Pédocriminalité
La pédocriminalité est un terme de criminologie pour qualifier les crimes à l'encontre des mineurs ; catégorisés dans l'abus et/ou l'exploitation sexuelle des enfants[1].
À ne pas confondre avec le terme populaire de pédophile qui par son étymologie renvoie à l'attirance/amour envers les enfants et prend racine dans la littérature médicale, intellectuelles ou artistiques. La pédocriminalité renvoie aux notions de crimes et violence sexuelle organisés ou non.
Généralités
En février 2018, suite à l'examen d'une sélection aléatoire d'images et de vidéos figurant dans la base de données ICSE, INTERPOL et ECPAT International ont conjointement publié un rapport intitulé « Vers un indicateur international pour les victimes non identifiées des contenus mettant en scène l'exploitation sexuelle d'enfants »[2].
L'étude a mis en lumière plusieurs tendances alarmantes :
- Plus les victimes sont jeunes, plus les sévices qu’elles subissent sont graves.
- 84 % des images mettent en scène un acte sexuel.
- Plus de 60 % des victimes non identifiées sont des préadolescents, dont des bébés et de très jeunes enfants.
- 65 % des victimes non identifiées sont des filles.
- Les garçons sont davantage représentés dans les images montrant des sévices graves.
- 92 % des délinquants visibles sont des hommes
Loi française
En droit français, les termes utilisés pour décrire les crimes sexuels entre un majeur et un enfant sont « atteinte sexuelle sur mineur », « agression sexuelle » ou « viol ». Il existe aussi des infractions de « corruption de mineur » pour l'incitation de mineur à des actes sexuels. En dessous de l'âge de la majorité sexuelle l'infraction est automatique. Au-dessus de 15 ans et en dessous de 18 ans, le juge décide si le mineur est en mesure de donner son consentement. L'âge de la majorité sexuelle a évolué à travers le temps : 11 ans en 1832, 13 ans en 1863, 15 ans en 1945[3].
Par ailleurs, la nubilité, l'âge légal à partir duquel le mariage est autorisé, est de 18 ans pour filles et garçons depuis 2006[4], il était de 15 ans pour les filles auparavant. La loi française n'établit aucune relation particulière entre les dispositions concernant la majorité sexuelle et celles concernant le mariage. L'expression d'âge nubile n'est plus utilisée par le Code civil.
Tous les textes législatifs français peuvent être consultés sur le site Légifrance, plus particulièrement dans la section Code pénal.
- Viol : Articles 222-23 à 222-26 du Code pénal
- Agressions sexuelles : Articles 222-27 à 222-31 du Code pénal
- Atteintes sexuelles : Articles 227-25 à 227-27 du Code pénal
- Corruption de mineurs : Article 227-22 du Code pénal
- Exploitation à caractère pornographique de l'image d'un mineur : Article 227-23 du Code pénal
- Article 227-24 du Code pénal
- Article 321-1 du Code pénal
Le viol est un crime, jugé en cour d'assises, avec peine de prison à partir de 10 ans et délai de prescription exceptionnel de 30 ans à partir de la majorité de la victime. Alors que les autres infractions citées sont des délits, jugés devant les tribunaux correctionnels, avec peine de prison de 3 à 10 ans maximum et délai de prescription exceptionnel de 10 ans à 20 ans après la majorité de la victime. (Articles 7[5] et 8[6] du Code de procédure pénale.)
Les règles de prescription définies dans le Code de procédure pénale sont très compliquées à la suite des évolutions successives de la loi :
- Loi du : crime ⇒ 10 ans après les faits ; délit ⇒ 3 ans après les faits
- Loi du : crime par personne ayant autorité ⇒ 10 ans après la majorité de la victime
- Loi du : délit par personne ayant autorité ⇒ 3 ans après la majorité de la victime
- Loi du : crime par personne n'ayant pas autorité ⇒ 10 ans après la majorité de la victime ; délit sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant autorité (222-30 & 227-26) ⇒ 10 ans après la majorité de la victime ; délit (cas général) ⇒ 3 ans après la majorité de la victime
- Loi du : crime et délit (Code pénal 222-30 & 227-26) ⇒ 20 ans après la majorité de la victime article 7 du Code de procédure pénale) ; délit ⇒ 10 ans après la majorité article 8 du Code de procédure pénale)
- Loi du : délit sur mineur moins de 15 ans (Code pénal 222-29-1)15⇒ 20 ans après la majorité de la victime
- Loi du : crime sur mineur ⇒ 30 ans après la majorité de la victime
Les délais de prescription sont immédiatement applicables aux infractions commises avant l'entrée en vigueur de la loi, dès lors que la prescription n'est pas encore acquise (article 50 de la loi du ). Ce qui signifie que ces lois sur la prescription s'appliquent sur des actes antérieurs à chacune des lois dès lors que les actes n'étaient pas déjà prescrits (cas exceptionnel de rétroactivité de la loi pénale). Le calcul de la date de prescription devient alors très complexe dans certains cas. (Voir l'outil de prescription et le tableau de prescription[7],[8]).
La production, diffusion et détention d'images pornographiques impliquant des mineurs de 18 ans sont illégales en France. L'article 227-23 du Code pénal du [9] parle de « l'image ou la représentation d'un mineur ». L'arrêt de la Cour de cassation du [10] précise qu'il s'agit de toute « représentation d'un mineur », que ce soit « la représentation picturale, photographique ou cinématographique d'un enfant », comme précédemment, aussi bien que « d'images non réelles représentant un mineur imaginaire, c'est-à-dire des dessins, ou même des images résultant de la transformation d'une image réelle ». Depuis la loi du , est aussi punie de « consulter habituellement » un service diffusant une telle image, même sans conservation.
La jurisprudence a depuis fixé quelques exceptions, afin de protéger certains objets d'art ou historiques : peintures explicites datant de la Grèce antique, œuvres d'art, etc.[réf. nécessaire]. Enfin, plusieurs exceptions législatives existent pour les crimes ou délits de nature sexuelle concernant les enfants : possibilité de poursuivre en France un citoyen français pour des crimes ou délits sexuels sur mineurs commis à l'étranger (par exemple dans le cadre du tourisme sexuel), levée du secret professionnel en cas de connaissance d'une infraction, inscription spécifique dans un fichier d'empreintes génétiques sur condamnation ou simple mise en examen, prescription courant à partir de la majorité de la victime, obligation de soins une fois la peine de prison purgée, détention dans un centre socio-médico-judiciaire une fois la peine purgée, pour une durée d'un an reconductible, si la probable dangerosité du criminel est décrétée[réf. nécessaire][11].
Réglementation européenne
- Décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie[12].
- Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie, remplaçant la précédente[13]
Défense idéologique de la pédocriminalité
L'apologie de la pédocriminalité est l'ensemble des actions, écrits et prises de position visant à faire accepter socialement la pédophilie ou à en faire l'apologie. Cette tendance est notamment le fait de personnes se présentant parfois elles-mêmes comme pédophiles, et profitant des réflexions sur le droit des jeunes à entretenir des relations amoureuses et sexuelles, et des débats relatifs à la réécriture des lois sur les rapports entre majeurs et mineurs. Des groupes de personnes et des individus isolés ont, dans ce contexte, notamment dans les années 1970, cherché à présenter la pédophilie comme une attirance sexuelle acceptable, ou à contester les notions de majorité sexuelle ou d'abus sexuel sur mineur. La pédophilie a parallèlement fait l'objet à l'époque de diverses formes de complaisance, médiatiques, politiques ou intellectuelles, bien qu'elle fût, déjà à l'époque, très largement réprouvée.
Cette mouvance n'a jamais atteint de reconnaissance durable et notable malgré, dans les années 1970, quelques soutiens médiatiques et politiques de portée limitée. Aujourd'hui, le « militantisme pédophile » et la défense de la pédocriminalité est exclue du débat public : l'apologie de la pédocriminalité ne concerne plus que des milieux très marginaux, qui s'expriment principalement par le biais d'Internet[14].
En parallèle, des pédophiles tentent d'utiliser ces pétitions pour légitimer la pédocriminalité. L'écrivain Gabriel Matzneff, l'un des signataires des pétitions fait ouvertement l’apologie de la pédophilie dans ses œuvres. Bien que présent dans les médias, son œuvre reste cependant relativement confidentielle, à quelques exceptions près, comme son roman Ivre du vin perdu, qui s'écoule à 20 000 exemplaires[15].
Le , un encart publicitaire dans Libération , passé par un proche de l'un des trois accusés dans l'Affaire de Versailles, y annonce la création d'un "Front de libération des pédophiles" (FLIP)[16]. Ce dernier ne se réunira que deux ans plus tard en 1979. Cette réunion de pédophiles, tentant de rebondir sur la publication des pétitions, ne regroupe qu'une trentaine de personnes, la plupart intéressées par une aide juridique.
