Néolibéralisme

Le terme de néolibéralisme désigne aujourd'hui un ensemble d'analyses ou de doctrines inspirées du libéralisme économique  ou supposées telles  qui partagent un socle :

  • d'orientations critiques : la dénonciation du poids de l'État-providence dans les pays développés après 1945 et de l'accroissement des interventions publiques dans l'économie[1] ;
  • d'orientations positives : la promotion de l'économie de marché au nom de la liberté de l'individu et du développement économique ;
  • d'orientations politiques : la dérégulation des marchés (qui se réguleraient mieux eux-mêmes par le jeu de la concurrence et des « lois du marché » que par l'interventionnisme politique) et la disparition progressive du secteur public au profit du privé.
Édifice de la Banque mondiale à Washington aux États-Unis. Il s'agit d'une institution de Bretton Woods. Elle ne sera considérée par certains comme néo-libérale qu'à partir des années 1990 et du consensus de Washington.

Évolution chronologique des différentes significations

La signification du mot « néolibéralisme » a beaucoup varié au cours du temps. En effet, « néo » signifiant nouveau, il est alors compréhensible pour un contemporain de qualifier de « nouveau » l'émergence d'une nouvelle pensée libérale. De plus, puisque la pensée libérale peut évoluer via différentes écoles, on peut alors retrouver au même moment différents types de néolibéralismes, ex. : néolibéralisme français et ordolibéralisme allemand. Par conséquent, le terme ne fait pas consensus et son utilisation requiert une grande prudence, tant il a oscillé entre différentes significations.

Lorsqu’il apparaît, en 1844, le terme désigne  de manière assez générale  une forme de libéralisme qui laisse une intervention limitée à l'État[2].

Dans la même ligne, à la fin des années 1930, des économistes français  comme notamment Auguste Detœuf ou Louis Marlio  utilisent ce terme pour désigner une forme de libéralisme qui n’est pas forcément synonyme de laissez-faire (pour lequel on parle de libéralisme manchestérien). Ils soulignent seulement le fait, qu'à condition de le rénover ou de le reconstruire, ce régime peut  aussi bien sur un plan économique et social  être supérieur au dirigisme et au planisme alors en vogue (pensée contemporaine de l'ordolibéralisme allemand par certains côtés comparables). Dans cette lignée (entre les années 1950 et jusqu'à la fin des années 1970), le mot peut qualifier des économistes tendant vers le social-libéralisme. Donald Moggridge présente ainsi John Maynard Keynes comme l'un des plus importants néolibéraux à défaut de meilleur terme pour le qualifier[3].

À partir des années 1970, avec la montée en puissance des pensées de Milton Friedman et de Friedrich Hayek le mot néolibéralisme prend un autre sens. Selon Michel Foucault, le néolibéralisme est présenté comme une technique de gouvernement, une politique économique et sociale étendant l'emprise des mécanismes du marché à l'ensemble de la vie, ce qui est contesté par les disciples de Friedrich Hayek qui voient le libéralisme comme une priorité donnée à l'action libre des individus contre toute « emprise », et jugent absurde toute « technique de gouvernement » voulant intervenir dans le marché, fût-ce pour en étendre l'influence. Friedman et Hayek sont désignés en France comme en étant les principaux inspirateurs[réf. souhaitée], bien qu'ils ne se soient jamais revendiqués du néolibéralisme, mais seulement du libéralisme. Leur libéralisme est anti-keynésien, et limite voire supprime l'intervention étatique. Le fonctionnement de l'ordre économique, de même que celui de l'ordre social, sont expliqués en termes darwinistes (voir Darwinisme social): ordre spontané, adaptation, sélection, loi du plus fort. La doctrine socio-économique de Hayek, Friedman et Mises se caractérise par des tendances anti-individuelles (neutralisation de l'originalité de l'individu, « conformisme volontaire »), anti-intellectualistes et anti-axiologiques (neutralisation des valeurs et de leurs racines culturelles/historiques)[4][source insuffisante].

Les critiques ou adversaires des idées néolibérales lui reprochent selon des formes et à des degrés divers d'entretenir ou d’accroître les inégalités[5][source insuffisante], la fracture sociale[6][source insuffisante] ou le pillage des ressources naturelles[7],[8].

Néolibéralisme français (1938-années 1960)

Le courant néolibéral est actif en France durant une période assez brève, comprise entre le colloque Walter Lippmann[9] de 1938 et la fin des années 1960. La consistance de sa volonté est de réagir à la domination des idées planistes et dirigistes de la fin des années 1930 et de montrer que le réel affrontement des problèmes de l’heure passe par une réforme et une reconstruction du Libéralisme. Par ailleurs, comme le montrent la liste des participants aux colloques et la teneur des débats, la volonté de faire face aux totalitarismes dans un contexte international de rivalité Est-Ouest a permis de réunir et de faire dialoguer au sein de ce courant des tendances assez diverses.

