Rachel Félix

Élisabeth-Rachel Félix, dite Rachel ou Mlle Rachel, est une actrice née le à Mumpf (Suisse) et morte le au Cannet[1]. Grande tragédienne, elle fut un modèle pour Sarah Bernhardt.

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Rachel FélixRachel
William Etty, Mademoiselle Rachel (entre 1841 et 1845),
York Art Gallery.
Surnom Mlle Rachel
Nom de naissance Élisabeth-Rachel Félix
Naissance
Mumpf (Suisse)
Décès
Le Cannet
Lieux de résidence Paris
Activité principale Actrice
Lieux d'activité Paris

Scènes principales

Biographie

Fille de Jacob Félix, colporteur ambulant juif né à Metz (1796–1872), et d'Esther-Thérèse Hayer née à Gerstheim (1798–1873), Élisabeth Félix naît à Mumpf en Suisse, dans une auberge où sa mère s'est arrêtée, trop fatiguée pour continuer jusqu'à Endingen, la seule localité de la région qui tolère le séjour de juifs. Elle est la seconde fille, après Sarah, du couple qui aura encore un fils, Raphaël, et trois filles[2].

Sa famille misérable erre de ville en ville à la poursuite d'une pitance que leur apportent la vente de colportage du père et celle des colifichets de la mère. Élisabeth Félix vit une partie de sa jeunesse à Hirsingue, dans le sud de l'Alsace (Sundgau).

Comme d'autres parents miséreux de cette époque, le père considère ses enfants comme une source de revenus : Élisabeth chante en s'accompagnant à la guitare avec sa sœur aînée Sarah, récite et mendie dans les rues des villes (d'Alsace, puis à Besançon, Lyon, Saumur…) que ses parents traversent avant leur arrivée à Paris en 1831, où la famille s'installe dans un mauvais logement rue des Mauvais-Garçons, puis place du Marché-Neuf dans l'île de la Cité.

Analphabète, Élisabeth Félix suit alors les cours du musicien Alexandre-Étienne Choron et de Saint-Aulaire, et prend quelques cours d'art dramatique au Conservatoire. Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle débute en au théâtre du Gymnase. Delestre-Poirson, le directeur, lui fait prendre comme nom de scène Rachel, nom qu'elle adopte dès lors également dans sa vie privée.

Auditionnée en , elle entre au Théâtre-Français à l'âge de 17 ans. Son succès est immédiat. Elle débute dans le rôle de Camille dans Horace, tragédie de Pierre Corneille. La recette s'élève à 735 francs le premier soir, pour atteindre, dix-huit jours plus tard, la somme de 4 889,50 francs.

Rachel dans Le Cid (rôle de Chimène).

Son interprétation des héroïnes des tragédies de Corneille, Racine et Voltaire la rendent célèbre et adulée, et remettent à la mode la tragédie classique, face au drame romantique. Elle créa un modèle nouveau d'actrice et de femme et fut une des femmes les plus célèbres de son siècle. Elle fut ainsi portraiturée, entre autres, par le sculpteur Jean-Auguste Barre.

Elle ne fait toutefois pas l’unanimité en raison, paradoxalement, de ses indéniables talents d’actrice. Ainsi, Victor Hugo qui « admire Rachel sans passion », aime citer le mot de Frédérick Lemaître[3] : « Rachel ? la perfection, et rien de plus ! »

En 1850, elle est reçue par le roi de Prusse qui lui fait élever dans le parc du château de l'île aux Paons, près de Potsdam, une statue qui sera détruite par les nazis en 1935[2].

Victor Hugo l’admire et Gustave Flaubert écrit sur son jeu : « Les plus rustres se sont sentis émus, les plus grossiers étaient touchés, les femmes applaudissaient dans les loges, le parterre battait de ses mains sans gants, la salle trépignait ; et à l’heure où j’écris ceci à la hâte j’en suis encore tout troublé, tout ravi, j’ai encore la voix de la grande tragédienne dans les oreilles et son geste devant les yeux. »

Elle se lie d'amitié avec Alfred de Musset qui trace d'elle en 1839 un beau portrait dans une lettre à sa « marraine », Madame Jaubert (lettre éditée par Paul de Musset en 1859 sous le titre Un souper chez Mademoiselle Rachel). Après la mort de l'actrice Musset écrit un poème intitulé À Mademoiselle Rachel qui se termine par ces vers : « Mon génie était dans ta gloire ; Mon courage était dans tes yeux. »

À Londres elle rencontre Louis-Napoléon, qui devient président de la République deux ans plus tard, puis empereur. Elle aura une aventure avec Napoléon-Jérôme Bonaparte, cousin germain de Napoléon III et avec le comte Colonna Walewski, fils naturel de Napoléon Ier. François d’Orléans, prince de Joinville (fils du roi Louis-Philippe) fut aussi l’un de ses amants.

