Variantes régionales du roumain
Les variantes régionales du roumain ou régiolectes du roumain sont les variétés inter-compréhensibles de la langue roumaine. Les régiolectes du roumain sont parlés par les populations majoritaires de la Roumanie, de la République de Moldavie (dont la Transnistrie) et par des minorités nationales dans les autres pays voisins de la Roumanie, ainsi que par des personnes émigrées de ces pays. L’intelligibilité mutuelle entre les locuteurs du roumain est totale, les différences des variantes régionales étant connues par tous les roumanophones : cette langue est beaucoup plus unitaire que l’allemand, par exemple[1].

La langue roumaine peut être désignée par plusieurs dénominations : la plus usitée est « roumain », mais « moldave » est également employé dans les États ex-soviétiques (dont la République de Moldavie) et « valaque » apparaît en Serbie ou en Bulgarie.
De leur côté, les linguistes qui désignent les quatre langues romanes orientales par le nom unique de « roumain »[2] considèrent chacune de ces quatre langues (bien qu'elles ne soient que très partiellement inter-compréhensibles) comme les quatre idiomes ou dialectes d'une même macro-langue, en appelant « daco-roumain » la variante parlée en Roumanie, Moldavie et dans le voisinage de ces deux pays. Les autres langues romanes orientales sont l’aroumain (également appelé « aromoune », « macédo-roumain », « valaque » ou « zinzare »), le mégléno-roumain (également appelé « mégléniote » ou « mognénite ») et l’istro-roumain (également appelé « istrien » ou « tchitche »). Pour ces linguistes, les variantes régionales de chacune de ces langues sont des « sous-dialectes » ou des « groupes de parlers ». Dans cet article, le terme « roumain » désigne le « daco-roumain », et le terme « groupes de parlers » : les variantes régionales de cette langue.
Configuration dialectale du roumain
La configuration dialectale du daco-roumain, c’est-à-dire le nombre de régiolectes, leur classification et leur hiérarchisation, ont toujours fait l’objet de débats[1]. Selon certains linguistes[3] il n’y a que deux groupes régionaux, celui du Nord ou « moldave » („moldovenesc” en roumain), et celui du Sud ou « valaque » („muntenesc” en roumain : il s’agit ici de la variante méridionale du daco-roumain, et non de l’aroumain parlé dans les Balkans). D’après d’autres auteurs[4] il n’existe que trois groupes régionaux : « moldo-transylvain », « banatéen » („bănățean” en roumain) et « valaque ». D’autres chercheurs[5] en comptent quatre : « moldo-transylvain », « banatéen », « crișanien » („crișănean” en roumain) et « valaque ». Pour d’autres encore[6] il y en a cinq : « moldo-transylvain », « banatéen », « crișanien », « marmatien » (ou « maramuréchois » : „maramureșean” en roumain) et « valaque ». À ces variantes, certains linguistes ajoutent d’autres unités de divers degrés, certains parlers appelés de transition, mais dont ils soutiennent l’autonomie. Certains considèrent comme tels les parlers « olténien » („oltenesc”) et « munténien » („muntenesc”)[7], d’autres le parler « dicien » („dician”)[8],[9] et d’autres encore le parler du pays d'Oaș (« oașéen », en roumain „oșean” ou „oșan”)[10]. Si l’on prend en compte plusieurs parlers transylvains, le plus grand nombre de régiolectes s’élève à 20[11].
Ces divergences sont dues au fait que les différences enregistrées dépendent des variantes concrètes que l’on compare entre elles. La distinction est assez nette entre les groupes moldave et valaque, mais le banatéen est peu différent du crișanien d’un côté, et du valaque de l’autre. Les différences sont encore moindres entre les trois parlers valaques : l’olténien à l’Ouest, le munténien au centre et le dicien à l’Est (sachant que le munténien influence fortement et depuis longtemps les deux autres, et se substitue progressivement à eux).
