Mathias Énard
Mathias Énard, né le à Niort, est un écrivain et traducteur français, prix Goncourt 2015 pour son roman Boussole[1].
Pour les articles homonymes, voir Énard.
Naissance |
Niort, France |
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Activité principale |
Écrivain, traducteur |
Distinctions |
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Langue d’écriture | Français |
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Genres |
Œuvres principales
- La Perfection du tir (2003)
- Zone (2008)
- Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010)
- Boussole (2015)
Biographie
Mathias Énard, après une formation à l'École du Louvre, suit des études d’arabe et de persan à l'INALCO. Après de longs séjours au Moyen-Orient, il s’installe en 2000 à Barcelone. Il y anime plusieurs revues culturelles. Il traduit deux ouvrages, l'un du persan, et l'autre de l'arabe. Il participe aussi au comité de rédaction de la revue Inculte à Paris et, en 2010, il enseigne l'arabe à l'université autonome de Barcelone[2].
La Perfection du tir, son premier ouvrage, paraît en 2003, roman narratif d'un tireur embusqué durant une guerre civile — d'un pays non évoqué, mais qui pourrait être le Liban[3] — et son obsession de la mort :
« Je ne savais plus si j'étais celui qui tirait ou celui sur lequel on tirait[4]. »
L'ouvrage est récompensé l'année suivante par le prix des cinq continents de la francophonie, et prix Edmée-de-La-Rochefoucauld. Il est aussi sélectionné au Festival du premier roman 2004[5].
Il est pensionnaire de la Villa Médicis en 2005-2006[6].
En 2008, Actes Sud publie son roman Zone, caractérisé par une seule phrase à la première personne, de cinq cents pages[7],[8] (avec pour exceptions trois chapitres, extraits de l'ouvrage que lit le narrateur[9]), et récompensé par plusieurs prix[10], dont le prix Décembre, le prix Candide et le prix du Livre Inter.
Il publie en 2010 chez Actes Sud un petit conte, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, sur un épisode probablement fictif de la vie de Michel-Ange, une escapade à Constantinople, où il débarque le à l'invitation du sultan Bajazet II. Ce court récit montre la Constantinople tolérante et européenne qui a su accueillir les juifs chassés d'Espagne par les rois catholiques. L'ouvrage est couronné par le prix Goncourt des lycéens 2010, et par le 25e prix du livre en Poitou-Charentes & La Voix des lecteurs en 2012[11], décerné par le Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes.
Féru d'art contemporain, Mathias Énard a par ailleurs créé en 2011 les éditions d'estampes Scrawitch, et sa galerie homonyme, dans le 11e arrondissement de Paris, créée avec Thomas Marin, lithographe, et Julien Bézille, philosophe de formation[12].
En 2012, il publie Rue des voleurs chez Actes Sud, récit de voyage d’un jeune Marocain errant en Espagne lors des printemps arabes et du mouvement des indignés. Rue des voleurs est la réaction de l’écrivain à ces événements, ainsi qu’une réflexion plus large sur l’engagement et la révolte[13]. Lors du Salon du Livre francophone de Beyrouth ( - ), il reçoit le premier prix « Liste Goncourt : Le choix de l'Orient » décerné par un jury composé d'étudiants d'universités du Liban et d'autres pays du Proche-Orient, sur le modèle du prix « Liste Goncourt : le choix polonais »[14]. Le prix de l'Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire a également été décerné à cet ouvrage en 2013.
En 2015, le prix Goncourt lui est décerné pour son roman Boussole qui traite de la vision de l'Orient par l'Occident.
En 2019 il collabore au Monde des livres pour une rubrique hebdomadaire « Des poches sous les yeux ».
En 2020, il enseigne comme professeur invité[15] à l'Université de Berne. Le Prix Ulysse pour l'ensemble de l'œuvre lui est attribué par le festival méditerranéen de Bastia.
Style
Érudition
Le style littéraire de Mathias Énard est souvent décrit comme « érudit »[16]. Cela s’explique par l’inclusion de fragments réels soigneusement prélevés dans l’histoire et les arts[17],[18],[19]. On peut, dans ces circonstances, parler d’une « littérature encyclopédique »[19]. Malgré leur nature « semi-académique », les romans de Mathias Énard revendiquent une esthétique singulière[20] dans laquelle la métaphore joue un rôle pertinent[21],[22].
