Vassilissa-la-très-belle

Vassilissa-la-très-belle, ou Vassilissa la Belle (en russe : Василиса Прекрасная, Vassilissa Prekrasnaïa[1]), est un conte merveilleux russe très connu, recensé par Alexandre Afanassiev dans ses Contes populaires russes, sous le numéro 59 dans l'édition originale, et 104 dans l'édition de 1958.

Vassilissa à son retour de chez la Baba Yaga, par Ivan Bilibine.

Il s'agit de la rédaction littéraire d'un conte populaire dont la version originale est restée inconnue. On en connaît trois variantes russes et deux ukrainiennes[2].

Il existe un film et un dessin animé soviétiques portant ce titre, mais ils font référence au conte plus connu sous le nom de La Princesse-Grenouille, et dans lequel Vassilissa, qualifiée de premoudraïa (très-sage), a été ensorcelée et transformée en grenouille par Kochtcheï.

Thème général

Frontispice pour le conte, par Bilibine.

En butte aux tourments infligés par une marâtre et ses filles, une jeune fille est aidée par une poupée aux pouvoirs surnaturels. Celle-ci lui permet de s'acquitter des épreuves données par la sorcière chez qui elle a été envoyée sous le prétexte de chercher du feu. Elle rentre chez elle porteuse d'un crâne aux yeux ardents, qui consument la marâtre et ses filles. Elle part ensuite à la ville, est recueillie par une vieille auprès de laquelle elle tisse une toile merveilleuse. La vieille offre la toile au tsar, qui finit par convoquer la jeune fille au palais, tombe amoureux d'elle et l'épouse.

Résumé

Jeune fille à la poupée (Károly Ferenczy)

Vassilissa est la fille unique d'un marchand veuf. Avant de mourir, sa mère lui a confié une poupée en lui recommandant de la garder précieusement avec elle, de ne la montrer à personne et de lui donner à manger lorsqu'elle-même aura besoin d'aide. Le marchand se remarie avec une veuve qui a déjà deux filles, lesquelles se mettent à jalouser et à tourmenter Vassilissa. Celle-ci, en cachette, raconte ses malheurs à la poupée, qui la conseille et l'aide en réalisant les travaux pénibles à sa place.

Le cavalier rouge par Bilibine.
Le cavalier noir par Bilibine.

Un jour, alors que le marchand est parti pour un long voyage[3], la marâtre envoie Vassilissa chez la sorcière cannibale Baba Yaga sous le prétexte de lui demander du feu, que ses filles ont laissé s'éteindre. La poupée la réconforte et lui recommande de l'emporter avec elle. Chemin faisant, Vassilissa rencontre successivement trois cavaliers, l'un tout blanc à l'aube, le second tout rouge à l'aurore ; elle croise le troisième, tout noir, alors qu'elle est parvenue à la clairière où se dresse la hutte de Baba Yaga et que la nuit tombe[4], [5]. L'endroit est particulièrement sinistre, la maison étant faite d'ossements, ornée de crânes portant des yeux brillant dans la nuit, et le cadenas étant figuré par une bouche prête à mordre[6].

Arrive, voyageant dans les airs dans son mortier[7], la Baba Yaga, qui déclare sentir une odeur de chair humaine[8]. Tremblante, Vassilissa se découvre et explique le motif de sa visite[9]. Baba Yaga, qui indique au passage connaître les filles de la marâtre, la prend alors à son service, et lui ordonne d'abord de lui servir tout ce qui peut se manger et se boire dans la maison : elle dévore tout, ne laissant que quelques restes à la jeune fille. Avant de se coucher, elle lui annonce que le lendemain, en son absence, elle devra tout ranger, nettoyer, et trier un boisseau de blé[10] grain par grain. La poupée, à qui Vassilissa a donné les restes et raconté sa peine[11], la réconforte, l'assurant que tout ira bien.

Le lendemain, le travail se fait en effet tout seul, grâce à la poupée. A la nuit tombée, Baba Yaga est de retour et ne voit rien à redire. Elle appelle alors ses serviteurs pour moudre le blé, et trois paires de bras[12], [13] apparaissent et emportent le grain. Avant de se coucher, elle annonce à Vassilissa que le lendemain, en plus du travail effectué ce jour-là, elle devra trier un boisseau de graines de pavot[14], sans quoi elle sera dévorée. Encore une fois, la poupée lui conseille de prier et d'aller dormir tranquillement, demain étant un autre jour[15].

