Anastase Ier (empereur byzantin)

Anastase Ier (latin : Flavius Anastasius Augustus et grec moderne : Φλάβιος Ἀναστάσιος), né à Dyrrachium (aujourd'hui Durrës) en Épire vers 430 et mort à Constantinople le , est un empereur byzantin de 491 à sa mort en 518. Il serait d'origine Slave, selon Léo Donald Davis[1].

Pour les articles homonymes, voir Anastase Ier.

Anastase Ier
Empereur byzantin

Monnaie frappée à l'effigie d'Anastase Ier.
Règne
-
(27 ans, 2 mois et 29 jours)
Période Thrace
Précédé par Zénon
Suivi de Justin Ier
Biographie
Nom de naissance Flavius Anastasius
Naissance v. 430
Bederiana, Dyrrachium (auj. Durrës, en Épire)
Décès (88 ans)
Constantinople, Empire byzantin
Père Pompeius
Mère Anastasia Constantina
Fratrie Flavius Paulus
Épouse Ælia Ariadnè

Arrivé tardivement sur le trône grâce à ses liens avec l'impératrice Ælia Ariadnè, il a occupé auparavant des postes importants au sein du Grand Palais de Constantinople et s'est impliqué dans les questions théologiques qui secouent le christianisme, en adhérant au monophysisme. Au moment de son couronnement, sa légitimité est encore fragile alors qu'il doit faire face à un contexte géopolitique nouveau, marqué par la disparition depuis peu de tout l'Empire romain d'Occident. Il doit d'abord consolider son pouvoir et s'oppose aux Isauriens qui ont la haute main sur l'armée depuis plusieurs années, menaçant de porter sur le trône un parent de Zénon, le prédécesseur d'Anastase.

Après son succès, il mène une politique marquée par la prudence. Dans ses relations avec l'extérieur, il compose avec les royaumes barbares qui occupent d'anciennes terres romaines, reconnaissant leur légitimité tout en affirmant la supériorité, au moins formelle, de l'Empire romain d'Orient. Face aux Sassanides, il privilégie là encore une posture défensive. Cela n'empêche pas une courte confrontation avec cet empire rival, qui ne débouche sur aucun changement territorial d'importance. Sur le plan interne, il réorganise les finances impériales et laisse à ses successeurs un excédent budgétaire important, attestant de sa bonne gestion. En revanche, en matière religieuse, il rompt quelque peu avec la politique de conciliation de Zénon entre les monophysites et les partisans du concile de Chalcédoine. Influencé par ses propres convictions, il mène une politique plus favorable aux monophysites, débouchant sur des contestations d'une partie de la population et les révoltes infructueuses du général Vitalien.

Décédé à un âge avancé, il laisse à ses successeurs, Justin Ier et Justinien, un empire, certes, sujet à des tensions religieuses, mais relativement stable, prospère et défendu par des frontières solides. Toutefois, en dépit de sa réputation de bon administrateur, il est souvent peu étudié par les historiens modernes, son règne intervenant dans une période de transition entre les derniers soubresauts de l'empire d'Occident, qui chute en 476, et le renouveau impérial de Justinien.

Sources

Le règne d'Anastase est mentionné dans un nombre assez divers de sources, sans qu'aucune ne lui soit spécifiquement dédiée. Comme souvent avec les sources primaires, elles souffrent de partis pris, notamment en matière religieuse et les convictions monophysites d'Anastase lui ont régulièrement valu des jugements négatifs de la part de ses contemporains. Parmi les sources grecques, la chronique de Jean Malalas est particulièrement intéressante car il est un contemporain d'Anastase et a certainement accès à des témoignages oraux. Il s'appuie beaucoup sur les travaux perdus d'Eustathe d'Épiphanie[2]. Si ses écrits concernent majoritairement la région d'Antioche dont il est originaire, il n'en décrit pas moins la plupart des événements du règne d'Anastase, même s'il se montre sévère à l'encontre de l'empereur et de ses sympathies monophysites. Les autres chroniques grecques sont, pour la plupart, basées sur les écrits de Jean Malalas et postérieures au règne d'Anastase, ce qui rend leur exactitude variable, telle la Chronicon Paschale ou encore la chronique de Théophane le Confesseur.