Les pétitions
Les pétitions concernant la majorité sexuelle en France, liées à l'Affaire de Versailles, signées entre 1977 et 1979[17], alors qu’une réforme du Code pénal français était en cours de discussion au Parlement, par divers intellectuels, personnalités et médecins, ont été montrées du doigt au début des années 2000 lors de la polémique sur les écrits de jeunesse du député européen Daniel Cohn-Bendit, puis à la suite de la publication du livre de Vanessa Springora à propos de Gabriel Matzneff.
L'une d'entre elles proposait d'accélérer les procédures pénales sanctionnant les relations sexuelles avec des mineurs, en recourant à des juges professionnels, et dénonçait la discrimination contre les homosexuels dont la majorité sexuelle n'avait été abaissée qu'à 18 ans en 1974 contre 15 ans pour les hétérosexuels[18]. Les deux autres protestaient contre la durée de la détention préventive subie par des suspects dans deux affaires d'« attentat à la pudeur sans violence » couvertes par le secret de l'instruction, dont la presse n'aura les détails que lors de l'audience publique au Tribunal. Il s'agissait essentiellement d'appeler à accentuer la différence de jugement entre les viols et les "attentats à la pudeur sans violence".
Ces premières pétitions sont publiées lors de l'Affaire de Versailles, avec trois suspects d'attentat à la pudeur, notion remplacée en 1994 dans la loi française par l'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans et l'agression sexuelle sur mineur de 15 ans. Oubliées pendant un quart de siècle, elles sont de nouveau l'objet du débat public quand Daniel Cohn-Bendit répond aux journaux qui ont publié en des extraits jugés pédophiles de son livre de 1975, en évoquant « le contexte des années 1970 » et des pages « dont nous devons avoir honte »[19] dans Le Monde du .
À propos de l'une des pétitions les plus polémiques, rédigée par Gabriel Matzneff, le , Vanessa Springora, invitée dans l'émission « La Grande Librairie » y a souligné, tout comme le sociologue Pierre Verdrager et le magistrat Jean-Pierre Rozencsveig, en réponse à une question de l'animateur François Busnel, que les motivations étaient très différentes d'un signataire à l'autre, la plupart voulant dénoncer la discrimination contre les homosexuels, sans savoir que Gabriel Matzneff, qui se définissait comme pédophile et avait lui-même des relations sexuelles avec des adolescents et des enfants, avait participé à la rédaction du texte.
Les deux pétitions de 1977 dans Le Monde
Le , une « Tribune libre » de Gabriel Matzneff dénonce ces trois ans de détention préventive, la « discrimination » contre les homosexuels par le Code pénal, le « silence » des intellectuels et la « gêne, teintée de réprobation », qui font de lui « un homme isolé » malgré les attaques et la plainte d'un téléspectateur, après son premier passage à la nouvelle émission de télévision littéraire de Bernard Pivot, Apostrophes, le . Matzneff dit avoir rencontré un des trois hommes arrêtés à l’automne 1973. Le , Le Monde signale « de nombreuses réactions de nos lecteurs pour la plupart critiques, voire hostiles et quelquefois indignées » à la « Tribune libre » de Gabriel Matzneff et en publie trois[20].
Le Monde publie le , veille du procès de l'Affaire de Versailles, un « communiqué » estimant que « trois ans, ça suffit » pour Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt, en détention préventive depuis trois ans et deux mois car accusés d'attentat à la pudeur contre trois enfants de 13 et 14 ans. Le secret de l'instruction fait qu'aucun journal n'a parlé de l'enquête. Selon le communiqué, dans cette « simple affaire de “mœurs” (…) les enfants n'ont pas été victimes de la moindre violence », et les peines encourues (5 à 10 ans de prison) sont « disproportionnées », alors que « la loi reconnaît une capacité de discernement aux adolescents, qui peuvent être jugés et condamnés à partir de l’âge de 13 ans ». Le communiqué ne réclame pas de changement de la loi, mais insiste sur l'absence de contrainte et de violence établie par l'audition des mineurs, et souligne en outre que les filles de 13 ans ont le droit de se faire prescrire la pilule en France depuis la Loi Veil de 1974, ce qui confirme le fait que des adolescents peuvent avoir des rapports sexuels[21]. Parmi les nombreux signataires citons des futurs ministres, Jack Lang, Bernard Kouchner, des intellectuels comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Louis Aragon, André Glucksmann, Gilles Deleuze, Roland Barthes, Francis Ponge et Guy Hocquenghem, ainsi que quelques médecins[21],[17].
Le lendemain, le procès débute. Le Monde félicite la Cour d'assises de supprimer le huis clos même si les victimes sont mineures, pour que les signataires de la pétition comprennent pourquoi l'enquête a duré plus de trois ans et son évolution : les victimes affirmaient certes avoir donné leur consentement, mais il s'avère très fragile vu leur âge et l'influence des adultes, comme le révèle l'audience publique. Les témoins y révèlent aussi des faits plus graves que les simples caresses et baisers évoqués par la pétition, signée par 69 personnes au cours des semaines précédentes. Si la durée de la détention provisoire était « inadmissible », « là s'arrête l'indignation » écrit le journaliste envoyé par Le Monde, pour qui « ce procès n'est pas » celui « d'une société ultra-répressive » mais de « trois hommes qui ont repris en compte à leur profit, et pour leur plaisir, des pulsions sexuelles ». Il « est naturel de ne pas aimer cette forme d'amour et d'intérêt », conclut le journal[22].
Le Monde publie le , au lendemain du verdict dans l'affaire de Versailles, des extraits d'une lettre ouverte « pour la révision de certains textes législatifs régissant les rapports entre majeurs et mineurs », qui fait aussi référence à l'affaire de Versailles, en demandant que les affaires d'« attentats à la pudeur sans violence » soient considérés comme un délit et non plus un crime (le viol le restant) et donc jugées au tribunal correctionnel plutôt qu'en cour d'assises[18].
Ce second texte, plus prudent que celui de janvier, se situant dans un débat juridique et non dans la réaction à des faits précis, met notamment l'accent sur le fait que la majorité sexuelle est à 18 ans pour les homosexuels contre 15 ans pour les autres, afin de demander la fin de cette discrimination (ils obtiendront gain de cause en 1982). Le texte souhaite aussi limiter à 5 ans de prison ferme la peine maximum encourue en cas d'attentat à la pudeur, le viol restant passible de Cour d'assises[23],[18]. Les signataires « demandent que le dispositif pénal soit allégé, que de telles affaires, aujourd'hui passibles de la cour d'assises, soit jugées par un tribunal correctionnel », car « la détention préventive, en matière correctionnelle, ne peut excéder six mois »[23].
L'appel explique que l'affaire de Versailles, « jugée en audience publique, a posé le problème de savoir à quel âge des enfants ou des adolescents peuvent être considérés comme capables de donner librement leur consentement à une relation sexuelle. C'est là un problème de société. Il appartient à la commission de révision du code pénal d'y appporter la réponse de notre temps », pour des textes de loi « rajeunis et actuels »[23].
La partie citée dans le court article du Monde critique en outre la définition du « détournement de mineur — dont le délit peut être constitué par le seul hébergement d'un mineur pour une nuit ».
Le texte ne propose cependant à aucun moment de dépénaliser la pédophilie[18], et plusieurs des signataires se sont en outre exprimés contre les actes sexuels commis sur des enfants. Par exemple, selon l'historien Jean Bérard, l'une des signataires, Françoise Dolto, estime que les relations sexuelles entre mineurs et adultes sont toujours source de traumatisme[24],[25].
Enfin, les signataires affirment qu'ils « considèrent que l’entière liberté des partenaires d’une relation sexuelle est la condition nécessaire et suffisante de la licéité de cette relation ». Ils affirment également la nécessité de tenir « compte du consentement du mineur. » Ils avancent :
Les dispositions prétendant à une “protection” de l’enfance et de la jeunesse sont de plus en plus incompatibles avec l’évolution de notre société, et doivent être abrogés ou profondément modifiés, dans le sens d’une reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec des personnes de son choix.
