Créole

En linguistique, une langue créole (en anglais : creole ; en espagnol : criollo ; en portugais : crioulo[1]) est une langue qui est devenue native dans une société, mais qui descend à l'origine d'un pidgin. Un créole est une langue aussi complexe et aussi riche que n’importe quelle autre langue native. En revanche, un pidgin est une langue simplifiée, pauvre et relativement instable qui sert à faciliter la communication entre des populations différentes. Le pidgin se transforme en créole à partir du moment où il est parlé de manière native et permanente par une population. C'est cet usage permanent qui enrichit et complexifie les langues créoles. Par exemple, on peut considérer que la langue anglaise était au Moyen Âge un créole basé sur un substrat germanique et un apport roman.

Cet article concerne les langues créoles. Pour le sens ethnologique, voir Créoles. Pour les autres significations, voir Créole (homonymie).

Ainsi, la cohabitation linguistique des colons et des déportés africains mis en esclavage dans la Caraïbe, en Louisiane et dans l’Océan Indien a donné naissance aux langues dites créoles. Il existe de nombreux créoles à bases lexicales indo-européennes, notamment issus des langues anglaise, française, portugaise et néerlandaise pour les plus répandus, mais également à bases d’autres familles de langues, par exemple les créoles malais.

Une 'langue créole', ou simplement le créole, est une langue qui s'est développée à partir de la simplification et du mélange de différentes langues déjà existantes pendant une relativement courte période de temps. Même si l'idée semble similaire à celle d'une langue mélangée ou hybride, les créoles sont souvent caractérisés par une tendance à systématiser leur grammaire héritée (exemple : par l'élimination des irrégularités ou par la régulation de la conjugaison des verbes irréguliers). Comme n'importe quelle langue, les créoles sont caractérisés par un système de grammaire, possèdent un vocabulaire stable et étendu, et sont acquis par des enfants en tant que langue maternelle. Ces trois traits distinguent une langue créole d'un pidgin. Les créolistiques, ou la créologie, sont l'étude des langues créoles et donc sont des sous-catégories de la linguistique. Quelqu'un qui s'engage en cette étude s'appelle un créoliste.

Le nombre précis des langues créoles n'est pas clair. Celles-ci sont généralement basées sur les langues européennes comme l'anglais et le français à cause de la colonisation européenne et de la traite négrière atlantique qui débute peu de temps après. Avec l'amélioration de la construction navale et la navigation, les commerçants ont besoin d'apprendre comment communiquer avec les gens autour du monde, et la façon la plus rapide de le faire a été de créer un pidgin, ou une langue simplifiée qui était adaptée. Les langues créoles découlent en partie de ces pidgins. En plus des créoles qui ont des langues européennes comme base, il y a, par exemple, des créoles qui sont basés sur l'arabe, le chinois, et le malais. Le créole avec le plus grand nombre de locuteur est le créole haïtien, avec presque treize millions de locuteurs maternels, suivi par le tok pisin avec environ quatre millions, la plupart étant des locuteurs de deuxième langue[2].

Lexique de mot en créole guyanais, formant la carte de la Guyane.
Panneau en créole de Guadeloupe signifiant : « Ralentissez, nos enfants jouent ici » et plus littéralement : « Lève ton pied (de l'accélérateur), il y a des enfants qui jouent là ».

Développement d’un créole

La langue créole ou la désignation de créole n’est pas exclusive à la Caraïbe francophone.

La langue créole, est au départ un parler régional. Elle diffère d’une île à l’autre sans règle précise, très vivant selon les périodes, et est originaire d’une transformation du français, de l’anglais, de l'espagnol, de langues africaines ou de la langue des Kalinagos, voire d’autres langues de l’époque coloniale (minoritaires et confinées au statut de langue « clandestine » dans le système esclavagiste et colonial). Le créole, qui a été dans un premier temps un pidgin (cf. les différences entre un pidgin et un créole) est devenu la langue maternelle des descendants des esclaves et par extension des populations de la région concernée. Les mots empruntés aux langues-bases, en effet, ont subi un ensemble de modifications (phonétiques, sémantiques, etc.) qui leur donnent une identité propre mais les laissent parfois reconnaissables par les locuteurs de la langue mère.