Néolibéralisme et colloque Walter Lippmann

Vont se rencontrer au colloque Lippmann des libéraux français, des membres influents de l’école autrichienne : Friedrich von Hayek et Ludwig von Mises, des hommes qui feront l’ordolibéralisme allemand après-guerre : Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow (Walter Eucken, le grand théoricien de ce mouvement, n’avait pas reçu l’autorisation de quitter l’Allemagne[10]), ainsi que des participants de divers autres pays.

Néolibéralisme ou libéralisme, quel nom choisir ?

En fait, la question du changement de nom recouvre la réponse à une question : le déclin du libéralisme provient-il de circonstances extérieures ou est-il la conséquence d'une non-adaptation du libéralisme type XIXe siècle à la réalité de l’après-Première Guerre mondiale ?

  • Pour Mises[11], l'explication vient des seuls faits extérieurs à la doctrine libérale : il n’y a pas lieu de la retoucher.
  • Pour les ordolibéraux et la majorité des économistes français présents, au contraire, la doctrine libérale doit être réactualisée.

Auteurs du néolibéralisme français

François Bilger[12] compte parmi les principaux auteurs Jacques Rueff, un disciple de Clément Colson, Maurice Allais, Louis Baudin et Daniel Villey. En marge de ce courant, Jacques Cros — à la différence de François Bilger — pense que le libéralisme doit désormais incorporer l’apport de la théorie keynésienne[13].

Résistance et réformes de structures

Pour Kuisel[14], durant la Résistance des débats ont eu lieu entre les planistes minoritaires du Parti socialiste (André Philip, Georges Boris, Jules Moch, Pierre Mendès France) et les néolibéraux (Étienne Hirsch, René Courtin, Maxime Blocq-Mascart et René Pleven) : les premiers veulent introduire des structures socialistes et se méfient des États-Unis et de la Grande-Bretagne ; les seconds entendent que le marché et l'initiative privée restent au cœur de l'économie et, sur le plan international, sont en faveur d'une amitié euro-atlantique. Toutefois, dans l'après-guerre, dans la réalisation des réformes, pour Kuisel[15], ce n'est pas ce débat qui a été central mais plutôt l'influence du Parti communiste et du général de Gaulle.

Société du Mont-Pèlerin

En 1947, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la tendance est favorable au keynésianisme. Les libéraux se réunissent au Mont-Pèlerin[16]. On y trouve notamment Hayek ou Mises, qui auront une importante influence ultérieurement.

Néolibéralisme français et ordolibéralisme allemand

Dans une communication à un colloque tenu en 2000 dont les actes ont été publiés en 2003, François Bilger établit un comparatif entre néolibéralisme français et ordolibéralisme allemand en pointant les points de convergence et de divergence. Certains points de divergence semblent encore susceptibles de rendre compte des différences d'approche entre les deux pays.

Convergences

  • Croyance en la liberté de la production et de l’échange, en la libre concurrence, au libre fonctionnement du mécanisme des prix et à la stabilité monétaire.
  • Le « libéralisme de laissez-faire » est susceptible d’aboutir à sa propre destruction. L’instauration d’une économie de marché efficace et stable exige donc une législation très précise de la propriété, des contrats, de la faillite, des brevets, de la concurrence, de l’émission monétaire et du crédit, du système fiscal, du travail, de la solidarité sociale ainsi qu'une définition soigneuse des modalités d’intervention économique et sociale de l’État compatibles avec le bon fonctionnement du système[10].
Divergence théorique
  • « Depuis le XIXe siècle, la science économique française s'est caractérisée essentiellement par une approche abstraite et déductive à partir de modèles mathématiques de la réalité économique fondamentale. » Ont illustré cette approche Arsène Dupuit, Augustin Cournot, Léon Walras, Clément Colson. Parmi les néolibéraux, Jacques Rueff et Maurice Allais poursuivent « cette tradition d'élaboration d'une physique sociale »[17].
  • Les Allemands au contraire pratiquent une démarche inductive et concrète des réalités et des tendances historiques dans la tradition de Wilhelm Roscher, Bruno Hildebrand, de Karl Knies de Gustav von Schmoller ou de Max Weber. Pour Bilger[18], ces auteurs marquent Walter Eucken qui « a eu pour ambition de dépasser synthétiquement la fameuse querelle des méthodes entre les historistes allemands et les théoriciens allemands ».
Options philosophiques et éthiques différentes
  • En France chez Louis Baudin et Daniel Villey, l'accent est mis sur l'indivisibilité de la liberté, la méfiance à l'égard des empiétements de l'État sur la liberté individuelle et la souveraineté des individus[18].
  • Pour les ordolibéraux, les notions d'ordre et d'harmonie sociale concurrencent l'idée de liberté individuelle. « Avec Kant, ils prônent la liberté dans le respect de la loi morale, autrement dit la seule liberté de bien faire et non la liberté absolue »[19].
Conception différente de l’action publique
  • Les néolibéraux français sont très sensibles aux perturbations liées à des interventions intempestives des pouvoirs publics dans le domaine monétaire et fiscal. Par contre, ils ne s’opposent pas au maintien d'un secteur public important s'il respecte une gestion au coût marginal. Ils ne sont pas non plus systématiquement opposés à la formation de cartels et d'oligopoles.
  • Les ordolibéraux sont plus stricts sur la nécessité de respecter les règles d'une concurrence loyale fondée sur l'interdiction des cartels. Ils considèrent également qu'il convient « de compléter l'instauration de cette économie concurrentielle en mettant en œuvre une politique sociale et même sociétale très active, non seulement pour corriger ses conséquences humaines éventuellement défavorables, mais aussi pour créer des conditions sociales favorables à son bon fonctionnement et au développement d'une société libre et juste »[19].

