Histoire du département des Ardennes

Le département français des Ardennes est l’un des quatre-vingt-trois départements créés le . C’est un département à la frontière de la Belgique, constitué de façon un peu artificielle sur la base d’un territoire rattaché, sous l’Ancien Régime, à de multiples structures féodales et administratives. C’est aussi un territoire caractérisé par une diversité économique, géographique, géologique et linguistique.

Les pays ardennais à la frontière du Royaume de France

Plan de la Principauté de Sedan

Le territoire correspondant au département actuel des Ardennes a été habité très tôt, sous l’Antiquité et même sous la Préhistoire.

Contrairement aux lieux communs sur le caractère infranchissable de la forêt des Ardennes, cette région s'est montré perméable et ouverte aux échanges et aux flux migratoires[1],[2]. C'est à Attigny, en Ardennes, que Widukind de Saxe aurait été converti au christianisme avec plusieurs de ses hommes en 785 par Charlemagne. Dès l’an 843, dans le haut Moyen Âge, le traité de Verdun qui partage l'Empire de Charlemagne entre ses trois petits-fils en fait cependant une zone frontalière, le long de la Meuse, entre la Francie occidentale (le futur Royaume de France) et la Francie médiane qui va de la Frise à l'Italie[3]. L’appartenance de ces territoires au royaume de France n’a été remise en cause réellement que durant quelques décennies, pendant la guerre de Cent Ans, sous l’action des Rois d’Angleterre et des ducs de Bourgogne[4],[5].

Fort de Charlemont dans la pointe de Givet

Du XVe siècle au milieu du XVIIe siècle, les rois de France, dont l’autorité est fragilisée par les guerres de Religion et les mouvements de Fronde[note 1], acceptèrent et encouragèrent même la création de principautés à la lisière du territoire ardennais. Ces principautés étaient des fiefs théoriquement souverains et constituaient autant de marches protégeant le Royaume : les principautés de Sedan, de Château-Regnault et d’Arches notamment[4]. Pour autant, Richelieu puis Mazarin s’employèrent au XVIIe siècle à rétablir l’autorité royale, à absorber ces principautés, et à mettre à profit la victoire de Rocroi en 1643 pour mieux délimiter les frontières et s’emparer de places-fortes telles que le fort de Charlemont[6], dans la pointe de Givet. Puis, dans la première moitié du XVIIIe siècle, les secrétaires d'État de la Guerre s’obligèrent à renforcer les lignes de défense aux frontières, sur la Meuse et la Semoy, avec un certain succès[7].

Avant la Révolution française de 1789, les frontières s'étaient stabilisées[8]. Mais dans certaines communes des Ardennes, le rattachement à la France était récent et certains habitants connaissaient à peine leur maître. Ainsi peut-on lire dans le cahier de doléances de 1789 de la ville de Fumay cette remarque en début de rédaction : « Depuis qu’ils (les habitants de Fumay) ont l’honneur d’appartenir à la France, ils ont été conduits comme des esclaves mercenaires qui ne connoissent (sic) leur maître que pour les rigueurs qu’exercent sur eux ses agents intermédiaires »[9].

La formation territoriale du département des Ardennes

1789 : les anciennes provinces
Mirabeau

Entre le décret décidant la départementalisation de la France, voté par l'Assemblée constituante le 22 décembre 1789 et le décret du , définissant le nombre exact et les limites des premiers départements français, quelques semaines avaient été laissées aux représentants de la Nation pour finaliser des discussions[10].

Ces discussions furent particulièrement difficiles concernant la région au nord de la Champagne et à l’ouest de la Lorraine. Cette région était caractérisée par un émiettement politique : deux duchés-pairies, quatre marquisats, sept comtés, sept baronnies, quarante-six terres relevant directement de la Couronne royale, sans compter quelques autres seigneuries isolées. Le même émiettement existait dans l’administration avec quatre généralités et quatorze bailliages. Et d’un point de vue religieux, ce territoire était également aux confins de quatre diocèses : la plus grande partie des paroisses étaient rattachées au diocèse de Reims, mais quelques doyennés étaient restés sous la houlette du diocèse de Trèves, du diocèse de Laon ou de celui de Liège[11].

Ce territoire se caractérisait également par une diversité linguistique, avec les dialectes wallon, champenois et lorrain (qui se diluèrent au XIXe siècle, par l’intensification des échanges économiques[12]), et une diversité des sous-sols géologiques, des paysages et des terroirs, avec leurs conséquences sur les activités humaines[13],[14]. Cette diversité peut par exemple être illustrée par les contrastes entre la région appelée à tort Champagne pouilleuse, ce « bon » et « beau » pays cher à Roger Dion[15] et la vallée de la Meuse. Des études ont également montré les différences (même si elles tentent à s’estomper ), dans l’organisation des structures familiales, des pratiques endogamiques sur les hauts plateaux septentrionaux aux pratiques exogamiques du Rethélois[16].