Moins de deux ans après, Le Monde reviendra sur cette affaire, pour souligner qu'entre-temps, à « en juger par l'émotion suscitée par l'Affaire Jacques Dugué », la révision des articles du code pénal portant sur les relations mineurs-adultes, demandée par ces personnalités, « n'est pas prête d'être acceptée par l'opinion »[26]. Quand ces pétitions sont de nouveau critiquées en 2020 dans le sillage de l'affaire Matzneff, la psychanalyste Élisabeth Roudinesco déplore que :
« Dans une période où les ligues de vertu s’emploient à réviser les textes du passé, on ne fait plus la différence entre des pédophiles et des penseurs qui ont signé des pétitions favorables à la dépénalisation de l’homosexualité ou contre des lois abusives sur le détournement de mineurs. En bref, on met dans le même sac Dolto, Foucault, Matzneff, Deleuze, Cohn-Bendit : tous violeurs d’enfants.[27] »
La pétition Flip Fnac de 1979, la tribune de Jacques Dugué dans Libération et le dessin pédophile du collectif Bazooka
En 1978, émerge l'Affaire Jacques Dugué, qui rebondit en , malgré le secret de l'instruction : trois mois après Minute, France-Soir, qui a perdu 40 % de ses journalistes dans la clause de cession liée au rachat par Robert Hersant, titre à son tour sur « une écœurante affaire de mœurs » où un « soi-disant éducateur aurait livré à la prostitution internationale des régiments de gamins ». Minute surenchérit, affirmant que Dugué est adhérent communiste. Démenti de la mairie de Saint-Ouen et de L'Humanité, à qui Marc Croissant, employé d'une autre mairie communiste, à Ivry, écrit[28] pour prendre la défense de Dugué. Puisqu'il est attaqué par l'extrême-droite et le PCF, Libération propose alors à Jacques Dugué, qui n'a pas d'avocat, d'écrire de sa prison une « tribune libre » pour donner sa version des faits. Dans les colonnes de Libération, tout en marquant une distance avec les pratiques et les écrits de Jacques Dugué, le journaliste et écrivain Guy Hocquenghem justifie ainsi le fait de lui donner la parole :
« Il y a quinze jours, France-Soir paraissait avec en première page un grand titre sur “une écœurante affaire de mœurs” où un soi-disant éducateur aurait livré à la prostitution internationale des régiments de gamins. L'information reprise par la presse et la TV, concernant cette affaire Dugué venait d'une seule source : Minute. Pas un journal, pas un journaliste, excepté Libération ne se donnait la peine de vérifier les inculpations contre Dugué : en fait, ni prostitution ni proxénétisme, mais un simple attentat à la pudeur sur mineurs sans violences. Aucun journal n'a d'ailleurs publié de rectificatif. Dugué, qui nous a fait parvenir la lettre qui suit, gagnerait tous les procès en diffamation s'il les intentait. Mais Dugué a décidé de se défendre seul, refusant le concours de tout avocat. Comme l'a écrit Le Monde avec une lourde ironie, Dugué écrit en effet des “thèses sur la pédophilie”, comme en témoigne cette lettre. Son univers, celui des couples échangistes, qui se passent des photos d'enfants, sa franchise quant à la sodomie sont d'un langage différent de la pédérastie plus intellectuelle ou artistique. Mais cet homme, voué pendant trois jours à la vindicte publique comme le monstre absolu par les plus puissants média sur la base d'informations parfaitement erronées, a bien gagné le droit à l'expression depuis sa prison. »
En réaction, le directeur de L’Humanité, Roland Leroy, accuse Libération de défendre les pires causes, à commencer par des « proxénètes d’enfants ». Contre ce qu'il considère comme un prétexte, dans Libération du , Jean-Luc Hennig, proche de Guy Hocquenghem écrit : « on n’a pas eu Libération par la politique on l’aura par le cul »[29]. Quelques jours après, un éditorial de Serge July se vante d'avoir subi 9 inculpations en quelques mois[29], mais pour la plupart sans lien avec la pédophilie.
Le Monde ne prend lui parti dans aucune des deux affaires. Il obtient le des informations des enquêteurs, évoquant les « 15 jours dans le coma » de Jacques Dugué[26], qui vient de se pendre en raison de « la quasi-certitude d'être lourdement condamné »[26] mais aussi « les victimes (qui) seraient au nombre d'une trentaine »[26] et ne « se livraient pas seulement à des jeux innocents », tandis que « l'un des parents » avait porté plainte[26].
Le , dans un climat politique tendu, une lettre titrée « Flip Fnac » est publiée dans la page « Courrier des lecteurs » du journal Libération [30], alors en grande difficulté. Le texte dénonce la détention préventive de 18 mois, dont 9 à l'hôpital psychiatrique de Villejuif, imposée à Gérard Roussel. La pétition est signée par Simone Iff, Jean-Louis Bory, Daniel Guérin, Christiane Rochefort, Guy Hocquenghem, Georges Moustaki, Catherine Millet, etc. Presque aucun détail n'a filtré en raison du secret de l'instruction : il a été arrêté en à la FNAC, où il venait retirer, sous un nom d'emprunt, un film super-8, qui mettait en scène une enfant de sept ans. Un employé du magasin fait un signalement à la police, qui perquisitionne le domicile du suspect[29],[31], qui sera finalement condamné pour des actes à caractère sexuel commis sur des filles de 6 à 12 ans - sans violence ni pénétration. La pétition publiée avant le procès est signée par Guy Hocquenghem Simone Iff, Jean-Louis Bory, Daniel Guérin, Christiane Rochefort, Georges Moustaki, Catherine Millet, etc. L'argument est le suivant :
Une fois encore, au nom de la "protection" de la jeunesse, la loi nie l'existence de l'enfant comme être capable d'aimer. Donner de l'amour à un enfant et en recevoir de lui par une présence, de la tendresse, des caresses, est aujourd'hui un délit, voire un crime. On sait aussi que deux mineur(e)s qui font l'amour ensemble se détournent l'un l'autre au terme de la loi. Le caractère anachronique de cette législation est renforcé par le fait qu'une jeune fille de moins de 15 ans peut se procurer une contraception sans autorisation de quiconque. Pour faire quoi ?
Serge July, directeur de Libération, a recruté à l'été 1977 Bazooka, groupe de graphistes inspirés par les Sex Pistols du Mouvement punk et la sortie de God Save the Queen (chanson). July lui offre « une totale liberté d'expression », pour « secouer » le journal[32]. Selon lui « l’agression » graphique pratiquée par Bazooka « est aujourd’hui une manière d’exister, d’entretenir un rapport avec un monde désespérant »[33]. Bazooka intervient au « marbre » (maquette) juste avant le départ au rotatives mais sa « dictature graphique »[33] provoque les réticences de la rédaction et la collaboration cesse. Bazooka travaille alors pour une autre publication, créée par Libération, la revue Un Regard moderne[34], arrêtée en , après seulement six numéros, la rédaction de Libération accusant Bazooka de « pirater le journal au montage »[35] par la publication, dans la page d'annonce « Taules » de la revue encartée dans le numéro du 5-, consacrée aux détenus, d'un dessin pédopornographique[29].
La pétition du dans Libération
En , la journaliste allemande Bettina Röhl[36], dont la mère Ulrike Meinhof, cofondatrice de la Fraction armée rouge[37], s'est suicidée quand elle-même avait 14 ans[36], diffuse à plusieurs grands journaux anglais, italiens et allemands[38] un article publié par Daniel Cohn-Bendit en 1976, peu après le suicide de sa mère, dans le magazine culturel de son père, qu'elle accuse de l'avoir abandonnée[36]. Cet article reprenait un chapitre du livre Le Grand Bazar, dans lequel Daniel Cohn-Bendit évoquait l'année précédant ses activités d’aide-éducateur à Francfort en théorisant l'éveil à la sexualité des enfants de 1 à 6 ans et témoignant de rapports physiques à connotation sexuelle que Daniel Cohn-Bendit a entretenus avec eux.
Daniel Cohn-Bendit évoque alors dans Le Monde du « le contexte des années 1970 » et des pages « dont nous devons avoir honte »[39]. L'écrivain Sorj Chalandon rédige le lendemain un mea culpa de Libération sur des pétitions oubliées datant des années 1970[40] et L'Express publie des entretiens avec deux de leurs anciens signataires, Philippe Sollers faisant part de ses regrets il déclare "Certains aspects de la pétition (de 1977) sont complètement indéfendables. Aujourd'hui, je ne la signerais pas et je pèserais mes mots"[41]. Bernard Muldworf assure quant à lui qu'il était déjà anti-pédophile à l'époque[42].
Au journal de 20 heures de TF1, Cohn-Bendit dénonce une "chasse à l'homme" pour des écrits n'ayant selon lui "suscité aucune réaction" en 1975[43]. Libération pourfend le même jour une "haine de Mai 68 qui n'a jamais abdiqué"[44] dans un numéro consacrant six articles à l'affaire dont ceux de trois "ex-soixante-huitards" (Romain Goupil, Serge July et Philippe Sollers) remontés contre un "procès stalinien" visant selon eux Cohn-Bendit, celui de Romain Goupil étant même titré «J'ai envie de dire: oui, je suis pédophile!»[45]. Une semaine après, plusieurs de ses amis signent une pétition titrée ""Cohn-Bendit et mai 68 : quel procès ?"[46]. Ils affirment :
Écrits ou propos scandaleux, ceux de Cohn-Bendit ? Non, ceux d'une nécessaire explosion de parole (…) la révolution sexuelle a d'abord appris aux enfants, aux adolescentes, aux femmes à dire « non ».