Fin du néolibéralisme français (années 1960)

Plusieurs raisons[20] expliquent la disparition du néolibéralisme français à la fin des années 1960 concomitant avec le déclin de l'ordolibéralisme :

  • L’évolution des faits et des situations alors que disparaît la génération des fondateurs.
  • Une volonté des libéraux français de rompre avec les néolibéraux français du XXe siècle et de reconstruire un libéralisme français sur des bases autrichiennes et américaines ainsi que sur des auteurs français du XIXe siècle comme Bastiat[20].
  • Une séparation forte entre grandes écoles et universités[20]. Le néolibéralisme en France reposait à la fois sur des hommes issus de Polytechnique, (Ernest Mercier, Louis Marlio et Auguste Detœuf pour la première génération, Jacques Rueff et Maurice Allais pour la seconde) et sur des universitaires Louis Baudin, René Courtin, Daniel Villey notamment.
  • On pourrait ajouter que d’une certaine façon le néolibéralisme avait atteint l’essentiel de ces objectifs. Par ailleurs on peut se demander si les auteurs français avaient un réel sentiment d'appartenance à une école économique.

On peut remarquer que le néolibéralisme français disparaît au moment même où le néolibéralisme va connaître un très grand essor y compris dans le monde anglophone. Son essor s'explique peut-être par une volonté de nommer le changement que connaît alors le monde. Comme aux États-Unis, le mot liberalism était plutôt accolé à la période 1933-fin 1960 (voir citation de David Friedman dans une autre note de bas de page), il convenait semble-t-il d'utiliser un autre mot comme cela avait été fait en France en 1938 pour des raisons opposées.

Néo-libéralisme depuis les années 1970

Depuis la fin des années 1970 dans le monde anglo-saxon — et depuis les années 1990 en Europe —, le terme « néolibéralisme » (aussi dénommé « ultralibéralisme » ou même « hyperlibéralisme »[21]) fait référence à des politiques libérales sur le plan économique, en réaction aux idées keynésiennes et d'une façon plus générale contre l'intervention de l'État.

Cette doctrine inspire Margaret Thatcher au Royaume-Uni, Ronald Reagan aux États-Unis dans les années 1980. Certains opposants au libéralisme mondialisé — notamment les altermondialistes[22] — soulignent aussi le rôle de laboratoire qu'a pu jouer le Chili de Pinochet, ainsi que le rôle de nombreuses institutions internationales de premier plan telles que le FMI, l'OMC ou encore la Banque mondiale.

Pour ses partisans, il s'agit de promouvoir un libéralisme renouvelé dans sa pensée et pour l'action, reposant sur deux piliers majeurs : le monétarisme et l'économie de l'offre.

Pour ceux qui le dénoncent — le terme est souvent employé à gauche, mais fait aussi partie du vocabulaire de la droite dite « conservatrice » — le « néolibéralisme » accroît les inégalités sociales, réduit la souveraineté des États[23] et nuit à la croissance des pays en développement.