Au-delà des chroniques, les sources ecclésiastiques sont aussi précieuses, éclairant notamment les controverses religieuses. Évagre le Scholastique a produit des textes importants sur l'époque d'Anastase bien que la chronologie en soit souvent erronée[3]. Les hagiographies, particulièrement prisées des auteurs byzantins, fournissent aussi des détails intéressants, comme la Vie de Saint-Sabas écrite par Cyrille de Scythopolis[4].

Les sources latines sont aussi exploitables pour l'analyse du règne d'Anastase. Marcellinus Comes qui écrit en latin mais vit à Constantinople décrit relativement précisément les invasions barbares dans les Balkans ou les émeutes urbaines à Constantinople[5].

Accession à l'Empire

La date de naissance exacte d'Anastase est inconnue, sa famille étant mal connue. Il est probablement né vers 430 à Dyrrachium, dans une famille où se recrutent de nombreux membres de l'administration municipale. Il était le fils d'un noble, Pompeius. Sa mère, Anastasia Constantina, était de religion arienne. Elle était la sœur de Clearchus, lui aussi arien. Il avait pour frère Flavius Paulus, consul pour l'Est en 496, mari de Magna Sabiniana, et pour sœur Cæsaria, femme de Flavius Secondinus (it), préfet de Rome en 492 et consul pour l'Est en 511[6],[7]. Anastase se rend à Constantinople à une date inconnue et s'engage dans l'administration du Grand Palais. Il devient silentiaire et rentre dans le cercle des proches de l'empereur.

Anastase est particulièrement versé en théologie. Il a vécu un temps en Égypte où il aurait adopté le monophysisme, une doctrine condamnée par le concile de Chalcédoine et le pape. Rapidement, Anastase devient l'un des membres éminents de ce courant du christianisme. En effet, depuis l'Hénotique promulgué par Zénon, une formule de compromis a été adoptée entre les monophysites et les catholiques. En 489, Anastase est pressenti pour devenir patriarche de Constantinople mais c'est finalement Fravitas qui est nommé. Celui-ci ne tarde pas à exiger d'Anastase l'abandon de ses opinions monophysites, qu'il n'hésite pas à défendre publiquement. Finalement, il est expulsé de l'église Sainte-Sophie où il prêchait régulièrement.

Cela ne l'empêche de rester une personnalité importante de la cité impériale. À la mort de Zénon, aucun successeur n'a été désigné à l’avance. La désignation du nouvel empereur oppose des acteurs différents. C'est normalement au Sénat d'agir mais l'armée a traditionnellement un rôle important. En l'occurrence, ce sont les Isauriens qui occupent les principaux postes militaires et soutiennent Longin, le frère de Zénon, que celui-ci aurait sûrement nommé comme successeur s'il avait anticipé sa mort. Toutefois, le Palais impérial et la famille régnante, notamment l'impératrice, conservent une influence sur le Sénat. Pour parer aux projets des Isauriens, ils optent pour Anastase. Celui-ci est alors un proche d'Ariadnè, la veuve de Zénon, qu'il a côtoyé en travaillant au Palais. En outre, son âge avancé (autour de soixante ans), en fait le candidat parfait pour un règne de transition. Cette désignation surprise, intervenue rapidement, est acceptée sans difficultés, d'autant qu'Anastase signe un document dans lequel il garantit ne pas remettre en cause le dogme catholique issu du concile de Chalcédoine et de l'Hénotique. De son côté, Longin est placé dans le fait accompli, avant d'avoir pu mobiliser ses partisans.