Les discours pro-pédophilie
- Accusations d’apologie de la pédophilie contre des personnalités associées à l'extrême gauche
À l'extrême-gauche, les discours fétichisant les enfants, et de façon encore plus marginale, l'apologie des rapports érotiques avec des enfants, apparaissent comme une remise en cause des interdits. En 1975, Daniel Cohn-Bendit, écrit dans le livre Le Grand Bazar, publié aux éditions Belfond, au sujet de son expérience d’éducateur dans un jardin d'enfants « alternatif » à Francfort :
« Il m'était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi vous m’avez choisi, moi, et pas les autres gosses ?” Mais, s’ils insistaient, je les caressais quand même[47]. »
Il regrettera plus tard ses propos et ses écrits, parlant de provocation destinée à « choquer le bourgeois des années 1970 »[48]. Le journal L'Express estimera ensuite en 2001 que Daniel Cohn-Bendit, comme les auteurs d'autres propos analogues avaient :
« un véritable aveuglement : l'enfant, croyaient-ils, ne demandait qu’à exprimer sa sexualité, et c’était l'interdit qui constituait un abus sexuel. Cette complaisance, qui a servi d’alibi et de caution culturelle à bien des pédophiles, masque aussi une autre réalité, l’infantilisme d'une mouvance [49]. »
D'autres militants d'extrême-gauche ont aussi été accusés d'avoir fait l'apologie de la pédophilie dans les années 1970, pour avoir remis en cause la surveillance des enfants les empêchant d'assouvir leurs désirs, ou critiqué les formes de pouvoir réprimant les rapports sexuels entre majeurs et mineurs. Pour qu'ils expliquent leur démarche et leur signature de plusieurs pétitions demandant l'abrogation de certaines lois relatives aux rapports entre majeurs et mineurs, le , France Culture invite Michel Foucault, Guy Hocquenghem et l'avocat Jean Danet pour un débat dans l'émission Dialogues autour de la « Loi de la pudeur ». Cette émission sera retranscrite dans le no 37 de la revue Recherches, intitulé « Fous d'enfance. Qui a peur des pédophiles ? » (), numéro qui sera retiré de la circulation. Guy Hocquenghem y plaide pour une dépénalisation des relations sexuelles dès lors qu'il n'y a ni violence ni contrainte. Cependant, Guy Hocquenghem, Michel Foucault et Jean Danet insistent sur le fait que leur objet est essentiellement d'interroger les catégories du pouvoir et de la répression, et non de défendre tel ou tel acte ou produire de nouvelles normes.
Plus tard dans l’émission, Hocquenghem déclare que « sur le problème du viol proprement dit », « les mouvements féministes et les femmes en général se sont parfaitement bien exprimés », mais qu’il y a une nécessité à critiquer les paniques sécuritaires poussant à demander la castration chimique des violeurs, ou à verser dans la surenchère punitive. Il en est de même lorsqu’il interroge le nombre de reportages anxiogènes à propos de la pédopornographie dans les médias, même si, évidemment, « personne, ici, ne songe à se faire le paladin de la pornographie ou de la prostitution enfantine ». En 2020, dans le contexte d'une polémique liée à la redécouverte des écrits et déclarations de Guy Hocquenghem, Frédéric Martel le qualifie de « défenseur idéologique de la pédophilie » dans une tribune sur France Culture où il critique la décision d'Anne Hidalgo d'avoir posé une plaque d’hommage à ce militant[50],[51].
Au contraire, dans un blog hébergé par le journal Mediapart, le chercheur et historien Antoine Idier, auteur d'une biographie d'Hocquenghem, qui revient sur cette polémique, dénonce une campagne menée à partir de « citations tronquées » et de « textes amputés », et déplore l'absence de « faits, d’allégations précises, d’investigation ». À propos des écrits d'Hocquenghem au sujet de l'enfance et des pétitions demandant une révision des lois régissant les rapports entre majeurs et mineurs, Antoine Idier écrit :
« À moins d’assumer le révisionnisme, on ne peut pas aujourd’hui voir ces textes autrement que ce qu’ils sont : la manière dont, à une époque, des énergies progressistes ont tenté de lever un certain nombre de répressions, de politiser le personnel et la vie privée. […] À aucun moment les signataires ne nient l’existence de violence, de viols, d’abus, de relations sexuelles non-consenties et consentantes. Ils rappellent qu’il existe aussi des relations consentantes et consenties, que la loi se contente de considérer comme illégales, et dont elle réprime les protagonistes[52]. »
- Accusations d’apologie de la pédophilie contre des personnalités associées à l'extrême droite
Bien qu'elle y soit très minoritaire, l’apologie de la pédophilie a aussi été constatée chez certaines personnalités proches de l’extrême droite, notamment en France, qui ont repris à leur compte des idées pro-pédophiles et pro-pédérastes[53],[54],[55]. Cette récupération s’est notamment exprimée dans les années 1980, dans les colonnes du magazine Gaie France, interdit de publication en 1993 pour « incitation à la pédophilie »[56]. Elle s’est cristallisée autour de personnalités comme Michel Caignet, Bernard Alapetite (producteur de documents cinématographiques homosexuels mettant en scène des acteurs à l’apparence juvénile, de son vrai nom Philippe Desnous) ou Jean-Manuel Vuillaume, tous trois anciens responsables ou rédacteurs de revue d’organisations néo-fascistes et/ou néo-nazies (FANE pour le premier, Défense de l'Occident pour les deux autres) qui seront plus tard impliqués dans des affaires judiciaires de pédopornographie. Parmi les intellectuels partisans de la pédérastie et/ou de la pédophilie, Roger Peyrefitte proclame dans les années 1980 voter pour le Front national, tandis que Gabriel Matzneff est proche de la Nouvelle Droite[57],[58] et évoque son amitié avec Jean-Marie Le Pen[59], bien qu'il déclare plus tard voter Jean-Luc Mélenchon, à partir de 2012[60],[61].
Structuration de plusieurs mouvements pédophiles à la fin des années 1970
À partir du milieu des années 1970 apparaissent des organisations spécifiquement pédophiles, tentant de rebondir sur les discours à propos du droit des adolescents à exercer leur sexualité, ou sur les débats à propos de l'âge auquel fixer la majorité sexuelle. Cette radicalisation et la multiplication des groupes jusqu'au milieu des années 1980 permet aux pédophiles de se rencontrer et d'échanger des idées, même si les différents groupes ont été plus juxtaposés que coordonnés. Cela leur permet également de tenter de se faire connaître par les opinions publiques.
En Europe du Nord et germanique
Aux Pays-Bas, en plus du Studiegroep Pedofilie de la NVSH, de nombreux groupes voient le jour, notamment dans le sillage de l'action prosélyte d'Edward Brongersma et Frits Bernard[62] : le Stiching Studiegroep Pedofilie (SSP) ; le Landelijke Werkgroep Jeugdemancipatie (ex-Pedofilie), groupe spécifique de l'organisation Nederlandse Vereniging Voor Seksuele Hervorming (NVSH - LWGJ) ; Spartacus, éditeur d'une revue en anglais, Pan Magazine, à diffusion internationale, et du guide Spartacus qui cause un scandale au milieu des années 1990[63], et à partir de 1982 MARTIJN. Cette dernière association est le seul groupe de ce type à subsister en Europe. Elle a fait l'objet d'un jugement de dissolution en par la justice néerlandaise[64],[65], mais ce jugement a été annulé en , la cour d'appel jugeant que, si « les travaux de l'association sont contraires à l'ordre public », ils n'entraînent cependant pas de « menaces de dislocation de la société », condition pour qu'une organisation puisse être interdite aux Pays-Bas[66],[67].
C'est en Flandre belge que se forme le premier groupe pédophile hors des Pays-Bas, après une conférence donnée à Anvers en par le groupe d’étude sur la pédophilie de la NVSH. Le Studiegroep Pedofilie organise des rencontres hebdomadaires et collecte des informations sur la pédophilie (regroupées dans un centre de documentation basé à Hasselt). En 1981 s’ajoute Stiekum, plus militant (tracts, interventions en milieu institutionnel, à la radio, etc.)[68]. Ces groupes, qui restent plutôt informels, font à partir de 1984 l’objet d'attaques de partis de droite, dont le Vlaams Blok, qui, leur reprochant « d'habituer les gens au phénomène de la pédophilie », diffusent dans leurs publications et dans les journaux flamands des appels à les interdire, et organisent des manifestations de protestation lorsque se tiennent en Flandre conférences et débats sur la pédophilie[69].
