Mosquée du bois de Vincennes

La mosquée du bois de Vincennes, également connue sous le nom de mosquée de l'hôpital du jardin colonial ou mosquée de Nogent, a été la toute première mosquée construite en France métropolitaine depuis l'invasion omeyyade de la Gaule au VIIIe siècle. Elle est construite au début de 1916 dans le bois de Vincennes, dans le cadre d'un projet de contre-propagande et pour servir une partie des soldats musulmans venus en France pendant la Première Guerre mondiale.

Mosquée du bois de Vincennes
Carte de propagande en français et en arabe, la mosquée avec des soldats coloniaux devant.
Présentation
Type
Fondation
Démolition
État de conservation
Détruit (d)
Localisation
Adresse
Coordonnées
48° 50′ 05″ N, 2° 28′ 04″ E

Histoire

Jardin colonial (1899)

En 1899, un jardin d'essai est créé à l'extrémité orientale du bois de Vincennes pour faire des expériences avec les plantes de l'Empire colonial français. Plusieurs pavillons sont construits à l'occasion de l'exposition coloniale qui se tient de à , dont un pavillon du Maroc et un de la Tunisie, toujours existants in situ.

Hôpital de campagne

Pendant la Première Guerre mondiale, le jardin colonial est transformé en hôpital de campagne, dès la fin de l'année 1914. Entre 1914 et , l'hôpital de l'ancien jardin colonial soigne près de 5 000 soldats en convalescence, majoritairement maghrébins et musulmans. À cette époque, le jardin colonial est sur le territoire de la commune de Nogent-sur-Marne.

Propagande allemande

Image de propagande allemande de la mosquée du Halbmondlager, le Camp du croissant, au sud de Berlin, en 1915.

La décision de construire une mosquée sur le terrain de l'hôpital est prise en réaction à la propagande de guerre allemande qui tente de retourner les musulmans des colonies britanniques et françaises contre leurs dirigeants coloniaux. L'Empire allemand est alors allié à l'Empire ottoman, qui se veut à la tête de la communauté musulmane mondiale, à travers sa gestion des lieux saints de La Mecque et de Médine et le maintien du califat. Cette stratégie est imaginée par l'orientaliste allemand Max von Oppenheim, qui publie en un « mémorandum sur l'introduction de la révolution sur les terres islamiques de nos ennemis » (en allemand : Denkschrift betreffend die Revolutionierung der islamischen Gebiete unserer Feinde). Von Oppenheim, dont le surnom d'Abou Jihad est popularisé à titre posthume par Wolfgang G. Schwanitz[1], est chargé d'un nouveau Bureau de renseignement pour l'Est, qui parraine le camp de prisonniers de guerre du Croissant, Halbmondlager, à Zossen-Wünsdorf près de Berlin. Comme son nom l'indique, le Halbmondlager est spécifiquement destiné aux soldats musulmans des colonies britanniques et françaises. Il comprend une mosquée monumentale, la première jamais construite en Allemagne, achevée en [2]. Les autorités allemandes diffusent des articles sur le traitement inapproprié de l'islam dans l'armée française, illustrés en contraste par des images de la mosquée allemande de Halbmondlager.

Construction

Image de propagande française de la mosquée du jardin colonial (1915).

En retour, la raison militaire brise les scrupules français à édifier un lieu de culte musulman (autre que les cimetières) en France métropolitaine[3]. Le diplomate Pierre de Margerie, directeur des affaires politiques au ministère français des Affaires étrangères, promeut la construction de la mosquée et orchestre la large diffusion d'une photo de celle-ci par des agents français dans le monde musulman, avant même que la construction ne soit achevée[3]. La mosquée en bois est rapidement érigée, sur les plans de l'architecte du Jardin colonial M. Péni. Elle est inaugurée le par Gaston Doumergue, alors ministre des Colonies[4]. Les prières de dédicace sont lues par deux imams, Bou-Mezrag El-Mokrani, de Chlef (un descendant de Cheikh Mokrani), et Katranji Sid Abderrahman, d'Alger[5].

