Bataille de Stonne

La bataille de Stonne, opposant Allemands aux Français et se déroulant du au , est une des plus importantes batailles de la campagne de l'ouest.

Bataille de Stonne
Monument d'un Char B1 bis à Stonne.
Informations générales
Date du 15 au
Lieu Stonne, France
Issue Victoire allemande
Belligérants
 France Reich allemand
Commandants
Jean Flavigny Gustav Anton von Wietersheim
Otto-Wilhelm Förster
Forces en présence
21e corps d'armée
42 500 hommes
130 chars
XIV. Armee-Korps (mot.)
6. Armee-Korps
90 000 hommes
300 chars
Pertes
3000 pertes, dont 1000 tués[1]
33 chars détruits[2]
estimées à 6000 pertes, dont 2500 tués[1]
24 chars détruits[2]

Seconde Guerre mondiale,
Bataille de France

Batailles




Percées de la Meuse et rupture du front belge :


Tentatives de contre-attaques alliées :


Défense des ports de la Manche et rembarquement britannique à Dunkerque :


Effondrement de la Ligne Weygand, avancée allemande sur la Seine et évacuation des troupes alliées :


Front italien et percée allemande dans le Sud :
Coordonnées 49° 33′ 03″ nord, 4° 55′ 38″ est
Géolocalisation sur la carte : Ardennes
Géolocalisation sur la carte : France

Pendant plusieurs jours, l'infanterie et les blindés des deux camps s'affrontent, avec de lourdes pertes, pour le contrôle du village de Stonne et de la ligne de crête sur laquelle il est situé. Dominant en hauteur la tête de pont allemande de Sedan au nord, une attaque française depuis cette ligne aurait pu déboucher contre elle et menacer ainsi la progression des Allemands vers la Manche.

Parfois évoqué comme le « Verdun de 1940 »[3], les attaques françaises à Stonne furent considérées comme les plus dangereuses de la campagne de l'ouest[4], le village en lui-même changera de camp dix-sept fois en seulement trois jours.

C'est finalement une victoire opérationnelle des Allemands, malgré des pertes importantes pour leurs troupes. Les forces allemandes écartent la menace sur le flanc de leur axe d'attaque principal, dont la direction réelle a aussi été masquée un temps aux Français par la bataille.

Contexte historique

Le , le Troisième Reich lance une grande offensive sur les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et la France dans ce qui sera appelé la bataille de France.

Les Allemands appliquent le plan jaune : leur groupe d'armées B attaque les Pays-Bas et avance dans la plaine belge, y attirant ainsi l'aile marchante des Franco-Britanniques qui suivent le plan Dyle-Bréda prévu dans le cas d'une telle offensive allemande dans les pays neutres. Dans le même temps, le groupe d'armées A allemand, avec en premier échelon ses formations de chars (la Gruppe Hoth et la Panzergruppe von Kleist), lance l'attaque principale au centre de la ligne de front, à travers les Ardennes, et atteint ainsi la Meuse le 12 au soir, la franchissant en force le lendemain.

Prélude à la bataille

Tête de pont allemande à Sedan

Ainsi, le XIX. Armee-Korps (mot.) de Heinz Guderian (dépendant de la Panzergruppe von Kleist) traverse la Meuse autour de Sedan dans l'après-midi du 13 avec trois divisions blindées face au 10e corps d'armée français (Xe CA du général Grandsard, relevant de la 2e armée de Charles Huntziger). Les Allemands forment une tête de pont qu'ils étendent encore pendant la nuit, à l'aube du 14 celle-ci est comprise entre les rivières Bar et Ennemane, profonde jusqu'au sud du bois de la Marfée, sur la ligne d'arrêt[5].

Réaction française : montée en ligne du 21e corps d'armée

Les Français se préparent à contre-attaquer pour le lendemain afin de repousser les Allemands de l'autre côté de la Meuse[6]. La 2e armée prévoit ainsi que ce soit le fait de sa réserve : le XXIe corps d'armée (XXIe CA, de Jean Flavigny) qui dispose de cinq divisions (notamment la 3e division cuirassée (3e DCr) et la 3e division d'infanterie motorisée)[6]. De son côté le Xe CA s'apprête à mener sa propre contre-attaque, mais sans coordination aucune avec celle du XXIe, alors qu'ils se fixent les mêmes objectifs : en effet la 2e armée semblant estimer le Xe CA comme n'étant plus opérationnel, n'a pas tenu compte de sa présence pour préparer l'attaque du XXIe CA[6],[7]. Pourtant, seule l'attaque du Xe CA a lieu, mais elle échoue[8]. Le XXIe CA qui a subi de nombreux retards (notamment du fait de la lenteur des transmissions) pour gagner le front voit son attaque finalement annulée, manquant selon l'auteur allemand Karl-Heinz Frieser l'occasion idéale[9]. Le XXIe CA se place alors en défense face à la tête de pont allemande, les chars sont ainsi dispersés pour constituer des « bouchons »[10],[9].