En Allemagne de l'Ouest, la Deutsche Studien und Arbeitsgemeinschaft Pädophilie (DSAP, Société allemande d'étude et de travail sur la pédophilie) regroupe à partir de 1979 plusieurs groupes locaux et publie Befreite Beziehung (douze numéros) puis die Zeitung. À la fin de 1981, ses deux cents membres, ne parvenant plus à s’entendre, provoquent la dissolution de fait du mouvement. L'Arbeitskreis Päderastie (AKP, Cercle de travail sur la pédérastie), petit groupe de réflexion formé en 1979, devient alors le principal mouvement germanique, bien qu’il s’adresse presque uniquement aux pédérastes. Kinderfrühling, qui reprend l’édition de la Befreite Beziehung, naît de la dissolution de la DSAP[70].
Les pédophiles allemands parviennent surtout, dans les années 1980, à trouver des soutiens politiques auprès du Parti vert, en arguant que les contacts sexuels entre enfants et adultes, non seulement ne sont pas nocifs pour les enfants, mais sont également nécessaires à leur évolution psychosociale. Durant plusieurs années, les pédophiles continuent de bénéficier de soutiens politiques en présentant leur sexualité comme le dernier bastion devant « être pris d'assaut dans le cadre de la libération sexuelle »[71].
Dans d’autres pays d’Europe du Nord, les petits groupes qui existent ont une influence anecdotique, que ce soit la Schweizerische Arbeitsgemeinschaft Pädophilie (SAP) en Suisse, le Paedofil Gruppe au Danemark, le NAFP en Norvège ou le Paedofilia Arbeitsgruppen (PAG) en Suède[62]. En 1985, la Danish Pedophile Association (DPA) est créée au Danemark.
Dans les pays anglophones
À la fin des années 1970, le militantisme pédophile se développe également au Royaume-Uni et aux États-Unis avec la formation en 1974 en Écosse du PIE (Paedophile Information Exchange, plus tard basé à Londres), et en 1978 à Boston de la NAMBLA (North American Man/Boy Love Association). Ces deux groupes ont une certaine notoriété au début des années 1980 à la suite du tollé que suscitent les propos de certains de leurs membres, militants radicaux[72], et à la diffusion de leurs revues, le Magpie et le NAMBLA Bulletin. En 1984, le PIE s'auto-dissout face à la réprobation publique. Les procès se multiplient à partir de 1981, alors que la NAMBLA existe toujours. Les réactions que suscitent le PIE et la NAMBLA à leurs naissances respectives montrent le rejet des sociétés anglophones envers de tels mouvements.
Quelques « cercles de documentation et de réflexion », comme la René Guyon Society, le Childhood Sensuality Circle (CSC, créé en 1975 par Valida Davila) voient le jour mais ont une audience très limitée et n’essayent pas de se faire connaître[62].
En Australie est fondé en 1983 — ou 1980 — l'Australian Paedophile Support Group, qui se dissout après l'intrusion de policiers en son sein. Ses membres se rassemblent alors dans le groupe BLAZE (Boy Lovers And Zucchini Eaters), qui est assez vite rendu inactif par la police[73].
Les mouvements européens francophones
La première organisation pédophile francophone naît dans le cadre de l’« Affaire de Versailles ». Dans l'attente du jugement, une petite trentaine de personnes, soit le plus gros rassemblement sur le sujet, se réunit le à l'Université de Jussieu et un éphémère "Front de libération des pédophiles" (FLIP)[16] qui ne tiendra qu'une seule réunion, en 1979 est annoncé.
Quelques militants parmi les plus radicaux ont entre-temps fondé à l'été 1977 le FRED (Front d’action et de recherche pour une enfance différente) et publié quelques textes en 1978[74]. Le FRED disparaît début 1979, comme le FLIP à cause de dissensions entre ses membres[75].
Le premier groupe militant pédophile francophone à durer, grâce à ses connexions internationales, est le GRED (Groupe de recherche pour une enfance différente), fondé en , membre du CUARH (Comité d'urgence antirépression homosexuelle) et de l'IGA (International Gay Association). Le GRED déclare dans sa revue Le Petit Gredin (10 numéros de 1981 à 1987) vouloir « élargir son public aux « professionnels » de l’enfance, aux parents eux-mêmes, aux juges et aux éducateurs. Et aux enfants ! »[76] et vouloir être un organe de débats plutôt que de militantisme, attitude que le mouvement adopte également lors des conférences et tables rondes auxquelles il est convié[76].
Le CRIES (Centre de recherche et d'information sur l'enfance et la sexualité) est fondé en Belgique, à la suite de la disparition du Groupe d'étude sur la pédophilie (GEP), par Philippe Carpentier afin de « rassembler des gens comme [lui] » indépendamment du mouvement homosexuel[76]. De début 1982 à fin 1986, le CRIES publie vingt-huit numéros de L'Espoir. Cette revue est avant tout un organe militant qui, à travers récits, illustrations et articles sur les autres mouvements, fait l’éloge des amours pédérastiques.
Dans les années 1980, parallèlement à ces organes de presse de mouvements militants, paraissent divers magazines[76], plus ou moins liés au militantisme pédophile, comme Palestra, dirigée par Jean-Manuel Vuillaume et François Valet, qui ambitionnait de « recenser les grandes figures culturelles de l’enfant » et propose à ses lecteurs « une synthèse agréable et divertissante sur l’enfant dans la culture »[77], ou Gaie France (1986-1993), publiée par Michel Caignet et qui soutient pédérastes et pédophiles[78]. De nombreuses revues de photographies sont aussi publiées : Backside (1983-1985)[79], Jean's (1985)[80], Beach Boys (1985-1986), Eklat (1985) et Photokid (1986).
Ces groupes, qui se rattachent encore à l'esprit contestataire et aux mouvements homosexuels, reconnaissent un changement des mentalités, aussi bien de la part de leurs anciens alliés que de la société en général[76].
Certains des membres du milieu « pédophile militant » sont par la suite discrédités en raison de leur implication dans des affaires de viol sur mineur ou de vente d’images pédopornographiques ; le CRIES disparaît brusquement en 1987 lorsque l’on découvre que, derrière les photos « soft » de L'Espoir, Philippe Carpentier organisait un trafic d'images et de vidéos pédopornographiques impliquant pas moins de 18 pays[81] ; Jean-Manuel Vuillaume est condamné en 1997 pour avoir tourné en Colombie des vidéos pornographiques mettant en scène des adolescents mineurs[82], affaire à laquelle Michel Caignet est également mêlé. Ces revues et mouvements ont donc pu contribuer à la formation de réseaux « pédocriminels ».
Des groupes dispersés
Ces mouvements, s’ils se font des publicités réciproques dans leurs publications, sont cependant peu nombreux, peu influents et surtout peu coordonnés, bien que certaines tentatives de regroupement soient effectuées, souvent à l’échelle nationale.
Les 5 et , la NAMBLA, la SAP suisse, un groupe australien et des mouvements scandinaves se rencontrent à Copenhague. Ils cherchent les moyens de réinsérer le combat pour l'acceptation de la pédophilie dans celui pour la liberté sexuelle et proposent que les homosexuels continuent à combattre de front avec les pédophiles, tout en constatant affronter une très vive hostilité de la part des féministes[83]. Cette rencontre, qui survient alors que le mouvement s'essouffle, n'a pas d’effet concret.
Depuis les années 1980 : la condamnation générale de la pédophilie
Les condamnations judiciaires dans le secteur de l'antipsychiatrie
Si les condamnations judiciaires sont nombreuses et sévères lors de la décennie précédente, au début des années 1980 l'affaire du Coral a un retentissement médiatique important, en particulier parce que le secret de l'instruction ne fait plus écran, avec de nombreuses réactions politiques dès 1982-1983. Le secteur de l’antipsychiatrie est ainsi accusé de pédophilie en 1982 dans l'affaire du Coral pour des faits datés du début des années 1980. Plusieurs personnalités publiques, dont René Schérer ou Gabriel Matzneff, sont un temps accusées, avant d'être mises hors de cause et que leur accusateur soit condamné pour dénonciation calomnieuse. La plupart des accusés sont finalement innocentés. Cependant, en appel, en 1987, son animateur Claude Sigala est condamné à une peine de trente mois d'emprisonnement avec sursis, bien qu'il ait toujours nié les faits[84].Si Schérer et Matzneff sont alors blanchis des accusations portées contre eux, et si les condamnations de plusieurs animateurs, pour relations sexuelles consenties avec de jeunes adolescents, sont finalement légères, l'affaire connaît un fort remous médiatique, qui contribue à attirer l'attention sur les lieux de vie et à remettre en cause l'antipsychiatrie[85]. Gabriel Matzneff est quant à lui renvoyé par Le Monde à la suite de sa mise en cause[86].