Troubles urbains

Un des aspects marquants des premières décennies de l'Empire romain d'Orient est la croissance démographique des cités. En parallèle, les violences urbaines se multiplient alors que l'administration municipale classique, fondée sur les curiales, décline. Les populations urbaines se divisent entre des factions, des groupes identifiés par des couleurs, chargés d'organiser les courses de chars. Toutefois, elles représentent parfois les différentes tendances qui traversent l'opinion publique byzantine, débouchant sur des oppositions violentes qui menacent la tranquillité publique. Deux de ces factions sont très influentes : les bleus et les verts. Dès les premières années du règne d'Anastase, des troubles apparaissent, peut-être fomentés par les Isauriens. En 498, ce sont les verts qui protestent contre l'arrestation de certains de leurs membres et vont jusqu'à blesser Anastase lors de leurs manifestations. En 501, les bleus et les verts sont engagés dans de véritables combats de rue qui font autour de 3 000 morts, parmi lesquels le fils d'Anastase. Face à cette violence croissante, l'empereur doit envoyer l'armée. Pour autant, en 507, c'est une véritable insurrection des verts qui s'empare d'Antioche, en partie incendiée. Les verts parviennent à repousser les soldats envoyés contre eux et tuent le préfet des matines. Lors d'une manifestation violente à Constantinople, plusieurs hauts dignitaires du régime sont visés par les émeutiers, notamment Marinus dont la demeure est incendiée. Le pouvoir personnel d'Anastase est alors remis en cause, d'autant que les manifestations sont dirigées contre ses tendances monophysites. Les séditieux tentent de proclamer le maître des milices d'Orient Aérobindus comme empereur mais celui-ci refuse. Anastase prend alors le parti de se présenter en personne aux factions, en tenue de deuil. Les émeutiers sont alors marqués par cet acte courageux, d'autant qu'Anastase promet de répondre favorablement à leurs demandes. Toutefois, l'empereur fait ici preuve de ruse. Derrière cette soumission, il ne tarde pas à entreprendre une vaste purge à l'encontre des chefs de la révolte, allant jusqu'à l'exécution de plusieurs d'entre eux, ce qui dissuade les autres.

Guerre contre les Isauriens

Dès son arrivée au pouvoir, Anastase doit conforter une place encore fragile. Il ne peut ignorer l'influence des Isauriens sur les troupes de Constantinople et la présence de Longin, qui reste un candidat légitime pour le trône. Les Isauriens sont originaires d'une région isolée et pauvre de l’Asie Mineure. S'ils ont été matés par l'Empire romain, ils ont conservé une tradition militaire forte[8] et sont massivement recrutés dans l'armée de l’empire d’Orient naissant pour s'opposer aux invasions barbares mais aussi à l'influence devenue trop grande des Germains au sein de l'appareil militaire[9] Dès lors, ils acquièrent une place prépondérante dans le destin de l'Empire et c'est de leurs rangs qu'est issu Zénon, le prédécesseur d'Anastase. S'ils sont en partie divisés à l'avènement d'Anastase, ils restent puissants. De ce fait, le nouvel empereur exile rapidement Longin en Égypte où il n’est plus en mesure de fomenter un coup d'État. Plus encore, il décide de chasser les Isauriens de Constantinople tout en les privant de leur subvention annuelle. Cette décision marque le début d'une guerre qui s'étale jusqu'en 497. Les Isauriens décident d'unir leurs forces en Asie Mineure et de recruter nombre de soldats issus de l'Isaurie. Ils atteignent rapidement les dimensions d'une armée importante, prête à se battre pour conserver ses privilèges. En face, Anastase mobilise les armées d’Europe et fait appel aux fédérés. Cette force franchit le Bosphore et combat les Isauriens en Phrygie. Le sort de la bataille tourne rapidement en faveur des impériaux, car Lingis, le général en chef des rebelles, est tué au début de l'affrontement. Lourdement défaits, les Isauriens sont contraints à la fuite et n'échappent que de peu à l'anéantissement. Il faut encore plusieurs années d'âpres combats pour réduire leur résistance, alors qu'ils se sont réfugiés dans leur région d'origine pour mener des raids dans les territoires voisins. En 497, les principaux chefs des Isauriens tombent, certains sont tués, d'autres sont faits prisonniers et ramenés à Constantinople pour être exhibés. Si cette guerre longue et difficile a contraint l'empereur à mobiliser ses forces en Asie plutôt qu'en Europe pour contrer les Barbares, elle renforce son pouvoir de manière décisive.