Protéger le flanc sud de l'offensive allemande vers la Manche : prendre les hauteurs de Stonne

La tête de pont allemande de Sedan s'est agrandie dans la journée du vers le sud, sous l'impulsion de Guderian qui fait pousser la 10e Panzerdivision (de Ferdinand Schaal) et l'Infanterie-Regiment Grossdeutschland (IRGD) vers le sud[11], tandis que ses deux autres divisions blindées traversent la Bar et le canal des Ardennes, le XIX. Armee-Korps (mot.) se réorientant vers l'ouest[11], son objectif lointain étant la mer. Toutefois les Allemands ont bien détecté les blindés du 21e CA[5] qui constituent une menace sur le flanc de la progression de leur corps d'armée[11].

Le au soir, Guderian fixe les ordres pour le lendemain à la 10. Panzer-Division et à l’IRGD : ces unités doivent atteindre et tenir « la ligne canal des Ardennes - Stonne - Meuse au sud de Villemontry » afin de protéger le flanc sud de son corps d'armée qui progresse vers l'ouest[12]. Par ailleurs, ces unités passent temporairement — le temps que les blindés français ne représentent plus un danger sur le flanc sud — sous contrôle du XIV. Armee-Korps (mot.) (de Gustav Anton von Wietersheim) qui relève le XIX. Armee-Korps (mot.) dans la tête de pont de Sedan pendant que celui-ci poursuit l'offensive vers l'ouest[12],[13].

Par cet ordre, cette volonté de pousser vers le sud alors que l'offensive principale est orientée vers l'ouest, Guderian s'oppose à ce qui a été planifié, et ainsi à ses supérieurs, comme Ewald von Kleist qui prévoyait de s'arrêter sur la ligne Noyers-Pont-Maugis - Chéhéry[14]. Si Guderian tient tant à ce que les Allemands prennent et tiennent les hauteurs de Stonne, c'est non seulement pour que la tête de pont soit suffisamment grande pour l'écoulement des troupes et profonde (deux à trois fois plus profonde) pour éviter les tirs d'artillerie française sur les points de franchissement sur la Meuse, mais c'est aussi qu'il a dans l'esprit le plan opérationnel proposé par Erich von Manstein[14], qui prévoyait une défense active, par l'offensive, du flanc sud de l'attaque, et non passive comme ce qui était prévu par le plan final de Fall Gelb qui n'a pas retenu cet aspect des idées de Manstein[15]. Cette défense par l'attaque doit ainsi empêcher la contre-attaque française contre la tête de pont[14].

Ordre de bataille

La bataille mobilisa au total pas moins de 90 000 soldats et 300 chars allemands, 42 500 soldats et 130 chars français.[réf. souhaitée]

Forces françaises

XXIe corps d'armée (XXIe CA)

Forces allemandes

Stonne - mars 2018

XIV. Armee-Korps (mot.)

VI. Armee-Korps

Déroulement de la bataille

Monument commémoratif de la bataille.

La bataille de Stonne commence donc le matin du lorsque l’IRGD et des chars du II./Panzer-Regiment 8 repoussent, en lui causant des pertes, le I/67e RI et le 6e GRDI de Stonne[18]. Dans cette action, les Allemands perdent sept chars[19] et les Français des automitrailleuses de découverte[18]. Par ailleurs la défense française retient l'attaque allemande sur le reste de la ligne de crête (bois du Mont-Dieu, bois de Raucourt)[18].

Le village est aux mains des Allemands, mais ils sont chassés par une première contre-attaque française à 7 h 30, depuis l'ouest, par les chars légers H39 de la 1/45e BCC, plusieurs chars sont à nouveau détruits de part et d'autre[18]. Sans aucune infanterie en soutien, le I/67e RI étant épuisé et manquant de munitions et d'essence, les chars français se replient ; à 8 h Stonne est aux mains des Allemands[19],[18].

Les chars lourds B1 de la 3/49e BCC (capitaine Caravéo) repoussent à leur tour les Allemands à 9 h[19], également sans infanterie pour l'appuyer, la compagnie retourne finalement en arrière[18] , pour ravitailler. Les Allemands réinvestissent alors Stonne à 9 h 30[19], cette fois avec l'appui des canons antichars de la Panzer-Jäger-Abteilung 521[18].