Plus tard, Léonide Kameneff, animateur de l'École en bateau, est quant à lui condamné à 12 ans de réclusion criminelle en 2013 par la cour d'assises des mineurs de Paris, qui le reconnaît coupable de viols et agressions sexuelles de cinq enfants dans les années 1980 et 1990[87]
Le déclin en Europe occidentale
En Europe occidentale, après 1982, le militantisme pédophile , s'il est moins attaqué que son équivalent américain, commence à décliner[88]. : les mouvements homosexuels ont vu leur revendication satisfaite en obtenant que la majorité sexuelle soit de 15 ans, tant pour les rapports homosexuels qu'hétérosexuels, les débats sur la majorité sexuelle et la sexualité des adolescents se referment, les médias n'en parlent plus, et les principaux militants se lassent (Bernard prend sa retraite de psychologue, d'expert et de membre d'organisations internationales en 1985[89]). Aux Pays-Bas, les discours en faveur de la pédophilie connaissent un reflux dans les années 1980 quand, de l'aveu même de Frits Bernard, la pédophilie est à nouveau couramment traitée comme une maladie mentale[90].
Lorsqu'en 1985, les Verts allemands, parti en pointe lors de la Révolution sexuelle, incluent dans leur programme, après plusieurs mois de travail, des propositions visant à abolir les articles de loi sur la majorité sexuelle, en insistant par exemple sur le fait que « les rapports sexuels avec des enfants sont pour les deux parties [enfants et adultes] […] productifs », cela suscite un tollé, et beaucoup d'électeurs habituels du parti reportent leurs voix sur le SPD[91]. Même les électeurs les plus « progressistes » n'acceptent plus l'idée de la défense des pédophiles.
À partir de la même année, la police néerlandaise se met à collaborer étroitement (des réunions hebdomadaires au moins jusqu'en 1989[92]) avec le FBI pour apprendre à « traquer les producteurs et consommateurs supposés de pédopornographie »[93], car le Congrès américain (via le Sous-comité permanent aux investigations du Comité sur les affaires gouvernementales, dirigé par le républicain William Roth), pense que les Pays-Bas sont alors « parmi les principaux exportateurs de pédopornographie aux États-Unis » et qu'il y aurait à Amsterdam des ventes aux enchères d'enfants afin de les prostituer, allégations qui sont invalidées en par le rapport définitif d'un groupe de travail sur la pédopornographie dirigé par le ministre de la justice Altes[93],[92]. Cette action de la police néerlandaise montre un changement de mentalité dans ce pays où le militantisme pédophile avait rencontré le plus de succès.
Au sein des anciennes mouvances « progressistes » des années 1970, des leaders sont parfois obligés de s'expliquer et de revenir, sur les propos tenus à l'époque. Ce processus de marginalisation[94] se poursuit jusqu'en 1994, date à laquelle l'International Lesbian and Gay Association, afin d'obtenir un statut consultatif au Conseil économique et social des Nations unies, décide d'exclure quatre groupes pédophiles militants : les américains NAMBLA et Project Truth, le néerlandais MARTIJN et l'allemand Verein für Sexuelle Gleichberechtigung (VSG, « Association pour l'égalité sexuelle »)[95]. La Révolution sexuelle, à la fin des années 1990, s'est débarrassée de son passé pédophile[96].
En 2001, une polémique éclate ainsi autour du passage relatif aux enfants dans le livre Le Grand Bazar, de Daniel Cohn-Bendit : attaqué, celui-ci parle de « provocation intolérable », et dit son remords d'avoir écrit ces lignes, par « inconscience insoutenable ». Pour lui, « Il s'agissait de transgresser des frontières et de briser les interdits. Cela n'avait rien à voir avec des abus sexuels »[97] ; il affirme en outre : « prétendre que j'étais pédophile est une insanité. La pédophilie est un crime. L'abus sexuel est quelque chose contre lequel il faut se battre. Il n'y a eu de ma part aucun acte de pédophilie. »[48] Plusieurs anciens élèves de Daniel Cohn-Bendit, et leurs parents, prennent sa défense dans une déclaration écrite, réfutant les accusations d'abus sexuels ou de proximité avec des « personnes coupables d'abus sexuels sur enfants »[98]. Ses proches reprennent la thèse d'un « aveuglement collectif » dont ses écrits n'auraient été que le reflet, selon l'expression de Jean-Claude Guillebaud[99]). Dans L'Humanité, , Geneviève Fraisse rappelle que les milieux féministes étaient critiques de la pédophilie. Les lesbiennes avaient en particulier été les premières à s'opposer aux pédophiles au sein des mouvements GLBTQ : en 1980, un « rassemblement lesbien du comité pour la Gay Pride » (« Lesbian Caucus – Lesbian & Gay Pride March Committee ») appelle à boycotter la Gay Pride de New York à cause d'une supposée mainmise de la NAMBLA sur son comité d'organisation[100]. En 1983, lorsque le mouvement homosexuel britannique CHE (Campaign for Homosexual Equality) soutient le PIE, en proie à une campagne de presse négative, le magazine condamne cet appui comme nuisible à la cause homosexuelle[101].
Gabriel Matzneff déclare en 2002 : « Lorsque les gens parlent de « pédophilie », ils mettent dans le même sac le salaud qui viole un enfant de huit ans et celui qui vit une belle histoire d’amour avec une adolescente ou un adolescent de quinze ans. Pour ma part, je méprise les salauds qui abusent des enfants et je suis partisan de la plus grande sévérité à leur égard »[102].
Révélations sur le tourisme sexuel chez les Danois
Au cours des années 1980, quelques petits groupes de pédophiles apparaissent, mais leur militantisme décline rapidement, jusqu'à disparaître presque totalement dans les années 1990, excepté la création au début des années 1990 de l'IPCE (International Pedophile and Child Emancipation), qui gère un site web regroupant de nombreux documents en quatre langues ; les activités de l'IPCE se limitent rapidement à sa seule présence sur internet. En 1993 apparaît Krumme 13, organisation allemande, qui se dissout en 2003. La Danish Pedophile Association fait l'objet, en 2000, d'un reportage télévisé qui, infiltrant le groupe, révèle que ses membres pratiquent le tourisme sexuel et l'échange de pédopornographie[103]. La justice danoise estime en 2005 que l'existence du groupe est légale en vertu des lois sur la liberté d'expression ; l'association, entretemps, annonce son auto-dissolution en 2004[65],[104].
Très peu de pédophiles s'affichent aujourd'hui publiquement comme tels et très peu de personnes présentent la pédophilie sous un angle favorable. Le « militantisme pédophile » se réduit pour l'essentiel à l'activité de groupes de taille très modeste, dont les membres demeurent la plupart du temps anonymes, ou à des initiatives de personnes isolées. Les rares personnes à se revendiquer publiquement aujourd'hui comme pédophiles sont, pour la plupart, anglophones ou néerlandaises : on peut citer le britannique Tom O'Carroll (auteur de l'ouvrage Paedophilia : The radical case), le néerlandais Frans Gieles ou Lindsay Ashford, citoyen américain ayant témoigné à visage découvert en 2004 et animé un site web où il faisait l'apologie de son propre penchant sexuel pour les petites filles[105]. Le site de Lindsay Ashford a été durant plusieurs années l'une des vitrines en ligne de la pédophilie - s'attirant même des menaces de poursuites de la part du futur Président des États-Unis Barack Obama après la mise en ligne de photos des filles de ce dernier[106] - avant que son auteur ne décide de le fermer, arguant que la notoriété qu'il en retirait l'empêchait de conserver un emploi[107].
John Robin Sharpe, un pédophile canadien, a contesté certains aspects des lois sur la pornographie enfantine de son pays qui, contrairement à la France, condamne également les écrits incitant à la pédophilie. Arrêté en 1995 pour possession et diffusion de textes et d'images à caractère pédophile[108], il a fait valoir que ses propres photos et écrits de fiction ne pouvaient être illégaux du fait de leur caractère « artistique » et que la possession de pornographie répondant à ses goûts sexuels relevait de sa liberté d'expression. La Cour d'Appel de Colombie-Britannique lui a tout d'abord donné raison, occasionnant une polémique et un recours du gouvernement canadien : la Cour suprême du Canada a finalement annulé le jugement en 2001, réaffirmant la validité de la loi canadienne contre la pédopornographie, et ne reconnaissant d'exceptions que pour des textes autoproduits pour un usage strictement personnel, qui ne seraient diffusés en aucune manière par leur auteur[109],[110]. En 2002, Sharpe est acquitté pour la diffusion des textes - la justice estimant que ses écrits n'incitaient pas explicitement à la pédophilie, se contentant de décrire les actes - mais condamné pour la possession des photos[111]. En 2004, il est condamné à deux ans de prison pour un abus sexuel commis dans les années 1970[112].
