Christianisme en Turquie

Le nombre réel des chrétiens de Turquie est très difficile à évaluer, pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il n’existe pas de statistiques officielles sur le sujet en Turquie, État laïc. Une autre raison est que les statistiques disponibles ne sont pas fiables : les étrangers ne sont pas recensés pour une grande partie d’entre eux, notamment pour les réfugiés ; de nombreuses communautés chrétiennes sont disséminées dans l’immensité du pays et préfèrent vivre discrètement à l'abri du principe de laïcité. Ainsi, même une communauté aussi importante que celle des Arméniens, ne peut recenser ses « ouailles » qui vivent éparpillées sur le territoire. On se contente généralement d’une estimation.

Le nombre des chrétiens en Turquie ne dépasserait pas à ce jour quatre cent mille personnes, bien que la plus grande ville du pays, Istanbul, soit le siège de deux patriarcats anciens et prestigieux : celui des Grecs et celui des Arméniens. Les Arméniens constituent la plus grande communauté chrétienne du pays (environ 60 000, dont 45 000 vivent à Istanbul, les autres surtout à Antakya et Kayseri), répartie en trois communautés : apostoliques (57 000), catholiques (3 000) et protestants (500). On peut également citer les Syriaques (dont 20 000 orthodoxes disséminés dans le sud-est et 2 000 catholiques à Istanbul et Mardin), les catholiques latins (5 000 concentrés à Istanbul et Izmir avec de petites communautés à Bursa, Konya, Mersin, Tarsus, Antakya, Iskenderun, Samsun, Trabzon), les Orthodoxes grecs (3 000 à Istanbul, Gökçeada, Bozcaada et Antakya), les orthodoxes russes qui sont estimés à 15 000 , et les « nouveaux » protestants, d'obédience évangélique, estimés au nombre de 5 000. En 2017, la situation est décrite comme difficile pour les chrétiens en Turquie[1].

Alexis III de Trébizonde (1338-1390) et sa femme Théodora Cantacuzène, d'après le chrysobulle donné par l'empereur au monastère de Dionysiou (au Mont Athos).

Histoire

Intérieur de Sainte-Sophie (Constantinople). La coupole, datant du VIe siècle culmine à 55 mètres au-dessus du sol.
Église grecque orthodoxe de Perşembe (Ordu), Cap Jason (en).
Église du Saint-Sauveur d'Ani (Turquie, frontière arménienne).

L'Anatolie (Asie Mineure) est l'un des berceaux du christianisme. Selon les Actes des Apôtres, c'est à Antioche que les disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens. Saint Paul est originaire de Tarse (Cilicie) et il a beaucoup voyagé beaucoup en Asie Mineure : Antakya, Konya, Ankara (capitale des Galates), Éphèse. Cette dernière ville est attachée à la mémoire de saint Jean. Selon la tradition, la Vierge Marie passa ses dernières années près d'Éphèse, à Selçuk. La grotte des Sept Dormants d'Éphèse se situe près d'Éphèse comme son nom l'indique. Les Sept Églises d'Asie ou Sept Églises de l'Apocalypse sont sept communautés diocésaines mentionnées dans le livre de l'Apocalypse dans le Nouveau Testament (les sièges épiscopaux étaient situés en Asie Mineure (Anatolie), aujourd'hui en Turquie). Saint Nicolas, né à Patara et mort à Myre, était originaire de la région de Lycie en Anatolie.

Les sept conciles œcuméniques (Nicée I, Constantinople I, Éphèse, Chalcédoine, Constantinople II, Constantinople III, Nicée II) se rassemblèrent en Turquie actuelle (à Nicée, Constantinople, Éphèse, Chalcédoine).

Deux des cinq Églises de la Pentarchie (Église de Constantinople et d'Antioche) sont dans l'actuelle Turquie. On trouve des vestiges du christianisme primitif (en Cappadoce) et médiévaux (dans la région de Trabzon).

En Anatolie, par centaines ou par millers, des édifices religieux chrétiens, de tout type (églises, monastères, ermitages, etc.), de toute tendance (catholique, orthodoxe, arménienne, syriaque, hétérodoxe, etc.), à (presque) toute époque, ont été construits, utilisés, grâce à l'existence de l'Empire romain puis de l'Empire byzantin (et du Royaume arménien de Cilicie, de l'Empire de Nicée et de l'Empire de Trébizonde), et souvent détruits ou abandonnés, en raison des dissensions des peuples d'Anatolie, des conséquences des incursions étrangères (Goths, Perses sassanides, croisades, etc.), de l'expansion de l'islam, de l'avancée des peuples turcs (Empire seldjoukide, Époque des beylicats, Sultanat de Roum, Empire ottoman[2]). Les persécutions ont été nombreuses, à toute époque, contre les croyants à statut de dhimmi, grecs, assyriens, arméniens. Des minorités des populations chrétiennes ont pu survivre par exemple dans des villes souterraines ou des écarts.

À Constantinople, les chrétiens représentaient 40 % de la population au XVIe siècle et au tout début du XXe siècle, encore plus de 20 %[3].

