chambres à gaz dix à quinze lignes, ce qui s'appelle un détail »[7],[8].

Il tient des propos similaires le , dans le magazine Bretons[alpha 2], puis en séance au Parlement européen, le [9],[10].

Réactions

Défense de Jean-Marie Le Pen

D'après son conseiller en communication Lorrain de Saint Affrique, il a convenu avec lui, avant son entretien, qu’il convenait de donner une réponse « bateau » sur ce sujet en mentionnant le thème de la liberté de recherche[11]. Lorrain de Saint Affrique indique également que Jean-Marie Le Pen regrette ses propos en privé immédiatement après l'émission, indiquant : « Quand on est rentrés à Saint-Cloud, il m'a dit : « En quarante ans de vie publique, c'est la plus grosse connerie qui soit sortie de ma bouche » et il était accablé. Il était persuadé que peut-être même, sa candidature à l'élection présidentielle un an plus tard était compromise. Il m'a dit : « J'ai dérapé. C'est la première fois de ma vie. J'ai dérapé. » »[12].

L'argumentation de Jean-Marie Le Pen repose ultérieurement, notamment lors de la conférence de presse du à l'Assemblée nationale, sur le fait que ces chambres à gaz ne sont pas le seul lieu où des gens ont perdu la vie pendant la Seconde Guerre mondiale et, qui plus est, ne seraient pas mentionnées dans les Mémoires sur la Seconde Guerre mondiale de Winston Churchill (Plon, 1953).

Lors de la septième fête des Bleu-blanc-rouge de 1987, Jean-Marie Le Pen déclare que la polémique a représenté un « succès », ajoutant : « Chaque attaque nous renforce. Notre marche est invincible »[13].

Conséquences

Judiciaires

Le , la cour d'appel de Versailles le condamne en référé à verser la somme d'un franc aux dix parties civiles, parmi lesquelles figurent les mouvements antiracistes du MRAP et de la Licra[14],[15]. Sur le fond, le , il est condamné par cette même cour à verser un total de près d'1,2 million de francs aux associations parties civiles pour banalisation de crimes contre l'humanité et « consentement à l'horrible »[16],[17],[18]. Le , deux ans après qu'il a reparlé des chambres à gaz comme d'un « détail », la cour d'appel de Versailles le condamne à verser entre un franc symbolique et 5 000 F de dommages-intérêts à onze associations plaignantes[19].

Politiques

Sa déclaration entraîne de nombreux départs de militants et cadres du FN venus de la droite, notamment celui d'Olivier d'Ormesson[20],[11]  qui préparait alors un voyage de Jean-Marie Le Pen à Jérusalem et était en contact avec le gouvernement israélien[11] , ainsi que la réprobation de la quasi-totalité de la classe politique[21].

Pour l'historienne Valérie Igounet, il s'agit d'un « signe manifeste vers l'électorat antisémite du Front national »[21],[alpha 3] et de la fin de « la stratégie lepéniste auprès de la communauté juive »[11].

À la fin des années 2000, Marine Le Pen assure qu'elle « ne partage pas sur ces événements la même vision » que son père et affirme ne « pas penser » que les chambres à gaz soient « un détail de l'histoire », tout en défendant son père qui selon elle n'a « jamais nié aucun des événements de la Seconde Guerre mondiale »[22]. En 2015, les propos réitérés de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz font partie des griefs qui conduisent à son exclusion du FN[13].