Elle eut deux fils : Alexandre (), du comte Walewski, fils de Napoléon et de Marie Walewska, et Victor Gabriel () d'Arthur Bertrand, fils du maréchal Bertrand.

Rachel meurt à 36 ans, le , des suites d'une tuberculose, entourée par dix représentants du Consistoire israélite de Nice et en prononçant la prière du Shema Israel. Lors de ses derniers moments, elle demanda à sa sœur Sarah d'appeler le grand rabbin de France Lazare Isidor pour qu'il vienne à son chevet mais il arriva trop tard[2],[4].

Rachel, gravure d'après le tableau de Charles Müller.

Elle repose dans le carré juif du cimetière du Père-Lachaise (division 7). Malgré de nombreuses pressions — Chateaubriand ne cessa d'argumenter pour la convertir au christianisme et son dernier amant essaya même de la convertir en ses derniers instants —, elle avait voulu conserver durant les trente-sept années de sa vie, la foi de ses ancêtres[2],[5].

Rôles

Au Théâtre-Français :
Édouard Dubufe, Madame R. ou Rachel dans le rôle de Camille (vers 1850), Comédie-Française, Paris.
  • 1838 : Camille dans Horace de Corneille ( au ) ; Émilie dans Cinna de Corneille () ; Hermione dans Andromaque de Racine () ; Aménaïde dans Tancrède de Voltaire ; Ériphile dans Iphigénie en Aulide de Racine ; Monime dans Mithridate de Racine ; Roxane dans Bajazet de Racine (), l'un de ses meilleurs rôles ;
  • 1839 : Esther dans Esther de Racine () ; Laodice dans Nicomède de Corneille () ; Dorine dans Tartuffe de Molière () ;
  • 1840 : Pauline dans Polyeucte martyr de Corneille () ; première tournée en France en été (Rouen, Le Havre, Lyon) ; Marie Stuart dans Marie Stuart de Lebrun () ;
  • 1841 : tournée en Belgique et en Angleterre (été) ;
  • 1842 : Chimène dans Le Cid de Corneille () ; Ariane dans Ariane de Thomas Corneille () ; tournée en Angleterre et en Belgique (été) ; Frédégonde dans Frédégonde et Brunehaut de Lemercier () ;
  • 1843 : Phèdre dans Phèdre de Racine () ; Judith dans Judith de Girardin () ; tournée à Rouen, Marseille et Lyon (été) ;
  • 1844 : Bérénice dans Bérénice de Racine () (5 représentations, 1844) ; Isabelle dans Don Sanche d'Aragon de Corneille () ; Catherine dans Catherine II de Romand () ; Marinette dans Le Dépit amoureux de Molière (1er juillet) ; tournée en Belgique (été) ;
  • 1845 : Virginie à Brest () ; Polyeucte à Nancy () ;
    Statue de Rachel.
  • 1846 : tournée aux Pays-Bas, à Liège et à Lille (juin) ; tournée à Londres (juillet-août) ;
  • 1847 : la Muse sérieuse dans L'Ombre de Molière () ; Fatine dans Le Vieux de la montagne () ; Athalie de Racine () ; tournée à Londres, aux Pays-Bas et à Liège (mai-juin) ;
  • 1848 : Horace ( ; tournée à Amsterdam (juin-octobre) ; Britannicus (octobre) ;
  • 1849 : Andromaque (janvier) ; Lesbie dans Le Moineau de Lesbie () ; Adrienne Lecouvreur () ; tournée dans l'ouest et le sud-ouest de la France ( au ) ;
  • 1850 : Mlle de Belle-Isle () ; Thisbé dans Angelo () ; Lydie dans Horace et Lydie () ; tournée à Londres, Hambourg, Berlin, Potsdam, Brême, Vienne, Munich (juillet-octobre) ;
  • 1851 : tournée ;
  • 1853 : tournée ;
  • 1854 : tournée à Varsovie, Saint-Pétersbourg au théâtre Michel et Moscou (janvier-avril) ;
  • 1855 : tournée à New York et aux États-Unis (septembre-décembre) et à Cuba, dissolution de la troupe (décembre).

Anecdotes

Tombe de Rachel au cimetière du Père-Lachaise (division 7).

Alors qu'elle est présentée à Châteaubriand vieillissant chez Madame Récamier en 1840, il déplore :

« Quel chagrin de voir naître une si belle chose, quand on va mourir.

- Mais, monsieur le Vicomte, il y des hommes qui ne meurent pas ! », lui répond-elle[5].

