Bonnet phrygien

Le bonnet phrygien est un couvre-chef (ou coiffure), souvent de teinte rouge, pouvant porter ou non une cocarde bleu-blanc-rouge.

Pour les articles homonymes, voir Bonnet rouge, Mode phrygien et Phrygien (langue).

Prisonnier au bonnet phrygien (statue romaine du IIe siècle), Musée du Louvre

C'est un des symboles de la République française et l'un des attributs de Marianne, mais également de nombreux pays d'Amérique latine. On le considère traditionnellement comme étant un bonnet d'origine antique anatolienne, plus précisément de Phrygie, d'où son nom.

Le bonnet phrygien tire sa symbolique de liberté de sa ressemblance avec le pileus[1] (chapeau en latin) qui coiffait les esclaves affranchis de l'Empire romain, représentant leur libération. Aux États-Unis, il a été un symbole de liberté pendant la guerre d'indépendance. Il est toujours présent sur le drapeau de l'État de New York.

Ce bonnet est repris en France au début de l'été 1790 comme symbole de la liberté et du civisme, d'où son nom de « bonnet de la liberté ». Le bonnet phrygien devient symbole de la Révolution française, et de l'automne 1793 à juillet 1794 (période de la Terreur), il est porté dans beaucoup de collectivités administratives du pays. Depuis la Révolution, le bonnet phrygien coiffe Marianne, la figure allégorique de la République française. Il fut aussi porté par les Patriotes de la rébellion de 1837-39, héros du nationalisme québécois, et figure sur plusieurs drapeaux et armoiries des pays d'Amérique latine.

Des origines multiples

Ce bonnet est considéré comme un emprunt d'un bonnet traditionnel porté par les Phrygiens, un ancien peuple indo-européen ayant habité l'Anatolie dans l'Antiquité, ce qui lui donna son nom. Pâris, fils du roi troyen Priam, originaire de Phrygie, est souvent représenté coiffé de ce bonnet.

Il semble cependant d'origine plus ancienne, car il est commun à plusieurs peuples indo-européens orientaux de l'Antiquité, comme les Thraces, les Phrygiens, mais aussi le vaste ensemble des Scythes d'Eurasie centrale, très souvent représentés avec un bonnet phrygien ou d'autres variantes de bonnets pointus. Repris dans l’iconographie romaine tardive, il est par exemple porté par des prisonniers parthes (peut-être d'origine scythe, les Scythes étant nombreux dans les armées perses) sur les bas-reliefs de l'arc de Galère ou de la colonne d'Arcadius.

Plus tard, les marchands sogdiens, un peuple scythe qui vivait dans la région de Samarcande et commerçait sur la Route de la Soie, sont encore fréquemment représentés avec des bonnets phrygiens ou d'autres bonnets coniques apparentés sur des figurines chinoises en céramique. Il est également porté par les rois mages sur les reliefs ou les fresques paléochrétiennes comme symbole du mage oriental.

Mithra ou Mithras, divinité des anciens Perses et d'autres peuples indo-iraniens, qui serait apparue au moins au XVIe siècle av. J.-C. chez les peuples proto-indo-iraniens d'Eurasie centrale et qui fut vénérée dans l'Empire romain jusqu'au Ve siècle apr. J.-C., était représentée sous la forme d'un jeune homme avec presque toujours un bonnet phrygien, une tunique verte et un manteau flottant sur l'épaule gauche ; il était armé d'un glaive qu'il plongeait dans le cou d'un taureau.

Le bonnet phrygien sous la Révolution française

Précédents sous l'Ancien Régime

Il est à remarquer aussi que le bonnet phrygien, avec deux poignards croisés, fut adopté comme emblème par Henri III. On peut consulter à ce sujet un des derniers mémoires de M. Egger, publié dans le Journal des savants, sur l'assassinat politique dans l'Antiquité (L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1895).