Tout se passe de la même façon que la veille, et les trois paires de bras emportent les graines de pavot pour en extraire l'huile. Vassilissa s'enhardit à demander à la sorcière qui sont les trois cavaliers, et celle-ci lui répond qu'il s'agit de son jour clair, de son soleil ardent et de sa sombre nuit. La jeune fille s'abstient cependant prudemment d'en demander davantage à propos des trois paires de bras, et Baba Yaga l'approuve de ne poser des questions que sur ce qui se passe à l'extérieur, et non à l'intérieur[16]. Toutefois, lorsque Vassilissa lui avoue qu'elle est aidée dans ses tâches par la bénédiction maternelle, la sorcière, irritée, la jette dehors, ne voulant « pas de bénis chez elle »[17], mais non sans lui donner malgré tout un crâne aux yeux ardents[18] planté sur un bâton, puisque les filles de la marâtre réclamaient du feu.

Les yeux du crâne éclairent le chemin à travers la forêt que Vassilissa retraverse de nuit ; elle chemine encore un jour, puis veut jeter le crâne, pensant que les deux filles auront trouvé du feu entretemps, mais le crâne lui-même lui ordonne de n'en rien faire et de le porter jusque chez la marâtre. Lorsqu'elle arrive à la maison, plongée dans le noir, les yeux du crâne se fixent sur la marâtre et ses filles, les poursuivant partout et finissant par les consumer.

Vassilissa et la vieille à la cour du tsar.

Vassilissa enterre le crâne, ferme la maison et s'en va à la ville, où une vieille femme la recueille en attendant le retour de son père. La jeune fille, toujours aidée par sa poupée, se met à tisser une toile de lin extraordinairement légère et solide, et propose à la vieille d'aller la vendre au marché, mais celle-ci est d'avis qu'une telle toile ne peut qu'être offerte au tsar, ce qu'elle fait, recevant des cadeaux en échange. Le tsar veut faire couper des chemises dans la toile, mais aucun tailleur n'y parvient. Il envoie alors chercher la vieille, qui l'informe que c'est sa fille adoptive qui a tissé la toile. Le tsar ordonne que celle-ci couse elle-même les chemises. Vassilissa s'exécute, et se rend au palais pour livrer son travail, soigneusement vêtue et apprêtée : le tsar tombe immédiatement amoureux d'elle et l'épouse.

Le père de Vassilissa revient de voyage, découvre le bonheur de sa fille et reste vivre auprès d'elle, ainsi que la vieille. Vassilissa, devenue tsarine, gardera toute sa vie sa poupée sur elle, dans sa poche.

Rapprochements et interprétation

Le conte a été rapproché du conte-type AT 480 (Tâches surnaturelles / Les Fileuses près de la Fontaine) sous le code AT 480B* (conte n'existant que dans la tradition slave orientale)[19].

Vassilissa pourrait être le même personnage que Vassilissa Mikoulichna[20].

Lise Gruel-Apert indique que le thème du feu se retrouve dans un conte bachkir, et qu'on peut établir des relations avec des sagas islandaises.

Le folkloriste russe Vladimir Propp fait référence à ce conte dans Les Racines historiques du conte (voir Bibliographie), en s'intéressant notamment au motif des poupées. Il rappelle que des poupées interviennent également dans le conte intitulé en français Prince Daniel, mots de miel[21], et insiste sur la recommandation faite ici à Vassilissa par sa mère mourante de nourrir la poupée. Il signale que de nombreux peuples fabriquaient des pantins de bois utilisés comme réceptacles de l'âme des défunts, et auxquels ils donnaient à manger tout ce qu'ils mangeaient eux-mêmes. Zelenine mentionne ce fait à propos notamment des Goldes, des Ostiaks, des Guiliaks, des Orotches, des Chinois, et en Europe des Maris ou des Tchouvaches. Des coutumes similaires ont aussi été signalées en Afrique et en Nouvelle-Guinée. Propp rappelle aussi que les anciens Égyptiens faisait usage de figurines à des fins magiques[22]. Il conclut que la figurine, ou la poupée, représente l'incarnation d'un défunt, qu'il convient de nourrir, et qui en retour aidera les vivants.

