Empire néo-assyrien
L'Empire néo-assyrien était un Empire mésopotamien de l'âge du fer qui a existé entre 934 et 609 av. J.-C., et qui a été le plus grand empire du monde jusqu'à cette époque. Les Assyriens ont mis en place une machine de guerre sans rivale à sa taille pendant trois siècles et perfectionné les techniques de gouvernement impérial, dont beaucoup sont devenues la norme dans les empires ultérieurs.
Sauf précision contraire, les dates de cette page sont sous-entendues « avant Jésus-Christ ».
934 av. J.-C. – 609 av. J.-C.
Statut | Monarchie |
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Capitale |
Assur (934 av. J.-C. et avant) Kalhu (Nimrud) (879 av. J.-C.) Dur-Sharrukin (706 av. J.-C.) Ninive (705 av. J.-C.) Harran (612 av. J.-C.) |
Langue(s) |
Assyrien (akkadien) (officielle) araméen |
Religion | Religion en Mésopotamie (polythéisme) |
Ère | Âge du Fer |
934 av. J.-C. | Règne de Assur-dan II |
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612 av. J.-C. | |
609 av. J.-C. | Siège de Harran (en) |
– | Assur-dan II (premier) |
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– | Assur-uballit II (dernier) |
Entités précédentes :
Entités suivantes :
Irak
Syrie
Israël
Turquie
Égypte
Soudan
Arabie saoudite
Jordanie
Iran
Koweït
Liban
Chypre
Palestine
L'histoire de l'empire néo-assyrien est couramment divisée en plusieurs phases. Au sortir d'une période de crises, au milieu du Xe siècle av. J.-C. l'Assyrie a perdu la majeure partie des territoires qu'elle possédait au début du siècle précédent à l'époque du royaume médio-assyrien, quand elle dominait la Haute Mésopotamie. La première étape de l'histoire néo-assyrienne est une phase de reconquête qui va de 934 à 830 av. J.-C. Comme son nom l'indique, a lieu une nouvelle expansion qui permet au royaume de retrouver ses frontières passées, sous la conduite d'une série de rois énergiques qui mettent en place une politique de campagnes régulières afin d'affaiblir leurs adversaires et de réaffirmer en permanence leur hégémonie. Ils sont guidés en cela par une idéologie expansionniste, qui proclame qu'ils soient mandatés par le dieu Assur, véritable souverain du royaume, afin de dominer le monde et de le mettre en ordre. Une série de secousses internes conduit à une phase d'arrêt de l'expansion, de 830 à 745 av. J.-C., marquée par des tendances décentralisatrices. Les rois de la période sont pour la plupart des figures effacées, alors qu'un groupe de magnats ayant des bases provinciales s'arroge des prérogatives royales.
Les frontières du royaume sont cependant préservées et ses structures internes consolidées, ce qui sert de base à une nouvelle phase d'expansion, de 745 à 705 av. J.-C., durant laquelle l'empire néo-assyrien pratique une politique d'annexions plus systématique, étendant ses limites de la Méditerranée au golfe Persique, en même temps que le pouvoir se concentre à nouveau autour du roi. L'Assyrie devient alors maîtresse d'un empire « universel », sans équivalent aux époques antérieures. La phase suivante, qui va de 705 à 640/630 av. J.-C., voit l'apogée territorial de l'empire assyrien, illustré par ses victoires contre l'Égypte et l'Élam. C'est alors une superpuissance dominant le Moyen-Orient depuis sa vaste capitale, Ninive. Néanmoins divers points faibles déstabilisent le royaume, notamment la récurrence des crises successorales à la tête de l'empire et l'incapacité des rois à trouver une manière de dominer durablement la région de Babylone, qui reste farouchement indépendantiste.
C'est la conjugaison de ces deux problèmes qui plonge l'empire dans sa crise finale. Un pouvoir indépendant se reconstitue à Babylone dans les années 620, profitant d'une guerre civile entre Assyriens. Puis il parvient, avec l'appui des Mèdes, à envahir l'Assyrie et à détruire ses capitales dans les années 614-612. L'empire assyrien est définitivement anéanti en 609, et ne se reconstitue pas. Sa place est prise par l'empire néo-babylonien, qui étend sa domination sur ses anciennes provinces et conforte le principe d'une domination impériale sur ces régions, comme le font moins d'un siècle plus tard les Perses Achéménides. En cela l'empire néo-assyrien peut être vu comme le « prototype » des empires de l'Antiquité.
Les sources et leur exploitation
Les sources sur l'Assyrie se répartissent entre sources écrites, images et vestiges archéologiques[1].
Les sources écrites secondaires, c'est-à-dire les documents écrits dans l'Antiquité par des témoins directs ou indirects et transmis jusqu'à l'époque moderne, sont d'un secours limité pour reconstituer l'histoire de l'Assyrie antique. Plusieurs livres de la Bible hébraïque comprennent plusieurs mentions des relations des royaumes d'Israël et de Juda avec l'empire assyrien, qui ont trouvé des échos dans les textes mis au jour en Mésopotamie, bien que leur période de rédaction finale ait lieu bien après les faits. En revanche les textes d'auteurs grecs faisant référence à l'Assyrie reprennent des éléments essentiellement folkloriques sur les rois assyriens, que l'on retrouve également dans une littérature antique en araméen connue seulement par quelques papyri mis au jour en Égypte[2].
Les textes cunéiformes mis au jour dans les territoires dominés par l'Assyrie, et avant tout ses capitales (Assur, Kalkhu, Ninive) constituent le principal type de source permettant de reconstituer l'histoire assyrienne. Il s'agit surtout de tablettes d'argile, et aussi d'inscriptions sur pierre. Ce sont donc initialement des sources mises au jour lors de fouilles archéologiques, et leur contexte de découverte, quand il est connu, éclaire leur compréhension[3]. Elles ont été redécouvertes lors des fouilles archéologiques entreprises à partir du milieu du XIXe siècle av. J.-C., qui ont fourni les premières « moissons » de tablettes et inscriptions, aujourd'hui surtout au British Museum, mais aussi au Musée du Louvre. Les découvertes se sont poursuivies depuis, à un rythme inégal en fonction de la situation politique des régions fouillées (situées majoritairement en Irak et en Syrie). Les textes ont généralement été publiés sans projet cohérent, jusqu'à la fin du XXe siècle qui a vu l'apparition de projets de publication complets et cohérents[4],[5].
Des listes de rois et d'éponymes, et des chroniques historiques, fournissent les grandes lignes de la chronologie de la période[6]. Les inscriptions royales décrivant les hauts faits des rois, surtout leurs campagnes militaires, constructions et chasses, permettent de donner une vision plus précise de l'histoire de la période. Parce qu'elles relèvent du discours officiel, elles sont aussi une source essentielle sur l'idéologie royale. Elles doivent évidemment être lues avec le recul critique nécessaire, car souvent elles exagèrent ou édulcorent la réalité, mais elles ne comportent pas d'inventions[7]. Les inscriptions royales ont fait l'objet d'un projet de (re)publication systématique en anglais, Royal Inscriptions of Assyria, dans le cadre d'un projet plus large de publication des inscriptions des rois mésopotamiens. Le projet n'est pas encore achevé mais couvre la majeure partie des rois néo-assyriens, et a fait l'objet d'une publication en ligne[8].