De vives controverses existent autour des parlers de la Transylvanie historique, c’est-à-dire sans le Banat, la Crișana, le pays d'Oaș et le Maramureș. La plupart des linguistes les considèrent comme appartenant à leurs voisins, bien qu’on leur reconnaisse un certain nombre de traits communs distincts. Par contre, certains linguistes[12] soutiennent l’existence d’un groupe de parlers transylvains avec des traits communs qui les distinguent nettement des autres (moldave, valaque, banatéen), mais qui sont plus morcelés que ceux-ci. Ils y distinguent quatre sous-groupes : transylvain du Nord-Est, transylvain crișanien-marmatien (ou du Nord-Ouest), transylvain central et transylvain méridional[13].
Dans cet article sont présentées sept unités dialectales.
Groupe septentrional (moldo-transylvain)
Ce groupe comprend les parlers banatéens, crișaniens et moldaves.
Parlers banatéens
Ce groupe de parlers est caractéristique pour le Banat, le Sud du județ d'Arad et de celui de Hunedoara, pour les Roumains de Voïvodine et une partie de ceux de la Timočka Krajina serbe, au sud des Portes de Fer. On distingue trois zones : celle du Sud (y compris la Voïvodine et la Timočka Krajina) celle du Nord-nord-ouest et celle du Nord-est (y compris la région de Hațeg)[14].
Caractéristiques
Les parlers banatéens comportent beaucoup d’archaïsmes phonologiques, morphologiques et lexicaux. Le trait phonologique principal de ce groupe, par rapport au roumain standard, est un système vocalique riche et équilibré.
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
[ane] latin > [ɨne] | câne | câine | chien |
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [z] | să rupe orășan țân zâc | se rupe orășean țin zic | se rompt citadin je tiens je dis |
[a] tonique > [ʌ] | ['fʌtə] | fată | fille |
[e] tonique > [ɛ] devant une syllabe contenant un [e] | ['pɛre] | pere | poires |
[o̯a][15] > [ɒ] | ['pɒrtə] | poartă | portail |
[t͡ʃ] > [ʃʲ] devant [e] et [i] | șier | cer | ciel |
[d͡ʒ] > [ʒʲ] devant [e] et [i] | jier | ger | gel |
chute de [ʲ] final de mot après les consonnes fricatives et affriquées | [uʃ] [pot͡s] | uși poți | portes tu peux |
chute de [ʲ] final de mot après [n] et palatalisation complète de celui-ci | ['wɒmeɲ] | oameni | hommes, humains |
[t] > [t͡ɕ] devant [e] et [i] | frace | frate | frère |
[d] > [d͡ʑ] devant [e] et [i] | ges | des | dense |
[n] + [e]/[i] latin > [ɲ] | cuni | cui | clou |
[u.wa] > [u.va] | a luva | a lua | prendre |
[a.wud] > [abd] | labd | laud | je vante |
[a.wut] > [apt] | capt | caut | je cherche |
article possessif à forme unique | a tău, a ta a tăi, a tale | al tău, a ta ai tăi, ale tale | le tien, la tienne les tiens, les tiennes |
formes du verbe a fi « être » devenues pronominales | mi-s ni-s vi-s | (eu) sunt suntem sunteți | je suis nous sommes vous êtes |
forme ancienne de l’auxiliaire du conditionnel présent | (v)reaș zișie | aș zice | je dirais |
sous l’influence du serbe, préfixes marquant l’aspect perfectif | m-am zăuitat | am uitat | j’ai oublié |
Lexique :
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
le suffixe lexical -oni/-oane | iepuroni nemțoane | iepuroi nemțoaică | lièvre (mâle) (femme) allemande |
mots archaïques d’origine latine | nat | individ | individu |
mots d’origine serbe | goșt | musafir | hôte, invité |
mots d’origine allemande | farbă | vopsea | peinture (couche de couleur, couleur préparée avec un liquide) |
Sources écrites
Palia de la Orăștie (L’Ancien Testament d’Orăștie) (1582) comporte des spécificités dialectales du Banat. C’est des parlers banatéens que le roumain standard a adopté au XIXe siècle, à l’initiative de Ion Heliade Rădulescu, la désinence -au de la 3e personne du pluriel de l’imparfait de l'indicatif, différente de celle de la même personne du singulier : ei mergeau « ils allaient », ei făceau « ils faisaient »[16].