Malgré ces différences qui contrevenaient aux principes de cohésion chers à Mirabeau, le département des Ardennes fut imaginé. Réunis dans un comité spécifique, les députés de la province de Champagne procédèrent en plusieurs étapes et échafaudèrent divers scénarios avant d’aboutir au découpage actuel. Le , ils proposèrent la division de la Champagne en trois départements, Reims devenant le chef-lieu de la région septentrionale qui englobait, outre les alentours de cette ville, le Rethélois, le Vouzinois, et les territoires jusque la pointe de Givet. Mais cette proposition ne pouvait être retenue, de par la position décentrée de Reims. Le , l’idée de créer un quatrième département pour cette partie septentrionale émergea. Rethel, Charleville et Sedan semblaient en compétition pour faire office de chef-lieu, l’hypothèse de Sedan provoquant le ralliement de l’ex-duché de Carignan, précédemment prévu comme une partie du département de la Meuse. En , l’hypothèse de quatre départements fut définitivement retenue[17],[18]. On ignore par contre qui proposa, en , de donner au département le plus septentrional le nom de département des Ardennes, nom qui désignait un massif et une forêt n’occupant qu’une partie réduite de son territoire[19]. Le découpage en département pris effet le [note 2].*

Le choix du chef-lieu de département et du siège de l’évêché

École du génie militaire de Mézières

Si le découpage du département était désormais établi, le choix du chef-lieu du département restait à faire. Trois villes prétendaient à ce titre, Sedan, la plus industrielle (textile) et la plus peuplée avec 12 000 habitants, Charleville, une cité récente en plein essor commercial avec 8 000 habitants, et Rethel, industrieuse avec 4 500 habitants[19],[20]. Les députés de l’ancienne province de Champagne avaient décidé le de laisser le choix de ce chef-lieu aux électeurs du département (situation qui se produisit de la même façon dans 38 autres départements). Le , c’est une quatrième ville, Mézières, qui fut retenue en définitive. Mézières était une cité commerciale en perte de vitesse mais aussi une ville de garnison, et une place forte. Une école prestigieuse y était implantée, l’École du génie militaire[19]. Gaspard Monge, qui y fut professeur, s'inspira des méthodes en usage à cette École du génie pour mettre au point l'enseignement de ce qui allait devenir l'École Polytechnique[21]. Par contre, Mézières ne comptait que 3 600 habitants[19].

Le , dans le cadre de la Constitution civile du clergé, un évêché par département fut constitué, faisant ainsi coïncider le découpage administratif et l'organisation des paroisses. À cet effet, le diocèse des Ardennes est créé, comme ceux de Versailles, Laval, Moulins, Bastia, Châteauroux, Colmar, Guéret et Saint-Maixent. Il se voit rattacher les paroisses du département. Le nouveau diocèse englobe des communes françaises précédemment rattachées au diocèse de Reims mais aussi à des diocèses dont le centre épiscopal était situé hors du département (Brienne-sur-Aisne et Neuville-aux-Joutes étaient rattachées au diocèse de Laon) ou hors de France, en particulier le diocèse de Liège, pour les pays de Givet et Fumay, et le diocèse de Trèves, pour la région de Carignan. Nicolas Philbert, le premier évêque de ce nouvel évêché, écrit quelques mois plus tard, dans sa lettre pastorale du  : « il était contre les intérêts de la Nation que des Français fussent dépendants de pasteurs étrangers qui n'étaient pas soumis aux lois de l’État et qui, avec des intérêts opposés, pouvaient troubler impunément son repos, soit par des suggestions adroitement ménagées, soit par des ordonnances contraires aux libertés de l’Église gallicane »[22] . Sedan, de nouveau en concurrence avec Mézières, mais aussi avec Mouzon, fut choisi comme siège épiscopal. Cette désignation de Sedan fut sans doute une mesure de compensation partielle pour ne avoir pas été retenu comme chef-lieu du département[23].

Mise en place des districts et des cantons

Le , une carte des districts et des cantons du département des Ardennes fut officialisée. Six districts furent créés, ébauches de futurs arrondissements : Rocroi (regroupant 13 cantons, et 72 communes), Charleville (regroupant 12 cantons et 107 communes), Sedan (regroupant 9 cantons et 90 communes), Grandpré (regroupant 9 cantons et 64 communes), Vouziers (regroupant 10 cantons et 83 communes), et Rethel (regroupant 13 cantons et 119 communes). C’était Rethel qui réunissait la plus forte recette fiscale, grâce à son foncier[23].