Politiques « néolibérales »

Ces politiques prônent la protection des libertés individuelles face à l’État, et développent une critique radicale des idées alors dominantes, fortement imprégnées par les thèses keynésiennes[réf. nécessaire] et le fort niveau d'intervention de l'État dans la plupart des économies. Elles visent au contraire à réduire l'emprise du secteur public sur l'économie, au profit du secteur privé[24], sous l'influence de l'idée qu'il en résulterait une administration plus efficace et une économie plus forte.

Promotion du monétarisme

Les thèses monétaristes — reprises de l'École de Chicago — sont mises en avant : selon les néolibéraux, la conjoncture doit être accompagnée et l'inflation combattue par une politique plus active des taux de l’intérêt[réf. nécessaire].

Promotion de l'économie de l'offre

L'économie de l'offre correspond à un courant de pensée apparu aux États-Unis, sous Ronald Reagan, alors qu'il est successivement gouverneur de Californie puis chef de l'État fédéral. Pour ses partisans, la stimulation de l'offre — au contraire de la stimulation keynésienne de la demande effective — est présentée comme le facteur clé de succès pour l'encouragement — et si nécessaire la relance — de l'économie générale : des auteurs comme Arthur Laffer préconisent la dérégulation et la levée de toutes les « contraintes » — en particulier fiscales — qui pèsent sur les agents économiques porteurs de l'initiative privée : privatisations, allègements fiscaux, flexibilité du marché du travail, suppression de l'État-providence, diminution des cotisations sociales, réduction des dépenses publiques, retour à l'équilibre du budget de l'État, encouragement à l'épargne…

Pour Michel Santi, le néolibéralisme est un capitalisme oligarchique depuis les années 1980, qu'il qualifie de « nouvelle théologie », dans laquelle il faut dépenser et où le slogan est « je dépense donc je suis »[25].

Consensus de Washington

Le consensus de Washington[N 1] selon John Williamson[26] résume en 10 points les propositions qu'on qualifie de « néolibérales » :

  • Politique budgétaire : les déficits n'ont d'effets positifs qu'à court terme sur l'activité et le chômage, alors qu'ils seront à la charge des générations futures. À long terme, ils produisent inflation, baisse de productivité et d'activité. Il faut donc les proscrire, et n'y recourir qu'exceptionnellement lorsqu'une stabilisation l'exige ;
  • Les dépenses publiques doivent se limiter à des actions d'ampleur sur des éléments clefs pour la croissance et le soutien aux plus pauvres : éducation, santé publique, infrastructures… Les autres subventions (spécialement celles dans une logique de guichet) sont nuisibles ;
  • Politique fiscale : les impôts doivent avoir une assiette large et des taux marginaux faibles de manière à ne pas pénaliser l'innovation et l'efficacité ;
  • Politique monétaire : les taux d'intérêt doivent être fixés par le marché ; ils doivent être positifs mais modérés ;
  • Pas de taux de change fixe entre les monnaies ; a contrario, les changes flottants, selon cette théorie, sont censés apporter moins de réserves de changes, des ajustements plus progressifs entre les monnaies, moins de volatilité et une meilleure allocation du capital mondial.
  • Promotion de la libéralisation du commerce national et international : cela encourage la compétition et la croissance à long terme. Il faut supprimer les quotas d'import ou export, abaisser et uniformiser les droits de douanes…
  • Libre circulation des capitaux pour favoriser l'investissement ;
  • Privatisation des entreprises publiques, démantèlement des monopoles publics pour améliorer l'efficacité du marché et les possibilités de choix offertes aux agents économiques ;
  • Déréglementation ; à l'exception des règles de sécurité, de protection de l'environnement, de protection du consommateur ou de l'investisseur, toutes les règles qui entravent la concurrence et empêchent les nouveaux compétiteurs d'entrer sur un marché doivent être éliminées ;
  • La propriété doit être légalement sécurisée ;
  • Financiarisation.

Limites

Dans un article publié en 2016, trois économistes du Fonds monétaire international remettent en cause le néolibéralisme mis en avant par le Fonds, notamment les politiques d'austérité et de privatisations, en raison de la baisse de production qui en est souvent la conséquence, et l'ouverture des marchés de capitaux lorsqu'ils sont incontrôlés et deviennent la cause de crises financières[27].

Selon Joseph E. Stiglitz, le néolibéralisme est un « fondamentalisme de marché » que la réalité a réfutée, le laissez-faire sur les marchés n'est ni efficient ni stable, citant en exemple la crise financière de 2008, les poussées de chômage, les inégalités massives, « tous ces problèmes seraient bien pires s'il n'y avait pas une intervention à grande échelle de l'État »[28].