Les parlers banatéens sont les seuls à avoir été et à être encore le terrain d’expériences littéraires modernes. Un auteur relativement connu d’œuvres de ce genre est Victor Vlad Delamarina (1870-1896)[17]. Ces dernières années, cette littérature connaît un certain renouveau. En 2002 fut fondée l’Association des écrivains en banatéen, avec sa revue Tăt Bănatu-i fruncea (Toujours le Banat à l’avant-garde). À Uzdin, en Voïvodine, fonctionne l’Association littéraire et artistique « Tibiscus », qui s’occupe de littérature dialectale roumaine. Ce régiolecte est également cultivé dans des émissions de radio et de télévision[18].
Parlers crișaniens
Les parlers de la Crișana se répartissent en trois sous-groupes : les parlers de Bihor (qui s’étendent sur le județ d’Arad aussi, ainsi que sur les localités habitées par les Roumains de Hongrie), les parlers du pays des Motses et les parlers de la vallée du Someș. Les linguistes Emil Petrovici et Ion Coteanu ajoutent aux parlers de Crișana ceux du pays d'Oaș. Dans une grande partie de la Transylvanie sont présents des parlers de transition entre ceux de Crișana, de Moldavie et de Valachie[19].
Caractéristiques
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
nasalisation des voyelles | [o'pitə̃'trjagə̃'strajt͡sə] | o pâine-ntreagă în traistă | un pain entier dans la musette |
[ane] latin > [ɨne] | câne | câine | chien |
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [z] | să rupe orășan țân zâc | se rupe orășean țin zic | se rompt citadin je tiens je dis |
[e̯a] > [a] après [t], [d], [l], [n] palatalisés | ['cakə] [ɟal] [ʎak] [ɲam] | teacă deal leac neam | fourreau colline remède parent |
[e] tonique > [ɛ] devant une syllabe contenant un [e] | ['pɛre] | pere | poires |
[o̯a] > [ɒ] | ['pɒrtə] | poartă | portail |
[d͡ʒ] > [ʒ] | jer | ger | gel |
palatalisation des consonnes occlusives dentales devant [e] et [i] (peut être de divers degrés) | [tʲej] ou [cej] [dʲintʲe] ou [ɟince] | tei dinte | tilleul dent |
palatalisation de [n] devant [e] et [i] | ['biɲe] ['domɲi] | bine domnii | bien les messieurs |
palatalisation de [k] et [p] devant [e] et [i] | [cej] [pʲej] ou [cej] | chei piei | clés peaux[20] |
[e̯a] tonique et atone > [ɛ] | [lumɛ] | lumea | le monde |
[ɨj] > [ij] | întii | întâi | premier |
introduction de [k] entre [s] et [l] | sclab | slab | faible, maigre |
introduction de [a] initial de mot[21] | anumără | numără | il/elle compte |
rhotacisme de [n] dans le parler du pays des Moți | lură | lună | lune |
génitif/datif archaïque de l’article défini | omuli | omului | de l’homme / à l’homme |
article possessif à forme unique | a tău, a ta a tăi, a tale | al tău, a ta ai tăi, ale tale | le tien, la tienne les tiens, les tiennes |
formes spécifiques du verbe a fi « être » | îs îi | sunt este, e | je suis, ils/elles sont il/elle est |
formes spécifiques de la 3e personne du singulier et du pluriel de l’auxiliaire du passé composé | o făcut, or făcut | a făcut, au făcut | il/elle a fait, ils/elles ont fait |
conjonction spécifique du subjonctif dans le sous-dialecte de Bihor | și merg | să merg | que j’aille |
forme spécifique, composée, de l’indicatif plus-que-parfait | m-am fo dusă | mă dusesem | j’étais allé(e) |
conditionnel passé avec l’auxiliaire a vrea « vouloir » au passé composé | o vu(t) hori | ar fi cântat | il/elle aurait chanté |
l’auxiliaire après le verbe principal | Făcut-ai foc? Duce-m-oi. | Ai făcut foc? Mă voi duce. | Tu as fait du feu ? Je vais m’en aller. |
Lexique :
Phénomène | Exemple dialectal | Sens dans la langue standard | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|---|
archaïsmes d’origine latine | vă! | mergi!, du-te! | va ! | |
mots spécifiques | nari | nas | nez | |
mots à sens spécifiques | a cânta | chanter | a plânge | pleurer |
mots d’origine hongroise | a cuștuli | a gusta | goûter | |
mots d’origine allemande | firhang | perdea | rideau, voilage |
Parlers marmatiens (maramuréchois) et oașéens
Ces parlers du Maramureș historique, se trouvent dans la partie du județ de Maramureș actuel située au nord des Monts Gutâi et en Ruthénie transcarpatique (ukrainienne), et au Pays d'Oaș. Certains linguistes, ceux qui ne comptent pas les parlers du pays d’Oaș parmi ceux de Crișana, les considèrent comme faisant partie du groupe maramuréchois[22][23].
