Protoaurignacien

Le Protoaurignacien, ou Proto-Aurignacien, ou encore Aurignacien archaïque, est une culture archéologique du Paléolithique supérieur, associée à une vague d'arrivée d'Hommes modernes en Europe, autour de 42 000 à 39 000 ans avant le présent (AP).

Protoaurignacien
ou Proto-Aurignacien
Lamelles retouchées des niveaux protoaurignaciens A1 et A2 de la grotte de Fumane, Italie
Définition
Autres noms Aurgnacien archaïque
Lieu éponyme Aurignac
Auteur Georges Laplace, 1966
Caractéristiques
Répartition géographique Europe du Sud
Période Paléolithique supérieur
Chronologie 42 000 à 39 000 ans AP
Type humain associé Homo sapiens
Tendance climatique Interpléniglaciaire (SIO 3)
période froide entre deux périodes glaciales

Le Protoaurignacien est en général associé à la première phase de l'Aurignacien et à son arrivée en Europe, il présente de nombreux traits archaïques et ne précède pas toujours la phase suivante de l'Aurignacien qu'est l'Aurignacien ancien (ou Aurignacien I)[1]. Ainsi, on le retrouve souvent en Europe du Sud mais pas en Europe du Nord.

De fait, certains auteurs comme Nicolas Teyssandier entrevoient « la distinction chronologique et technologique d'au moins deux grandes traditions - le Protoaurignacien et l'Aurignacien ancien »[2], c'est-à-dire l'arrivée en Europe de deux cultures indépendantes, protoaurignacienne au sud et aurignacienne ancienne au nord, avant que l'Aurignacien classique ne se retrouve par la suite dans toute l'Europe[2].

Il pourrait trouver son origine dans l'Émirien ou l'Ahmarien, cultures archéologiques plus anciennes situées au Proche-Orient[3].

Historique

Georges Laplace identifie le protoaurignacien pour la première fois à l'abri Mochi (dans le complexe des grottes de Balzi Rossi) en Ligurie italienne[4], puis en décrit le faciès culturel sous le nom d'« Aurignacien archaïque » dans Recherches sur l'origine et l'évolution des complexes leptolithiques en 1966[5].

Puis cet Aurignacien archaïque a été reconnu dans les Pyrénées, la Cantabrie et le Sud de la France. Sa reconnaissance en tant que sous-unité culturelle propre de l'Aurignacien a pris du temps. On l'a ainsi nommé Aurignacien archaïque, Proto-Aurignacien, Protoaurignacien, Aurignacien Initial, Aurignacien 0. Finalement, le terme de « Protoaurignacien » semble l'emporter dans la littérature scientifique récente.

Ainsi, dans la stratigraphie des fouilles, on distingue jusqu'à 5 phases ou sous-unités de l'Aurignacien : Protoaurignacien (0), Aurignacien ancien (I), Aurignacien évolué ou classique (II), Aurignacien récent (III), Aurignacien tardif ou final (IV).

Caractéristiques

Noyau (nucléus) de lame semi-circonférentiel remonté (grotte de Fumane). La progression de la taille est parallèle à l'axe du nucléus et est toujours unidirectionnelle[6].
Grotte de Fumane, couches A1-A2 protoaurignaciennes : échantillon de lames (1, 13-21) et lamelles (2-12) de différentes tailles avec des motifs de marques unidirectionnelles.

Le débitage en série de lamelles (petites lames) à partir d'un bloc préparé caractérise fortement le Protoaurignacien (voir photo de l'introduction) : celles-ci sont obtenues par débitage laminaire à partir de nucléus prismatiques ou d'éclats. Comparé à des lamelles aurignaciennes classiques, les lamelles proto-aurignaciennes sont de plus grandes dimensions, à tendance souvent rectiligne. Une production lamellaire à partir de pièces carénées est également présente. Ces lamelles sont ensuite finies par retouchage afin d'obtenir des lamelles Dufour ou des lamelles à dos.

À côté de ces lamelles, on retrouve aussi une production de lames qui fournit pour l’essentiel des grattoirs, burins et des lames retouchées[7].