Les archives administratives et privées provenant des sites assyriens sont une documentation abondante et très utile pour documenter le fonctionnement quotidien de l'empire assyrien et de sa société. Elles se comptent par dizaines de milliers et proviennent de plusieurs sites, surtout Ninive et Assur. Elles comprennent des documents de gestion, des documents juridiques (donations et décrets royaux, contrats de vente, traités de paix) et des lettres de la correspondance du roi et d'autres personnages importants de l'empire, ces dernières étant un apport inestimable pour les historiens. Les textes savants mis au jour dans les bibliothèques assyriennes (textes rituels, techniques, scientifiques, mythologiques, épiques, etc.), également comptés par milliers, sont fondamentaux pour la redécouverte de la culture mésopotamienne antique[9],[10]. Les tablettes provenant des palais et temples de Ninive et de Nimroud font l'objet d'un projet de publications dirigé par S. Parpola de l'Université d'Helsinki, Neo-Assyrian Text Corpus Project, qui produit des éditions de textes, des études, des outils de travail et une revue, qui ont fortement fait progresser la compréhension de l'empire néo-assyrien[11]. Parmi ce projet, la série des State Archives of Assyria (SAA) concerne les archives de l’État assyrien (correspondance royale, textes juridiques et administratifs, etc.). Les traductions ont été publiées en ligne[12]. Le site Archival Texts of the Assyrian Empire réunit les traductions d'archives administratives et juridiques mises au jour sur différents sites de l'empire[13].
L'iconographie, l'étude des images, est un autre champ d'études important. Les représentations visuelles se trouvent surtout sur des sceaux-cylindres et des dalles en pierre (orthostates) sculptées et autres sculptures. Des figurines et autres objets (surtout en terre cuite, pierre, métal, ivoire) proviennent de bâtiments administratifs, de maisons, de tombes. Le matériel le plus riche, et de loin, provient des tombes des reines de Nimroud[14],[15]. Dans le contexte néo-assyrien, l'analyse des images royales et les rapports entre les images et les textes sont des champs d'études importants[16].
Les fouilles des bâtiments construits à l'époque néo-assyrienne, aussi bien dans le centre de l'empire que dans les sites des provinces situées au-delà, sont d'autres sources permettant d'éclairer l'histoire de l'empire néo-assyrien. Les prospections au sol permettent de localiser des sites occupés durant cette période, et l'analyse des images satellites et photographies aériennes offre des pistes supplémentaires, notamment pour retrouver le tracé des canaux et routes antiques[14],[17].
L'histoire de l'Assyrie a d'abord été étudiée par le prisme de la Bible : il s'agissait de reconstruire l'histoire d'un ennemi des royaumes d'Israël et de Juda, de chercher des parallèles entre sa culture et celle de l'Israël antique (comme l'illustre le grand écho qu'a rencontré la publication de la « tablette du Déluge » de l’Épopée de Gilgamesh en 1872). Quant à l'art assyrien, il était jugé au regard de ceux de la Grèce et de Rome, mais implicitement bien reçu par certaines élites pays occidentaux colonialistes en raison de son caractère impérialiste. D'un autre côté, les Assyriens ont été vu sous un jour négatif en raison de la mise en scène de leurs actes de cruauté dans leurs textes et images. Le XXe siècle voit l'Assyrie devenir progressivement un objet d'étude pour elle-même. Le développement des approches culturelles à partir des années 1970 permet des regards moins négatifs, de mieux comprendre la religion, les savoirs, la société, l'économie, aussi à mieux apprécier l'impact et l'influence de l'empire néo-assyrien dans l'histoire[18].
Des sites Internet en anglais ont également été constitués pour éclairer les dossiers les plus importants et les tablettes publiées, en lien avec les découvertes archéologiques : Nimrud: Materialities of Assyrian Knowledge Production[19] sur l'époque de la fondation de Kalkhu et les premiers rois néo-assyriens, Assyrian empire builders[20] sur l'époque de la construction impériale de la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C., et Knowledge and Power in the Neo-Assyrian Empire[21] sur les rapports entre pouvoir et savoirs dans la première moitié du VIIe siècle av. J.-C.
Les années d'éclipse
De toutes les grandes puissances de l'âge du Bronze récent (Babylone, Hittites, Égypte), l'Assyrie est celle qui résiste le plus longtemps durant les années d'« effondrement » qui marquent la transition vers le début de l'âge du Bronze. En effet, les premières décennies du XIe siècle y sont marquées par les ambitieuses entreprises militaires de Tiglath-Phalasar Ier et de son fils Assur-bel-kala. Mais le royaume lâche progressivement prise durant les années suivantes face aux assauts des tribus araméennes, qui se font de plus en plus entreprenantes dans la Djézireh, et sont sans doute de mieux en mieux organisées. Le détail de l'évolution militaire est obscur faute de sources attestant des expéditions militaires assyriennes entre 1030 et 934, et les sources postérieures sembleraient avoir retenu que la période la plus difficile qu'ait traversée l'Assyrie se situe dans les décennies autour de 1000, en gros entre 1030 et 970 (période pour laquelle il n'y a du reste quasiment pas d'inscriptions royales[22])[23]. Les Araméens constituent durant ces années-là des royaumes là où se trouvaient auparavant des provinces assyriennes, provoquant la fuite de populations assyriennes, par exemple celles des moyennes vallées du Tigre et de l'Euphrate, qui se réfugient dans les montagnes voisines où elles se trouvent au moment de la reconquête[24]. Néanmoins, la débâcle assyrienne n'est pas totale. Les régions occidentales n'ont pas totalement été perdues, car le roi de Shadikanni, dans la vallée du Khabur, se reconnaît comme vassal de l'Assyrie autour de 970, et il est possible qu'une majeure partie du cours inférieur du Khabur soit encore sous autorité assyrienne (comme Dur-Katlimmu, où aucune trace de domination araméenne n'a été identifiée), formant une zone-tampon face aux tribus araméennes. En Assyrie même, la succession royale se poursuit apparemment sans heurts, avec plusieurs règnes longs, le cœur du royaume, un triangle situé entre Assur, Ninive et Arbèles, restant manifestement sous contrôle. C'est sur cette base que la reconquête peut s'effectuer à compter de la fin des années 930[25],[26],[27],[28].
La situation géopolitique du Moyen-Orient est alors marquée par la fragmentation, par contraste avec la période précédente qui voyait la domination d'une poignée de grandes puissances. Dans les piémonts du Taurus se trouvent des espaces dominés par les Araméens, qui s'appuient sur plusieurs cités où sont installées des dynasties (Nasibina, Bit Bahiani, Bit Zamani). On trouve également des entités politiques araméennes plus au sud dans la moyenne vallée de l'Euphrate (pays de Suhu et de Laqe), moins structurées et moins bien connues. À l'ouest de l'Euphrate, dans le pays appelé « Hatti » par les Assyriens, correspondant à la Syrie du nord, se trouvent d'autres royaumes, aux structures manifestement plus solides, dirigés par des dynasties araméennes (Sam'al, Bit Adini, Bit Agusi) mais aussi « néo-hittites », populations qui parlent (ou du moins écrivent) en fait le louvite, une des langues de l'ancien empire hittite, ou mixtes (Karkemish, Melid, Kummuhu, Unqi/Pattina, Gurgum, etc.)[29].