Écoles économiques parfois qualifiées de « néolibérales »

Le terme « néolibéral » est employé d'abord et surtout pour qualifier des écoles économiques libérales, telles que l'école autrichienne et l'école de Chicago ainsi que certains de leurs chefs de file tels que Milton Friedman ou Friedrich Hayek, deux hommes qui n'ont jamais revendiqué ce terme.[réf. nécessaire]

Périmètre flou de la famille néolibérale

Pour autant un certain flou plane sur le périmètre exact de la famille « néolibérale » :

  • Aux États-Unis, le keynésianisme, pourtant en opposition profonde avec le monétarisme et le libéralisme classique, peut être considéré comme néolibéral. John Maynard Keynes se réclame lui-même comme « new liberal » lorsqu'il soutient sa doctrine interventionniste.
  • Les penseurs anglo-saxons[réf. nécessaire] distinguent cependant ce new liberalism du neoliberalism, l'acception du second terme étant refusée à Keynes ; sa pensée est en effet soit considérée comme une relecture du libéralisme soit comme s'inscrivant dans le mouvement social-démocrate[réf. nécessaire].
  • Cette ambiguïté sur les significations de « libéral » entre l'Europe et l’Amérique du Nord trouve son explication dans l'évolution sémantique du terme « libéral » aux États-Unis. Pendant la première moitié du XXe siècle de nombreux socialistes et sociaux-démocrates américains ont préféré utiliser ce mot afin de gommer toute référence au socialisme européen. L'auteur libertarien David Friedman remarque en effet : « Une des tactiques efficaces du socialisme galopant, aux États-Unis en particulier, a été d'annexer des mots qui ont une connotation favorable. Le meilleur exemple est le terme liberal. Au XIXe siècle, un libéral était partisan d'une politique économique de laissez-faire, du libre-échange, […] des libertés civiles. Le mot avait des connotations extrêmement positives, même aujourd'hui […] illiberal est toujours péjoratif. Les socialistes se sont opposés aux politiques économiques libérales. Ceux qui eurent le plus de succès, au lieu de dire que le libéralisme était mauvais, […] se donnèrent le nom de libéraux […] et appelèrent leurs adversaires « conservateurs » »[29].

Dès lors, il est compréhensible que cette différence de perception à propos du terme « libéral » rejaillisse sur le terme « néolibéral ».

Pour Pierre Bourdieu

Le sociologue Pierre Bourdieu, dans un article du Monde diplomatique daté de , semble voir « l’essence du néolibéralisme » dans ce qu’il appelle le « mythe walrassien de la « théorie pure ». Selon Bourdieu, le programme néolibéral « tend globalement à favoriser la coupure entre l’économie et les réalités sociales ». C'est « un programme de destruction méthodique des collectifs », c'est-à-dire de « […] toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur : nation, dont la marge de manœuvre ne cesse de décroître ; groupes de travail, avec, par exemple, l’individualisation des salaires et des carrières en fonction des compétences individuelles et l’atomisation des travailleurs qui en résulte ; collectifs de défense des droits des travailleurs, syndicats, associations, coopératives ; famille même, qui, à travers la constitution de marchés par classes d’âge, perd une part de son contrôle sur la consommation »[30].

Néolibéralisme, nouvel avatar du capitalisme ?

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Le capitalisme moderne tend à reposer sur une plus grande liberté de commerce par négociation au sein de grandes institutions internationales comme l'Organisation mondiale du commerce permettant une ouverture des marchés mondiaux élargie, qui ne se limite plus aux marchandises, mais s'étend à d'autres domaines, comme la finance et les hommes. La libéralisation, prônée par ces organismes, consiste en la suppression de barrières réglementaires nationales. Les services, avec le développement des accords AGCS, mais également l'ouverture à la concurrence de marchés, comme la santé et l'éducation et les services sociaux, autrefois dévolus aux États, sont concernés. Ainsi, le capitalisme s'étend à de nouveaux domaines de la vie humaine. Les opposants au néolibéralisme utilisent l'expression « marchandisation du monde » pour marquer leur hostilité à ce développement du capitalisme.

Le capital est moins centré qu'avant sur la détention d'entreprise d'un pays donné. La version moderne, qui serait un effet du « néolibéralisme » est la capacité à échanger et faire circuler du capital dématérialisé (les actions) sur un marché mondial : ces échanges de capitaux n'impliquent aucun déplacement physique, et sont une simple écriture électronique dans les ordinateurs des banques du monde. Le marché des actifs négociables a pris une place dans de nouveaux domaines, comme l'eau, l'électricité, etc. Elle tend à en couvrir de plus en plus, comme l'extension des transactions aux droits à polluer, comme la Bourse du carbone.