Notes et références

Notes

  1. La formule exacte est : « […] savoir comment ces gens ont été tués ou non, n'est-ce-pas ? » Le caractère incohérent de cette formule (le « comment » désignant la manière et le « ou non » la factualité même) a été analysée dans son détail par Philippe Forget dans « Le détail qui tue : Le Pen et les médias », Écrire l'histoire, no 3, printemps 2009, p. 81-87, en particulier p. 84s.
  2. Le , dans un entretien paru dans le magazine Bretons, il a une nouvelle fois affirmé que les chambres à gaz sont un détail de la Seconde Guerre mondiale. Jean-Michel Aphatie remarque : « Cela, il l'avait déjà dit en 1987, lors d'un Grand Jury RTL-Le Monde. Dans Bretons, il va plus loin. Il affirme, en effet, ne « pas croire à cette vision-là », celle de la déportation et de la mort dans les camps. Dans cet entretien, Jean-Marie Le Pen est « négationniste », ce qu'il avait soigneusement évité d'être jusque-là » —, mettant en doute l'importance du nombre de gazés. Extrait des réponses de Jean-Marie Le Pen : « Je ne me sens pas obligé d'adhérer à cette vision-là. Je constate qu'à Auschwitz il y avait l'usine IG Farben, qu'il y avait 80 000 ouvriers qui y travaillaient. À ma connaissance, ceux-là n'ont pas été gazés en tout cas. Ni brûlés. » Ces propos sont condamnés par l'ensemble de la classe politique y compris par sa fille, Marine Le Pen, et par le Front national lui-même en la personne de Louis Aliot, son secrétaire général. Une porte-parole de la Police judiciaire parisienne a déclaré le qu'une enquête préliminaire « a été ouverte pour contestation de crimes contre l'humanité et provocation à la haine raciale ». Jean-Marie Le Pen affirme cependant dans un bref communiqué qu'il avait « interdit expressément par lettre recommandée il y a déjà 15 jours » au magazine Bretons de publier cet entretien. L'avocat de Jean-Marie Le Pen, Wallerand de Saint-Just, accuse la justice de poursuivre Jean-Marie Le Pen après ses nouvelles déclarations sur la Shoah « parce que c'est Le Pen », ajoutant qu'il n'y avait rien de répréhensible dans ce qu'a déclaré Jean-Marie Le Pen, qui s'est tenu « dans le cadre exact de la liberté d'expression ». Sources : « Éric Breteau raconte n'importe quoi, Jean-Marie Le Pen aussi », sur RTL.fr (blog de Jean-Michel Aphatie), (consulté le ) ; « « Détail de l'histoire » : les propos de Le Pen « n'engagent pas le Front national » » « Copie archivée » (version du 1 mai 2008 sur l'Internet Archive), dépêche AFP,  ; « Ouverture d'une enquête préliminaire sur les propos de Le Pen », L'Express,  ; « Le Pen et le « détail » des chambres à gaz : tollé général » « Copie archivée » (version du 30 avril 2008 sur l'Internet Archive), Le Nouvel Observateur,  ; « Une enquête ouverte sur Jean-Marie Le Pen », Le Post,  ; « Jean-Marie Le Pen récidive sur les chambres à gaz », Le Monde, .
  3. Selon elle, il s'agit d'« une première étape dans l'intégration progressive du négationnisme au sein de l'idéologie du Front national ». Elle souligne que « s'il n'est en aucun cas choqué par la profession des thèses négationnistes, l'électorat de Jean-Marie Le Pen paraît même préparé à les recevoir et, pourquoi pas, à les diffuser. ».

Références

  1. « Le Pen talonne Chirac et Barre »,Var-Matin République, 25 avril 1988, p. 7.
  2. https://www.cairn.info/revue-parlements1-2007-1-page-121.htm
  3. Guy Birenbaum, « Les stratégies du Front National (mars 1986-mai 1987) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no 16, 1987, p. 20.
  4. Dominique Albertini, « Marine Le Pen et Trump, le rêve américain du FN », Libération, (lire en ligne).
  5. Julien Licourt, « L'affaire du «détail», un tournant dans l'histoire du Front national », Le Figaro, (lire en ligne).
  6. « Le Pen : une minute de silence pour un « détail » », sur Libération, .
  7. franceinfo, « Jean-Marie Le Pen, une vie politique jalonnée de propos condamnés par la justice », sur francetvinfo.fr, Franceinfo, (consulté le ).
  8. Lebourg et Beauregard 2012, p. 188.
  9. « Le Pen continue à minimiser les chambres à gaz », Le Figaro, 25 mars 2009.
  10. Gauthier Nicole, « Le « détail » de Le Pen sera jugé en Allemagne. Le Parlement européen a levé hier son immunité parlementaire », Libération, (lire en ligne).
  11. Valérie Igounet, « Le mot de trop ? », sur http://blog.francetvinfo.fr/derriere-le-front/, France Télévisions, (consulté le ).
  12. Lebourg et Beauregard 2012, p. 159.
  13. Valérie Igounet, « Diabolisation contre dédiabolisation : fin de l'histoire ? », sur blog.francetvinfo.fr, (consulté le ).
  14. Marc PIVOIS et Vanessa SCHNEIDER, « Une constante du discours lepéniste », Libération, (lire en ligne).
  15. François Franc, « [brève sans titre, mais signée] », Présent, no 1502, , p. 2.
  16. « Oui, Jean-Marie Le Pen a bien tenu des propos antisémites », sur nouvelobs.com, L'Obs, (consulté le ).
  17. « L'affaire du " point de détail " La cour d'appel de Versailles aggrave les peines prononcées contre M. Le Pen », Le Monde, (lire en ligne).
  18. « L'affaire du « point de détail » — La cour d'appel de Versailles aggrave les peines prononcées contre M. Le Pen », Le Monde, ).
  19. « La vérité sur le Front National ! », L'Humanité, (lire en ligne, consulté le ).
  20. Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l'ombre des Le Pen : Une histoire des numéros 2 du FN, Paris, Nouveau Monde, , 390 p. [détail de l’édition] (ISBN 978-2365833271), p. 160.
  21. Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Éditions du Seuil, , 691 p. (lire en ligne), chapitre « Jean-Marie Le Pen « dérape » ».
  22. Les Décodeurs, « Chez les Le Pen, une longue histoire de conflits père-fille », sur Le Monde, (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • Henri Deleersnijder, L'affaire du point de détail: effet médiatique et enjeux de mémoire, éditions de l'ULG, , 151 p. (lire en ligne)

Article connexe

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