Maria Tatar, dans son commentaire sur ce conte (in : The Annotated Classic Fairy Tales), fait remarquer que contrairement à Blanche-Neige ou Cendrillon, dont les histoires présentent des analogies avec ce conte, Vassilissa a une double mission : rapporter le feu et trouver son tsar. Elle « résout les problèmes domestiques en menant à bien des tâches plutôt qu'en souffrant en silence », et ce sont précisément ses talents domestiques qui lui vaudront la récompense finale (conformément aux valeurs d'une époque révolue). Maria Tatar indique que Vassilissa est le nom générique de l'héroïne de nombreux contes russes, qui s'élèvent d'une humble origine jusqu'à un rang royal. Elle suggère que la poupée représente à la fois son alter ego et un auxiliaire magique, mais peut-être aussi sa mère sous une forme symbolique. Elle note également des analogies avec le conte anglais Jack et le Haricot magique, suggérant que Vassilissa pourrait être envisagée comme la contrepartie féminine du héros Jack. Elle fait enfin remarquer l'importance du thème de l'alimentation, qui apparaît sous de nombreuses formes, dans le conte (entre autres, le feu que Vassilissa va chercher est ce qui permet de transformer le cru en cuit).

Adaptations

Dans les années 1920, le conte a fait l'objet, en compagnie de trois autres contes russes[23], d'un manuscrit illustré par Boris Zvorykine, qui a été par la suite édité aux États-Unis[24], puis en version française aux Éditions Albin Michel en 1982 .

L'auteure américaine Elizabeth Winthrop (en) a écrit un conte pour enfants intitulé Vasilissa the Beautiful: a Russian Folktale et illustré par Alexander Koshkin (Harper Collins, 1991).

Notes et références

  1. Василиса (Vassilissa) est un prénom d'origine grecque signifiant « reine » (voir Basile). Le diminutif Vassilissouchka est utilisé dans un passage du conte par la poupée de Vassilissa.
  2. Mentionné en note par Lise Gruel-Apert.
  3. L'absence du père, qui laisse Vassilissa sans protection, a été notée par divers commentateurs, dont Maria Tatar, qui remarque que « les pères absents sont quasiment la règle dans les histoires entre marâtre et belle-fille ».
  4. Maria Tatar signale un rapprochement possible avec le thème des quatre cavaliers de l'Apocalypse. Voir aussi, pour la mythologie nordique, les chevaux Hrímfaxi et Skínfaxi.
  5. L'association de ces trois couleurs apparaît également dans la légende de Glaucos fils de Minos (il s'agit dans ce cas d'une génisse changeant de couleur trois fois par jour, et qui est assimilée à une mûre). C'est par ailleurs un motif récurrent de conte (Z65.1.1), un exemple fameux en étant l'image ouvrant le conte de Blanche-Neige, des frères Grimm ; moins connu, le conte intitulé Incarnat Blanc et Noir, du chevalier de Mailly, est entièrement centré sur cette combinaison de couleurs.
  6. En russe : в место замка – рот с острыми зубами (en guise de cadenas, une bouche aux dents aiguisées). On retrouve dans divers contes (voir Le Tsar de l'Onde et Vassilissa la très-sage, version 222/125d) le motif d'une clôture de pieux portant chacun un crâne, sauf le dernier.
  7. L'arrivée de la sorcière est également présentée de façon effrayante : « un bruit terrifiant s'éleva, les arbres se mirent à craquer, les feuilles mortes à crisser. La baba Yaga surgit du sous-bois, filant à toute allure dans son mortier, ramant de son pilon, effaçant les traces de son balai. » (trad. Lise Gruel-Apert). Les descriptions de ce type, très impressionnantes, ont fortement contribué au succès du conte.
  8. «Фу-фу! Русским духом пахнет!» (littéralement : Pouah, pouah ! Il y a une odeur russe !) Il s'agit d'une expression récurrente dans les contes russes. On en trouve toutefois l'équivalent dans le conte anglais intitulé Jack and the Beanstalk (Jack et le Haricot magique), où l'ogre s'écrie : « Fee-fi-fo-fum (en), / I smell the blood of an Englishman / Be he alive, or be he dead / I'll have his bones to grind my bread.» (Fee-fi-fo-fum, il y a ici l'odeur du sang d'un Anglais, qu'il soit vivant ou qu'il soit mort, ses os vont me servir à faire mon pain). Dans d'autres contes occidentaux, il est question d'« une odeur de chrétien ».
  9. Vassilissa appelle la sorcière babouchka (grand-mère), se plaçant ainsi en quelque sorte sous sa protection.
  10. четверть пшеницы, un quart (de seau) de froment / de blé. L'épreuve du tri d'une grande quantité de grain apparaît fréquemment dans les contes traditionnels, russes ou non. On le trouve déjà dans les Métamorphoses d'Apulée (livre VI), et on trouve même un motif similaire dans un conte des Indiens Creeks, où des fourmis aident un homme à transvaser un monceau de blé dans des tonneaux (in L'Aile bleue des contes : l'oiseau, voir Bibliographie).
  11. «На, куколка, покушай, моего горя послушай!» (Allons, petite poupée, mange, et écoute mon chagrin !) Les deux impératifs (pokouchaï et poslouchaï) sont très voisins phonétiquement.
  12. три пары рук, trois paires de bras.
  13. Le motif des serviteurs invisibles est fréquent dans les contes, notamment de type Amour et Psyché ; le motif plus précis des bras, ou des mains sans corps, qui servent, apparaît notamment dans le conte breton de La Princesse Tro-Héol (Tournesol), inclus dans les Contes de Basse-Bretagne de Luzel, ainsi que dans La Chatte blanche, de Madame d'Aulnoy.
  14. Plus précisément, Baba Yaga demande à Vassilissa de séparer les graines de pavot de la terre que quelqu'un y a mélangée « par méchanceté ». En Europe orientale, le pavot (qui a l'aspect de petites graines noires, semblables à de la terre) est très utilisé en pâtisserie.
  15. Dans de nombreux contes russes, l'auxiliaire magique conseille au héros, désespéré par la perspective d'une tâche surhumaine, d'aller dormir (et souvent de prier) ; à son réveil, il découvre que la tâche a été effectuée.
  16. Cette approbation de l'absence de curiosité déplacée semble prendre l'exact contrepied du récit de Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, dans lequel Perceval, en s'abstenant de poser les questions attendues, empêche la levée de la malédiction pesant sur le Roi pêcheur et son royaume.
  17. La sorcière s'écrie : «Так вот что! Убирайся же ты от меня, благословенная дочка! Не нужно мне благословенных» (Alors, c'est cela ! Décampe donc de chez moi, fille bénite ! Je n'ai pas besoin de bénis).
  18. череп с горящими глазами, un crâne aux yeux ardents.
  19. Indiqué par Louise Gruel-Apert (voir Bibliographie).
  20. La Russie épique, d'Alfred Rambaud, 1876, p. 85.
  21. Des poupées figurent encore dans d'autres contes traditionnels de la zone slave. Voir notamment Le Tsar de l'Onde et Vassilissa la très-sage (version 225).
  22. Voir l'article Ouchebti notamment.
  23. L'Oiseau de feu, Marina des Mers, et Snegourotchka.
  24. Viking Penguin Inc. 1978, The Viking Press 1982.

