Juifs berbères

Les Juifs berbères ou Berbères juifs (en berbère : ⵓⴷⴰⵢⵏ ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ, Udayen imaziɣen ou ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ ⵓⴷⴰⵢⵏ, Imaziɣen udayen), sont les communautés juives du Maghreb qui historiquement parlaient les langues berbères et/ou sont d'origine berbère. Entre 1950 et 1970, la plupart ont émigré en France, aux États-Unis ou en Israël[1].

Juifs berbères
ⵓⴷⴰⵢⵏ ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ (ber)
Photographie de Juifs Berbères de l'Atlas, vers 1900.
Populations importantes par région
Autres
Régions d’origine Afrique du Nord
Langues
Religions Judaïsme
Ethnies liées Juifs Mizrahim
Juifs Séfarades
Berbères

Histoire

Antiquité

Des Juifs se sont installés en Afrique du Nord depuis l'époque romaine, et une communauté juive existait dans la province romaine d'Afrique, qui est la Tunisie moderne. Le terme « Ifriqiya » désignait la région que nous connaissons aujourd'hui en tant que Tunisie[2].

L'admission du judaïsme comme religion par les Berbères, et son adoption par un certain nombre de tribus, a pu prendre du temps[3]. L'historien français Eugène Albertini date la judaïsation de certaines tribus berbères, et leur expansion de Tripolitaine, aux oasis du Sahara, à la fin du ier siècle[4]. Marcel Simon, pour sa part, situe dans la première guerre judéo-romaine le premier contact entre les Berbères de l'Ouest et le judaïsme[5]. Les historiens pensent, d'après les écrits d'Ibn Khaldoun et d'autres témoignages, que certaines des anciennes tribus berbères judaïques ont adopté plus tard le christianisme et ensuite l'islam, et on ne sait pas si elles font partie des ancêtres juifs berbérophones contemporains[6].

Période musulmane

« Justice inique et cruelle » pour les Juifs de l'Atlas, dit un ouvrage de 1905[7]

Outre les anciennes colonies de Juifs dans les montagnes de l'Atlas et les terres berbères intérieures du Maroc, de fortes persécutions périodiques par les Berbères musulmans almohades ont probablement augmenté la présence juive là-bas. Cette hypothèse est renforcée par les changements politiques qui se sont produits à Fès, Meknès et Taza (effondrement du royaume Wattassides) à la fin du XVe siècle, et qui auraient amené une autre vague de Juifs, parmi lesquels des familles d'origine juive espagnole comme les Peretz, et cette vague aurait même atteint le Sahara, avec Figuig et Errachidia au Maroc.

Selon l'historien arabe Ibn Khaldoun, la cheffe militaire berbère, Dihya connue auparavant sous le nom « Kahina » (prophétesse), ainsi que sa tribu d'origine, les Djeraouas, seraient des Berbères de confession juive. Néanmoins, d'autres sources la prétendent païenne ou chrétienne. Elle aurait soulevé les Berbères dans les Aurès dans les contreforts orientaux des montagnes de l'Atlas dans l'Algérie moderne afin de monter une dernière résistance, bien qu'infructueuse, au général omeyyade Hassan Ibn Numan[8]. Une ancienne complainte juive de Constantine dans l'Algérie d'aujourd'hui fait référence à une reine nommée « Kahia », désignée précisément comme une personne qui fut cruelle envers les Juifs[9],[10],[11].

Après la guerre israélo-arabe

Après la guerre israélo-arabe de 1948, les tensions entre les communautés autochtones musulmanes et juives se sont intensifiées[12]. Les Juifs du Maghreb ont été contraints de partir en raison de ces tensions accrues.

Aujourd'hui, la communauté juive berbère indigène n'existe presque plus au Maroc. La population juive marocaine compte environ 8 000 personnes, la plupart résidant à Casablanca, dont certaines pourraient encore être berbères[12].

Origines

Concernant leur origine, certains pensent que la majorité sont des Berbères (et donc autochtones) convertis au judaïsme à la suite du contact avec les premiers juifs arrivés en Afrique du Nord, tandis que d'autres pensent que la majorité sont d'origine judéenne.

Dans le passé, il aurait été très difficile de savoir si ces clans juifs berbères étaient à la base d'origine israélite, et s'étaient assimilés aux Berbères par la langue et certaines habitudes culturelles, ou s'ils étaient des Berbères autochtones qui, au cours des siècles, étaient devenus juifs via la conversion, par le contact avec les migrants juifs. La deuxième théorie a été développée principalement dans la première moitié du XXe siècle, dans le cadre de la quête des autorités coloniales françaises pour découvrir, et souligner les coutumes pré-islamiques parmi la population berbéro-musulmane, puisque ces coutumes et modes de vie étaient considérés comme plus sensibles et assimilables au mode de vie français, légitimant la politique selon laquelle les Berbères seraient régis par leur propre loi « coutumière » plutôt que par la loi islamique.