Concernant la syntaxe, on peut constater qu’Énard tend à construire de longues phrases, qui parfois se prolongent de manière que le lecteur inattentif se perde avant de les finir. Son premier roman, La Perfection du tir, qui se caractérise par un récit plus factuel constitué de phrases courtes est une exception ; ce livre possède toutefois certains fragments qui laissent entrevoir le style des livres suivants[21]. Avec Zone, cette inclination pour les phrases interminables atteint son paroxysme, une seule phrase se déployant sur la totalité du roman.
On trouve fréquemment des éléments autoréflexifs dans les œuvres d'Énard, comme de l'intertextualité. Celle-ci se manifeste souvent par des références explicites à d'autres livres[21],[23], mais aussi de manière plus subtile, par exemple à travers certains personnages ou situations de la narration [24]. En outre, le lecteur est souvent convié à une certaine forme de jeu, qui consiste à relier « l’intérieur », c’est-à-dire l’histoire, le contenu, avec son « extérieur », la forme du livre comme contenant. Dans Rue des Voleurs, on peut observer que le thème de l’entre-deux est particulièrement développé dans le deuxième chapitre qui non seulement occupe le milieu de l'ouvrage (le roman compte trois chapitres), mais qui de plus est intitulé « Barzakh », ce qui désigne un monde intermédiaire selon le Coran[24]. Dans Zone, le nombre de pages correspond aux kilomètres parcourus par le narrateur[23], et dans Boussole, chaque page équivaut à 90 secondes dans le récit[25].
L’oralité chez Énard varie. En effet, selon le narrateur, l’auteur utilise un discours et un niveau de langue différents. « Le dit et l’écrit[26] » s’unissent pour laisser s’exprimer la voix du narrateur qui diffère selon son origine, sa condition sociale ou son âge. Ainsi, Lakhdar étaie souvent ses propos de l’expression : « que Dieu me pardonne[27] » issue de sa religion musulmane alors que le héros de La Perfection du tir s’exprime en phrases courtes et crues, témoignage de sa jeunesse et de la cruauté de son travail : « je ne sais pas pourquoi, mais je me souviens de tous mes tirs. Je ne les confonds pas, ils sont tous différents. Je ne choisis que les plus difficiles[28] » ; tandis que dans Boussole, le narrateur est un musicologue érudit qui n’hésite pas à employer un vocabulaire choisi et poétique, une syntaxe complexe : « éclair du premier contact de nos lèvres, maladroitement après nos joues, des lèvres gourdes et avides, qui se perdent aussi sur les doigts qui parcourent nos visages[29] ». Le but d’une telle oralité ou au contraire d’une écriture très classique est de plonger le lecteur dans la situation du narrateur puisque la parole de ce dernier donne à voir le monde de manière singulière.
Narration
L’auteur écrit habituellement à la première personne, via des narrateurs homodiégétiques. Il évite les discours directs, ce qui semble priver les autres personnages de leur voix, renforçant ainsi la focalisation interne[23]. La narration s’élabore souvent rétrospectivement ; les narrateurs la construisent en évoquant leurs souvenirs[23]. Cette manière de raconter, tout en étant fréquemment interrompue par différentes anecdotes réelles, « étire le temps et l’espace romanesques au-delà de leurs limites traditionnelles »[23] et cause une certaine désorientation du lecteur[17].
Le narrateur, autant dans La Perfection du tir que dans Rue des voleurs et Boussole, est la voix qui mène le roman. D’ailleurs, pour Énard, les narrateurs sont d’abord des voix[30] qui présentent leur réalité. La première phrase de La Perfection du tir : « le plus important, c’est le souffle[31] » laisse à penser que l’on peut rapprocher le souffle de la respiration de la voix du narrateur qui est la seule à s’exprimer pendant tout le roman. Cependant, parfois, la voix du narrateur n’est pas la seule du roman. C’est ainsi que dans Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, la voix du narrateur, Michel-Ange et celle de deux protagonistes, Mesihi et la danseuse, sont intercalées. De cette manière, le monde oriental est perçu par trois points de vue différents.