Anastase avait les yeux vairons, l'un noir et l'autre bleu[10] et de ce fait fut surnommé dicorus (en grec : Δίκορος, « deux-pupilles »).

Politique extérieure

Feuillet de diptyque impérial représentant l'impératrice Ælia Ariadnè, musée national du Bargello.

En Europe

Tracé du mur d'Anastase.

Défense des Balkans

Au cours de son règne, Anastase mène principalement une politique étrangère défensive, usant parfois de la force et parfois de la diplomatie. La frontière danubienne est moins menacée depuis le départ des Ostrogoths mais un nouveau danger apparaît avec l'arrivée des Bulgares[11]. En outre, les nécessités de la lutte contre les Isauriens entraînent un redéploiement des forces européennes en Asie Mineure, laissant la frontière danubienne sous une moindre surveillance. Les Bulgares peuvent alors mener plusieurs raids en Europe. En 493, ils tuent le maître des milices Julien (magister militum) au cours d'une bataille. En 499, ils sont difficilement repoussés par Aristos et en 502, ils peuvent se replier au-delà du Danube sans combat.

Face à ce nouvel adversaire, les possibilités d'Anastase sont réduites. Les Bulgares ne sont pas intéressés par un accord de paix assorti d'un tribut et ils refusent d'être incorporés dans l'armée byzantine. Pour protéger Constantinople d'incursions en provenance de l'ouest, Anastase renforce les défenses de la ville. Il reprend le projet d'un long mur barrant l'isthme à soixante kilomètres à l'ouest de la cité impériale. Cette imposante fortification, aussi connue sous le nom de mur d'Anastase, subsiste jusqu'au VIIe siècle et constitue un ouvrage défensif efficace. Toutefois, son entretien coûte cher et explique son abandon progressif, tandis que son utilité repose sur la présence de garnisons importantes pour défendre cette structure de plus de cinquante kilomètres de long. Sur le Danube, Anastase réhabilite le limes dans la région de Scythie Mineure pour protéger la Thrace[12].

Relations complexes avec les royaumes barbares et la papauté

Anastase doit aussi composer avec la nouvelle donne géopolitique sur les terres de l'ancien Empire romain d'Occident. En Italie, Théodoric le Grand a vaincu les Hérules d'Odoacre et a établi un royaume ostrogoth qui reconnaît formellement la suzeraineté de l'empire d'Orient. De ce fait, les apparences sont préservées alors que Théodoric doit coexister avec ce qu'il reste de la société romaine toujours présente dans la péninsule italienne. Pour autant, il domine le plus puissant des royaumes barbares et entretient une frontière commune avec l'Empire byzantin en Illyrie, ce qui en fait un danger toujours susceptible de se manifester. En outre, l'Italie est aussi la terre d'influence de la papauté. Celle-ci représente une puissance spirituelle grandissante, qui concurrence les patriarches orientaux et notamment le patriarche de Constantinople. De plus en plus, il prétend définir ce qui doit être la règle en matière théologique. En l'occurrence, il s'oppose aux doctrines hérétiques que sont l'arianisme, professé par les Ostrogoths, les Vandales et les Wisigoths mais aussi au monophysisme. Pour autant, les relations entre Constantinople et Rome restent cordiales car l'empereur d'Orient continue d'être perçu comme le protecteur naturel de la papauté. De plus, Anastase compte sur le pape pour contrecarrer la montée en puissance des Ostrogoths, misant sur leurs divergences théologiques.