Rassemblement pour l'Aïd al-Adha devant la mosquée, en .
Aïd al-Adha célébrée au jardin colonial en 1918.

Les soldats qui meurent dans l'hôpital militaire sont enterrés dans le carré militaire du cimetière de Nogent-sur-Marne, où une koubba est inaugurée en 1919.

Le lieu de culte est cependant délaissé par les tirailleurs qui préfèrent prier à l'air libre, à côté de la mosquée, estimant que les Français « en font trop »[6].

Destruction

Après-guerre, la mosquée est désaffectée. Elle est démolie en 1926[7]. À ce moment-là est inaugurée la grande mosquée de Paris dans le 5e arrondissement de Paris par Gaston Doumergue, pour rendre hommage aux dizaines de milliers de soldats musulmans tombés durant le premier conflit mondial. De nombreux monuments commémoratifs sont érigés à proximité de l'ancienne mosquée pendant l'entre-deux-guerres, dédiés à la mémoire des soldats tombés au combat de diverses colonies françaises, pour la plupart non-musulmans[8],[9].

En 1935 est inauguré un nouvel hôpital à Bobigny, baptisé hôpital franco-musulman et depuis 1978 hôpital Avicenne. En 1937 ouvre son annexe, le cimetière musulman de Bobigny, qui contient également un carré militaire.

L'ancien jardin colonial est renommé Jardin d'agronomie tropicale de Paris. Certains pavillons et monuments sont rénovés dans les années 2010[10]. La koubba du cimetière de Nogent-sur-Marne, en ruine, est démolie en 1989. Elle est reconstituée à l'identique en 2011[3].

Description

La mosquée est construite en bois. Elle comporte un minaret et un dôme, une salle de prières correctement orientée vers La Mecque, une salle mortuaire et un espace d'ablutions. Des tapis d’Orient sont offerts par les Grands Magasins du Louvre.

Aujourd'hui, il n'en reste qu'une stèle commémorative et un panneau explicatif[4].

Notes et références

  1. (en) Lionel Gossman, The Passion of Max von Oppenheim : Archaeology and Intrigue in the Middle East from Wilhelm II to Hitler, Open Book Publishers, (lire en ligne), xix.
  2. (en) Florence Waters, « Germany's Grand WWI Jihad Experiment », The Telegraph, .
  3. Michel Renard, « Le religieux musulman et l'armée française (1914-1920) », Études coloniales, .
  4. Jean-Pierre Filiu, « À la recherche de la première mosquée de France », Un si Proche Orient, Le Monde, .
  5. Shanahan 2019.
  6. Xavier Boniface, Histoire religieuse de la Grande Guerre, Paris, Fayard, , 494 p. (ISBN 978-2-213-66130-8), citant Gilbert Meynier (préf. Pierre Vidal-Naquet), L'Algérie révélée : La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle (texte abrégé d'une thèse en Lettres soutenue à l'université de Nice en 1979), Genève, Droz, coll. « Travaux de droit, d'économie, de sociologie et de sciences politiques » (no 130), , 793 p. (lire en ligne), p. 455.
  7. « La mosquée de l'hôpital du jardin colonial de Nogent-sur-Marne durant la Première Guerre mondiale », Bibliothèque nationale de France.
  8. Corinne Nèves, « Voyagez dans le temps au Jardin d’agronomie tropicale du Bois de Vincennes », Le Parisien, .
  9. Clarisse Didelon-Loiseau, « Le jardin tropical de Paris », Mappemonde, .
  10. Marie-Anne Kleiber, « Paris : le jardin d'agronomie tropicale dans le bois de Vincennes sort de sa torpeur », Le Journal du dimanche, .

Annexes

Bibliographie

  • (en) Maureen G. Shanahan, « Battles for Hearts and Minds : The Nogent Mosque During World War I », African Arts (en), vol. 52, no 4, , p. 18–33 (DOI 10.1162/afar_a_00500, lire en ligne).

Articles connexes

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