Le est annoncée la création aux Pays-Bas du Parti de la charité, de la liberté et de la diversité (Partij voor Naastenliefde, Vrijheid en Diversiteit, PNVD), parti politique proposant l'abolition de toute majorité sexuelle. Les trois fondateurs - et seuls membres connus - du parti, tous militants pédophiles, comptent parmi eux Ad van den Berg, ancien président de MARTIJN. Le PNVD propose également d'autres mesures jugées par beaucoup comme fantaisistes (gratuité totale des transports, légalisation de la zoophilie, etc.) sans s'attaquer aux réels problèmes de la société contemporaine néerlandaise. Il est soit moqué, soit attaqué (par des associations chrétiennes, le parti conservateur et la grande majorité de l'opinion publique, 80 % des Néerlandais déclarant dans un sondage que des mesures devraient être prises)[113]. Le PNVD n'a jamais compté que ses trois fondateurs comme membres connus, n'a jamais pu participer à aucun scrutin faute d'avoir recueilli le nombre de signatures de citoyens prévu par la loi néerlandaise, et a annoncé sa dissolution en 2010. L'association MARTIJN est tout d'abord dissoute en par la justice néerlandaise mais le jugement est ensuite cassé en , la Cour d'appel jugeant que le risque de trouble à l'ordre social était insuffisant. L'interdiction de MARTIJN est finalement confirmée en par la Cour de cassation des Pays-Bas, qui estime qu'« il est nécessaire d’interdire et dissoudre l’association au nom de la protection de la santé, des droits et des libertés des enfants »[114], l'intégrité de l'enfant passant avant le principe de liberté d'expression[115]. Ad van den Berg, ancien président de MARTIJN et ancien trésorier du PNVD, a quant à lui été condamné en 2011 à trois ans de prison, dont six mois avec sursis, pour possession de pédopornographie[116]. Seule la NAMBLA continue d'avoir une existence officielle.
En 2013, la remise d'un prix à Daniel Cohn-Bendit suscite une nouvelle polémique en Allemagne ; le Parti vert allemand, auquel appartient Daniel Cohn-Bendit, décide alors de se pencher sur son propre passé et de commander au politologue Franz Walter une étude sur l'influence qu'ont pu avoir les militants pédophiles sur le mouvement écologiste allemand. Les travaux de Franz Walter mettent au jour d'anciennes positions pro-pédophiles des Verts allemands, poussant notamment l'ancien ministre Jürgen Trittin - responsable en 1981 d'une plate-forme électorale qui prônait la dépénalisation des actes sexuels entre enfants et adultes - à s'expliquer et à reconnaître ses erreurs. Un article du Frankfurter Allgemeine Zeitung accuse les Verts allemands d'avoir, dans le passé, « créé une idéologie qui favorisait l'abus d'enfants », Daniel Cohn-Bendit étant notamment dénoncé comme « le porte-drapeau le plus éminent des pédophiles ». Franz Walter souligne par ailleurs que les pédophiles ont, dans le passé, également influencé le Parti libéral-démocrate[71],[117],[118].
Des opinions publiques de plus en plus hostiles
À la fin de 1981, on pouvait lire dans un éditorial du Petit Gredin : « La pédophilie, la pédérastie sont de plus de plus les objets de la vindicte sociale alimentée par les mass media »[119]. En effet, depuis cette époque, la pédophilie fait l'objet d'une « condamnation unanime » et « le pédophile apparaît comme l'incarnation du criminel le plus abject »[96],[120],[121]. Si un auteur comme Matzneff continuait jusqu'en et la publication du livre de Vanessa Springora à être bien perçu par une partie des médias[122], on n'entend plus beaucoup parler de lui à partir des années 2000 (Hugo Marsan l'a qualifié de « dandy oublié »[123]) et les artistes contemporains qui, sans être pédophiles, mettent en scène des relations sexuelles d'adultes avec des enfants consentants[124],[125] ou dont les œuvres sont considérées comme suffisamment ambiguës pour que certains puissent les interpréter comme posant la possibilité d'un tel rapport[126] provoquent des scandales. Il y a donc eu un « changement radical »[121] d'attitude de la part des sociétés, pour différentes raisons.
En premier lieu, « un changement dans l'appréciation des violences sexuelles »[96]. Si les pédophiles prétextent la liberté des enfants à disposer de leur corps pour justifier leurs discours[90],[127], ils ne se posent généralement pas la question du discernement des enfants et de la facilité à les abuser, ni celle de leur perception a posteriori du contact sexuel ; à partir des années 1980, l'idée que tout contact sexuel entre un adulte et un enfant provoque des séquelles psychologiques très graves chez le second devient une « opinion commune »[128]. La réprobation du viol sur mineur, qui perd son statut de tabou[129], grandit. Selon Anne-Claude Ambroise-Rendu, ce sont les années 1990 qui marquent un véritable changement dans la vision de la pédophilie par les médias français. L'historienne souligne l'importance, en 1995, d'un numéro de l'émission Bas les masques, consacré au thème : « pour la première fois, on y entend et on y voit les victimes : ces enfants à qui on n'ose plus demander s'ils étaient consentants ou non, qui disent sans équivoque leur souffrance. Pour la première fois, un média évoque les effets de la pédophilie sur les enfants, laissant aux témoins le soin de dire leur mal être, leur incapacité à oublier, à se construire une vie heureuse et équilibrée »[85]. Anne-Claude Ambroise-Rendu relève que « Seul Gabriel Matzneff ose encore, en 1990, sourire devant Bernard Pivot des petites filles de 12 ans qu’il met dans son lit »[130]. Fin 2019 en revanche, la parution du Consentement, roman autobiographique dans lequel Vanessa Springora[131] raconte sa relation avec l'écrivain, décrivant l'emprise qu'il a exercée sur elle et les ravages produits sur sa vie, lance dès avant sa publication en , une polémique : si quelques voix continuent à soutenir l'écrivain (celle de Josyane Savigneau notamment, via son compte Twitter[132], qui évoque la "résistance" à une forme d' "inquisition"), de nombreuses protestations s'élèvent et les images de l'émission "Apostrophes"[133] de 1990 avec Bernard Pivot et Gabriel Matzneff, rediffusées sur les réseaux sociaux, permettent de mesurer l'évolution des mentalités à ce sujet : sur le plateau, seule Denise Bombardier, romancière québécoise, s'était élevée en 1990 contre les propos et les agissements de Gabriel Matzneff (près de trente ans plus tard, elle apporte d'ailleurs son soutien à Vanessa Springora[134]), alors que la lecture de la presse atteste, en 2019, sinon d'une condamnation toujours très ferme, au moins d'un "malaise" croissant dans l'opinion[135].
De plus en plus d'affaires sont jugées par les tribunaux : en France, le nombre de viols sur mineurs constatés passe de 100 en 1984 à 578 en 1993[136], et celui des atteintes ou agressions sexuelles sur mineurs avec circonstances aggravantes de 355 en 1984 à 882 en 1993 et 3815 en 2004[137]. En 1996 l'affaire Dutroux, qui éclate en Belgique, a un retentissement international et contribue à marquer durablement l'opinion, suscitant une forme de hantise sociale autour de la pédophilie et conduisant à la multiplication des témoignages et des révélations d'affaires d'abus sexuels sur mineurs[138],[139],[140].
La prévention devient une priorité aussi bien législative[141] que populaire, comme en témoigne en la première Marche blanche, qui réunit à Bruxelles à la suite de l'Affaire Dutroux plus de 300 000 personnes et le sujet est l'objet d'une attention renforcée de la part des médias[142].
Enfin, avec l'accroissement de la prise de conscience des violences sexuelles envers les mineurs et le retour subit de la pédophilie dans le champ médiatique, la pédophilie n'est plus perçue que comme un viol infligé aux enfants[143]. Aux Pays-Bas, la relative tolérance ayant pu exister envers la pédophilie disparaît progressivement : Edward Brongersma fait l'objet de harcèlement de la part de ses voisins et d'agressions sur la voie publique, du fait de sa notoriété ; déprimé, il finit par se suicider par euthanasie en 1998[144]. L'apparition du PNVD en a suscité en général consternation et indignation[145],[113].
Une propagande sur Internet
Dans les années 1990 l'arrivée d'Internet offre au militantisme pédophile de nouveaux moyens d'expression et de contact. Un certain nombre de pédophiles attirés par les garçons (Boylovers) et par les fillettes (Girl Lovers) se réclament du terme générique « Childlove ». En 1995, est mis en ligne le forum de discussions BoyChat qui mène en 1997 à la création du groupe Free Spirits ayant pour objectif de fournir des services Internet sécurisés aux pédophiles amateurs de garçons dans de nombreuses langues. L'équivalent francophone de BoyChat, La Garçonnière, est créé en 1998. Des pédophiles amateurs de filles créent des ressources équivalentes dès 1998. Depuis, plusieurs autres organisations se sont développées en ligne sur ce modèle, dont des entreprises commerciales (hébergeurs web essentiellement)[146].