Néanmoins, les relations se refroidissent quand Gélase Ier devient pape. Fervent défenseur de la foi définie lors du concile de Chalcédoine, il réprouve le monophysisme et les tentatives de conciliation apparues sous Zénon. L'Hénotique, qui introduit une formule de consensus sur la double nature du Christ, objet des disputes théologiques, est réprouvé ; de même que son auteur, le défunt patriarche Acace de Constantinople. Le pape appelle à rayer son nom des diptyques, ce qui provoque la colère dans l'empire d'Orient. Cette dispute théologique est aussi un moyen pour le pape de s'émanciper de la tutelle impériale qu'il juge excessive. Cette opposition révèle deux conceptions différentes des rapports entre l'empereur et l'Église. Alors que le pape cherche à se dégager une autonomie d'action, l'empereur byzantin veut conserver la haute main sur les questions ecclésiastiques. Anastase a beau lui demander de revenir sur sa décision de réprobation d'Acace, rien n'y fait. Théodoric soutient la position du pape qui réduit l'influence de l'empereur. Pour autant, les relations ne sont pas coupées. En réalité, c'est un jeu complexe qui se noue entre ces différents acteurs qui ont chacun besoin l'un de l'autre. Le pape ne peut rompre complètement avec Anastase et il souhaite que celui-ci reconnaisse la légitimité de Théodoric, espérant ainsi que le chef ostrogoth se soumettra à certaines règles. En outre, l'empereur continue d'occuper une place déterminante comme protecteur de la foi. Théodoric lui-même désire recevoir l'approbation de Constantinople pour accroître son pouvoir en Occident.

Quand Gélase décède en 496, Anastase II devient pape. Il plaide pour une conciliation avec Constantinople et y envoie deux légats papaux. Le pape accepte de reconnaître l'Hénotique et de garder le nom d'Acace sur les diptyques. En échange de cette concession, qui pourrait lui attirer l'hostilité d'une partie du clergé et de la population en Italie, il obtient qu'Anastase reconnaisse Théodoric comme roi d'Italie. Les ornements impériaux qu'Odoacre a renvoyés à Constantinople en 476, après avoir renversé Romulus Augustule, le dernier empereur d'Occident, sont transmis à Théodoric. Toutefois, l'accord est mis à mal par le décès d'Anastase II. L'élection de son successeur donne lieu à des manifestations violentes à Rome, alors qu'une part notable des représentants ecclésiastiques et des habitants refusent toute concession à l'Empire d'Orient. Si Symmaque, hostile aux monophysites, est d'abord élu, il est supplanté par Laurent, entre 501 et 507, plus favorable au rapprochement avec Constantinople.

Entre-temps, les relations se sont tendues entre l'empire d'Orient et les Ostrogoths. Si Théodoric a enfin été reconnu comme monarque d'Italie et a revêtu des insignes impériaux, il n'est pas considéré comme un empereur pour autant par Anastase. Or, il a des visées expansionnistes qui menacent le territoire de l'empire d'Orient en Pannonie. Cette région est alors occupée par les Gépides mais Théodoric les vainc en 504 et s'empare de Sirmium, la principale cité de la région, cédée par Valentinien III à l'empire d'Orient en 437. En outre, il s'est allié au général Mundus, un chef gépide qui mène des raids en Dacie, menaçant les positions impériales. Anastase envoie son maître des milices d'Illyrie le combattre mais il est vaincu en 505, en partie à cause de l'intervention de troupes de Théodoric. Le roi ostrogoth se méfie tout de même d'une détérioration trop sensible de ses relations avec Constantinople. Prudemment, il tente de négocier avec Anastase mais celui-ci ne donne aucune suite à ses avances, bien qu'il reconnaisse l'annexion de Sirmium en 510[13]. Face à l'échec de la solution militaire, l'empereur décide de contre-attaquer diplomatiquement. Plus à l'ouest, dans l'ancienne Gaule, le roi des Francs, Clovis Ier s'est constitué un puissant royaume susceptible de contester l'hégémonie de Théodoric. En se convertissant au catholicisme, Clovis a renforcé sa position. Pour s'offrir son alliance, Anastase le nomme patrice et lui confère la dignité consulaire. Dès lors, Théodoric n'est plus légitime à convoiter la Gaule car le royaume des Francs est reconnu légitime à occuper cette terre par l'empereur romain d'Orient. De surcroît, Anastase envoie sa marine piller les côtes italiennes.