Annexes

Bibliographie

  • (fr) Afanassiev, Contes populaires russes (tome I), traduction Lise Gruel-Apert, Imago, 2008 (ISBN 978-2-84952-071-0)
  • (fr) Vladimir Propp, Les Racines historiques du conte merveilleux, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », Gallimard, 1983.
  • (fr) L'Oiseau de feu et autres contes russes, ill. Boris Zvorykine, Albin Michel, 1982 (ISBN 2-226-01567-1). Introduction de Jacqueline Onassis. (Vassilissa-la-Belle : adaptation française de Marie-France Tolstoï).
  • (fr) Vassilissa-la-très-belle, Éditions la farandole, 1976 (trad. Luda) ; version russe : (ru) Василиса Прекрасная, Goznak, Moscou, 1987
  • (fr) Michèle Faivre-Jussiaux, Secrets de vie, secrets de mort : Lecture d'un conte russe « Vassilissa-la-très-belle », Calligrammes, 1989 (ISBN 978-2869651296)
  • (fr) Anne-Marie Passaret, Contes russes d'Afanassiev (ill. Michel Gay), L'École des Loisirs, 2003 (ISBN 978-2211013871) (5 contes, dont Vassilissa-la-très-belle)
  • (fr) Florence Cadier, Peggy Nille, Contes de Russie, Vilo Jeunesse, 2008 (ISBN 978-2-7191-0859-8) (8 contes, dont Vassilissa la Très Belle)
  • (en) Maria Tatar, The Annotated Classic Fairy Tales, WW Norton & Co, 2002 (ISBN 978-0393051636)
  • (fr) Fabienne Raphoz, L'Aile bleue des contes : l'oiseau, José Corti, 2009 (ISBN 978-2-7143-1011-8). Conte 53 (Les animaux secourables, Creek - Amérique du nord).

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