Rythme dans les œuvres d'Énard
Énard avoue choisir un rythme pour ses romans, rythme qui échappe parfois au lecteur[32]. Par exemple, dans Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, l’alexandrin domine non seulement dans le titre mais aussi dans le texte. On retrouve de nombreuses occurrences d’alexandrins où les noms exotiques sont comme une invitation au voyage : « cipolin, ophite, sérancolin, serpentin, cannelle, dauphin, porphyre, brocatin, obsidien[33] ». Le rythme est accentué par la rime entre les deux alexandrins : « serpentin » et « obsidien ». Le même travail sur le rythme de la phrase est présent dans La Perfection du tir où les phrases scandées de virgules traduisent le rythme cardiaque rapide du sniper : «j’avais une kalachnikov, je suais tout ce que je pouvais, il faisait chaud et j’avais peur[34]». Si l’écriture de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants est d’une grande poésie tout du long, celle de La Perfection du tir l’est moins car le sujet violent ne le permet pas mais par le rythme des périodes Énard cherche à rendre au réel sa part de poésie : « Aucun « réalisme poétique » dans cette parole hybride qui défigure le réel pour le rendre habitable, mais une poétique de la langue qui sans vouloir l’imiter dit le réel dans son intensité même[35]»
Œuvre
Auteur
- La Perfection du tir, Actes Sud, ; rééd. Babel, Actes Sud, n°903, 2008
- Remonter l’Orénoque, Actes Sud, ; rééd. Babel, Actes Sud, n°1373, 2016
- Bréviaire des artificiers (ill. Pierre Marquès), Éditions Verticales / Gallimard,
- Zone, Actes Sud, ; rééd. Babel, Actes Sud, n° 1020, 2010
- Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Actes Sud, ; rééd. Babel, Actes Sud, n° 1153, 2013
- L'Alcool et la Nostalgie, Paris, Éditions Inculte, , 86 p. (ISBN 978-2-916940-48-9)[37] ; rééd. Babel, Actes Sud, n° 1111, 2012
- Rue des voleurs : roman, Arles, Actes Sud, , 251 p. (ISBN 978-2-330-01267-0)
- Tout sera oublié (ill. Pierre Marquès), Arles, Actes Sud, , 137 p. (ISBN 978-2-330-01808-5)
- Boussole, Actes Sud, 2015, 400 p. (ISBN 978-2-330-05312-3)
Bande-dessinée
- Prendre refuge, Casterman, 2018. En collaboration avec Zeina Abirached.
Traductions
- Mirzâ Habib Esfahâni, Épître de la queue, Minimales/Verticales / éditions Gallimard, (ISBN 978-2-84335-207-2)
Adaptation cinématographique de son œuvre
- À cœur ouvert, film français de Marion Laine, réalisé en 2012, a été adapté du roman Remonter l'Orénoque (2005).
Distinctions
- Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres ([46])
Notes et références
- « Le Goncourt 2015 remis à Mathias Enard ! », Le Point, (lire en ligne)
- « Notice d'autorité de la BnF ».
- Article dans le magazine Transfuge, no 50, mai 2011.
- Citation du livre, cité dans l'article du magazine Transfuge, op. cit.
- Festival du premier roman 2004, site officiel.
- « Notice biographique », sur Villa Médicis.
- « Zone, de Mathias Énard : "J'ai voulu faire une épopée contemporaine" », Le Monde, (lire en ligne).
- « Zone de Mathias Énard, Voyage en enfer », Le Nouvel Observateur, (lire en ligne).
- « C’est un monologue ponctué par un véritable récit interne – un roman sur la guerre israélo-palestinienne [...]. Sur les vingt-quatre chants du livre, trois sont des chapitres de ce livre. » « Entretien avec Mathias Enard », site D-Fiction du 01/07/2010.
- Liste des prix du roman, sur le site de l'éditeur, Actes Sud.
- Les deux prix, sur le site du Centre du livre et de la lecture en Poitou-Charentes.
- Site de la galerie Scrawitch, Paris.
- « Rencontre avec Mathias Énard », .