Bien avant de figurer dans le blason révolutionnaire de la France, le bonnet rouge avait déjà donné son nom en 1675 à la « Révolte des Bonnets rouges », révolte populaire de Bretagne contre les empiétements illégaux du pouvoir royal : taxe sur la vaisselle d'étain, le tabac, et création du papier timbré…

Le « bonnet de la Liberté » : bonnet rouge ou bonnet phrygien ? (de 1789 à 1792)

On s'en coiffa pendant la Révolution pour évoquer la liberté. Qu'il ait été d'emblée choisi comme bonnet phrygien en souvenir des esclaves romains affranchis, ou bien qu'il s'agisse du bonnet rouge des premières bandes marseillaises venues à Paris, peut-être emprunté aux galériens de Toulon[2], ou aux montagnards catalans[3] et assimilé ensuite au symbole phrygien, il fut en tout cas pris comme insigne par les partisans les plus déterminés de la République. Il existe à l'Arsenal de Vienne (Autriche) trois drapeaux pris durant les guerres de la Révolution, qui, au lieu de pique, portent à l'extrémité de la hampe un bonnet phrygien. Cet emblème est assez rare et la plupart des drapeaux n'en sont pas munis.

Louis XVI coiffé du bonnet phrygien, en 1792.

Selon Auguste Dupouy, des soldats suisses du Régiment de Châteauvieux qui s'étaient révoltés à Nancy contre leurs officiers avaient été envoyés au bagne de Brest (affaire de Nancy). Leur grâce ayant été décidée en 1792 par l'Assemblée législative, ils reviennent à Paris coiffés du bonnet rouge des bagnards et sont reçus en triomphe par la population qui adopte ce bonnet pour emblème de la République[4]. Le 20 juin 1792, le peuple de Paris, qui avait investi les Tuileries, força Louis XVI à se couvrir du bonnet rouge, alors déjà identifié comme phrygien.

En effet, dans le Journal des Révolutions de Paris (3-10 octobre 1789), on voit la gravure d'un projet de cocarde où la nation est figurée, une main sur les tables de la Constitution et des Droits de l'Homme ; l'autre sur un faisceau couronné du bonnet phrygien de la liberté, sans préjudice d'un médaillon de Louis XVI, à l'écusson fleurdelisé. Toujours selon Auguste Dupouy, il est même possible que l'assimilation à un symbole antique ait été faite pour amoindrir la portée provocatrice d'un bonnet de rebelle, de bagnard et de galérien. Dans L'Histoire numismatique de la Révolution, par Michel Hennin (in-4°, 1826) on voit divers dessins où rayonne ce bonnet phrygien, orné de la cocarde, comme celui de la médaille relative à la nomination de Jean Sylvain Bailly comme maire de Paris après la prise de la Bastille ; la ville de Paris y est représentée tenant à la main une pique surmontée du bonnet, tandis qu'à sa gauche on aperçoit un vaisseau (sans doute le vaisseau légendaire), dont la proue est ornée de fleurs de lys. Grâce à ce glissement symbolique vers l'Antiquité, une partie de la Cour elle-même put se prêter de bonne grâce à l'étiquette du temps, comme le prouve l'aveu du marquis de Villette : « Nous avons pris le bonnet de la Liberté sans tant de cérémonie » (Chronique de Paris du 25 janvier 1790).

La vogue du bonnet phrygien (1791-1792)

Après l'abolition de la noblesse et des armoiries, le bonnet phrygien fut apposé sur leurs panneaux de voitures par un grand nombre de riches patriotes, et cette mode ne fit l'objet d'aucun décret spécial, malgré l'opportunité du moment pour instituer légalement le bonnet phrygien comme emblème national. Jusqu'en 1792, on associa généralement, dans les municipalités et les sections, le bonnet aux fleurs de lys ; on l'y plaçait même au-dessus, comme type ou expression d'une souveraineté supérieure. En un mot, c'était le cimier du nouveau blason de la France, sans qu'aucun décret législatif en eût réglé l'adoption.

La vogue du bonnet, comme coiffure, date du milieu de l'année 1791 ; elle devint contagieuse dans les premiers mois de 1792. Ainsi que l'écrivait le marquis de Villette (12 juillet 1791) : « Cette coiffure est la couronne civique de l'homme libre et du Français régénéré ». Ajoutons qu'il figure bientôt après au Champ de Mars, à la célébration du 14 juillet, au milieu des décorations qui rehaussaient l'autel de la patrie. Quant à la couleur rouge, elle fut adoptée, contre l'opinion de Robespierre, comme la plus vivace et la plus éclatante, celle de la flamme et de la vie ; le farouche tribun ne voyait aucun signe de liberté supérieur à la cocarde, et c'était avec elle, disait-il, qu'il voulait vivre et mourir ! Plus enthousiaste que la plupart de ses collègues, le général Kellermann publia au camp de Wissembourg, le 15 juillet 1792, un ordre du jour qui instituait le bonnet rouge comme un signe sacré, dont il interdisait le port à ceux qui n'y seraient pas autorisés d'une façon spéciale, après quelque acte d'un mérite éclatant. On voit que Kellermann voulait en faire un type de décoration.