Selon la thèse de Nahum Slouschz, les Juifs d’Afrique du Nord descendraient des tribus berbères converties au judaïsme dans l’Antiquité. Paul Monceaux affirme également : "À l'arrivée des Arabes, nombre de tribus berbères étaient plus ou moins judaïsées, surtout en Tripolitaine, dans l'Aurès et dans les ksours (villages fortifiés) du Sahara". Le grand rabbin Maurice Eisenbeth reprend très largement l'hypothèse des Berbères judaïsés; il est suivi par de nombreux auteurs plus récents : André Chouraqui, Henri Chemouilli, etc.[13].

En sens inverse, H.Z. Hirschberg est très réservé sur cette thèse et considère que les Berbères judaïsés ne constituent qu'une fraction très minoritaire des Juifs d'Afrique du Nord. En étudiant systématiquement les traditions anciennes, il parvient à la conclusion qu’il y a peu de preuves confirmant la thèse des Berbères judaïsés. D’après lui, la plupart des communautés se formèrent beaucoup plus tard, grâce à l’arrivée de commerçants juifs à l’intérieur du pays. Bien qu’il n’exclut pas qu’il ait pu exister des Berbères judaïsés, Hirschberg est sceptique quant à l’importance de ce phénomène[13].

Dans une étude récente basée sur des données linguistiques et ethnographiques importantes, Paul Wexler, professeur à l'université de Tel-Aviv, a réexaminé cette question, pour aboutir à la conclusion que la grande majorité des Juifs sépharades descendraient d’habitants d’Afrique du Nord convertis au judaïsme et installés en Espagne. Si l’hypothèse de Wexler était exacte, il en découlerait que la plupart des Juifs d'Afrique du Nord (tochavim comme megorachim) descendraient de Berbères convertis[13].

D'autres chercheurs tels qu'André Goldenberg et Simon Lévy ont également favorisé cette hypothèse[14].

Franz Boas a écrit en 1923, qu'une comparaison des Juifs d'Afrique du Nord avec ceux de l'Europe occidentale et ceux de la Russie « montre très clairement que dans chaque cas nous avons une assimilation marquée entre les Juifs et les peuples parmi lesquels ils vivent » et que « les Juifs d'Afrique du Nord sont, en traits essentiels, des Nord-Africains »[15].

Haim Hirshberg, un important historien de la communauté juive nord-africaine, a remis en question la théorie de la judaïsation massive des Berbères dans un article intitulé « Le problème des Berbères judaïsés ». Un des points soulevés par Hirshberg dans son article était que Ibn Khaldoun, la source de la théorie des Berbères judaïsés, écrivait seulement que peu de tribus « auraient » pu être judaïsées dans les temps anciens et affirmait qu'à l'époque romaine, les mêmes tribus étaient christianisées[6].

Génétique

Diverses études génétiques des populations juives sont menées depuis 1990. Une de ces études portant sur les haplogroupes E et J du chromosome Y, transmis de père en père, a montré que 30 % des Juifs sépharades étaient porteurs de l'haplogroupe africain E3b (5 % E3b2 (M81) considéré comme spécifiquement berbère)[13].

Une étude récente sur l'ADN mitochondrial (transmis de la mère aux enfants) met en doute la théorie d'une judaïsation massive de la population berbère. L'étude réalisée par Behar et al. qui a analysé de petits échantillons de Juifs d'Afrique du Nord (83, en Libye, 149, au Maroc, 37, en Tunisie) indique que les Juifs d'Afrique du Nord manquent des haplogroupes Hg M1 et U6, qui sont typiques d'Afrique du Nord[16]. Ainsi, selon les auteurs, l'absence de chromosomes U6 et M1 chez les Nord-Africains rend improbable la possibilité d'un mélange significatif entre les populations locales arabes et berbères, avec les Juifs.