Caractéristiques
Phonologie :
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
[ane] latin > [ɨne] | câne | câine | chien |
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [d͡z] | să rumpe orășan țân dzâc | se rupe orășean țin zic | se rompt citadin je tiens je dis |
[e̯a] > [a] après [t], [d], [l], [n] palatalisés | ['cakə] [ɟal] [ʎak] [ɲam] | teacă deal leac neam | fourreau colline remède parent |
fermeture de [e] atone, sauf final de mot | oamini | oameni | hommes, humains |
[e] > [ə] après [t͡ʃ] et [d͡ʒ] | [t͡ʃər] [d͡ʒər] | cer ger | ciel gel |
[e] tonique > [ɛ] devant une syllabe contenant un [e] | ['pɛre] | pere | poires |
[o̯a] > [ɒ] | ['pɒrtə] | poartă | portail |
chute de [ʲ] final de mot après les fricatives et les affriquées | [uʃ] [nut͡ʃ] [pot͡s] | uși [uʃʲ] nuci [nut͡ʃʲ] poți [pot͡sʲ] | portes noix (pluriel) tu peux |
chute de [ʲ] final de mot après [n] et palatalisation complète de celui-ci | ['wɒmiɲ] | oameni | hommes, humains |
[de] latin > [d͡zə] | Dumnedzău | Dumnezeu | Dieu |
[di] latin > [d͡zɨ] | dzâc | zic | je dis |
[du] latin > [d͡zu] | vădzut | văzut | vu |
palatalisation complète des consonnes occlusives dentales devant [e] et [i] | [cej] [ɟince] | tei dinte | tilleul dent |
palatalisation complète de [k] devant [e] et [i] | [cej] | chei | clés[24] |
palatalisation de [f] et [v] devant [e] et [i] | sier zin | fier vin | fer vin |
palatalisation de [l] devant [e] | ['pɛriʎe] | perele | les poires |
[l] > [w] devant les occlusives, dans l’Oaș | aub autu caudură meuc | alb altul căldură melc | blanc autre chaleur escargot |
palatalisation de [n] devant [e] et [i] | ['biɲe] ['domɲi] | bine domnii | bien les messieurs |
dépalatalisation des affriquées | ['t͡ʃɒrə] [d͡ʒam] ['tsavə] | cioară geam țeavă | corneille vitre tuyau |
introduction de [ɲ] entre [m] et [j] | [mɲel] | miel | agneau |
introduction de [c] entre [p] et [j] ou [i] | ['pcatrə] | piatră | pierre |
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
article possessif à forme unique | a tău, a ta a tăi, a tale | al tău, a ta ai tăi, ale tale | le tien, la tienne les tiens, les tiennes |
forme spécifique unique de la 3e personne du singulier et du pluriel de l’auxiliaire du passé composé | o făcut | a făcut, au făcut | il/elle a fait, ils/elles ont fait |
chute des syllabes après celle tonique dans les verbes | ce-i fa | ce vei face | qu’est-ce que tu vas faire |
désinence spécifique de la 1re personne du pluriel de l’indicatif présent aux 2e et 3e conjugaisons | ave duce | avem ducem | nous avons nous portons |
chute des syllabes après celle tonique au vocatif | mătu! [ɟo]! | mătușă! Gheorghe! | ma tante ! Georges ! |
formes spécifiques de l’auxiliaire du futur a vrea « vouloir » | oi / îi / a / om / îț / or mânca | voi / vei / va / vom / veți / vor mânca | je vais / tu vas / il/elle va / nous allons / vous allez / ils/elles vont manger |
forme spécifique du plus-que-parfait de l’indicatif | am fo dzâsă | zisesem | j’avais dit |
emploi archaïque de l’infinitif | S-o dus a ara. | S-a dus să are. | Il est allé labourer. |