L'entraînement fut tel, à Paris et ailleurs, que cette coiffure symbolique devint un signe de ralliement et une manière de réponse aux aristocrates ; des prêtres constitutionnels disaient même la messe en bonnet rouge, comme l'évêque de Bourges, Pierre Anastase Torné.

Une coiffure officielle (fin 1792)

C'est à l'ouverture de la séance du 22 septembre 1792 (troisième séance de la Convention) que, sur la proposition de Billaud-Varenne, on décréta que « tous les actes publics seraient datés de la première année de la République. Le sceau de l'État portera pour légende ces mots : République de France. Le sceau national représente une femme assise sur un faisceau d'armes, tenant à la main une pique surmontée du bonnet de la liberté. » Ce décret voté au milieu du bruit et alors que la séance était à peine commencée, ne se trouve pas dans le compte-rendu du Moniteur, ni dans celui de plusieurs autres journaux.

On voit que la pique faisait partie du blason révolutionnaire, parce qu'elle répondait mieux aux idées de l'époque que le faisceau consulaire, et qu'en 1792, les patriotes l'inventèrent à défaut d'armes et de munitions ; elle devint, dès lors, inséparable du bonnet de la Liberté et lui prêtait son aide en élevant celui-ci aux hauteurs idéales qu'il devait atteindre. À la suite d'une motion de Gaan de Coulon, la Convention décréta que les galériens ne seraient plus coiffés du bonnet rouge, publiquement consacré comme l'insigne du civisme et de la liberté.

Depuis le 10 août, et malgré les réticences des Jacobins, les chefs de section ont adopté le bonnet rouge. Il s'est généralisé au mois d'août 1793. Le 16 brumaire, le conseil général a décidé que tous ses membres le porteraient. Par contre, les Républicaines révolutionnaires ne parviendront pas à l'imposer aux femmes. Bientôt, les Sans-Culottes ne seront plus seuls à s'en faire gloire : les prudents arboreront fièrement eux aussi, un bonnet rouge, qu'ils abandonneront dès la chute du mouvement populaire[5]. De son côté, la commune de Paris avait arrêté (6 novembre 1793) que le bonnet serait désormais la coiffure officielle de tous ses membres, et, pour mieux consacrer l'égalité des sépultures, elle décida que les morts sans distinction, seraient conduits à leur dernier asile précédés d'un commissaire décoré du bonnet rouge et de la cocarde.

Une importante popularité jusqu'à l'époque impériale

Après le 9 thermidor, une forte réaction s'éleva contre le bonnet rouge. On essaya de le faire disparaître, sans y parvenir complètement, car on s'en coiffait encore sous le Directoire, et le sceau du Conseil des Cinq-Cents le portait aussi comme timbre officiel de l'État. Son règne s'étendit, malgré l'ostracisme dont le frappait Bonaparte, jusqu'au lendemain du 18 brumaire et aux débuts du Consulat pour s'effacer enfin complètement sous l'Empire. On essaya vainement de le remettre à la mode après les révolutions de 1830 et de 1848, ainsi qu'après le 4 septembre 1870, mais l'esprit public, qui n'y voyait qu'un réveil du terrorisme de 1793, dédaigna cet insigne du passé[réf. nécessaire].

Quant à l'armée, ses drapeaux ont été surmontés d'un fer de lance dès 1791. La Convention imposa bien le bonnet phrygien au drapeau de l'armée, mais peint au centre de l'étoffe et surmontant le faisceau du licteur entouré de branches de chêne et de laurier. Cet insigne ne plut pas aux troupes et le bonnet fut rarement phrygien dans tout son écarlate sur les drapeaux des demi-brigades, tant sur les drapeaux régimentaires que sur ceux de bataillon, car il y avait alors un drapeau particulier dans chaque bataillon non pourvu du drapeau du régiment. Ce drapeau particulier était aux trois couleurs nationales disposées suivant le dessin adopté par la demi-brigade. Le drapeau régimentaire porté par le deuxième bataillon des demi-brigades à trois bataillons avait les trois couleurs disposées verticalement. Il remplaçait l'ancien drapeau blanc colonel.