La mort de Rachel eut la conséquence juridique inattendue de contribuer à l'édification de la jurisprudence sur le droit à l'image. C'est en effet à l'occasion d'un contentieux relatif à la publication d'un dessin[6] représentant l'actrice sur son lit de mort et exécuté à partir d'une photographie de la scène[7], que le tribunal civil de la Seine, saisi par la sœur de l'actrice, rendit le l'une de ses premières décisions sur la question[8].


En 1851, Charlotte Brontë, profitant de ce que Rachel se produit à Londres dans la pièce Adrienne Lecouvreur, décide d'aller assister à une des représentations (en français) en compagnie de son éditeur. Elle retourne la voir dans une autre pièce, Horace, quelques jours plus tard. Ce n'est peut-être pas la première fois qu'elle la voit : Charlotte était à Bruxelles en 1842 quand Rachel y donna plusieurs représentations au théâtre de la Monnaie.

Comme la plupart de ses contemporains, Charlotte est fascinée par la comédienne au point qu'elle décide de l'intégrer dans son dernier roman, Villette, sous le nom de Vashti[9] :

For a while — a long while — I thought it was only a woman, though an unique woman, who moved in might and grace before the multitude.

By-and-by I recognised my mistake. Behold! I found upon her something neither of woman nor of man: in each of her eyes sat a devil. These evil forces bore her through the tragedy, kept up her feeble strength — for she was but a frail creature; and as the action rose and the stir deepened, how wildly they shook her with their passions of the pit! They wrote HELL on her straight, haughty brow. They tuned her voice to the note of torment. They writhed her regal face to a demoniac mask. Hate and Murder and Madness incarnate she stood.

It was a marvellous sight, a mighty revelation.

It was a spectacle low, horrible, immoral[10].

Portant souvent des vêtements à base de dentelle de Valenciennes, elle donne son nom à des métiers à tisser la dentelle créé au XIXe siècle, les « machines Rachel »[11].

Galerie

Bibliographie

  • Louis Barthou, Rachel, éditions Félix Alcan, 1926
  • Ariane Charton, Alfred de Musset, coll. « Folio » (biographie), Gallimard, Paris, 2010.
  • Agnès Akérib, Mademoiselle Rachel, l'étoile filante, TriArtis éditions, 2010.
  • M-P. Hamache et C. Lévy, « Elisa Rachel Félix, dite Rachel » in Archives Juives, Revue d'histoire des Juifs de France, N° 32/2, 2e semestre 1999.
  • Rachel. Une vie pour le théâtre 1821-1858, catalogue de l'exposition, Paris, Musée d'art et d'histoire du judaïsme, 2004.
  • Frédéric Tournoux, Mademoiselle Rachel. Solitudes d'une tragédienne, éditions Glyphe, 2012.
  • Eugène de Mirecourt, Rachel, Paris, 1854, J.P. Roret, 94 p. lire en ligne sur Gallica

Iconographie

Notes et références

  1. Acte de décès au Cannet, n° 1, vue 636/739.
  2. « Elisa Rachel Félix, dite RACHEL », sur Judaïsme SDV
  3. Richard Lesclide, Propos de table de Victor Hugo, Paris, Hachette-BnF (réédition de 1885), , 345 p. (ISBN 9782011873170), p. 193
  4. M-P. Hamache et C. Lévy, « Elisa Rachel Félix, dite Rachel » in Archives Juives, Revue d'histoire des Juifs de France, N° 32/2, 2e semestre 1999.
  5. Jacqueline Mathilde Baldran, « Juliette Récamier - Une éclatante maturité », sur Les Conférences de Mathilde
  6. Reproduction du dessin de O'Connell sur Médias 19.
  7. « Rachel sur son lit de mort  » sur ader-paris.fr.
  8. Tribunal de la Seine, 16 juin 1858, DP 1858.3.62 cité dans André Roux, La Protection de la vie privée dans les rapports entre l'État et les particuliers, Economica, Paris, 1983, p.12.
  9. (en) Michael Walker, « Rachel, Queen of the Stage: Charlotte Brontë's 'Vashti' », Brontë Studies, (lire en ligne)
  10. (en) Charlotte Brontë, Villette, chapitre 23
  11. Caroline Cox (trad. de l'anglais par Juliette Bosse-Platières, préf. Cameron Silver), Le Luxe en héritage : secrets d'ateliers des grandes maisons, Paris, Dunod, , 288 p., 246 × 298 mm (ISBN 978-2-10-070551-1), XXe siècle, « 1953 : Missoni », p. 264 à 267
  12. Inv. : ND 0442[source insuffisante].

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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