l’auxiliaire après le verbe principal | Făcut-ai foc? Duce-m-oi. | Ai făcut foc? Mă voi duce. | Tu as fait du feu ? Je vais m’en aller. |
Lexique :
Phénomène | Exemple dialectal | Sens dans la langue standard | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|---|
grande fréquence du suffixe diminutif -uc(ă) | slăbuc | slăbuț | maigrelet | |
suffixe diminutif -ucă au féminin et au neutre pluriel | piciorucă | piciorușe | petits pieds | |
mots archaïques d’origine latine | sărune | tărâțe cu sare | son (de céréales) salé | |
mots spécifiques | cătilin | încet | doucement, lentement | |
mots à sens spécifiques | cocon | petit monsieur | copilaș | petit enfant |
mots d’origine ukrainienne | a cușăi | a gusta | goûter |
Parlers moldaves
C’est le groupe de parlers le plus répandu : ils se rencontrent en Moldavie roumaine, en Bucovine roumaine, en Bucovine du Nord appartenant à l’Ukraine, dans une partie de la Transylvanie du Nord-est (județ de Bistrița-Năsăud, dans certaines parties des județe de Mureș, Harghita et Covasna, en Munténie du Nord-Est (județe de Brăila et de Buzău), en République de Moldavie y compris la Transnistrie, dans le Boudjak ukrainien et sur les deux rives du bas-Danube y compris en Dobroudja du Nord.
La notion linguistique de « parlers moldaves » ne doit pas être confondue avec celle politique de « langue moldave », dénomination officielle du roumain standard en URSS, en République de Moldavie selon l’article 13 de la Constitution de cet État, en Transnistrie (où cette langue est écrite en caractères cyrilliques russes) et dans les états de la CEI. Les sources russophiles de Moldavie tentent d’accréditer l’idée que la langue parlée en République de Moldavie est une forme d’« ancien parler moldave » qui serait « différente » de celui parlé dans la région roumaine de Moldavie, fortement modifié selon ce point de vue, par les « parlers valaques »[25].
Caractéristiques
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
[e̯a] finale de mot > [ɛ] | [vi'nɛ] | venea | venait |
fermeture de [ə] atone | [sɨ 'vinɨ] | să vină | qu’il/elle vienne |
fermeture de [e] atone | fetili | fetele | les filles |
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [z] | sî rupi orășan zamă țân | se rupe orășean zeamă țin | se rompt citadin liquide je tiens |
chute de [ʲ] final de mot après les fricatives et les affriquées | [uʃ] [pot͡s] | uși [uʃʲ] poți [pot͡sʲ] | portes tu peux |
[de] latin > [d͡ze] | dzece | zece | dix |
[di] latin > [d͡zɨ] | dzâc | zic | je dis |
[t͡ʃ] > consonne proche de [ʃ] | șier | cer | ciel |
[d͡ʒ] > consonne proche de [ʒ] | jier | ger | gel |
palatalisations : [b] > [g], [p] > [k], [m] > [ɲ], [v] > [ʒ] | ghini chiept [ɲik] jin | bine piept mic vin | bien poitrine petit vin |
article possessif à forme unique | a tău, a ta a tăi, a tale | al tău, a ta ai tăi, ale tale | le tien, la tienne les tiens, les tiennes |
les pronoms personnels dânsul, dânsa, dânșii, dânsele se référant à des inanimés aussi | Uiti masa. Puni lingurili pi dânsa. | Uite masa. Pune lingurile pe ea. | Voilà la table. Mets les cuillers dessus. |
forme spécifique unique de la 3e personne du singulier et du pluriel de l’auxiliaire du passé composé | o făcut | a făcut, au făcut | il/elle a fait, ils/elles ont fait |