Certains auteurs rajoutent comme caractéristique la production de « pointes de Font-Yves[8] », mais cela est contesté par d'autres auteurs qui distinguent les pointes du Protoaurignacien des pointes de Font-Yves[9].

La technique du débitage laminaire est aussi particulière[3] :

  • débitage unipolaire semi-tournante ;
  • percussion directe au moyen d'un percuteur tendre (bois, bois de cervidé, pierre calcaire tendre) ;
  • la finalité du débitage qui est l'obtention de lamelles minces et pointues ;
  • les outils lamellaires sont retouchés (lamelles Dufour, pointes de Font-Yves, lamelles à dos minces)
  • la production de lames et lamelles au sein d’une même chaîne opératoire (mais pas toujours[6]).

Cette technique de débitage se retrouve dans l'Ahmarien du Proche-Orient[3].

En dehors de la production lithique, le protoaurignacien présentent des objets de parures faits de coquillages, dents ou ambres percés[10], ainsi que le travail de matières dures animales comme la réalisation de pointes de sagaie à base fendue en ivoire[2] ou en bois de rennes[11]. Ainsi, le travail des os est généralisé, et ce dans un but utilitaire ou décoratif.

Comparaison

Le Protoaurignacien se distingue des autres cultures précédentes ou contemporaines:

  • Du Moustérien (Paléolithique moyen) par un débitage volumétrique et en série de lames/lammelles, l'absence de débitage Levallois, la généralisation du travail des matières osseuses (présent mais plus rare pour le Moustérien), et la présence de coquillages percés pour faire des colliers à parure. Le Protoaurignacien constitue une vraie rupture par rapport au Moustérien[7] et appartient aux cultures du Paléolithique supérieur.
  • Du Châtelperronien (Paléolithique supérieur) par l'absence de pointe de Châtelperron et la présence de lamelle Dufour.
  • De l'Uluzzien (Paléolithique supérieur) par l'absence de débitage bipolaire et la présence de lamelle Dufour par débitage unipolaire puis retouches.
  • De l'Aurignacien ancien (Aurignacien I) par des lamelles plus grandes et beaucoup moins de grattoirs carénés ainsi que retouches dite aurignaciennes[2],[7]. L'aurignacien ancien contient moins de lamelles retouchées[6]. Une autre différence était la quasi-absence de pointes à base fendue dans le protoaurignacien alors qu'elles se retrouvent dans l'Aurignacien ancien; cependant les découvertes récentes de ces pointes dans des niveaux protoaurignacien[2] ,[11], ainsi que leur absence dans la première couche de l'Aurignacien ancien à Geißenklösterle (horizon III), estompent cette différence.

Toutefois, le Protoaurignacien se rapproche bien plus de l'Aurignacien ancien que des autres cultures : tous deux partagent un même fond commun technologique et culturel, et aucune caractéristique propre à l'une n'est entièrement exclue de l'autre[6]. La différence est plutôt au niveau du choix de la typologie lithique, le protoaurignacien produisant par exemple plus de grandes lamelles retouchées et l'Aurignacien ancien plus de grattoirs carénés et de pointes à base fendue. Toutefois, ce choix typologique est très homogène autant pour le Protoaurignacien que pour l'Aurignacien ancien (on le retrouve d'un site à l'autre), ce qui permet de différencier facilement ces deux cultures archéologiques.

Le Moustérien, quant à lui, est très différent de toutes cultures aurignaciennes et est rattaché aux cultures du paléolithique moyen. Le Châtelperronien et l'Uluzzien, bien qu'appartenant au Paléolithique supérieur, ont plus de points communs entre eux qu'avec l'Aurignacien, comme celui par exemple de conserver quelques éléments du Moustérien, ce qui leur vaut d'être caractérisés comme des « industries de transition ».

Répartition

Le protoaurignacien se retrouve principalement au Sud de l'Europe :

  • En France, dans tout le Sud (Aquitaine, Pyrénées, Occitanie, Provence), la façade Atlantique jusqu'à la Bretagne incluse, et le centre (sud du bassin Parisien)[12]; par contre, il est absent de la région Lyonnaise et de l'Auvergne[12].