Il existe plusieurs genres de créoles. Dans la Caraïbe françaises, ce moyen linguistique de communication s’est constitué de mots de diverses origines mais possède une syntaxe, une grammaire et une conjugaison basées sur le modèle des langues d’Afrique de l’Ouest et d'Afrique centrale http://creoles.free.fr/Cours/afrique.htm.

Le terme créolisation en linguistique

Le terme « créolisation » fut tout d'abord une appellation datant de l'époque coloniale. La créolisation était l'équivalent de l'acclimatation au nouvel environnement de l'esclave récemment déporté. Le créole désignant à l'origine l'européen né dans une colonie, le mot créolisation signifiait en fait l'intégration de sa langue par l'esclave, en y apportant quelques évolutions mineures.

Linguistiquement parlant, créolisation est un processus socio-ethnique identique du processus de pidginisation. Ce processus implique une langue de superstrat représentant la langue d’une minorité socio-économiquement dominante, et au moins une langue de substrat parlée par une grande majorité. En effet, certaines distinctions, tant socio-ethniques que linguistiques, ne différencient pas les processus de créolisation et de pidginisation.

Le terme créolisation en sociologie

Selon le sociologue Alain Ménil, le terme de créolisation, popularisé par Stuart Hall et le poète Édouard Glissant[3], a été inventé par l’historien jamaïquain E. K. Brathwaite[3], qui a analysé l'apparition après les abolitions de l'esclavage d'une « unité » des sociétés des Antilles[3], quelles que soient les puissances coloniales qui avaient imposé l'esclavage depuis le XVIIe siècle[3], avec pour résultat de dépasser ce passé colonial[3] en se débarrassant de la duplication d’un « modèle passé ou lointain, laissé en Europe ou en Afrique »[3] et en « relativisant les multiples apports qui s’y sont peu à peu déposés »[3] pour inventer autre chose. Ainsi le terme « Afro-américain » n'est utilisé dans aucune des îles des Antilles et la créolisation est radicalement différente des modèles théoriques qualifiant les sociétés parfois présentées comme multiculturelles, comme celle des États-Unis[3], et va même au-delà des différentes formes de métissage culturel. Selon Alain Ménil, ce mot de créolisation a ainsi « quitté le registre scientifique et académique » de disciplines universitaires y recourant, comme la linguistique et l'anthropologie sociale et culturelle[3]. Il est surtout utilisé pour décrire de nouvelles pratiques et traditions sociales et artistiques modernes qui ont unifié les populations de ces îles dans une culture commune[3], domaines où les réflexions sur la créolisation ont été les plus fortes[4].

Plus largement, pour Roger Bastide, sociologue et anthropologue français, spécialiste de sociologie et de la littérature brésilienne, les Amériques noires dans leur ensemble se distinguent globalement par une « rupture entre l’ethnie et la culture »[5], même les États-Unis conservant la notion de melting pot.

En France, même si le multiculturalisme a longtemps été écarté par les initiatives s'adressant à la diversité culturelle[6], il a souvent été confondu, par abus de langage, avec un interculturalisme[6] beaucoup plus proche de la créolisation que du multiculturalisme.

Le concept s'est aussi beaucoup popularisé en Amérique du Sud selon des anthropologues. Pour la professeure de littératures francophones à l'université Paris 8, Françoise Simasotchi-Bronès, Édouard Glissant y a ajouté une dimension philosophique[7]. Pour ce dernier, il désigne les identités culturelles inédites résultant de la confluence des différences[8], via un mouvement « de brassage, de transgression » des cultures[6].