Apprenant que les Allemands sont revenus, le capitaine Caravéo repart à l'attaque et reprend le village à 10 h 30[19], mais trois B1 sont détruits ou immobilisés, dont un par des tirs répétés d'antichars allemands (3,7 cm PaK 36) dans la grille de ventilation[18],[19]. Toujours sans soutien d'infanterie, les chars français se replient à nouveau, toujours pour ravitailler, laissant Stonne aux Allemands à 10 h 45[19],[18].

Le I/67e RI prépare une attaque appuyée par le I/51e RI et des chars des 3/49e BCC, 1/45e BCC et 2/4e BCL[18]. À 12 h les Français réoccupent Stonne après de violents combats[18]. L'attaque française inquiète les Allemands qui craignent qu'elle se poursuive vers Maisoncelle-et-Villers, mais les Français se contentent, une fois Stonne repris, de le défendre[18].

Pendant ce temps, à la suite d'un rappel à l'ordre venant du général Alphonse Georges (commandant le front du nord-est) que le XXIe CA doit attaquer et non défendre, Flavigny prépare une offensive contre la tête de pont de Sedan dans la journée, mais l'action est repoussée à plusieurs reprises, il faut en effet regrouper les unités après les avoir dispersées la veille pour la défense[9],[16]. C'est ainsi que lorsque les chars quittent Stonne pour se ravitailler et participer à l'offensive prévue par Flavigny, une attaque allemande du I./Infanterie-Regiment 69 et de l’IRGD reprend le village à l'infanterie française à 17 h 30[19]. Ceci contrarie l'attaque française qui doit notamment démarrer de Stonne, elle est ainsi annulée : la tête de pont de Sedan ne sera plus menacée, ce selon l'auteur Karl-Heinz Frieser les Allemands remportent ainsi une victoire opérationnelle, les combats à Stonne et ses environs ne seront plus désormais que d'ordre tactique[19].

Le village changera encore deux fois de mains le lendemain. La nuit, le VI. Armee-Korps remplace la 10. PzD et l’IRGD qui peuvent reprendre leur marche vers l'ouest[19].

Le , Stonne change de camp à maintes reprises avant de tomber définitivement sous contrôle allemand dans la fin de l'après-midi. « le promontoire cède et change de maître pour la dix-septième fois vers dix-sept heures trente ce . »[20]; Ainsi, le village aura changé 17 fois de mains en quatre jours de combats acharnés. Des poches de résistance françaises continuent de se battre sans relâche jusqu'au , date où le village est totalement occupé par l'armée allemande.

Stonne vit de durs combats, selon l'historien allemand Karl-Heinz Frieser : « Les soldats de la Wehrmacht ont toujours comparé l'enfer de Stonne en 1940 à l'enfer de Verdun en 1916 »[21] ; dans Blitzkrieg-Legende: der Westfeldzug 1940, citant un officier allemand qui compare Stonne à Stalingrad et à Monte Cassino[22] ;

Conséquences

Le général allemand Heinz Guderian.

Les pertes de cette bataille sont nombreuses : du côté allemand, on dénombre près de 6 000 pertes (dont 2 500 tués), constituant une des batailles les plus coûteuses en vies humaines infligées lors de la campagne de France alors que du côté français, on dénombre environ 3 000 pertes, dont près de 1 000 tués, le reste étant des prisonniers de guerre, des blessés ou des disparus[1]. Les pertes matérielles sont de 33 chars français détruits pour 24 chars allemands détruits[2].

La majorité des troupes allemandes engagées appartenant au régiment Grossdeutschland furent perdues durant la bataille, ces pertes étant de 570 hommes au total, dont 103 tués[23]. De même, le 67e RI français subit de nombreuses pertes avec 362 soldats tués et de nombreux blessés. Une compagnie du 51e RI terminera même la bataille avec seulement cinq sergents et 30 soldats.

Selon la quatrième de couverture de l'ouvrage La bataille de Stonne : Ardennes, de Dominique Lormier, la bataille est décrite de la façon suivante :

« Cette bataille peu connue du grand public, qui s'est déroulée du 14 au , vaut par l'emploi intelligent, côté français, des chars associés à l'infanterie et à l'artillerie. Elle est en quelque sorte le modèle de ce qui aurait dû être réalisé sur l'ensemble du front, à savoir la rapidité de violentes contre-attaques, utilisant toute la puissance de feu de l'armement moderne en des points névralgiques. Par ailleurs, elle met à mal l'idée reçue de la supériorité matérielle de l'armée allemande. Le char B1 bis s'avère en effet supérieur en plusieurs points au Panzer : blindage plus épais, armement sans équivalent ». Mais le gros défaut du char B1 bis était son énorme consommation d'essence, ce qui l'obligeait continuellement à retourner en arrière pour ravitailler. Des chars en panne d'essence ont été perdus aux mains des Allemands.