- « "RUE DES VOLEURS" DE MATHIAS ÉNARD, LISTE GONCOURT/LE CHOIX DE L'ORIENT », Paris Match (consulté le ).
- « Mathias Énard », sur Walter Benjamin Kolleg, (consulté le )
- « Mathias Enard, le nouveau Balzac », sur bibliobs.nouvelobs.com, (consulté le )
- Claudia Jünke, « Trauma and memory in Mathias Énard’s Zone », Journal of Romance Studies, Vol. 17(1), , p. 71-88 (ISSN 1473-3536)
- Maria Puerto Gomez, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard (Fiche de lecture), Bruxelles, Primento Digital, , 32 p. (ISBN 978-2-8062-3730-9 et 2-8062-3730-0, lire en ligne)
- (en) « River of Consciousness », sur nytimes.com, (consulté le )
- Michaël Ferrier, « Mathias Énard, Rue des voleurs », Hommes et migrations, , p. 189-190 (lire en ligne)
- « Entretien avec Mathias Énard », sur d-fiction.fr, (consulté le )
- Ilies, Simona, « Mathias Enard, Boussole – Book Review », Studia Universitatis Babes-Bolyai – Philologia, Vol.61 (3), , p. 315-316 (ISSN 2065-9652)
- Elodie Coutier, « Un Mémorial romanesque pour l’épopée : Fonctions de la référence homérique dans Zone de Mathias Énard », Revue Critique de Fixxion Française Contemporaine/Critical Review of Contemporary French Fixxion, Vol.14, , p. 106-115 (ISSN 2033-7019)
- Agnes Fleury, Rue des voleurs de Mathias Énard (Fiche de lecture), Paris, lePetitLitteraire.fr, , 10 p. (ISBN 978-2-8062-5310-1 et 2-8062-5310-1, lire en ligne)
- « Mathias Enard, la splendeur orientale », sur lemonde.fr, (consulté le )
- Pierre Larthomas, Notions de stylistique générale, PUF,
- Mathias Enard, Rue des Voleurs, Actes Sud, , p. 195
- Mathias Enard, La Perfection du tir, Actes Sud, , p. 10
- Mathias Enard, Boussole, Actes Sud, , p. 332
- « Deux romanciers nous parlent du Maroc : Mathias Enard et Abdellah Taïa », France Culture, (lire en ligne, consulté le )
- Mathias Enard, La Perfection du tir, Actes Sud, , p. 9
- « Des Mots de Minuits », sur youtube, (consulté le )
- Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Actes Sud, , p. 68
- Mathias Enard, La Perfection du tir, Actes Sud, , p. 161
- Dominique Viart et Bruno Vercier, La Littérature française au présent, Bordas, , p. 218
- Marion Cocquet, « Mathias Énard remporte le Goncourt des lycéens », sur http://www.lepoint.fr, 9 novembre 2010 à 12:59 (consulté le )
- Jean-Baptiste Harang, « L'Alcool et la Nostalgie, de Mathias Énard », sur http://www.magazine-litteraire.com, (consulté le )
- « Mathias Énard, lauréat du Prix Roman-News 2013 », sur actualitte.com, (consulté le )
- http://akademik.fr/
- Un prix Goncourt pour Mathias Énard sur le site du Nouvel Observateur le 8 novembre 2012
- Prix Goncourt : Mathias Enard récompensé pour « Boussole » sur Le Monde le 4 novembre 2015
- « Prix des libraires de Nancy Le Point », sur Le Livre sur la Place Nancy (consulté le )
- Anne Coudreuse, « Mathias Enard dans la Venise du XVIIIe siècle », sur nonfiction.fr, (consulté le )
- Gilles Heuré, « Roman : Le Banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs, Mathias Enard », Télérama, no 3692, (lire en ligne).
- Traductions de Mathias Énard, dans l'article du site de la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations, du 5 décembre 2012.
- Arrêté du 10 février 2016 portant nomination et promotion dans l'ordre des Arts et des Lettres.
Annexes
Bibliographie
- Géant Vert, « Prendre refuge : de la difficulté d'aimer à travers les âges », dBD, no 126, , p. 88.
Liens externes
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