Diaspora

Personnalités notables

Notes et références

  1. Moshe Shokeid, The Dual Heritage: Immigrants from the Atlas Mountains in an Israeli Village
  2. Hildegard Temporini, Wolfgang Haase, Rise and Decline of the Roman World, Walter de Gruyter, 1983, p. 512.
  3. Tribus Berbères converties au judaïsme :
    • "plusieurs tribus Berbères se sont convertis au Judaïsme". Reuven Firestone, Children of Abraham: an introduction to Judaism for Muslims, Ktav Publishing House, April 2001, p. 138.
    • "En outre, un certain nombre de tribus Berbères se sont converties au judaïsme." Taru Bahl, M.H. Syed. Encyclopaedia of the Muslim World, Anmol Publications PVT. LTD., 2003, p. 50.
    • "...des tribus Berbères entières se sont converties au judaïsme." Marvine Howe. Morocco: the Islamist awakening and other challenges, Oxford University Press US, 2005, p. 184.
    • "...ils ont eu une influence croissante parmi les tribus berbères de l'Afrique du Nord, dont certains ont été convertis au judaïsme." Michael Maas. The Cambridge companion to the Age of Justinian, Cambridge University Press, 2005, p. 411.
    • "un nombre significatif de Juifs d'Afrique du Nord descendent des tribus berbères qui se sont convertis au judaïsme à la fin de l'Antiquité." Daniel J. Schroeter, Vivian B. Mann. Morocco: Jews and art in a Muslim land, Merrell, 2000, p. 27.
    • "C'est en réponse à cette violente répression que de nombreux Juifs de Cyrénaïque fuient profondément dans le Sahara et y vivent parmi les tribus berbères, où ils se convertissent plus tard au judaïsme.". Martin Gilbert. In Ishmael's House: A History of Jews in Muslim Lands, McClelland & Stewart, 2010, p. 4.
    • "Leur influence s'est répandue parmi la population païenne berbère de sorte qu'au sixième siècle, de nombreuses tribus berbères s'étaient converties au judaïsme. Dans certains cas, des tribus berbères entières dans les montagnes de l'Atlas sont devenues judaïques." Ken Blady. Jewish communities in exotic places, Jason Aronson, 2000, p. 294.
  4. Eugène Albertini, L'empire romain, 1929, p.165
  5. Marcel Simon, « Le judaïsme berbère dans l'Afrique ancienne », Revue d'histoire et de philosophie religieuse, XXVI, 1946, p. 69
  6. H. Z. Hirschberg, « The Problem of the Judaized Berbers », Cambridge University Press, vol. 4, no 3, , p. 313–339 (DOI 10.1017/s0021853700004278, JSTOR 180026)
  7. (en) Budgett Meakin (24 illustrations), Life in Morocco and glimpses beyond, London, Chatto & Windus, (lire en ligne), p. 253-260
  8. Y. Moderan, « Kahena. (Al-Kâhina) », Encyclopédie berbère, no 27, , p. 4102–4111 (ISSN 1015-7344, DOI 10.4000/encyclopedieberbere.1306, lire en ligne, consulté le )
  9. Haim Zeev Hirschberg, Oledot ha-Yehudim be-Afrikah ha-Ẓefonit (Histoire des Juifs en Afrique du Nord), 2 vol, 1965
  10. (he) ח. ז. הירשברג, "ה"כאהנה" הברברית", תרביץ (תמוז ה'תשי"ז), עמ' 370-383.
  11. H. Z. Hirschberg, « The Problem of the Judaized Berbers », Cambridge University Press, vol. 4, no 3, , p. 313–339 (DOI 10.1017/s0021853700004278, JSTOR 180026)
  12. (en) « Return to Morocco », Al Jazeera, (lire en ligne)
  13. « PALBOU - Geneanet », sur gw.geneanet.org (consulté le )
  14. André Goldenberg, Les juifs du Maroc, Paris, Editions du Scribe, (ISBN 2-86765-013-5)
  15. (en) Franz Boas, Are the Jews a Race?, The World of Tomorrow, New York, J. J. Augustin Ballet, (réimpr. 1945 : Race and Democratic Society) (lire en ligne), p. 39-41
  16. Doron M. Behar et al., « Counting the Founders. The Matrilineal Genetic Ancestry of the Jewish Diaspora », PLoS ONE, vol. 3, no 4, , e2062 (PMID 18446216, PMCID 2323359, DOI 10.1371/journal.pone.0002062)

Bibliographie

  • Robert Assaraf et Michel Abitbol, Relations judéo-musulmanes au Maroc: perceptions et réalités, Paris, Stavit, (ISBN 9782911671357, lire en ligne)
  • Julien Cohen-Lacassagne, Berbères juifs : l’émergence du monothéisme en Afrique du Nord (préface de Shlomo Sand), Paris, La Fabrique, , 200 p. (ISBN 978-2358721967)

Articles connexes

Liens externes

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