Conditions sociales

  • La créolisation se produit dans une communauté multilingue (où au moins deux langues sont présentes). Whinnom (1971) postule que dans les communautés bilinguistiques, une des parties tendait à apprendre l’autre langue, bloquant ainsi le processus de relexification.
  • Il existe un groupe social minoritaire économiquement dominant, ce qui se produit particulièrement dans une situation d’esclavagisme.
  • La langue de superstrat est difficile d’accès aux locuteurs des langues de substrat.
  • La communication entre les membres parlant les langues de substrat s’effrite, normalement par attrition des générations ayant eu des compétences dans l’une ou l’autre des langues de substrat.

Par exemple, le créole haïtien est socio-historiquement à superstrat français (le français colonial à base du français populaire de Paris).

Génération de la langue créole

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer la génération d'un créole.

Selon l'une d'entre elles, défendue notamment par Thomason & Kaufman[9], ainsi que par Singler[10], la créolisation est remarquable par sa rapidité. À peine 10 à 20 ans suffisent, ce qu'ils considèrent comme un changement linguistique brutal. Le processus intervient sur une ou deux générations, soit 25 ans, après l’implantation régionale de la communauté.

Selon une autre hypothèse, défendue notamment par DeGraff, Fournier et Wittmann[11], la genèse d’un créole est un fait purement socio-historique et ne constitue pas une exception aux théories de la grammaire universelle et du changement linguistique.

À l'instar des dialectes revendiquant un statut de langue à part entière, certains mouvements entendent officialiser également le créole.

Liste des créoles

À base lexicale allemande

À base lexicale anglaise

À base lexicale arabe

À base lexicale bobangi

À base lexicale espagnole

À base lexicale française

Le lièvre et la tortue, île Maurice, 1819.

À base lexicale kongo

À base lexicale malaise

À base lexicale néerlandaise

  • negerhollands
  • berbice-nederlands
  • skepi (éteint)

À base lexicale Ngbandi

À base lexicale portugaise

Différence des créoles à base lexicale française

françaiscréole haïtiencréole guadeloupéencréole guyanaiscréole martiniquaiscréole réunionnaiscréole mauricien
moi, jemwen, mapmwen, anmomwen, manmwin, moin, mi, amwin, amoinmo, mwa
toi, tuou/ oumenmou, vouto, ouou, wou, ou menmou, twé, toué, atwé, atoué, ti, vou, vi,to, twa
il, elleli/ limenmi, lii, lili, i, li menmli, lu, ali, aluli
nousnou/ noumenmnounounou, nou menmnou, ni, nunou
vousnou/ noumenm, zot zòtzòtzot, zot menmzot, ou, vi et vou (politesse)zot, ou (politesse)
eux, ils, ellesyo/ yomenmyoyo, yo menmAzot, banna, bann-la, zot, zot-toutezot, bane la
eaudlodlo, agwédilo, d'lo (forme courte)dlodolo, delo, dlodilo
terrelatèlatèlatè(-a)latètèrlater
boirebwèbwèbwèbwè, brèbwar, boirbwoar
cielsyèlsyèlsyèl-asyelsyèl, siellesiel
jourjoujoujoujouzour, jourlizour
mangermanjemanjémanjémanjémanzé, manjémanzé
femmefanmfanmfanm, man, madanmfanm, madanm, machèfanm, madanmfam, madam
hommenonm, monchè, misyé, boug, negboug,nonmboug, mouché, wonmboug, nonm, misyé, negboug, bononm, zonm, méssié, missiézom, misié, bolom, lom, boug
vouloirvlevé, veu,lé, oulé
feudifedifédifédifédofé, dfédifé
grandgrangwan, grangrangrangrangran
nuitlannwit lannwit (le t sonore)lannwit (le t sonore), soukoulannwit (le t sonore), nwèssènwit, nuit (le t sonore), fénoirlanwit (le t sonore)
petitti, piti, pititti,piti, toupiti, toupitpiti, ti, toupititi, piti, pititti, ptipiti, ti, tipti