À la fin du XIXe siècle, des minorités commencent à se révolter contre leur statut de seconde classe, et sont sévèrement réprimées par l'Empire ottoman. De 1894 à 1896, les massacres font entre 100 000 et 300 000 victimes parmi les Arméniens et les Assyriens. Le génocide arménien de 1915 (entre 700 000 et 1,5 million de morts), celui des Assyriens (entre 300 000 et 700 000 morts) et les massacres des Grecs pontiques (300 000 morts) diminuent considérablement la population chrétienne[4].

La détérioration des relations gréco-turques provoque de nouvelles vagues d’expulsions en 1955 et 1964[4].

On peut cependant observer « le retour du religieux dans les vestiges cultuels orthodoxes d’Anatolie : excursions identitaires et tourisme religieux »[5].

Communautés chrétiennes

Les Églises de théologie et de rite byzantins

Istanbul (Constantinople) est le siège d'une des plus anciennes Églises orthodoxes (dites des sept conciles). L'Église autocéphale de Constantinople occupe même le premier rang (honorifique) parmi les Églises orthodoxes. Elle dessert la communauté orthodoxe locale de langue et de culture grecques mais également les autres communautés orthodoxes présentes (bulgares, roumains, russes, turques arabophones, géorgiennes, serbes, albanaises, ukrainiennes, monténégrines, macédoniennes, etc.).

La population orthodoxe grecque est estimée à 3 000.

La province de Hatay avec la ville d'Antioche ne fait pas partie du territoire canonique de l'Église orthodoxe de Constantinople mais de celui de l'Église d'Antioche (melkite). La grande majorité des orthodoxes locaux sont arabophones. On estime entre 10 000 et 15 000 le nombre des fidèles arabophones dans l'ensemble de la Turquie.[réf. nécessaire]

L'Église orthodoxe turque est née de la volonté de créer une Église nationale turque en 1924. Elle ne compte que quelques centaines de fidèles.

Églises arméniennes

Église apostolique arménienne de Vakif.

38 églises à Istanbul et sa banlieue, autres églises à Kayseri, Diyarbakır, Derik, İskenderun, Vakifli Koyu et Kirikhan.

La population apostolique arménienne est estimée a 57 000.

Église de rite arménien

Seize églises à Istanbul et sa banlieue, dont la cathédrale Ste Marie à Péra (Beyoğlu).

La population catholique arménienne est estimée à 4 700.

Église issue de la Réforme protestante

Cinq temples à Istanbul (Kartal, Tepebaşı, Sultanhamam, Beyazıt, Maltepe).

La population évangélique arménienne est estimée à 500.

Les Églises de théologie et rite syriaques

Monastère Mor Hananyo, près de la ville de Mardin, ancien siège de l'Église syriaque orthodoxe.

L'Église catholique

Voir Églises catholiques orientales

La population catholique syriaque est estimée a 2 000.

Voir Églises catholiques orientales

L'Église catholique en Turquie compte six diocèses, trois de l'Église latine, un de l'Église chaldéenne, un de l'Église catholique arménienne et un de rite byzantin (vacant) :

La population de rite latin est estimée à 5 000.

L'Église des Moloques

Les Moloques ou Moloquans sont des orthodoxes dissidents vivant dans le Nord-Est de la Turquie à Kars (une seule famille). Ils sont de langue russe et ne se rattachent pas à l’Église orthodoxe de Constantinople, ni à celle de Russie.

L'Église anglicane

L'Église anglicane est surtout présente dans les grandes villes (Istanbul, Izmir, Ankara, Antalya, Mersin). On compte trois temples à Istanbul (temple de Crimée, temple St. Helen, temple All Saints). Les membres de cette communauté sont traditionnellement des Levantins (surtout à Izmir) ou des Turcs convertis. Le premier pasteur d'origine turque est nommé en 2007. Depuis les années 1990 cependant, la plupart des Anglicans de Turquie appartiennent à des communautés étrangères, particulièrement asiatiques (Philippins, Coréens, Chinois, Japonais).

Églises issues de la Réforme protestante

L'Église réformée est présente depuis 1638 à Istanbul (calviniste). Les Églises protestantes sont présentes dans tout le pays, y compris dans des zones reculées à l'Est de la Turquie (Caucase, Haute Mésopotamie). Les différents mouvements évangéliques connaissent un réel succès depuis les années 1980, et c’est de loin dans ces mouvements, que l’on enregistre le plus de conversion, surtout de la part de musulmans[réf. nécessaire]. De nouveaux temples s'élèvent continuellement dans les principales villes du pays : Istanbul, Izmir, Mersin, Diyarbakır, Antioche, Ankara, Brousse, Edirne. Certaines missions protestantes sont très actives, notamment la mission évangélique coréenne d’Antioche. À Istanbul, on trouve des temples, parfois résumés à de simples auditoriums, dans tous les quartiers de la métropole.

Situation actuelle

En théorie, la Turquie, à travers le Traité de Lausanne de 1923, reconnaît les droits civils, politiques et culturels des minorités non musulmanes. En pratique, la Turquie ne reconnaît que les minorités religieuses grecques, arméniennes et israélites sans pour autant leur accorder tous les droits cités dans le Traité de Lausanne.