Ces manœuvres n'empêchent pas Théodoric de poursuivre ses ambitions. Pour parer à la menace franque, il envahit la Septimanie en 508. En 511, il profite du désordre interne au royaume wisigoth pour s'en faire proclamer roi. Il complète son réseau d'alliances en s'associant à des peuples germains, dont les Hérules et la ligue des Thuringes. En réaction, Anastase use encore de la diplomatie. Il s'allie aux Lombards pour que ceux-ci attaquent les Hérules et les chassent de Slovaquie. À la mort d'Anastase, le royaume de Théodoric est clairement le plus puissant d'Occident. Toutefois, la diplomatie byzantine est parvenue à contrôler son expansion dont les bases restent fragiles et fortement liées au prestige personnel du roi ostrogoth.

Face aux Perses

C'est en Orient que le principal effort militaire d'Anastase se porte. En face de l'Empire byzantin se dresse l'empire des Sassanides, une puissance d'importance avec laquelle les relations sont pourtant apaisées depuis plusieurs décennies. Cependant, en 488, l'empereur Kavadh Ier arrive au pouvoir et consolide rapidement son emprise sur le trône. En outre, les relations byzantino-perses se crispent autour du contrôle de la vaste zone frontalière entre les deux empires, en partie constituées de zones désertiques difficiles à contrôler. Dans ces territoires, des peuples variés coexistent et entretiennent des relations avec les deux grandes puissances régionales. Les Ghassanides se convertissent au christianisme et se rapprochent de Constantinople, tout comme les Kindites. Mais d'autres peuples, comme les Lakhmides, sont des alliés des Perses et des ennemis des Ghassanides. Ces tribus contribuent elles-mêmes à menacer la paix. Au début des années 490, les Lakhmides lancent un raid contre les Byzantins, annonçant la venue de temps plus troubles en Orient. En 498, ils pillent la Palestine, l'Arabie et la Syrie. Le général byzantin Eugène parvient toutefois à les vaincre. En outre, les propres alliés de l'Empire romain d'Orient se retournent parfois contre lui, mécontents des privilèges qui leur sont parfois retirés ou les trouvant simplement insuffisants. Ils vont même jusqu'à attaquer les provinces frontalières syriennes et palestiniennes.

Pour calmer la situation, Anastase accepte des concessions aux Kindites et aux Ghassanides. Il renouvelle leur statut d'alliés de l'Empire et confère à leurs dirigeants le statut de phylarque. Formellement, ils sont subordonnés aux gouverneurs des provinces frontalières de l'Empire mais en réalité, ils sont fortement autonomes[14]. En revanche, les Lakhmides continuent leurs entreprises guerrières en 502-503.

Dans le même temps, les relations se tendent avec les Perses. Kavadh Ier a été renversé en 496 et il ne récupère son trône qu'avec l'aide des Huns Shvetahûna en 499. Néanmoins, ils exigent de Kavadh le versement d'un lourd tribut en compensation de leur aide. L'empereur perse se tourne alors vers Anastase, lui demandant de reprendre les paiements que l'Empire byzantin doit aux Sassanides depuis un traité de 442. Anastase est plutôt favorable à cette requête. Il ne soutient pas les Arméniens qui se rebellent contre Kavadh. Cependant, il ne veut pas que le versement prenne la forme d'un tribut mais d'un prêt. Ainsi, Anastase devient le créditeur de Kavadh et non son obligé. L'empereur sassanide ressent cette demande comme une humiliation et un rejet du traité de 442. S'appuyant sur ce qu'il considère comme un casus belli, il déclenche la guerre d'Anastase en 502. Ce conflit, d'envergure limitée, dure quatre ans. Kavadh espère contraindre Anastase à lui payer le tribut demandé et lance des opérations en Sophène et en Mésopotamie romaine, composées de raids et de sièges, sans réelle volonté de conquêtes territoriales. Les troupes frontalières, chargées de défendre le limes, sont rapidement dépassées. Anastase envoie alors le maître des milices d'Orient et le maître des milices præsentalis (responsable des troupes de la capitale) combattre les Sassanides mais la mésentente s'installe entre les deux généraux. Finalement, c'est le magister officiorum, Celer, qui prend la tête des opérations. Pour autant, il n'obtient aucun succès décisif. En face, les Perses n'ont pas plus de réussites et le conflit s'enlise. Ils se retirent en 505 alors que les Huns les attaquent. En 506, un traité de paix est signé. Anastase s'engage à verser 550 livres d'or à Kavadh, ce qui est moins que le tribut demandé initialement. Dans le même temps, Anastase fait renforcer les fortifications frontalières, fortifiant Dara, une position située à proximité directe de la frontière, ainsi que Théodosiopolis. La Mésopotamie romaine est alors en mesure de soutenir une future invasion perse.