Relais médiatiques du « néolibéralisme »

En , l'écrivaine et militante altermondialiste Susan George publie un article dans le mensuel Le Monde diplomatique où elle relève un cas de conflit d'intérêt à grande échelle dans la médiatisation d'une conférence de Francis Fukuyama (alors inconnu du grand public) en 1988, « proclamant la victoire totale de l’Occident et des valeurs néolibérales dans la guerre froide ». Il impliquait M. Allan Bloom, alors directeur du Centre Olin pour l'étude de la théorie et la pratique de la démocratie à l'université de Chicago (et recevant chaque année 36 millions de dollars de la Fondation Olin) ; le bimensuel The National Interest, qui reçoit un million de dollars de subvention d'Olin et dont le directeur est M. Irving Kristol (lui-même financé à hauteur de 326 000 dollars par la Fondation Olin) et M. Samuel Huntington, alors directeur de l'Institut Olin d'études stratégiques à Harvard (financé à hauteur de 14 millions de dollars par Olin). Susan George conclut que « le “débat” ainsi lancé par quatre bénéficiaires de fonds Olin autour d’une conférence Olin dans une revue Olin se retrouve bientôt dans les pages du New York Times, du Washington Post et de Time. Aujourd’hui, tout le monde a entendu parler de M. Francis Fukuyama et de La Fin de l’Histoire, devenu un best-seller en plusieurs langues ! La boucle idéologique est bouclée »[31].

Notion dénoncée

Le journaliste Ed Conway (en) de Sky News note que, contrairement à d'autres idéologies, presque personne ne se revendique « néolibéral », et explique que pour lui ce terme est devenu une insulte. Une analyse publiée en 2009 des publications scientifiques utilisant le terme néolibéralisme constate que les trois quarts d'entre elles ne le définissent pas. Parmi les auteurs qui le définissent, le terme est pour les uns synonyme de désengagement total de l'État, pour les autres signifie que l'État doit jouer un rôle actif dans l'économie[32],[33].

Pour le sociologue Christian Laval et le philosophe Pierre Dardot, la confusion entre libéralisme, néolibéralisme et ultralibéralisme est largement répandue[34]. L'économiste Dani Rodrik voit dans le néolibéralisme un terme « fourre-tout », qui rassemble ce qui a trait aux libéralisations, privatisations, ou aux politiques d'austérité, voire tout ce qui provoque la pauvreté ou les inégalités[35].

Dans son livre Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, le philosophe Serge Audier trouve de nombreuses formes du néolibéralisme : École autrichienne, École de Chicago, ordolibéralisme ou anarcho-capitalisme, au contraire d'une vision caricaturale qu'on peut trouver chez certains antilibéraux[36].

Le journaliste Dominique Seux constate que les dépenses publiques, les impôts et le déficit public sont en France parmi les plus élevés de l'OCDE et de l'Union européenne, pourtant une partie de la population considère que ce pays est néolibéral. Son explication est qu'après la chute du Mur de Berlin, il n'est plus possible de dénoncer le libéralisme devant l'échec du collectivisme, le néolibéralisme prend donc le relais. Il déplore que le néolibéralisme est un concept vague et « à côté de la plaque », et que s'il y a lieu de critiquer la mauvaise gestion des entreprises privées au sein du libéralisme, il ne faut pas « tout mélanger dans une sorte de gloubi-boulga »[37].

Ainsi le journaliste français Jean-François Kahn affirme que le néolibéralisme, pensée plus récente que le libéralisme, déguise en fait un antilibéralisme : le libéralisme suppose selon lui une superstructure capable de faire respecter la libre concurrence contre les conglomérats (lois antitrust, État fort pour les faire respecter), alors que le néolibéralisme contesterait les deux, condamnant le véritable libéralisme au profit d'oligopoles imposant, par entente tacite, des prix dont la demande ne déciderait pas[réf. nécessaire].

L'historien des idées Pierre-André Taguieff réplique[Quoi ?] que le néolibéralisme est la plus récente dénonciation du diable chez les « démagogues néo-gauchistes »[38] ou, autrement dit, chez les partisans de ce qu'Alain Wolfelsperger appelle l'« ultra-antilibéralisme »[39].