On date classiquement le début de la période néo-assyrienne de 934, début du règne du premier reconquérant, Assur-dan II. Mais plusieurs des caractéristiques de l'âge néo-assyrien se mettent en place plus tôt : ainsi par bien des aspects les pratiques militaires et le discours officiel de Tiglath-Phalasar Ier posent les jalons de ceux des grands conquérants néo-assyriens, et du point de vue culturel la transition entre la langue et l'écriture médio-assyriennes et néo-assyriennes s'effectue à partir de la même période (phénomène visible dans les archives de Giricano)[30]. La rupture est cependant indéniable, comme l'illustrent notamment les évolutions des formes et de la terminologie des documents juridiques, économiques et administratifs entre les deux époques. La rétraction marquée de l'administration et des transactions durant les « âges obscurs » a créé une coupure, malgré quelques traits communs de base qui montrent qu'il n'y a pas eu d'interruption totale de production de ce type de document durant cette période, même si aucun n'a été retrouvé à ce jour[31]. Malgré tout, les éléments de continuité entre le royaume médio-assyrien et les premiers temps de l'empire néo-assyrien ne doivent pas être négligés : les institutions assyriennes résistent mieux qu'on ne l'a longtemps pensé, et assurent la persistance des traditions assyriennes. Cela se voit aussi bien dans le domaine matériel, que culturel ou idéologique. Et durant le premier siècle de l'époque néo-assyrienne au moins, les rois assyriens vont avant tout s'atteler à reconstituer le royaume de leurs prédécesseurs[32].
Les débuts de l'empire néo-assyrien (934-827)
Le premier acte de l'époque néo-assyrienne consiste en la reconquête des territoires perdus face aux Araméens dans la Djézireh, et plus généralement la reprise de la politique expansionniste des derniers grands conquérants médio-assyriens, donc le rétablissement de la puissance assyrienne. Cela se voit notamment dans le fait que les souverains de cette période reprennent souvent les noms de leurs plus illustres prédécesseurs, et clament à de nombreuses reprises dans leurs inscriptions qu'ils ramènent dans le giron assyrien des contrées et populations qui lui avaient été auparavant soumises, et n'auraient jamais dû cesser de l'être. Cette reprise est possible même si l'Assyrie a connu un déclin marqué, car à la différence des autres grandes puissances de la période précédente elle a tenu bon, survécu et conservé une base de puissance[33].
Pour l'essentiel, les sources écrites documentant la période sont des inscriptions royales, produites en grand nombre par les deux principaux souverains de la période de reconquête, Assurnasirpal II et Salmanazar III. Des chroniques ainsi que quelques inscriptions de dignitaires fournissent des informations complémentaires. De façon assez surprenante la documentation de la pratique, à savoir les tablettes juridiques, économiques et administratives, est quasiment inexistante pour le IXe siècle av. J.-C., alors qu'on s'attendrait à ce que la reprise et l'expansion de l'administration royale et des transactions engendre une production documentaire plus importante. Il est impossible de savoir si cela lié au fait que peu de documents de ce type ont été rédigés à cette période (solution la moins plausible), ou bien si c'est dû au hasard des découvertes archéologiques[34], ou encore si cela résulte du recyclage ou de la destruction des tablettes (qui n'ont pas pour vocation d'être conservées longtemps) dès cette phase ou la suivante (puisque les textes administratifs sont très nombreux pour les phases récentes)[35]. En revanche, le nouvel essor de la monarchie assyrienne se voit de façon spectaculaire dans les travaux architecturaux et œuvres d'art qu'elle commandite en grand nombre, notamment dans la nouvelle capitale érigée à cette période, Kalkhu (le site de Nimroud).
Reconquête et expansion
Assur-dan II (934-912) est considéré comme le premier roi néo-assyrien. Ses annales sont certes connues dans un état fragmentaire, mais on y trouve déjà les éléments caractéristiques de la phase de reconquête. Il conduit plusieurs campagnes contre des pays et groupes qui ont pris et pillé les territoires appartenant par le passé à l'Assyrie, notamment dans les régions hautes situées au nord du royaume ; sa principale victoire semble être contre le pays de Katmuhu, dont il exécute le roi et le remplace par un vassal à sa solde. Il réinstalle d'ancien sujets de l'Assyrie qui avaient fui la famine sous ses prédécesseurs, ou du moins les descendants de ceux-ci, et entreprend aussi une chasse royale et des travaux dans sa capitale Assur[37],[38].
Adad-nerari II (911-891), dont le règne est bien mieux documenté, conforte le retour de la puissance assyrienne. Il s'étend vers le sud-est, où il affronte le roi de Babylone pour l'hégémonie sur les régions situées entre le Petit Zab et la Diyala. Il parvient à prendre la ville d'Arrapha, et conclut un accord avec son homologue Nabû-shuma-ukin, conforté par une alliance matrimoniale. Vers l'ouest, il parvient à étendre la zone d'influence assyrienne sur le triangle du Khabur, où plusieurs royaumes araméens deviennent ses vassaux (Nasibina, Guzana). Vers la fin de son règne il conduit ses troupes jusqu'à l'Euphrate sans rencontrer de résistance et en collectant le tribut des souverains locaux, démonstration de force qui confirme le retour de l'hégémonie assyrienne[39].
Le règne de Tukulti-Ninurta II (891-884) ne semble pas marqué par des conquêtes significatives de nouveaux territoires. Mais il consolide les positions assyriennes dans les régions de piémont à l'est, et dans la Djézireh, où il mène comme son père une démonstration de force, en commençant cette fois-ci à longer l'Euphrate, affronte les Mushki (peuple souvent rapproché des Phrygiens) en Cappadoce, et revient par la région du Khabur. Au sud, il avance les positions assyriennes face à Babylone, recevant le tribut du roi de Suhu, dans la région du Moyen-Euphrate[40].
Assurnasirpal II (883-859) marque une nouvelle étape dans l'affirmation de la puissance assyrienne. Ce royaume prend clairement le dessus sur ses opposants, qui ne sont pas en mesure de s'opposer à lui frontalement. Son règne semble aussi systématiser l'emploi de mesures de répression brutales contre les pays refusant de se soumettre au joug assyrien. Le roi mène au moins quatorze campagnes, aussi bien au nord (Nairi, Urartu), à l'est (Zamua), au sud-ouest (Suhu, Hindanu, Laqe) et à l'ouest. Dans cette dernière direction, il a maille à partir avec le roi Ahuni du Bit Adini, qui domine la région de la boucle de l'Euphrate, et qu'il ne parvient pas à soumettre durablement. Assurnasirpal mène une campagne jusqu'à la Méditerranée, qu'aucun roi assyrien n'avait atteinte depuis Tiglath-Phalasar Ier (1114-1076), et il reçoit le tribut de plusieurs souverains de Syrie et de Phénicie (Karkemish, Tyr, Byblos, etc.). Même si son autorité sur ces régions est fragile et rapidement contestée, ses victoires militaires permettent un afflux de richesses sans précédent vers l'Assyrie, qu'il mobilise pour la construction d'une nouvelle capitale à Kalkhu (Nimroud)[41],[42].
Avec le long règne de Salmanazar III (858-824), la phase de reconquête à proprement parler s'achève et bascule vers une expansion sur des contrées jamais soumises à des rois assyriens par le passé. Les campagnes militaires sont menées plus loin qu'auparavant, elles sont tout autant agressives et plus ambitieuses. Le Bit Adini est finalement soumis et annexé après plusieurs campagnes difficiles. Cela s'inscrit plus largement dans une dynamique de renforcement du contrôle assyrien sur la Djézireh, qui est alors essentiellement constituée de provinces sous administration directe après l'élimination des royaumes vassaux. Au nord, l'Urartu s'affirme comme un rival menaçant pour l'Assyrie, en s'inspirant largement de son modèle. Il conteste son hégémonie sur le Haut Tigre et la Syrie du nord. Après plusieurs affrontements limités, Salmanazar mène une campagne jusqu'au cœur du royaume ennemi, près du lac de Van, sans parvenir à l'affaiblir durablement. Cela lui laisse au moins les mains libres en Syrie, où il fait face à une coalition de cités menées par les rois de Damas et de Hamath, qui se conclut par la bataille de Qarqar (853), revendiquée comme une victoire par le roi assyrien, mais probablement un affrontement sans réel vainqueur. Salmanazar intervient ensuite en Babylonie à la demande de son allié le roi Marduk-zakir-shumi qui fait face à une révolte, et il mène campagne contre les tribus chaldéennes. Par la suite, il revient en Syrie avec une armée conséquente, parvient à obtenir la soumission de plusieurs rois, jusqu'à Jéhu d'Israël, mais il n'est pas en mesure de mettre au pas durablement ses deux principaux opposants, Damas et Hamath. La domination assyrienne sur l'ouest est donc précaire. À l'est, les Assyriens rencontrent pour la première fois en 835 des tribus mèdes, avec lesquelles les rapports semblent plutôt commerciaux[43],[44].