formes spécifiques de l’auxiliaire du futur a vrea « vouloir » | oi / îi / a / om / îț / or mânca | voi / vei / va / vom / veți / vor mânca | je vais / tu vas / il/elle va / nous allons / vous allez / ils/elles vont manger |
participe avec de | trebuii di spus | trebuie spus | il faut dire |
Lexique :
Phénomène | Exemple dialectal | Sens dans la langue standard | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|---|
mots spécifiques | agud | dud | mûrier | |
mots à sens spécifiques | moș | vieillard | unchi | oncle |
mots d’origine ukrainienne | hulub | porumbel | pigeon | |
mots d’origine russe (surtout à l’est du Prut) | cori | rujeolă | rougeole | |
mots d’origine turque | bostan | citrouille | pepene | pastèque |
mots d’origine grecque | colțun | ciorap | bas (le vêtement) |
Sources écrites
Le document écrit le plus ancien comportant des caractéristiques moldaves date de 1566. Les parlers moldaves ont eu un rôle important dans la formation du standard du roumain, surtout par les œuvres des chroniqueurs Grigore Ureche, Miron Costin et Ion Neculce, puis d’écrivains tels Vasile Alecsandri, Ion Creangă, Mihai Eminescu et Mihail Sadoveanu.
Groupe méridional (valaque)
Ce groupe comprend les parlers olténiens, munténiens et diciens.
Parlers olténiens
Les parlers olténiens sont répandus en Olténie (sauf la partie orientale du județ d’Olt), dans le Nord-Ouest de la Bulgarie et en Serbie (partie Est de la vallée du Timoc)[26].
Caractéristiques
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
diphtongues [aj], [əj], [oj], [uj] devant [kʲ] et [gʲ][27] | straichină răichită ureiche oichi păduiche | strachină răchită ureche ochi păduche | écuelle saule oreille œil pou |
introduction d’un [i] entre deux consonnes initiales de mot | hirean | hrean | raifort |
[i] devant deux consonnes initiales de mot | ișcoală | școală | école |
[i] > [ɨ], [a] > [ə], [e̯a][28] > [a], après [t͡s], [s], [z], [r] | zâce țălină măsa | zice țelină măsea | il/elle dit céleri dent (molaire) |
pronom démonstratif féminin pluriel spécifique | ăștea | astea | celles-ci |
utilisation du passé simple (pour des actions très récentes) | cântai[29] | am cântat | je chantai |
adverbes pour trois degrés de proximité/éloignement | (a)ici – aci(a) – acolo | aici – acolo | ici – là – là-bas |
forme archaïque de l’impératif négatif au pluriel | nu cântareți! | nu cântați! | ne chantez pas ! |
Lexique :
Phénomène | Exemple dialectal | Sens dans la langue standard | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|---|
mots archaïques | arm | șold | hanche | |
mots spécifiques | a străfiga | a strănuta | éternuer | |
mots à sens spécifiques | cotoi | matou | picior de pasăre | cuisse de volaille |
Parlers munténiens
Les parlers munténiens se sont diffusés depuis la Munténie vers l’Olténie et la Dobroudja, où subsistent seulement des éléments lexicaux de l’ancien parler dicien local, jadis très influencé par le grec et le turc[30]. Le munténien est aussi le parler des Roumains du nord de la Bulgarie et des județe transylvains de Sibiu et de Brașov[31].