Notes et références

Notes

  1. parce que partagées par les organisations économiques basées dans cette ville (le FMI, la Banque mondiale…)

Références

  1. Gilles Dostaler, Le Libéralisme de Hayek, La découverte, 2001, p. 107.
  2. Le Nouveau Petit Robert, 1993.
  3. « For Keynes was, for want of a better word, a “neoliberal”, perhaps the earliest. By his own admission, Keynes lay at the “liberal socialist” end of the broad spectrum of political and social thought that runs to Ludwig von Mises, Hayek and successors such as Milton Friedman at the other » in Moggridge, Keynes, Fontana books, 1976, p. 42.
  4. Cristina Ciucu, "Acculturation néolibérale. L'uniformisation du monde et ses racines intellectuelles" in Concerter les civilisations. Mélanges en l'honneur d'Alain Supiot, Samuel Jubé et Samantha Besson (dir.), Paris, Seuil, 2020, p. 97-108 en ligne
  5. voir les publications d'Esther Duflo, d'Amartya Sen ou de Jean-Baptiste de Foucauld
  6. Idée attribuée à Henri Guaino et reprise par Jacques Chirac à plusieurs reprises lors de sa campagne présidentielle de 1995
  7. Voir l'action de l'Organisation "Global Witness" ou les actions correctrices de l'Agenda 21
  8. Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, (ISBN 2080811924).
  9. En général les écrits universitaires fixent le début du néo-libéralisme au colloque Lippmann. Denord, 2001, p. 10 ; Bilger, 2003, p. 6.
  10. Bilger, 2003, p. 6
  11. Col. Lipp., 1939, p. 36-37.
  12. Bilger, 2003, p. 3
  13. Jacques Cros (1922 - 1976), Le Néo-libéralisme : étude positive et critique (1951) p. 338 et suivantes
  14. Kuisel, 1984, p. 273-274
  15. Kuisel, 1984, p. 274
  16. Sylvie ARSEVER, « Quand le renouveau libéral se préparait au Mont-Pèlerin », sur Le Temps, (consulté le ).
  17. Bilger, 2003, p. 7-8
  18. Bilger, 2003, p. 7
  19. Bilger, 2003, p. 8
  20. Bilger, 2003, p. 9
  21. Vittorio De Filippis et Pierre Larrouturou, « L’hyperlibéralisme nous conduit dans le mur », Libération,
  22. « Altermondialistes tout terrain » de Jacques Nikonoff dans Le Monde diplomatique de
  23. « Le régime « néolibéral » sape les fondements de la souveraineté populaire en transférant le pouvoir de décision des gouvernements nationaux à un « parlement virtuel » d'investisseurs et de prêteurs, préalablement organisés dans de grandes entreprises. Ce parlement virtuel peut exercer un « droit de veto » contre les projets gouvernementaux au moyen de fuites de capitaux et d'attaque contre les monnaies » écrivait notamment Noam Chomsky en 1999, Raison & liberté. Sur la nature humaine, l'éducation & le rôle des intellectuels, Agone, coll. « Banc d'essais », 2010, p. 235).
  24. (en) Cohen, Joseph Nathan (2007), The Impact of Neoliberalism, Political Institutions and Financial Autonomy on Economic Development, 1980–2003, Dissertation, Department of Sociology, Princeton University. 2007
  25. Michel Santi, « Ainsi soit le néolibéralisme », sur latribune.fr, (consulté le ).
  26. (en) Williamson, John (1990), « What Washington Means by Policy Reform » in John Williamson, ed. Latin American Adjustment: How Much Has Happened? (Washington : Institute for International Economics
  27. Romaric Godin, « Quand le FMI critique le néolibéralisme... », sur La Tribune, (consulté le ).
  28. Joseph E. Stiglitz, Peuple, Pouvoir&Profits, le capitalisme à l'heure de l'exaspération sociale, Les liens qui libèrent, , p. 188
  29. David Friedman : Vers une société sans État, chapitre 13
  30. Pierre Bourdieu, « L'essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, (consulté le ), p. 3.
  31. Comment la pensée devint unique ? Le Monde diplomatique, .
  32. (en) Ed Conway, « Sky Views: What is neoliberalism and why is it an insult? », sur Sky News, (consulté le ).
  33. (en) Taylor C. Boas et Jordan Gans-Morse, « Neoliberalism: From New Liberal Philosophy to Anti-Liberal Slogan », Studies in Comparative International Development volume, (lire en ligne).
  34. Pierre Dardot et Christian Laval, « Au comble de la confusion entre «libéralisme» et «ultralibéralisme» », sur La Croix, (consulté le ).
  35. Dani Rodrik, « THÉORIE « Le néolibéralisme est une perversion de l’économie dominante » », sur Alternatives économiques, (consulté le ).
  36. Pierre Zaoui, « "Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle", de Serge Audier : un néolib' peut en cacher d'autres », sur Le Monde, (consulté le ).
  37. Dominique Seux, « France, pays néo-libéral : la preuve ? », sur franceinter.fr, (consulté le ).
  38. Pierre-André Taguieff : L’émergence d’une judéophobie planétaire, in Outre-terre, Revue française de géopolitique,
  39. L’ultra-antilibéralisme ou le style paranoïde dans la critique, Alain Wolfelsperger