Les rois et leur mission
L'idéologie de la royauté assyrienne s'est constituée à l'époque médio-assyrienne, qui a vu le pouvoir des monarques assyriens s'affirmer considérablement. Elle repose sur les bases habituelles de la royauté mésopotamienne, à savoir une légitimité reposant à la fois sur l'élection divine et la succession dynastique de père en fils, l'accomplissement des fonctions de chef des armées, du culte, aussi de la justice (aspect peu prononcé en Assyrie, voire inexistant), plus généralement de protecteur du royaume et de ses sujets ainsi que de garant de leur prospérité, aussi l'organisation de grands chantiers de construction (murailles, palais, temples, parfois des villes nouvelles entières). Une spécificité de la monarchie assyrienne qui ressort à cette époque est le lien particulier entre le roi et le dieu Assur (que l'on peut du reste faire remonter encore plus haut, à la période paléo-assyrienne), vu comme le véritable maître du pays, dont le roi est aussi le grand prêtre. Un autre trait caractéristique de l'Assyrie est l'affirmation des aspects militaires de la fonction royale, avec un programme politique reposant sur la domination de la Haute Mésopotamie, l'extension des frontières du royaume, et le combat contre les ennemis du dieu Assur, sur le commandement de celui-ci[45].
Les serviteurs du dieu Assur
Le pouvoir royal assyrien a traditionnellement des aspects qui ont pu être qualifiés de « théocratiques », puisque l'idéologie du pouvoir propre à ce pays[46] fait du dieu Assur[47] le roi de l'Assyrie, et le roi humain n'est alors que son « vicaire », qui gouverne parce qu'il a été choisi par le dieu. Cela ressort de la formule souvent citée « Assur est roi ! », répétée dans un rituel de couronnement daté du XIIIe siècle av. J.-C. et l'hymne de couronnement du roi Assurbanipal (VIIe siècle av. J.-C.). Les textes assyriens désignent leur royaume, ou du moins son espace central (c'est-à-dire sous administration directe) comme le « pays d'Assur » (māt Aššur), écrit dans de nombreux cas, mais pas toujours, avec le déterminatif de la divinité devant le terme Assur, indiquant qu'on fait alors référence au « pays du dieu Assur »[48],[49]. Quoi qu'il en soit, ce concept renvoie en gros à ce que l'on désigne dans la littérature moderne comme l'« Assyrie ». La souveraineté du dieu Assur sur les régions dominées par les rois assyriens se manifeste depuis l'époque médio-assyrienne par le fait que chacune des provinces doit fournir à tour de rôle les offrandes alimentaires qui sont faites quotidiennement dans le temple du dieu dans la cité d'Assur[50],[51],[52].
Cela n'empêche pas les rois assyriens de vénérer les autres divinités de leur pays, bien au contraire ils remplissent comme le veut la tradition mésopotamienne la fonction de principaux pourvoyeur des temples de leur royaume, et leurs inscriptions commémorent à de nombreuses reprises le fait qu'ils restaurent ou érigent des sanctuaires[53]. Au IXe siècle av. J.-C. le dieu Ninurta, vu en Assyrie comme le fils d'Assur, a une grande importance dans la piété royale (et plus largement celle de l'élite assyrienne). C'est traditionnellement un dieu associé à la souveraineté (c'était du reste déjà le cas à l'époque médio-assyrienne), car il combine les aspects de guerrier, administrateur et garant de l'abondance et de la prospérité. C'est à lui qu'est voué le premier temple construit par Assurnasirpal II à Kalkhu, et également la tour à étages, ziggurat, qui le jouxte[54],[55],[56].
Étendre le royaume et mettre en ordre le monde
Instrument aux ordres du dieu Assur, le roi est chargé d'accomplir la volonté divine et de matérialiser sur terre la puissance du dieu. Il tâche donc de le faire reconnaître comme le plus puissant des dieux en conquérant de nouveaux territoires pour son compte, étendant ainsi le « pays du dieu Assur ». Les inscriptions royales rappellent à plusieurs reprises que le roi part en campagne sur l'ordre ou par le mandat du dieu Assur, qu'il remporte ses victoires grâce à l'aide du dieu, et pour faire reconnaître sa splendeur par le reste du monde. Il s'agit certes d'une forme de « guerre sainte » ordonnée par une puissance divine, mais pas une « guerre de religion » qui viserait à répandre la foi en Assur et à éliminer les cultes des autres dieux, notion absente des polythéismes. Même quand un sanctuaire ennemi est saccagé et que la statue de son dieu est emportée en Assyrie, c'est une manière de faire reconnaître la suprématie d'Assur, et les Assyriens ne tentent pas d'implanter le culte de leur dieu national dans les pays conquis. Ce dieu n'a d'ailleurs qu'un seul lieu de culte connu pour la période, celui de la cité d'Assur. D'autres divinités peuvent également venir en appui de la mission de conquête, surtout celles qui ont des attributs liés à la royauté ou à la guerre (Ishtar, Adad, Ninurta, Shamash, Nergal). Des emblèmes divins accompagnent d'ailleurs les armées en campagne[58],[59].
Cette injonction à élargir le royaume est souvent une prétention à la domination universelle, donc une ambition « impériale ». Celle-ci est attestée en Mésopotamie depuis bien avant les rois néo-assyriens, qui la reprennent à leur compte, et dans les inscriptions d'Assurnasirpal II toute la panoplie de la titulature à prétention universelle mésopotamienne est attestée. Les titres universels traditionnels sont « Roi des quatre contrées (ou rives) » (šar kibrāt arb'i), « Roi/Seigneur des pays » (šar/bēl mātātē), « Roi/Seigneur de l'Univers » (šar/bēl kiššati), plus novateur est le « Roi des rois » (šar šarrani ; on trouve aussi « Seigneur des seigneurs », bēl bēlē) destiné à être employé par les rois Perses. Cette volonté d'étendre le royaume et de dominer le monde se double souvent d'une volonté de surpasser les rois antérieurs, constante dans les inscriptions assyriennes : il faut conquérir de nouveaux territoires, aller plus loin que les autres, construire des édifices plus vastes et somptueux que ceux qui existent déjà[60],[61].
Le corollaire de la conquête du monde est sa mise en ordre, et constitue le but ultime de la mission des rois assyriens, qui a un aspect cosmique puisqu'il s'agit plus généralement de combattre le chaos. Les peuples non dominés sont donc vus comme mal organisés, parce que mal gouvernés, ils sont souvent présentés comme un ensemble pluriel, bigarré, désordonné, alors que le pays d'Assur est tout uni derrière son dieu et son roi, qui imposent un ordre juste. Il faut donc soumettre ces pays au « joug d'Assur » (nīr Aššur, expression courante dans les inscriptions royales assyriennes). En pratique, cela se traduit par l'organisation du territoire, avec l'embellissement ou la construction de capitales dans le cœur du royaume, l'aménagement des campagnes et plus généralement la transformation physique des paysages, la constitution et l'organisation de provinces avec leurs propres capitales, la gestion des hommes et ressources par la taxation, le tribut, les corvées, la pratique des déportations, et l'organisation d'un réseau de communications[62],[63].