Plus que des espaces réellement militants, ces forums sont avant tout des lieux de discussions et contact virtuels entre pédophiles, parfois suivis de rencontres et rassemblements réels[147]. Afin d'éviter les poursuites judiciaires, ces réseaux à vitrine publique se gardent de toute activité illégale comme l'échange d'images pédopornographiques ou l'incitation au crime, par l'intermédiaire d'une modération adaptée aux législations des divers pays qui les hébergent. Toutefois, le côté borderline jouant avec les limites de la loi leur a régulièrement valu des problèmes de la part de leurs hébergeurs ou fournisseurs Internet. Ainsi en 2006, l'hébergeur commercial Epifora, principal hébergeur du groupe Free Spirits, fut déconnecté du web par le fournisseur d'accès canadien Vérizon à la suite d'une campagne médiatique menée par une association antipédophile[148].
L'activité en ligne de pédophiles continue d'attirer l'attention de certains médias : en 2010, Fox News Channel publie un reportage accusant Wikipédia de tolérer sur ses sites les activités de propagande de certains pédophiles cherchant à présenter leurs goûts sexuels sous un jour positif, ce à quoi la Wikimedia Foundation répond qu'elle demeure vigilante face à ce type de dérives[149]. Le sociologue français Pierre Verdrager souligne pour sa part que les articles de Wikipédia portant sur la pédophilie manquent fréquemment de neutralité en la présentant sous un jour relativement favorable : il y voit le signe d'une activité des défenseurs de la pédophilie, qui profitent de la grande visibilité dans les moteurs de recherche des pages de l'encyclopédie en ligne[150]. Le forum 4chan fait régulièrement parler de lui comme d'un lieu où circulent des textes pro-pédophiles ou images pédophiles, souvent dans un but provocateur[151].
Jugements du corps médical
La littérature médicale actuelle est très documentée sur le sujet des graves et profonds dommages psychologiques qu'occasionnent aux enfants les abus sexuels dont ils font l'objet[152]. Les pédophiles militants citent quant à eux plusieurs articles scientifiques controversés pour appuyer leurs dires. Aujourd'hui, le corps médical est très largement en désaccord avec les affirmations des pédophiles quant au fait que les relations sexuelles entre adultes et enfants ne seraient pas nocives pour ces derniers ; aucune étude sur des résultats allant dans le sens des idées pro-pédophiles n'a été acceptée par la communauté scientifique[153].
Le psychiatre et expert judiciaire français Michel Dubec déclare : « Tous les pédophiles revendiquent leur amour des enfants et parlent de « nouvel amour ». Mais pour eux, ça va de soi, aimer c'est baiser. (…) Ces grands « intellos » rationalisant la pédophilie prônent une recherche pour une « enfance différente », totalement émancipée. Mais ils ne disent pas que cette émancipation est d'abord la leur, celle qui leur permet de s'affranchir des interdits et de séduire les enfants. Ils prétendent nous faire découvrir un vrai savoir, avec des affirmations du genre « La sexualité puérile est encore un continent interdit, aux découvreurs du XXIe siècle d'en aborder les rivages » (ainsi que l'écrivait Gai Pied hebdo du 31 janvier 1991). Tant de puérilité dans le raisonnement devient désarmante. Une chose est pour un enfant de rêver en se livrant à des jeux sexuels avec soi-même ou avec ceux de son âge, autre chose est d'être confronté au réel de la jouissance orgastique de l'adulte. Jouissance à laquelle lui, l'enfant, n'est pas encore en mesure d'accéder et qui peut le plonger dans des émois qu'il ne pourra gérer psychiquement »[154].
Le psychiatre français Bernard Cordier, membre dans les années 1990 du groupe de travail interministériel santé-justice sur le traitement des délinquants sexuels, distingue une catégorie spécifique de pédophiles, à savoir « les prosélytes, qui invoquent des arguments pseudo-culturels et militent pour la dépénalisation de la pédophilie au nom du droit des enfants consentants au plaisir »[155]. Il précise, concernant le cas de Gabriel Matzneff et des écrits complaisants en général : « Je ne dis pas que [le type d'écrits comparables à ceux de Gabriel Matzneff] sème la pédophilie. Mais il la cautionne et facilite le passage du fantasme à l'acte chez des pédophiles latents. Ces écrits rassurent et encouragent ceux qui souffrent de leur préférence sexuelle, en leur suggérant qu'ils ne sont pas les seuls de leur espèce. D'ailleurs, les pédophiles sont très attentifs aux réactions de la société française à l'égard du cas Matzneff. Les intellectuels complaisants leur fournissent un alibi et des arguments : si des gens éclairés défendent cet écrivain, n'est-ce pas la preuve que les adversaires des pédophiles sont des coincés, menant des combats d'arrière-garde ? Ils veulent croire et prétendre que la société libérera un jour la pédophilie, comme elle l'a fait pour l'homosexualité, au nom de la défense des différences. Rien n'est plus faux ! Dès qu'il y a un enfant et un adulte, il y a un abuseur et un abusé. Cela n'a rien à voir avec une relation entre deux êtres véritablement consentants »[156].
Le psychanalyste français Pierre Lassus, directeur de l'Union française pour le sauvetage de l'enfance, déclare pour sa part : « Je ne supporte pas qu'un petit cercle de mondains défende cette pose du pédophile esthète. Leur défense est la perversion même : selon l'inversion bien connue du discours, la victime devient le bourreau »[157].
William E. Prendergast, psychologue clinicien américain, juge « ridicules » les discours pro-pédophiles sur les bienfaits de la sexualité adultes-enfants, et considère que les groupes soutenant ces vues ont pour finalité de fournir des justifications aux abuseurs sexuels[158].
Les évolutions de la pédocriminalité, la banalisation de la pédopornographie sur le Darknet
De la défense de l'idéologie pédophile à la pédocriminalité il n'y as qu'un pas. La pédopornographie est un business lucratif, opaque et organisé. L'Internet permet la circulation accrue de pédopornographie[159]. Le centre national d'analyse des images pédopornographiques "CNAIP" est l'organisme de gendarmerie nationale qui œuvre contre la pédocriminalité depuis 2003, rattaché au centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) en France.
En 2021 Europol démantèle un réseau pédopornographique du Darknet
"Boystown" avec plus de 400 000 utilisateurs enregistrés, permettait aux utilisateurs de partager des images et des vidéos d’abus sexuels sur mineurs. Le contenu était divisé en diverses catégories, rassemblant chacune plusieurs milliers de publications[160].
En 2011, un vaste réseau pédopornographique a été démantelé par Europol
En mars ce démantèlement a permis l'identification de 670 suspects sur quatre continents, et à 184 arrestations : l'enquête ayant mené à ces arrestations a établi que le forum boylover.net, hébergé aux Pays-Bas, avait servi à l'échange de photos et vidéos pédopornographiques. 230 enfants abusés sexuellement par des membres du réseau ont pu être identifiés[161].
En 2011 une opération anti-pédopornographie par Anonymous
En , le collectif de hackers Anonymous lança « Operation Darknet », dans le but de perturber les activités des sites pédopornographiques accessibles via les services cachés[162]. Anonymous publia un lien pastebin contenant le nom de 1 589 membres de Lolita City, mais bien qu'ils aient prétendu mener une opération de « hacking », il ne s'agissait que d'information anonyme en libre accès sur le site pédopornographique accessible via le réseau Tor. Anonymous annonça avoir découvert le site sur The Hidden Wiki, et qu'il contenait plus de 100 gigaoctets de contenu pédopornographique. Lolita City a été mis hors ligne durant un court moment grâce à une attaque par déni de service menée par Anonymous[163].
Notes et références
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- « Matzneff est un dandy oublié, dans une fin de siècle condamnée à l'uniformité des comportements. », Hugo Marsan, 1993.
- Comme certains des peintres et dessinateurs de l'exposition « When love turns to poison » à Berlin en 2004 ((de) Karin Schmidl et Eva Dorothée Schmid, « Kunst oder Pornografie? » [« Art ou pornographie ? »], dans la Berliner Zeitung, .
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- Une association de défense de l'enfance a porté plainte en 2000 contre le directeur du Centre d'arts plastiques contemporain (CAPC) de Bordeaux à la suite de l'exposition « Présumés innocents - L'art contemporain et l'enfance », l'accusant d'avoir aidé à la « diffusion de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique », alors que les œuvres incriminées ne présentaient manifestement aucun caractère pédopornographique. Lindgaard, 2001 ; Courtois, 2006.
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Annexes
Articles connexes
- Abus sexuel sur mineur
- Convention concernant l'interdiction et l'action immédiate pour l'élimination des pires formes de travail des enfants
- End child prostitution, child pornography and trafficking of children for sexual purposes
- Esclavage sexuel
- Programme international pour l'abolition du travail des enfants
- Traite des êtres humains
- Exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales
- Sollicitation d'enfants à des fins sexuelles
- Contenu illicite
Liens externes
- (en) Parliamentary Joint Committee on the National Crime Authority, Organised Criminal Paedophile Activity, Parlement australien, .
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