Voir aussi

Ouvrages

  • Serge Audier, Aux origines du néo-libéralisme : Le colloque Lippmann, Le Bord de l'Eau, Collection : Les voies du politique, 2008.
  • Serge Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012.
  • Antony Burlaud, Allan Popelard, Grégory Rzepski (dir.), Le Nouveau monde. Tableau de la France néolibérale, Paris, Amsterdam, 2021 (ISBN 9782354802301)
  • Jacques Cros, Le Néolibéralisme, étude positive et critique, Librairie de Médicis, 1951.
  • Pierre Dardot et Christian Laval, La Nouvelle Raison du monde, essai sur la société néolibérale, Éditions La Découverte, Paris, 2009
  • François Denord, Néo-libéralisme version française, histoire d'une idéologie politique, Demopolis, 2007.
  • Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Gallimard/Seuil, 2004.
  • Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière, Fayard, 2004
  • David Harvey, Une brève histoire du néolibéralisme, 2005 (trad. 2004), éd. Les Prairies ordinaires, coll. Penser Croiser
  • Miguel Karm, L'Europe à l'économie du politique. La contribution des premiers néo-libéraux aux projets de gouvernance économique de l’Europe – paradigmes doctrinaux et implications politiques (1938-1958) : institutionnalisation, restauration et régulation du marché, planisme libéral, fédération et communauté des nations, thèse doctorat, U. Paris II, 2005
  • Steve Keen, L'imposture économique (Debunking Economics), éditions de l’Atelier, 2014
  • Richard F. Kuisel, 1984, Le Capitalisme et l'État en France, Gallimard
  • Alain Laurent, Le Libéralisme américain, histoire d'un détournement, Les Belles Lettres, 2006
  • Christian Laval, L'Homme économique, essai sur les racines du néolibéralisme, Gallimard, coll. « Nrf essais », 2007, 396 p.
  • Henri Lepage, Demain le capitalisme, 1978, Livre de poche, (ISBN 978-2-253-01885-8)
  • Laurent Mauduit, Les Imposteurs de l'économie : Les économistes vedettes sous influence, Paris, Gawsewitch, , 263 p. (ISBN 9782266234078).
  • René Passet, L'Illusion néo-libérale, Flammarion, coll. « Champs », 2001.
  • Gaëtan Pirou, Néo-libéralisme, néo-corporatisme, néo-socialisme, Paris, Gallimard, 1939.
  • Travaux du centre international d’études pour la rénovation du libéralisme, (1939), Le colloque Lippmann, Paris, Librairie de Médicis. En abrégé (Col.Lipp., 1939)
  • Aihwa Ong, Neoliberalism as Exception: Mutations in Citizenship and Sovereignty. Durham: Duke University Press, 2006
  • Vincent Valentin, Les conceptions néo-libérales du droit, Economica, Paris, 2002
  • Christian de Montlibert, Résistances au néolibéralisme, Éditions du Croquant, 2019, 344 p.
  • Eric Berr, L'intégrisme économique, Paris, Les liens qui Libèrent, 2017, 176 p.

Articles

  • François Bilger, « La Pensée néolibérale française et l’ordo-libéralisme allemand », in Patricia Commun (éd.), L’Ordo-libéralisme allemand, Cergy-Pontoise, CIRACC/CICC, 2003 [lire en ligne] (les numéros de page indiqués dans les notes de bas de page sont ceux de la version en ligne)
  • Francis Clavé, « Walter Lippmann et le néolibéralisme de la Cité libre », Cahiers d’économie politique, no 48, 2005, p. 79-110.
  • François Denord, « Aux Origines du néo-libéralisme en France : Louis Rougier et le Colloque Walter Lippmann de 1938 », Le Mouvement social, no 195, 2001, p. 9-34.
  • Christian Laval, « Penser le néolibéralisme. À propos de Les Habits neufs de la politique mondiale de Wendy Brown et de Néolibéralisme version française de François Denord » in La Revue internationale des livres et des idées, no 2, novembre-. [lire en ligne].
  • Jean Piel, « Le virage néolibéral planétaire depuis 25 ans : la nouveauté proclamée ou le dernier avatar du capitalisme toujours tel qu’en lui-même ? », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Debates, 2007. [lire en ligne]
  • Suresh Naidu, Dani Rodrik et Gabriel Zucman, « L'économie après le néolibéralisme », sur Le Grand Continent, (consulté le )

Articles connexes

Liens externes

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