Discours et images du pouvoir
Les rois assyriens ont développé une « propagande » ou un « plan de communication » particulièrement élaboré, reposant sur des textes et des images, souvent de concert. On en retient avant tout l'orientation à destination d'un public humain, à savoir rappeler la puissance du roi et celle du dieu Assur aux sujets, auxquels des textes des accomplissements royaux étaient lus publiquement lors de festivités célébrant plus largement la puissance du royaume (des sortes de « triomphes », impliquant peut-être des défilés avec du butin et des captifs), ou du moins à l'élite (lettrée et « alphabétisée ») qui a plus facilement accès aux textes et images officiels. Elle viserait de plus à dissuader ceux qui caresseraient l'idée de secouer le joug assyrien (notamment les ambassadeurs des pays vassaux). Les rois s'adressent aussi à la postérité, en particulier leurs successeurs, dont ils espèrent bien être un modèle, comme eux-mêmes se sont inspirés de leurs prédécesseurs et ont cherché à les surpasser. Mais ces discours sont aussi destinés aux dieux, puisque si les rois reçoivent leurs directives, ils doivent en retour les tenir informés des suites de leurs demandes, et leur fournir des sortes de compte-rendus de leurs accomplissements ; d'ailleurs des genres spécifiques de textes officiels, le « rapport royal » et la « lettre au dieu », récits de campagnes militaires adressés directement au dieu Assur, apparaissent à l'époque néo-assyrienne[64],[65].
Les rois assyriens font rédiger des inscriptions commémorant leurs hauts faits, avant tout la conquête de nouveaux territoires, et la construction de temples, de palais, voire de villes entières. On peut distinguer : des inscriptions de fondation, commémorant la construction ou la restauration d'un édifice, et généralement enfouies sous ceux-ci, pour être découvertes par les futurs restaurateurs du bâtiment ; des inscriptions « triomphales », visibles, sur des stèles, statues, murs, etc., souvent associées à des images (mais qui ne renvoient pas forcément à leur contenu), plus ou moins longues ; des récits plus développés, les « annales », genre qui a pris forme à l'époque médio-assyrienne, ses caractéristiques générales étant en place sous Tiglath-Phalazar Ier, décrivant dans un ordre chronologique les campagnes militaires et autres faits significatifs du règne d'un roi, en principe entamées au début du règne d'un roi et complétées jusqu'à sa mort[66],[67]. Ce sont des sources partiales, exagérant les accomplissements des rois, gonflant probablement les chiffres des troupes mobilisées, des vaincus exécutés et déportés (c'est discuté), tandis que leurs revers sont occultés ou transformés en succès. Mais elles reposent sur une base factuelle fiable[68].
Le début de l'époque néo-assyrienne voit le développement d'un art monumental exaltant la royauté, avant tout par le biais de sculptures. Il s'exprime en premier lieu dans le décor des palais royaux. Ce phénomène semble connaître un premier développement aux XIe – Xe siècle av. J.-C. (notamment sous Tiglath-Phalazar Ier)[69], mais il prend des proportions bien plus importantes à l'époque néo-assyrienne[70]. Suivant un processus amené à se répéter durant le reste de l'histoire néo-assyrienne, cet art est très marqué par les échanges culturels avec les pays conquis (dans les deux sens et non simplement en direction de l'Assyrie comme on l'a longtemps supposé), avant tout des royaumes Araméens et Néo-hittites, des artistes originaires de ceux-ci ayant été employés de gré ou de force dans les capitales assyriennes. Cela se voit par la présence dans les monuments néo-assyriens d'orthostates, dalles de pierre sculptées de bas-reliefs, plaquées sur les murs des salles des palais, et de statues monumentales d'animaux réels ou imaginaires. Ainsi « les Assyriens se seraient fortement inspirés des modes de communication visuelle du monde syro-anatolien, mais les auraient adaptés à leurs propres besoins d'exprimer la puissance de l'Empire assyrien et du roi » (A. Tenu)[71]. Dans le palais nord-ouest de Kalkhu (Nimroud) érigé par Assurnasirpal II, les bas-reliefs représentent des scènes de cour, des campagnes militaires, des chasses royales, et des porteurs de tribut. Le décor de la salle du trône en particulier a fait l'objet de nombreuses études. Ce programme décoratif a de plus une dimension magique : les représentations de génies protecteurs sur bas-reliefs, associés à des arbres sacrés, et les impressionnantes statues colossales de taureaux et lions ailés à tête humaine (androcéphales), également des entités protectrices, placées aux portes à des endroits-clés du palais (entrée principale, cours intérieures, salle du trône), servent à protéger l'édifice et le roi contre les assauts de forces surnaturelles. Les représentations répétitives de fruits, plantes et animaux, sur des reliefs mais aussi sur les peintures et briques glaçurées complétant le dispositif ornemental, renvoient quant à elles à l'abondance qui règne dans l'empire. Ces images sont associées à un texte commémoratif, surnommé « Inscription Standard » parce qu'il est répété en de nombreux endroits, entre les bas-reliefs[72],[73].
- Ruines d'une des portes du Palais nord-ouest sur le site de Nimroud, après restauration (photographie de 2008).
- Taureau androcéphale ailé d'une porte du Palais nord-ouest. British Museum.
- Scène de chasse royale, bas-relief du Palais Nord-Ouest de Nimroud. British Museum.
- Assaut d'une ville avec des engins de siège.
- Prisonniers et butin, bas-relief du Palais Nord-Ouest de Nimroud. British Museum.
- Génies ailés à tête de rapace autour d'un arbre sacré. Musée national d'art égyptien de Munich.
L'art officiel se développe également hors des palais, notamment dans les temples, qui ont livré d'autres réalisations majeures de la période, là encore accompagnées d'inscriptions plus ou moins développées : les portes du temple du dieu Mamu à Imgur-Enlil (Balawat), sous Assurnasirpal II et surtout Salmanazar III, ornées de bandes de bronze portant des reliefs représentant des campagnes assyriennes[74] ; des statues et stèles représentant les souverains, mises au jour notamment dans les temples de Nimroud et à Assur[75],[76]. L'obélisque noir de Salmanazar III, représentant également sur plusieurs registres des campagnes assyriennes, a été mis au jour dans le palais nord-ouest[77],[78], et un décor similaire se trouve sur l'estrade de la salle du trône du Fort Salmanazar[79]. Les textes et représentations indiquent également que les rois assyriens avaient l'habitude d'ériger des stèles les représentant, ou bien de se faire représenter sur des reliefs rupestres, en Assyrie même mais aussi dans des régions éloignées parcourue lors d'une campagne, commémorant ainsi le fait qu'ils avaient atteint le « bout du monde » ; Salmanazar III a commandité de nombreuses sculptures de ce type, son image se retrouvant ainsi à Kurkh dans le sud-est de la Turquie actuelle, et à Nahr el-Kalb au nord du Liban, aux côtés de celles d'autres grands souverains antiques[80],[81]. Les inscriptions royales et plusieurs représentations sur les portes de Balawat indiquent que ces images royales (ṣalam-šarri) sont divinisées et reçoivent des sacrifices. Cela implique que les rois assyriens puissent faire l'objet d'un culte (ce qui n'est pas inhabituel en Mésopotamie antique), qui ne prend certes jamais l'importance et l'aspect systématique d'un culte divin, puisqu'aucun temple n'est dédié à un monarque d'Assyrie[82].