Certains auteurs rajoutent des sites le long de la vallée du Danube comme Krems-Hundssteig en Autriche[2], Tincova dans le Banat en Roumanie et Kozarnika dans les Balkans[7]. Dans ces cas, les pointes Font-Yves sont alors remplacées par des pointes de Krems. Ceci permet de relier le protoaurignacien à l'Ahmarien au Proche-Orient et même au Baradostien en Irak et Iran[7]. Toutefois, même si certaines couches archéologiques de ces sites présentent de fortes similarités avec le Protoaurignacien, elles ne sont pas toutes acceptées par la majorité des chercheurs comme protoaurignaciennes, le niveau VII de Kozarnika par exemple[13],[3].

Sites importants

Carte montrant les principaux sites avec des niveaux protoaurignaciens ou des sites proches du protoaurignacien[6].

Liste non exhaustive des principaux sites protoaurignaciens au sens large (avec quelques sites de l'Aurignacien ancien)[6]:

On peut rajouter la grotte de Gatzarria dans les Pyrénées-Atlantiques, et Krems-Hundssteig en Autriche[2].

Datation

Coupe stratigraphique dans la grotte La Fabbrica en Italie centrale[15]. Moustérien en bas, Uluzzien au milieu, et Protoaurignacien en haut.

La multiplication des sites (ayant livré des niveaux protoaurignaciens) permet d'en donner une fourchette de datation autour de 41 000 ans calibrés AP. Toutefois, la limite de la datation par le carbone 14 donne souvent de trop larges incertitudes de mesure : par exemple, à la grotte Morin, les datations par le carbone 14 de 6 charbons issus des couches 8 et 9 ont livré une fourchette de 44 399 ans à 29 420 ans calibrés AP (intervalle de confiance de 95%)[16]. La grotte La Fabbrica en Toscane a permis d'identifier que les niveaux uluzziens et protoaurignaciens y sont antérieurs à l'éruption ignimbritique de Campanie[15] datée précisément de 39 280 ± 110 ans calibrés AP (soit environ 37 200 ans av. J.-C.). La borne basse pour la fin du Protoaurignacien est donc vers 39 000 ans calibrés AP en Italie. Le début du Protoaurignacien est plus discuté, entre 43 500 ans et 41 000 ans calibrés AP, la valeur 42 000 ans cal. AP étant en général la plus acceptée.

Dans la transition Paléolithique moyen-supérieur, le Protoaurignacien ne succède pas directement au Moustérien mais à l'Uluzzien en Italie et au Châtelperronien en France et en Espagne. Ce n'est seulement qu'en Provence et dans le Couloir du Rhône qu'il succède à un Moustérien tardif. Le Protoaurignacien est en général suivi par l'Aurignacien ancien.

Des sites avec de l'Aurignacien ancien et sans Protoaurignacien, comme Geißenklösterle dans le Jura souabe en Allemagne, et Willendorf II (pl) près du Danube, seraient datés de 42 000 à 43 000 ans AP[17], et seraient ainsi plus vieux que le Protoaurignacien. Toutefois, ces datations sont remises en cause et ne seraient pas antérieures à 40 000 ans[18], ce qui fait que l'Aurignacien ancien reste contemporain ou postérieur au Protoaurignacien, mais pas antérieur. Dans les sites où les deux cultures sont présentes dans les niveaux stratigraphiques, l'Aurignacien ancien est toujours au-dessus du Protoaurignacien, c'est-à-dire postérieur à ce dernier.