En mer Rouge

Alors qu'Anastase est plutôt prudent et défensif sur la plupart des fronts, il mène une politique active et aventureuse en mer Rouge et dans les territoires au sud de l'Égypte byzantine. Il noue des relations étroites avec les deux royaumes régionaux : celui d'Aksoum et celui d'Himyar sur la côte yéménite. Ils représentent d'importants partenaires commerciaux pour l'Empire, exportant des produits précieux d'Afrique et d'Arabie comme l'ébène, l'encens, l'ivoire ou les épices. Ils sont aussi d'importants comptoirs commerciaux sur la voie maritime qui relie le monde méditerranéen à l'Extrême-Orient. Ce commerce aboutit au port d'Eilat, dans le golfe d'Aqaba. À cette époque, le commerce entre l'Empire et le monde indien repose principalement sur les Aksoumites car les navires byzantins ne s'aventurent pas au-delà du détroit de Bab-el-Mandeb. Toutefois, les relations entre le royaume d'Aksoum et le royaume d'Himyar se détériorent sur fond de querelles religieuses. Le second s'est converti au judaïsme et réagit mal aux exactions commises par les Aksoumites à l'encontre des Juifs. En représailles, ils tuent des commerçants byzantins. Le roi aksoumite, Andas, riposte militairement, probablement à l'instigation d'Anastase. Après son succès, l'empereur lui envoie un évêque monophysite qui participe à l'évangélisation de la région, en particulier du Yémen. Anastase parvient donc à étendre la sphère d'influence de l'Empire à des régions éloignées et traditionnellement en dehors du champ d'action de la diplomatie romaine.

Organisation de l'Empire

Anastase est particulièrement réputé pour son œuvre administrative. Ernst Stein le qualifie de « fiscaliste rigoureux ». Pour s'assurer de la réussite de ses réformes, il s'entoure de fonctionnaires qualifiés, recrutés sur la base de leur mérite et non de leur richesse. Le plus connu d'entre eux est Marinus, véritable architecte de la politique fiscale et budgétaire d'Anastase[15]. Sa première réforme fiscale est l'abolition du chrysargyre un impôt dont l'assiette repose sur les artisans et les commerçants des villes. Prélevé tous les cinq ans, il devient une charge fiscale de plus en plus lourde sans avoir un rendement intéressant pour l'Empire. L'abolition pourrait avoir pour objectif de stimuler le commerce urbain alors que les rentrées fiscales reposent désormais sur l'économie rurale et le commerce international[16],[17]. Cette décision est très bien accueillie par la population. En revanche, l'administration est beaucoup plus critique. L'empereur est obligé d'admettre des erreurs, ce qui atteste du poids de l'administration mais ne revient pas sur sa décision.

Toujours dans le cadre d'une politique fiscale favorable à la population, il réduit l'impôt des Limitanei, les troupes frontalières. De même, il consent à des remises d'impôts pour les régions frappées par les guerres. En outre, Anastase s'assure que le rendement de l'impôt est optimal. Il rend les curiales, les fonctionnaires municipaux, responsables sur leurs deniers propres, de la perception de l'impôt. S'il s'avère que la somme versée est inférieure à ce qui est attendu, ils doivent payer la différence. Toutefois, cette réforme a un effet pervers. Les curiales sont tentés d'accroître démesurément la pression fiscale sur la population. Par conséquent, ils sont en partie déchargés de leur mission fiscale et assistés de fonctionnaires spécifiques, les vindex, nommés par le préfet du prétoire. Le doute subsiste sur l'efficacité de cette réforme car ces agents aussi tendent à exiger des sommes importantes auprès des contribuables.