- Détail d'un fragment de brique à glaçure peinte représentant le roi Assurnasirpal II et des gardes et servants. Kalkhu, British Museum.
- Stèle d'Assurnasirpal II. British Museum.
- « Monolithe de Kurkh », stèle proclamant la (supposée) victoire de Salmanazar III à la Qarqar (853), retrouvée à Kurkh (Turquie). British Museum.
- Statue de Salmanazar III provenant d'Assur, Musée archéologique d'Istanbul.
- Bas-relief de l'estrade de la salle du trône de Fort-Salmanazar, face sud : Salmanazar III reçoit le tribut du chaldéen Musallim-Marduk du Bit-Amukkani. Musée national d'Irak.
- Consécration d'un bas-relief représentant le roi Salmanazar III sur les bords du lac de Van (Urartu), et sacrifices à son intention. Bas-relief des portes de Balawat. British Museum.
Guerre et pratiques militaires
Durant l'époque médio-assyrienne, les rois d'Assyrie ont fortement développé les récits de leurs exploits militaires, conséquence logique de leur mission d'extension du royaume du dieu Assur. Dès le début de l'époque néo-assyrienne (voire un peu avant) cela se double du développement des représentations de scènes de combat (et également de chasses). La redécouverte de l'histoire de l'Assyrie s'est d'abord faite à partir de ces sources, alors que ce royaume était déjà vu comme un État conquérant et oppresseur par le biais des sources bibliques. Le fait que les récits et images néo-assyriens se complaisent à mettre en scène les supplices infligés aux vaincus a conforté cette impression. L'Assyrie est donc souvent présentée comme un État militariste, avant tout voué à conquérir, dont la survie dépend de sa capacité à enchaîner les succès militaires, et qui gouverne en bonne partie en inspirant la peur à ses sujets. Cette impression perdure, bien que certains y apportent des nuances[83]. Les sources de la pratique, disponibles pour les périodes postérieures au IXe siècle av. J.-C., ont permis d'affiner la vision de l'armée assyrienne, de ses pratiques guerrières, et plus largement des pratiques de domination assyriennes. Mais pour la première partie de l'époque néo-assyrienne les sources de « propagande » sont les seules disponibles, ce qui rend au moins possible, avec le recul nécessaire, une analyse du déroulement des campagnes militaires et celle des pratiques punitives suivant la défaite des pays ennemis.
La conduite de la guerre
L'armée des rois assyriens du début du IXe siècle av. J.-C. semble surtout composée de troupes levées par l'aristocratie parmi leurs dépendants, donc une population essentiellement paysanne qui ne peut être mobilisée qu'après la récolte afin de ne pas perturber les travaux des champs, donc durant les mois d'été. Cela explique pourquoi la stratégie assyrienne repose d'abord sur des campagnes militaires sur quelques mois, répétées chaque année, et non pas sur des expéditions de plus longue durée. Avec le temps, l'administration provinciale est en mesure d'organiser le recrutement et l'équipement des troupes, et plus largement sa logistique, et des corps de soldats de métiers se développent[85]. Salmanazar III établit des corps permanents dans des régions frontalières vulnérables[86]. Ces régions sont de façon préférentielle confiées aux principaux serviteurs du roi, les « Grands » ou « magnats », qui deviennent les gouverneurs de sortes de « marches » qui occupent de vastes espaces. Ils jouent donc un rôle crucial dans la défense et l'expansion du royaume (voir plus bas)[87].
Les campagnes militaires suivent des itinéraires apparemment définis à l'avance. Elles consistent soit à viser une cible précise, des pays à combattre et à soumettre, soit à effectuer une « tournée » dans une région, venant chercher les hommages et le tribut des rois locaux, donc une démonstration de force et d'autorité, et les combats ne sont engagés qu'en cas de refus de soumission. Seuls quelques adversaires opposent une résistance farouche nécessitant la levée d'une armée conséquente (Bit Adini, royaumes de Hamath et de Damas et leur coalition lors de la bataille de Qarqar, puis l'Urartu)[88]. Il y a apparemment peu de batailles rangées à cette période, l'armée assyrienne procédant surtout au siège des troupes ennemies, avec des sapeurs et des engins de siège. Les corps de troupes comprennent surtout des fantassins, à savoir des lanciers et des archers. Les chars de combat sont également employés, montés par un conducteur et un archer. La cavalerie se développe, notamment pour les combats en montagne, ce qui explique pourquoi plusieurs campagnes sont menées pour soumettre et prélever du tribut ou du butin dans les zones hautes situées à l'est et au nord du pays, réputées pour leur élevage de chevaux. Si les rois sont en principe les commandants en chefs de l'armée, ils ne dirigent sans doute pas toutes les campagnes militaires, qui peuvent être confiées au général en chef, turtanu[89]. Selon les estimations de Liverani faites à partir des données fournies par les inscriptions royales, Assurnasirpal II aurait pu mobiliser environ 20 000 soldats[90], tandis que le chiffre de 120 000 hommes de taille maximale théorique de l'armée assyrienne au temps de Salmanazar III paraît vraisemblable à Fales[91].
Le développement de l'appareil militaire assyrien au IXe siècle av. J.-C. se voit aussi par la construction à Nimroud, à l'écart du tell du palais royal, d'un « arsenal » (en assyrien ekal mašarti « palais de la revue (militaire) »), sous le règne de Salmanazar III, surnommé « Fort Salmanazar ». Il dispose de grandes cours devant servir pour les entraînements ou la revue des troupes, et d'importants entrepôts pour stocker l'équipement militaire et le butin[79],[92],[93].
- Départ du campement, lors d'une campagne en Babylonie.
- Le roi Salmanazar III observe des archers à l'assaut de la cité de Dabigu en Syrie du Nord, 858 av. J.-C.
- La troupe franchit des montagnes en Urartu.
- Assaut d'une forteresse.
Une politique de terreur
La domination assyrienne s'appuyait également sur des pratiques de terreur servant à châtier les pays rejetant leur souveraineté, à démobiliser les adversaires potentiels, à les soumettre psychologiquement. Elles sont souvent détaillées dans les inscriptions royales, et représentées à plusieurs reprises sur des bas-reliefs, ce qui a contribué à la réputation de cruauté voire de sadisme des rois assyriens[94] : les villes prises sont pillées, incendiées et rasées, les campagnes ravagées, les exactions s'accompagnent d'une mise en scène macabre, certains prisonniers (notamment les chefs ennemis) étant exécutés de façon infamante (empalements et dépeçages), immolés, ou encore décapités ou mutilés (bras et pieds coupés, yeux arrachés), puis les cadavres ou les parties amputées sont exposés en public (des piles sont formées avec des têtes, les peaux dépecées sont étendues sur les murailles). Le châtiment doit être exemplaire, et Salmanazar se vante même dans une inscription de s'être montré sans pitié. Pour le public assyrien, le spectacle d'ennemis soumis et châtiés de façon impitoyable et avilissante pourrait avoir servi à renforcer l'esprit de groupe et la motivation des soldats. Les déportations de populations font également partie de la politique de terreur et d'affaiblissement des pays vaincus. Les prisonniers, notamment les familles des rois et nobles vaincus, sont emmenés en Assyrie en même temps que le butin[95].