Références

  1. Nicholas J. Conard et Michael Bolus, « Chronicling modern human's arrival in Europe », Science, 15 mai 2015 : p. 754-756
  2. Nicolas Teyssandier, « l’émergence du Paléolithique supérieur en Europe : mutations culturelles et rythmes d’évolution », PALEO numéro 19, 2007, pages 367-389 (consulté le ).
  3. Tsenka Tsanova, « Les Débuts du Paléolithique supérieur dans l'Est des Balkans. Réflexion à partir de l'étude taphonomique et techno-économique des ensembles lithiques des sites de Bacho Kiro (couche 11), Temnata (couches VI et 4) et Kozarnika (niveau VII) », thèse de l'université de Bordeaux 1, 2008 (consulté le ).
  4. Gérard Onoratini, « Le Protoaurignacien : première culture de l'homme moderne de Provence et Ligurie », L'Anthropologie, volume 108, numéro 2, 2004, pages 239-249 (consulté le ).
  5. Georges Laplace, Recherches sur l'origine et l'évolution des complexes leptolithiques (E. de Boccard, Paris, 1966)
  6. Armando Falcucci, Nicholas J. Conard, Marco Peresani, « A critical assessment of the Protoaurignacian lithic technology at Fumane Cave and its implications for the definition of the earliest Aurignacian », PLoS ONE 12(12): e0189241, 2017 (consulté le ).
  7. Lars Anderson, François Bon, Jean-Guillaume Bordes, Amaranta Pasquini, Ludovic Slimak, Nicolas Teyssandier, « Relier des espaces, construire de nouveaux réseaux : aux origines du Protoaurignacien et des débuts du Paléolithique supérieur en Europe occidentale », Conférence Les systèmes de mobilité de la Préhistoire au Moyen âge, Antibes 2015 (consulté le ).
  8. Louis Pradel, « La pointe de Font-Yves », Bulletin de la Société préhistorique française, volume 75, numéro 8, pages 233-236, 1978 (consulté le ).
  9. Damien Pesesse, « La pointe de Font-Yves et les productions lithiques des derniers Aurignaciens », PALEO numéro 21, 2009-2010, pages 203-222 (consulté le ).
  10. Randall White et Christian Normand, « Les parures de l’Aurignacien ancien et archaïque de la grotte d’Isturitz : perspectives technologiques et régionales », Palethnologie, numéro 7, 2015 (consulté le ).
  11. Jonathan Ozcelebi, « Trou de la Mère Clochette », https://www.hominides.com/ (consulté le ).
  12. Samantha Thi Porter, Morgan Roussel, Marie Soressi, « A Comparison of Châtelperronian and Protoaurignacian Core Technology Using Data Derived from 3D Models », Journal of Computer Applications in Archaeology, 2(1), pages 41–55, 2019 (consulté le ).
  13. Tsenka Tsanova, Nicolas Zwyns, Laura Eizenberg, Nicolas Teyssandier, Foni LeBrun-Ricalens, Marcel Otte, « Le plus petit dénominateur commun : réflexion sur la variabilité des ensembles lamellaires du Paléolithique supérieur ancien d’Eurasie. Un bilan autour des exemples de Kozarnika (Est des Balkans) et Yafteh (Zagros central) », L'Anthropologie, volume 116, numéro 4, pages 469-509, 2012 (consulté le ).
  14. Frédéric Bazile, « La composante lamellaire dans l’Aurignacien initial de la France Méditerranéenne. », XIVe congrès de l’UISPP, Liège, 2-8 septembre 2001 (consulté le ).
  15. Paola Villa, Luca Pollarolo, Jacopo Conforti, Fabrizio Marra, Cristian Biagioni, Ilaria Degano, Jeannette J. Lucejko, Carlo Tozzi, Massimo Pennacchioni, Giovanni Zanchetta, Cristiano Nicosia, Marco Martini, Emanuela Sibilia, Laura Panzeri, « From Neandertals to modern humans: New data on the Uluzzian », Plos One, 13(5): e0196786, (consulté le ).
  16. [Maíllo et al. 2014] (es) José Maíllo, Carlos Arteaga, María Iriarte, Antonio Fernández, R. Wood et Federico Bernaldo de Quirós, « Cueva Morín (Villanueva de Villaescusa, Cantabria) », dans Pleistocene and holocene hunter-gatherers in Iberia and the Gibraltar strait: the current archaeological record, Universidad de Burgos, Fundación Atapuerca, , sur researchgate.net (lire en ligne), p. 72-78.
  17. L’Homme moderne européen jouait de la flûte voici 42 500 ans, Futura-Sciences, 29 mai 2012
  18. Nicolas Teyssandier, João Zilhão, « On the Entity and Antiquity of the Aurignacian at Willendorf (Austria): Implications for Modern Human Emergence in Europe », Journal of Paleolithic Archaeology, volume 1, pages 107-138, 2018 (consulté le ).

Annexes

Articles connexes

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