Codification

Notes et références

  1. Le sens portugais d'origine « serviteur élevé dans la maison de son maître » (et non en Afrique) dérive du verbe criar « élever », qui a pour origine le latin creare « créer » : « créole », Centre national de ressources textuelles et lexicales.
  2. (en) Suzanne Romaine, Pidgin and Creole Languages, Routledge, (ISBN 978-1-315-50495-7, lire en ligne)
  3. "La créolisation, un nouveau paradigme pour penser l 'identité ?" par Alain Ménil dans la revue Rue Descartes
  4. "La créolisation est-elle une décolonisation ? Poétique et politique" par Seloua Luste Boulbina dans la revue Rue Descartes en 2014
  5. R. Bastide, Les Amériques noires, 1996, Paris, L’Harmattan, cité par Alain Ménil dans la revue Rue Descartes
  6. "La pédagogie interculturelle : entre multiculturalisme et universalisme" par Martine A. Pretceille, dans la revue Rechercheds en éducation en 2010
  7. "Qu'est-ce que la créolisation, nouvel étendard de Jean-Luc Mélenchon?" par Vincent Bresson le 1er octobre 2021 dans Slate
  8. « Une biographie pour mieux saisir l’ogre Edouard Glissant », Les Inrocks, (lire en ligne, consulté le )
  9. Thomason & Kaufman (1988)
  10. Singler (1996)
  11. Wittmann (1994, 1995, 1999), Wittmann & Fournier (1994), DeGraff (2002, 2003).
  12. Plus exactement, « créoles et pidgins », chaque créole ayant par ailleurs sa propre codification spécifique : ainsi, cpf pour les créoles à base lexicale française, ou rcf pour le créole réunionnais.

Voir aussi

Bibliographie

  • DeGraff, Michel. 2002. Relexification: A reevaluation. Linguistic Anthropology 44:4.321-414.Lire en ligne[PDF]
  • DeGraff, Michel. 2003. Against Creole Exceptionalism. Language 79.391-410.
  • Singler, John. 1996. Theories of creole genesis, sociohistorical considerations, and the evaluation evidence. The case of Haitian Creole and the Relexification Hypothesis. Journal of Pidgin and Creole Languages 11.185-231.
  • Thomason, Sarah & Terrence Kaufman. 1988. Language contact, creolization, and genetic linguistics. Berkeley: University of California Press.
  • Whinnom, Keith. 1971. Linguistic hybridization and the ‘special case’ of pidgins and creoles. Pidginization and Creolization of Languages, ed. Dell Hymes, 91-115. Cambridge University Press.
  • Wittmann, Henri. 1994. Relexification et créologenèse. Proceedings of the International Congress of Linguists 15:4.335-38. Québec : Presses de l’Université Laval.
  • Wittmann, Henri. 1995. Grammaire comparée des variétés coloniales du français populaire de Paris du 17e siècle et origines du français québécois. Le français des Amériques, éd. Robert Fournier & Henri Wittmann, 281-334. Trois-Rivières : Presses universitaires de Trois-Rivières.
  • Wittmann, Henri. 1999. Prototype as a typological yardstick to creoleness., The Creolist Archives Papers On-line, Stockholms Universitet.
  • Wittmann, Henri & Robert Fournier. 1994. Le créole haïtien, langue kwa relexifiée : vérification d’une hypothèse 'P&P' ou élaboration d’astuces computationnelles ?, Créolistique et grammaire générative, éd. Louis-Jean Calvet, 115-39. Paris : Sorbonne, Laboratoire de sociolinguistique (Plurilinguismes 8).
  • Jürgen Lang: 2009.Les langues des autres dans la créolisation : théorie et exemplification par le créole d'empreinte wolof à l'île Santiago du Cap Vert. Tübingen: Narr.
  • Robert Damoiseau, 2014. Pour une approche comparative de la grammaire créole : Créoles guadeloupéen, martiniquais, guyanais, haïtien (anglais : A Comparative Approach to the Creole Grammar: The Antillean Guadeloupean, Martiniquan, French Guianese, and Haitian Creoles). (lien vers article en entier)

Articles connexes

Liens externes

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