Dans quelle mesure faut-il considérer que les Assyriens sont cruels voire sadiques ? Le sujet est discuté. Même s'ils en ont plus parlé que les autres, les Assyriens n'ont assurément pas été les seuls à commettre ce genre d'actes, ne serait-ce que parmi les royaumes du Proche-Orient ancien. Certains spécialistes considèrent que les textes exagèrent les violences, d'autres en revanche soulignent qu'il a dû y en avoir bien plus, que les textes ne décrivent pas (comme les viols). Assurnasirpal II s'est particulièrement épanché dans ses inscriptions sur les châtiments infligés aux vaincus, mais ses successeurs n'ont jamais cessé de mettre en récit de tels actes, jusqu'à la fin de l'empire. Ces textes n'étaient pas forcément lus par grand monde, et les images n'avaient pas non plus une audience large, d'autant plus que les représentations de mise à mort représentent une part très faible des scènes de campagnes militaires. Il semble indéniable que ces châtiments sont un élément de la domination assyrienne, ayant un aspect intimidateur. Dans l'ensemble, les exactions décrites dans les textes portent plus contre les souverains rebelles et les élites ou les soldats que contre les populations civiles[96],[97]. Il a également été remarqué que l'empalement est une peine appliquée en Assyrie à ceux qui sont coupables d'un crime contre l'autorité royale et l'ordre public. Les ennemis vaincus en temps de guerre semblent jugés de la même manière, plutôt que comme des personnes méritant un traitement spécifique. Rien n'implique donc d'en faire des victimes d'un supposé sadisme assyrien[98]. Il semble aussi que les rois assyriens aient plus concentré leurs destructions sur les régions éloignées, difficilement accessibles et présentant peu d'intérêt économique, tandis qu'ils préserveraient plus les régions potentiellement riches, destinées à fournir un tribut important et régulier[99].
- Troupes assyriennes prenant une ville lors d'une campagne en Syrie du Nord, 858 av. J.-C. ; vaincus empalés devant les remparts de la cité.
- Défilé de prisonniers.
Le contrôle des territoires et des ressources
La reconquête de territoires auparavant contrôlés par les rois médio-assyriens s'accompagne de la réactivation de leurs pratiques de contrôle des territoires et des hommes, puisque là encore ils servent de modèles : les anciens territoires assyriens sont généralement transformés en provinces, un système de communication est remis en place, d'importants investissements sont faits pour développer l'agriculture (notamment la construction de canaux d'irrigation, le développement de nouveaux terroirs dans des espaces incultes), les déportations de populations sont pratiquées, et les royaumes qui se soumettent à Assur sont généralement épargnés et convertis en vassaux[100].
Les modalités de l'expansion assyrienne
On peut schématiquement diviser les espaces soumis à l'autorité assyrienne en deux groupes : des provinces sous administration directe, et des royaumes vassaux dirigés par un souverain à la solde et tributaire de l'Assyrie[101].
Les provinces, paḫātu, sont des circonscriptions de tailles diverses confiées à un gouverneur. Certaines sont en place dès avant la période de conquête, d'autres sont créées sur des territoires conquis et annexés. La dynamique de constitution de provinces à cette période reste mal connue, car les inscriptions ne les mentionnent pas systématiquement. Le choix d'annexer un vassal pour le transformer en province est la conséquence d'une succession de révoltes et/ou de son importance stratégique, en dehors de cela les Assyriens privilégient la domination indirecte par vassal, moins couteuse pour eux[33]. Du reste, dans plusieurs cas durant les premiers temps de l'empire assyrien les frontières entre provinces et vassaux sont floues. Ainsi à Guzana (Tell Halaf) la dynastie locale araméenne est laissée en place après sa soumission, et l'un de ses rois, Haddayis'i, a laissé une inscription bilingue araméen-assyrien mise au jour à Tell Fekheriye : dans la première il prend le titre royal araméen, mlk, dans la seconde un des titres de gouverneur assyrien, šaknu[102] ; il aurait reçu son titre de gouverneur du roi assyrien, après sa soumission[103].
Selon la formulation des inscriptions royales, la création d'une province passe par la construction d'un palais et l'installation d'un gouverneur (šaknu, bēl paḫāti), qui prend en charge la gestion administrative, fiscale, militaire et judiciaire de la province, et aussi son culte. Les inscriptions d'Assurnasirpal II mettent surtout en avant le fait qu'il impose des taxes et corvées aux populations de ces territoires[104]. En revanche elles ne se soucient pas de mentionner leur incorporation parmi le peuple du pays d'Assur, comme cela se faisait à l'époque médio-assyrienne[105]. Des villes sont parfois fondées, ou bien des villes annexées sont remodelées et reçoivent un nom assyrien, comme Til Barsip (Tell Ahmar) renommée « Port Salmanazar » (Kar-Salmanazar / Kār-Šulmānu-ašarēdu) après la défaite du Bit Adini dont elle était la capitale ; le palais qui y a été mis au jour a été érigé par Salmanazar III, mais les niveaux dégagés sont plus tardifs et il n'est pas assuré que le plan originel ait été conservé[106]. La seule archive administrative connue pour l'époque, d'une vingtaine de textes, a été mise au jour à Shibaniba (Tell Billa, près de Ninive). Datée du règne de Salmanazar III, elle comprend surtout des listes de personnel, en lien avec le service dû à l’État (ilku) et la taxation en nature (sur les céréales et la paille)[107],[108].
Le contrôle de l'empire ne doit pas seulement être envisagé dans ses dimensions territoriale et économique, mais aussi humaine : dominer un pays, c'est contrôler ses populations, et les rois assyriens pratiquent comme les autres royaumes mésopotamiens la déportation à l'issue de leurs campagnes militaires, en premier lieu les élites et prisonniers de guerre. Cela peut servir à peupler des villes, mettre en valeur des campagnes, essentiellement en Assyrie à cette période, mais aussi à punir des pays révoltés et affaiblir les foyers de résistance[109]. Les déportations du IXe siècle av. J.-C. semblent concerner avant tout les élites des pays conquis, et aussi des personnes disposant d'une expertise militaire, incorporées dans l'armée assyrienne[110]. Selon les calculs établis à partir des inscriptions royales, Assurnasirpal II aurait déporté 12 900 personnes, et Salmanazar III beaucoup plus, 167 500[111]. Cela initie un mouvement de brassage de grande ampleur, qui se prolonge jusqu'à la fin de l'époque impériale, amené à bouleverser le paysage ethnique du Moyen-Orient.
L'élite politique et militaire
La mise en place de ces structures suppose de mobiliser un groupe d'hommes chargés d'appuyer le monarque dans la direction des affaires du royaume, aux attributions plutôt définies de façon vague, leur lien avec le souverain étant ce qui prime. Une des évolutions importantes dans l'organisation du pouvoir par rapport à l'époque médio-assyrienne semble être une relégation progressive des grandes familles assyriennes au profit de personnages d'extraction plus basse, dont l'ascension sociale est plus directement liée à l'expansion du royaume et la personne du roi, donc au mérite plus qu'à la naissance, formant une « classe professionnelle de bâtisseurs d'empire » (K. Radner). Plusieurs d'entre eux sont de plus des eunuques (ša rēši), donc des hommes incapables d'avoir des enfants, ce qui limite les risques d'accaparement familial des fonctions et richesses (les hauts dignitaires ayant l'habitude de se transmettre leur fonction de père en fils)[112]. En pratique, depuis l'époque médio-assyrienne la cour assyrienne se déplace souvent, notamment en fonction des champs de bataille, et peut résider dans un palais qui n'est pas forcément l'un de ceux d'Assur, puisque des palais royaux ont été construits dans plusieurs villes[113] ; ainsi Assurnasirpal II et Salmanazar III résident plusieurs années au début de leurs règnes à Ninive, qui leur sert de base pour des campagnes militaires vers le nord[114].