Caractéristiques
Phénomène | Exemple dialectal | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|
palatalisation de [ʃ] devant [ə], qui devient [e] | ușe loje | ușă lojă | porte loge |
[d] purement dental suivi de [ə], [ɨ] | dăștept dân | deștept din | intelligent de |
dissimilation de [e] en [i], surtout sous l’influence d’un [e] frappé de l’accent tonique | fetili caprili | fetele caprele | les filles les chèvres |
au passé composé, la forme de la 3e personne du pluriel du verbe auxiliaire identique à la forme de la 3e personne du singulier | ei/ele a venitără | ei/ele au venit | ils/elles sont venu(e)s |
au passé composé, participe avec le suffixe -ără | ei/ele a venitără | ei/ele au venit | ils/elles sont venu(e)s |
à l’indicatif présent, la forme de la 3e personne du pluriel identique à celle du singulier | ei/ele bea | ei/ele beau | ils/elles boivent |
au futur avec l’auxiliaire a vrea « vouloir », la forme de la 3e personne du pluriel identique à celle du singulier | ei/ele va bea | ei/ele vor bea | ils/elles boiront |
le verbe a vrea utilisé au passé composé en tant que verbe modal | am vrut să cad | era să cad | j’ai failli tomber |
a veni « venir » utilisé en tant qu’auxiliaire d’aspect | vine și/de crește | începe să crească | commence à croître |
a veni auxiliaire de la diathèse passive | grinda vine așezată aici | grinda este așezată aici | la poutre est placée ici |
confusion des prépositions după « après » et de pe « qui est sur » | floarea după/dupe masă | floarea de pe masă | la fleur qui est sur la table |
de utilisé en tant que pronom relatif | omul de vine | omul care vine | l’homme qui vient |
complément d’objet direct avec la préposition la (valeur d’article partitif) | mănâncă la pâine | mănâncă pâine | il/elle mange du pain |
l’adverbe mai « plus » devant le pronom réfléchi | nu mai mă duc | nu mă mai duc | je n’y vais plus |
l’adverbe decât en construction restrictive utilisé sans la négation n(u) | am decât două mere | n-am decât două mere | je n’ai que deux pommes |
Lexique :
Phénomène | Exemple dialectal | Sens dans la langue standard | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|---|
mots à sens spécifiques | ginere | gendre | mire | marié (au moment du mariage) |
mots d’origine turque | peșchir perdea | rideau | prosop adăpost pentru vite | serviette (pour s’essuyer) abri pour le bétail |
mots d’origine grecque | dârmon | ciur | tamis |
Sources écrites
Les premières attestations écrites du roumain (la Lettre de Neacşu de 1521 et environ 50 documents manuscrits ultérieurs), ainsi que la première dizaine de textes imprimés en roumain reflètent les caractéristiques des parlers munténiens. C’est la base du roumain standard, qui n’a pas repris toutes leurs spécificités, mais au contraire, en a beaucoup rejeté, surtout pour ce qui est de la morphologie du verbe.
Parler dicien
Ce parler était usité en Dobroudja du Nord avant que celle-ci soit rattachée au royaume de Roumanie en 1878[32] et ne subsiste, selon les linguistes[33],[34] que dans le lexique local du parler munténien qui s'y est imposé : ce lexique révèle de fortes influences grecques et turques venues des minorités locales, mais aussi moldo-transylvaines, venues avec les bergers transhumants qui se sont sédentarisés au fil des siècles dans le pays[35],[36],[37],[38].
Les archéologues Vasile Pârvan et George Vâlsan ont supposé que la dénomination « dicien » pourrait provenir de la cité médiévale de Vicina où siégeait le périchorète (περιχωρήτης) Jacinthe de Vicina, premier évêque de la principauté de Valachie au XIVe siècle[39].
Phénomène | Exemple dialectal | Sens dans la langue standard | Correspondant dans la langue standard | Traduction |
---|---|---|---|---|
mots d’origine bulgare | baistruc buhalcă ciușcă | sperietoare zdreanță ardei iute | épouvantail nippe piment fort | |
mots d’origine turque | canara ceair cherhana ciortan gioarsă ghionder | stâncă pășune pescărie crap zdreanță prăjină | brisant, écueil pré pêcherie carpe nippe perche | |
mots d’origine grecque | chivernă garid fengar liman talaz tiropită | cârmă crevete far lac val plăcintă dobrogeană | barre, safran crevette fanal lagune vague feuilleté au fromage |
Notes et références
- Sala 1989, p. 90.
- Gustav Weigand (en), Ovid Densușianu, Sextil Pușcariu, Alexandru Rosetti, Theodor Capidan, etc.
- Par exemple Alexandru Philippide, Iorgu Iordan et Emanuel Vasiliu.
- Par exemple Gustav Weigand (en) et Sextil Pușcariu.