Après la mise en place de cette nouvelle organisation administrative, restait à obtenir l’adhésion des populations. Elle se fit sans doute plus vite que prévu sous les menaces extérieures, de l’autre côté de la frontière. De 1791 à 1793, les 6 districts (Rocroi, Charleville, Sedan, Grandpré, Vouziers et Rethel) du département des Ardennes ont fourni 6 bataillons de volontaires nationaux. Le , l'armée des Ardennes, créée en 1792, et l'armée du Nord, fusionnèrent avec l'armée de la Moselle, pour devenir l'armée de Sambre-et-Meuse.

Mise en place de l’organisation préfectorale

Préfet napoléonien

Le premier consul Bonaparte créa les préfets par la loi du 28 pluviôse an VIII. Il s’appuya sur quelques personnes dont son frère et ministre de l’intérieur Lucien Bonaparte ainsi que sur les deux autres consuls, Jean-Jacques-Régis de Cambacérès et Charles-François Lebrun. Il semble que ce soit Lebrun qui ait proposé Joseph Frain comme premier préfet des Ardennes[24]. Il s’installa à Mézières, dans l'ancien bâtiment de l'École du Génie (école transférée à Metz en 1796).

Après le sacre de Napoléon Ier, la ville de Sedan demanda le transfert de la préfecture dans ses murs. Le préfet Joseph Frain préféra le statu quo. Il tenta par contre une fusion de Charleville et de Mézières, cités très proches l’une de l’autre, en réunissant séparément les deux conseils municipaux, sans succès[25],[26]. Joseph Frain aurait envisagé différents noms pour la cité résultant de la fusion, dont Napoléonville.

En 1801, un accord politique fut trouvé entre l’empereur Napoléon et le pape Pie VII. Le , le Concordat fut signé. Le diocèse de Sedan disparut à la suite de cet accord. Le département des Ardennes releva désormais du diocèse de Metz (avant d'être réuni à nouveau, en 1822, au diocèse de Reims).

Évolutions ultérieures

Le , le traité de Paris signé par Louis XVIII à la suite de la première Restauration, se traduisit par un agrandissement significatif du département des Ardennes qui se vit adjoindre les cantons des anciens département de Jemappes et de Sambre-et-Meuse[27] restés français. Après les Cent-Jours, l’issue de la bataille de Waterloo, en juin 1815, rebattit les cartes. Le département des Ardennes fut envahi et resta occupé pendant trois ans par des troupes prussiennes et russes. Le , un nouveau traité de Paris, remit en place les frontières de 1789[27].

En 1926, les arrondissements de Rocroi et Sedan furent supprimés. Celui de Sedan fut rétabli en [28]. À la fin des années 1950, avec le début de la Cinquième République, le nombre de députés des Ardennes fut réduit sensiblement passant de 5 à 3. Dans les années 1960, le préfet Robert Hayem reprit l’idée du premier préfet des Ardennes, Joseph Frain, de fusionner Charleville et Mézières en Charleville-Mézières. En , le décret fusionnant Charleville, Mézières, Mohon, Montcy-Saint-Pierre et Étion fut publié au Journal Officiel de la République française. La fusion fut effective le [29].

Notes et références

Notes

  1. La Fronde eut un impact désastreux en Ardennes avec un pays dévasté entre Reims, Rethel, et Vouziers, et la disparition de plusieurs villages, notamment Ardenay (voisin de Prosnes) , Burigny (voisin de Witry-les-Reims), Marqueuse (voisin de Fresne-les-Reims), Mouchery (voisin de Beine), Sainte-Anne (voisin de Saint-Thierry), Saint-Aubeuf (voisin de Bouvancourt), Tourizet (voisin de Bétheny), Germigny-Pend-la-Pie, Gerson, Nepellier (voisin de Nanteuil-sur-Aisne), Somme-Arne (voisin de Saint-Étienne-à-Arnes), Théline (voisin de Vouziers), Warny ou Warigny (voisin de Machault)
  2. Lettres patentes du Roi sur un décret de l'Assemblée Nationale des 15 janvier, 16 et 26 février 1790, qui ordonnent la division de la France en quatre-vingt-trois départements ».

Références

Voir aussi

Bibliographie

Publications classées par date de parution, des plus récentes aux plus anciennes.

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Articles connexes

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