La Diyanet İşleri Başkanlığı (Présidence des affaires religieuses), active depuis 1924, a vu ses pouvoirs renforcés vers 2005.

Les musulmans alevi-bektachis et câferî[6], les catholiques latins et les protestants ne font l'objet d'aucune reconnaissance officielle.

La conversion en mosquée de Sainte-Sophie (Constantinople) en 2020 est le point fort d'un durcissement dogmatique de l'État turc.

Situations des cultes en Turquie
Culte Population estimée Mesures d'expropriation[7] Reconnaissance officielle dans la Constitution ou à travers les traités internationaux} Financement des lieux de culte et du personnel religieux par l'État
Islam - Sunnite 70 à 85 % (52 à 64 millions) Non Oui, à travers le Diyanet cité dans la Constitution (art.136[8]) Oui, à travers le Diyanet[9]
Islam Alevi-Bektachi 15 à 25 % (11 à 19 millions) Oui Non. En 1826 : abolition du corps des Janissaires et fermeture des tekke (couvents de derviches) bektachis[10] Non
Islam - Câferî 500 000[11] Non Non
Judaïsme 20 000 Oui Oui, à travers le Traité de Lausanne en 1923 Non
Chrétien - Protestant 5 000 Non Non
Chrétien - Catholiques Latins Non Non
Chrétien - Catholiques Grecque Oui Oui, à travers le Traité de Lausanne en 1923 Non
Chrétien - Orthodoxe - Grec (Patriarcat œcuménique de Constantinople) Oui Oui, à travers le Traité de Lausanne en 1923 Non
Chrétien - Orthodoxe - Arménien (Patriarcat arménien de Constantinople) 57 000 Oui Oui, à travers le Traité de Lausanne en 1923 Non
Chrétien - Catholiques Chaldéens (Arménien) 3 000 Oui Oui, à travers le Traité de Lausanne en 1923 Non
Chrétien - Églises de théologie et rite Syriaques (orthodoxes et catholiques) 15 000 Ou Non Non
Yézidisme 377 Non Non

Notes et références

  1. Mélinée Le Priol, « En Turquie, c’est difficile pour les chrétiens », La Croix, .
  2. David Do Paço, « « La demeure de la paix » ? Conflits, religions et sociétés en Europe ottomane, 1453-1683 », L'Europe en conflits, (lire en ligne, consulté le )
  3. Joseph Yacoub, Comment la Turquie a éradiqué ses minorités chrétiennes, lefigaro.fr, 19 novembre 2020
  4. Dorothée Schmid, La Turquie en 100 questions, Texto, , p. 188
  5. Méropi Anastassiadou, « Excursions identitaires et tourisme religieux en Turquie. La redécouverte des lieux de culte grecs orthodoxes au début du xxie siècle », Anatoli, (lire en ligne, consulté le )
  6. The World of the Alevis: Issues of Culture and Identity, Gloria L. Clarke
  7. François-Xavier Maigre (avec The New York Times et AsiaNews), « Le gouvernement turc va restituer des biens saisis à des minorités religieuses », La Croix, (consulté le ).
  8. http://www.tbmm.gov.tr/anayasa/anayasa_2011.pdf
  9. http://obtic.org/Dosyalar/Cahiers%20de%20l%27Obtic/CahiersObtic_2.pdf
  10. « Les minorités non musulmanes en Turquie : « certains rapports d’ONG parlent d'une logique d’attrition », observe Jean-Paul Burdy », sur Observatoire de la vie politique turque (consulté le ).
  11. (tr) « Son Dakika », sur Milliyet (consulté le ).

Annexes

Bibliographie

  • Sébastien de Courtois, Périple en Turquie chrétienne, Les Presses de la Renaissance, 2009.
  • Sébastien de Courtois, Les derniers araméens : Le peuple oublié de Jésus, La Table ronde, 2004 et 2007. Voyage au cœur du Tur Abdin, la montagne des serviteurs de Dieu.
  • Raymond Le Coz, Histoire de l'Église d'Orient (Chrétiens d'Irak, d'Iran et de Turquie), Cerf, Paris, 1995 (ISBN 2-2040-5114-4).
  • Hélène Pignot, La Turquie chrétienne. Récits des voyageurs français et anglais dans l'Empire ottoman au XVIIe siècle, Xenia, Paris, 2007 (ISBN 978-2-8889-2014-4).
  • Jacques Rhétoré, Les chrétiens aux bêtes, Cerf, Paris, 2005, (ISBN 2-2040-7243-5).
  • (en) Hakan Alan (textes) et Erdal Yazici (photographies), Churches in Turkey, AS & 64 Limited, Istanbul, 2007, 400 pages (ISBN 978-975-011470-0)

Filmographie

  • Robert Alaux, Les Derniers Assyriens, Lieurac Productions, Paris, 2003, film documentaire de 53 minutes sur les Églises de rites syriaques.

Articles connexes

Liens externes

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