- Par exemple Emil Petrovici et Ion Coteanu.
- Par exemple Sever Pop et Romulus Todoran.
- Par exemple Grigore Brâncuș et Valeriu Rusu.
- George Vâlsan, Graiul românesc, I, 1927, no 7, p. 142, Opere postume, Bucarest 1936, p. 49
- (ro) Ion Penișoară, 10e colloque national d'Onomastique, Cluj, , « Unele aspecte dialectale în entopica dobrogeană », p. 26-28
- Par exemple Dorin Urițescu.
- Opinion de Gheorghe Ivănescu.
- Par exemple Vasile Frățilă et Vasile Ursan.
- Ursan 2008, p. 83.
- Sala 1989, p. 47.
- Diphtongue formée d’un [o] semi-vocalique et d’un [a].
- Gheție 1975, p. 492.
- Auteur, par exemple, du poème comique Ăl mai tare om dân lume (L’homme le plus fort du monde), Facla, Timișoara, 1972.
- Ghinea Nouraș 2004.
- Sala 1989, p. 88.
- Ainsi la prononciation des deux mots peut devenir identique. Si on leur ajoute le mot tei « tilleul » avec [t] palatalisé, on a trois mots à prononciation identique.
- Moins fréquente qu’en aroumain.
- Sala 1989, p. 192.
- Sala 1989, p. 226.
- Ce mot devenant homophone de celui signifiant « tilleul ».
- Ancien roumain (ru)
- Sala 1989, p. 225.
- [k] et [g] palatalisés.
- Diphtongue formée d’un [e] semi-vocalique et d’un [a].
- Le passé simple subsiste dans la langue littéraire aussi, uniquement dans les textes narratifs.
- Mariana Iancu, article dans Adevărul du 26 mars 2015 consulté le 1er juillet 2015: .
- Sala 1989, p. 203.
- Définitions : .
- George Vâlsan, Graiul românesc, I, 1927, nr. 7, p. 142, Oeuvres posthumes, Bucarest 1936, p. 49
- Ion Penișoară Unele aspecte dialectale în entopica dobrogeană, Al X-lea Simpozion Național de Onomastică, Cluj 1993, pp. 26-28.
- D. Șandru, Mocanii în Dobrogea, Bucarest 1946, p. 13
- T. Mateescu, « Țăranii din Moldova și Țara Românească la muncile agricole în Dobrogea (sec. XVIII – prima jumătate a sec. al XIX-lea) », in Annuaire de l'Institut d'histoire et d'archéologie „A. D. Xenopol” n° 19, 1972
- M. Guboglu, Catalogul documentelor turcești, tome I, Bucarest 1960.
- La localisation de Vicina est incertaine et donc discutée : les localités de Tulcea, Isaccea, Măcin, Hârșova, Capidava, Cernavodă ou Păcuiul lui Soare ont été proposées.
- De ce ești baistruc? Cuvinte ciudate ale dobrogenilor pe care niciun alt român nu le pricepe, 26 martie 2015, Mariana Iancu, Adevărul, accesat la 1 iulie 2015
Bibliographie
- (ro) Marius Sala, Enciclopedia limbilor romanice [« Encyclopédie des langues romanes »], Bucarest, Editura Ştiințifică și enciclopedică, (ISBN 973-29-0043-1)
- (ro) Ion Gheție, Baza dialectală a românei literare [« La base dialectale du roumain littéraire »], Bucarest, Editura Academiei,
- (ro) Cristian Ghinea Nouraș, « Literatura în grai bănățean este un fenomen viu » [« La littérature en parler du Banat est un phénomène vivant »], sur http://www.poezie.ro/, Agonia – Ateliere artistice, (consulté le )
- (ro) Vasile Ursan, « Despre configurația dialectală a dacoromânei actuale » [« Au sujet de la configuration dialectale du daco-roumain actuel »], Transilvania, vol. 37, no 1, , p. 77-85 (lire en ligne, consulté le )
Liens internes
Liens externes
- (ro) Grai bănățean [« Parler du Banat »], portail Banaterra (consulté le )
- (ro) livres en parlers du Banat téléchargeables, portail Banaterra (consulté le )
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