La question religieuse

L'Ivoire Barberini, diptyque en ivoire du VIe siècle représentant Anastase Ier ou son successeur Justin Ier.

Son règne est traversé par des révoltes et des guerres civiles, qui se fondent sur des divisions religieuses de plus en plus prononcées.

Monophysite présumé, il est critiqué par les orthodoxes pour son manque de vigueur dans la lutte contre les thèses condamnées par le concile de Chalcédoine de 451 et leurs partisans.

Il commence son règne en soutenant l'Hénotique (l'acte d'union) rédigé en 482 par Acace de Constantinople, patriarche de Constantinople, à la demande de Zénon. Il s'agit d'un texte de compromis en vue d'apaiser les luttes entre les tenants et les détracteurs du concile de Chalcédoine qui a proclamé que le divin et l'humain constituent « deux natures distinctes » du Christ contre les monophysites. L'Hénotique étant combattu vigoureusement par le pape Gélase Ier (492-496), il rompt avec Rome.

Durant les vingt premières années de son règne, Anastase maintient une stricte neutralité entre les deux camps. Mais avec l’âge et devant l’agitation qui gagne la Syrie et la Palestine, ses sympathies monophysites se font plus évidentes et, en 511, il fait démettre le patriarche Macédonius II de Constantinople, l'année suivante ce fut le tour du patriarche d'Antioche, Flavien II, et en 516 celui du patriarche de Jérusalem, Élie Ier[18].

Il meurt le [19], à l'âge de quatre-vingt-huit ans, frappé par la foudre, selon l'historien byzantin Jean Malalas, d'obédience chalcédonienne. Cependant, il est plus vraisemblable qu'il soit mort d'un malaise cardiaque, dans son sommeil, fatigué par une journée très orageuse, vu son grand âge de 88 ans, à une époque où l'espérance de vie dépassait difficilement 40 ans à la naissance.

Notes et références

  1. (en) Leo Donald Davis, The First Seven Ecumenical Councils (325-787)
  2. (en) Warren Treadgold, The Early Byzantine Historians, Londres, Palgrave Macmillan, (réimpr. 2010), 432 p. (ISBN 978-0-230-24367-5), p. 248-251.
  3. Nicks 1998, p. 18-19.
  4. Nicks 1998, p. 19-20.
  5. Nicks 1998, p. 22-23.
  6. T. Stanford Mommaerts, « Ancient Genealogy chart - Anastasii », sur version du 4 novembre 2005.
  7. Christian Settipani, Continuité gentilice et continuité familiale dans les familles sénatoriales romaines, à l'époque impériale, mythe et réalité, Linacre, Royaume-Uni, Prosopographica et Genealogica, 2000, ILL. NYPL ASY (Rome) 03-983.
  8. Nicks 1998, p. 33-35.
  9. Nicks 1998, p. 35-36.
  10. Anastasius (AD 491-518). Hugh Elton - Florida International University - An Online Encyclopedia of Roman Emperors.
  11. Morrisson 2004, p. 339.
  12. Morrisson 2004, p. 338.
  13. Morrisson 2004, p. 312.
  14. Morrisson 2004, p. 404-405.
  15. Meier 2009, p. 120, 134.
  16. Évelyne Patlagean, Pauvreté économique et pauvreté sociale à Byzance, IVe – VIIe siècles, Mouton, Paris, 1977, p. 174.
  17. Meier 2009, p. 127.
  18. Jones (1986), p. 252 ; Norwich (1989), p. 186 ; Treadgold (1997), p. 171.
  19. Venance Grumel, Traité d'études byzantines - « I. La Chronologie », Presses universitaires de France « Empereurs Grecs », p. 356.

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

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