Réapparition au XIXe siècle

Dessin satirique figurant la Liberté et Adolphe Thiers.

Retour en grâce en France sous la IIIe République

La Convention ne distribua pas de drapeaux aux troupes de ligne. Les régiments, comme après 1870, durent se pourvoir sur leur masse générale d'entretien, ce qui leur permit de représenter le bonnet phrygien peint sur l'étoffe, tantôt de couleur grise, souvent en gris avec le repli de haut peint en rouge, ce qui faisait ressembler le bonnet à un casque surmonté d'un cimier écarlate ; puis lorsque les numéros des demi-brigades furent remaniés lors d'une dernière formation, le bonnet fut généralement remplacé par un casque antique surmonté d'un cimier ou d'une crinière écarlate ou cramoisie, et le casque peint de couleur argentée. C'est ainsi que furent les drapeaux jusqu'à l'Empire. (Cottreau).

Il s'agit ici des troupes régulières et non des innombrables corps francs et bataillons de gardes nationaux dont les insignes varièrent à l'infini et suivant les variations de la politique et de l'opinion, comme ceux de la garde nationale de Paris.

Avec les remaniements suivant la défaite de 1870, certains des communards de Paris ont voulu une réapparition du bonnet, notamment ceux de la revue Le Père Duchesne.

Essor dans les républiques d'Amérique latine

Efígie da República (Effigie de la République), personnification du Brésil, coiffé d'un bonnet phrygien.

Depuis le XIXe siècle, il a été adopté, comme emblème héraldique, par les Républiques suivantes :

  • République du Paraguay en 1854 : un lion assis sur son derrière, au pied d'une pique surmontée d'un bonnet phrygien de gueules.
  • République de Colombie : dans la deuxième bande de bouclier colombienne, il y a un bonnet phrygien cloué à une lance (qui signifie la liberté pour le pays) et d'un métal précieux, dans ce cas platine.
  • République argentine : coupé d'azur et d'argent à deux bras au naturel se donnant la main, mouvant des flancs de l'écu et tenant une pique haute en pal surmontée d'un bonnet phrygien de gueules. L'écu est sommé d'un soleil radié d'or.
  • République d'Haïti : d'argent à un palmier planté sur une terrasse de sinople, sommé d'un bonnet phrygien de gueules et accosté de deux canons acculés au naturel.
  • République française : le bonnet phrygien coiffe une tête de jeune femme sur les monnaies. La République n'a pas encore adopté légalement un blason officiel.
  • République du Salvador : un bonnet phrygien (gorro frígio) de gueules figure comme emblème patriotique sur les armoiries du Salvador, depuis le 17 mai 1912. Aussi dénommé « bonnet de la liberté » le bonnet proclame, de ce fait, la liberté et les rayons de sable qui en émanent représentent les idéaux du peuple salvadorien.

Les timbres-poste de la République de Liberia (Afrique) gravés en 1860 pour l'affranchissement de la correspondance, représentent la Liberté coiffée d'un bonnet phrygien, armée d'une pique et portant un bouclier ovale. Elle est assise au bord de la mer sur une pierre portant ce mot inscrit : Liberia. Comme sur le sceau national, un navire, toutes voiles dehors, paraît à l'horizon.

Galerie

Notes et références

  1. Dictionnaire latin-français, en ligne.
  2. Musée du bagne à Balaguier
  3. Voir les objets catalans sur Objets catalans
  4. Auguste Dupouy, Face au couchant, Brest, la côte et les îles, La Renaissance du livre, 1934, p. 171-170.
  5. ("Histoire de la France et des Français au jour le jour » André Castelot et Alain Decaux, Librairie Académique Perrin, Éditions Larousse, 1980,Tome 6 (1764-1814) La République-Les Français sous la Terreur, p. 251) (ISBN 2-262-00173-1)

Voir aussi

Bibliographie

  • Bernard Richard, Les emblèmes de la République, CNRS Éditions, 2012, chap. I : « Le bonnet phrygien » (fournit quatre références principales et trente-six secondaires).
  • André Castelot et Alain Decaux, Histoire de la France et des Français au jour le jour, Librairie Académique Perrin, Éditions Larousse, 1980,Tome 6 (1764-1814) La République-Les Français sous la Terreur, p. 251) (ISBN 2-262-00173-1)

Articles connexes

Liens externes

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