Le général allemand Guderian en contact avec le régiment Grossdeutschland pendant cette journée indiqua que « l'atmosphère était un peu nerveuse ». Le journal d'opérations de la 10e Panzerdivision précisa que la contre-attaque française était extrêmement dangereuse, menaçant le flanc du XIXe corps d'armée allemand. Le général Hermann Hoth a écrit après la guerre qu'en retardant l'intervention et en n'engageant pas toutes les forces blindées dont disposait le général français Jean Flavigny, « les Français manquèrent une occasion favorable ; cette contre-attaque, menée de façon résolue, eût pu changer la défaite en victoire »[24].

Cette bataille, et les pertes des deux côtés, démontrent la combativité des belligérants[25].

Sources et annexes

Notes et références

  1. Jacques Vadon, Les Ardennes dans la guerre 1939-1945, Lyon, Horvath, , 203 p. (ISBN 978-2-717-10914-6), p. 24
  2. (fr) Stonne - Circuit de la Bataille Mai-Juin 1940, Chemins de la mémoire. Consulté le 29 novembre 2010
  3. Frieser 2003, p. 224.
  4. Frieser 2003, p. 122.
  5. Mary 2009, p. 269-270
  6. Mary 2009, p. 274
  7. Mary 2009, p. 281.
  8. Mary 2009, p. 281 à 289 et 318.
  9. Frieser 2003, p. 218 à 220.
  10. Mary 2009, p. 318.
  11. Mary 2009, p. 314-315
  12. Mary 2009, p. 319.
  13. Mary 2009, p. 344.
  14. Frieser 2003, p. 225-226
  15. Frieser 2003, p. 90-91.
  16. Mary 2009, p. 352
  17. Jorge Rosado et Chris Bishop (trad. de l'anglais), Les divisions blindées de la Wehrmacht : 1939-45, Londres, Éditions de Lodi, , 192 p. (ISBN 978-2-84690-287-8), p. 98
  18. Mary 2009, p. 346 à 351
  19. Frieser 2003, p. 224 à 232
  20. Jean-Paul Autant et Jean-Pierre Levieux 2010, p. 165 et suivantes.
  21. Lormier 2010
  22. (de) Karl-Heinz Frieser, Blitzkrieg-Legende: der Westfeldzug 1940, Volume 2 de Operationen des Zweiten Weltkrieges, R. Oldenbourg, 1996, p. 257
  23. Frieser 2003, p. ?.
  24. Alistair Horne (trad. de l'anglais par René Jouan), Comment perdre une bataille mai 1940 To lose a battle: France 1940 »], Paris, Tallandier, coll. « Texto », , 477 p. (ISBN 978-2-847-34657-2), p. 280-284
  25. d'après Philippe Wodka-Gallien, La bataille de Stonne. La Défense no 180 mai-juin 2016, p. 60, Livres et publications citant Jean-Paul Autant "La bataille de Stonne"

Bibliographie

  • Gérald Dardart, Les Ardennes dans la guerre, 1939-1945, Romagnat, De Borée, , 429 p. (ISBN 978-2-844-94823-6).
  • Bernard Horen, Une bataille "oubliée" de la seconde guerre mondiale : bataille de Stonne-Le Mont-Dieu-Tannay, 14-, Association Ardennes 1940, 1999.
  • Jean-Paul Autant et Jean-Pierre Levieux (témoignage) (388 pp. dont cartes, croquis, insignes et photos d'époque), La bataille de Stonne, mai 1940 : un choc frontal durant la campagne de France, Nice, France Europe, (ISBN 978-2-848-25243-8).
  • Dominique Lormier, La bataille de Stonne : Ardennes, mai 1940, Paris, Perrin, , 183 p. (ISBN 978-2-262-03009-4).
  • Karl-Heinz Frieser (trad. Nicole Thiers), Le mythe de la guerre éclair : La campagne de l'ouest 1940 Blitzkrieg-Legende : der Westfeldzug 1940 »], Paris, Belin, , 479 p. (ISBN 978-2-7011-2689-0)
  • Jean-Yves Mary, Le corridor des Panzers : Par delà la Meuse 10 - 15 mai 1940, t. I, Bayeux, Heimdal, , 462 p. (ISBN 978-2-84048-270-3)
  • Daniel Hochedez et Catherine Hochedez-Schuster;« Une journée à Stonne, en Argonne ardennaise, sur les traces des « lions » de mai- » ; revue Horizons d’Argonne ; publication du Centre d’études argonnais ; no 94 () ; pages 69 à 82. http://centretudargonnais.org/HorizonArgonne94.pdf

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