Quelques documents fournissent des informations sur la composition de la haute administration et surtout de l'administration provinciale du début de la période néo-assyrienne, même si les sources sur ce point restent très limitées pour le IXe siècle av. J.-C.[115] D'abord les listes des éponymes : les Assyriens ne dénombraient pas leurs années mais ils les identifiaient en leur donnant le nom d'un magistrat, qui devenait alors « éponyme » (limmu). Des listes de ces éponymes (fragmentaires pour la période) permettent de connaître le nom et, à partir du règne de Salmanazar III, le titre de ces personnes[116],[117]. Les éponymes se succèdent au moins à partir du règne de Salmanazar III et jusqu'à celui de Tiglath-Phalazar III suivant un ordre à peu près prédéterminé qui semble renvoyer à leur hiérarchie : d'abord le roi, puis le groupe de hauts dignitaires que l'on désigne couramment comme des « magnats »[118] (les textes assyriens parlent de « Grands », rabûtū, pour désigner le groupe des principaux personnages de l'empire), à savoir d'abord le général en chef (turtanu), puis (dans un ordre qui peut varier) le héraut du palais (nāgir ekalli), le grand échanson (rab šāqe), et le grand intendant ou trésorier (abarakku ou masennu) ; viennent ensuite les gouverneurs provinciaux (šaknu, bēl paḫātu), en commençant souvent par celui d'Assur (qui porte un titre qui lui est propre, šakin māti). Mais les listes n'étant pas complètes avant la fin du IXe siècle av. J.-C., cela rend incertaine la reconstitution de l'organisation provinciale de l'époque (certaines provinces attestées par la suite ayant pu exister dès cette période, sans apparaître dans la documentation disponible). On trouve aussi des informations sur certains de ces personnages dans des inscriptions brèves, notamment celles laissées sur des stèles des « rangées de stèles » (Stelenreihen) d'Assur, qui donnent leur(s) titre(s) et les villes qui font partie de leurs provinces. Même si les magnats ont souvent des titres qui renvoient à une fonction à la cour royale, les sources de l'époque sont trop limitées pour fournir des informations précises sur leur rôle dans l'administration centrale ou l'entourage du roi, et ils apparaissent avant tout comme des chefs militaires et des gouverneurs provinciaux. Au moins à partir du règne de Salmanazar III ils se voient confier de vastes provinces situées aux marches du royaume, sur les territoires conquis les plus menacés ; par exemple le général en chef est le responsable des marches occidentales, ancien territoire du Bit Adini, avec pour probable capitale Til Barsip/Kar-Salmanazar[87],[119].
Les royaumes vassaux et leur tribut
La phase de reconquête et d'expansion s'accompagne de la mise en vassalité de nouveaux souverains, qui deviennent des clients et tributaires des rois assyriens, ou plutôt du dieu Assur. Aucun texte de traité politique n'est connu pour la période, et les prestations de serments des rois mis en vassalité par les souverains assyriens ne sont que rarement mentionnées dans les inscriptions royales[120]. Ce qui ressort avant tout des textes et des images officielles est le fait que les pays soumis doivent verser un tribut. Comme vu plus haut, les campagnes militaires des rois assyriennes se présentent d'ailleurs souvent comme des sortes de tournées de prélèvement de tribut. Tant que le vassal en fournit aux Assyriens, il bénéficie de la protection du roi assyrien ; s'il refuse, l'armée assyrienne assiège la ville, ce qui se solde dans la plupart des cas par sa victoire, des destructions et massacres, le prélèvement d'un butin, des déportations, voire l'annexion du pays vaincu et son incorporation dans le territoire provincial. Le versement du tribut par un vassal est en principe annuel, son montant et sa composition sont fixés au préalable et souvent liés aux capacités contributives du territoire et à ses productions spécifiques[121]. Par exemple Tukulti-Ninurta II reçoit le tribut suivant du pays de Suhu lors d'une de ses tournées : « 3 talents d'argent (environ 90 kg)), 20 mines d'or (environ 10 kg), une couchette en ivoire, trois coffres en ivoire, 18 barres d'étain, 40 pieds de meubles en bois-meskannu (un bois de qualité), 6 plats en bois-meskannu, une baignoire en bronze, des vêtements en lin, des vêtements à franges multicolores, de la laine pourpre, des bœufs, des moutons, du pain (et) de la bière[122]. » Sont parfois constitués des avant-postes militaires et commerciaux dans des royaumes vassaux, hors du système provincial[123].
Les images de la propagande assyrienne de l'époque insistent souvent sur la soumission des rois vassaux et le versement des tributs, portés par les habitants des pays qui se soumettent à l'autorité d'Assur.
- Bas-relief de la salle du trône du Palais nord-ouest de Nimroud : porteurs de tribut de Syrie du Nord et de Phénicie. British Museum.
- Obélisque noir de Salmanazar III : porteurs de tribut du royaume de Juda. British Museum.
- Porteurs de tribut représentés sur les portes de Balawat.
- Bas-relief de l'estrade de la salle du trône du Fort Salmanazar, face nord : hommes du pays d'Unqi livrant des chevaux.
- Plaque en ivoire de style assyrien (noircie par un incendie) représentant des porteurs de tribut. Nimroud, temple de Nabû, IXe – VIIIe siècle av. J.-C. Metropolitan Museum of Art.
Dans les trouvailles archéologiques, les nombreux ivoires mis au jour dans les palais de Kalkhu et de Arslan Tash, sans doute des éléments de mobilier, datés des IXe – VIIIe siècle av. J.-C., sont probablement issus de tributs ou de pillages depuis les régions occidentales. On y distingue généralement par leur style deux groupes d'ivoires de provenance étrangère (car il y a aussi un troisième groupe, produit en Assyrie), un issu de la Syrie araméenne et néo-hittite (notamment du royaume de Damas), et un autre des cités côtières de Phénicie[124],[125],[126]. Le fait que ces objets aient été retrouvés dans des magasins où ils avaient été entassés pourrait indiquer qu'ils n'avaient pas une valeur significative aux yeux des Assyriens, qui auraient donc aussi collecté des choses qu'ils jugeaient sans importance[127]. Le Palais nord-ouest de Kalkhu a quant à lui livré des vases en métal, qui sont également des productions levantines venues en Assyrie en tant que tribut ou à la suite de pillages[128].
- Vache allaitant un veau. Arslan Tash, musée du Louvre.
- Deux personnages ailés encadrant un enfant dans un lotus. Arslan Tash, Metropolitan Museum of Art.
- Personnage masculin attrapant un arbuste, sous un disque solaire ailé. Nimroud, Metropolitan Museum of Art.
- Tête de femme. Nimroud, Metropolitan Museum of Art.
- Lionne dévorant un homme. Nimroud, British Museum.
- Sphinx. Nimroud, Legion of Honor.
Les rapports avec Babylone, alternant également entre guerre et paix, sont à l'époque un cas à part : c'est un royaume en mesure de s'opposer aux armées assyriennes, aussi les relations sont équilibrées, quoi que les armées assyriennes aient souvent le dessus lors des affrontements. Adad-nerari II leur prend notamment la cité d'Arrapha et repousse la frontière entre les deux vers le sud, ce qui est formalisé par un traité, sans versement de tribut car les deux restent sur un pied d'égalité. Sous Salmanazar III s'instaure une sorte d'« entente cordiale » avec son homologue Nabû-apla-idinna, puis le roi assyrien vient en aide au successeur de ce dernier, Marduk-zakir-shumi, lorsque sa position sur le trône est menacée. De façon significative, le piédestal de Kar-Salmanazar représente les deux souverains en train de se serrer la main, ce qui tranche avec les représentations des autres rois étrangers, signe de la relation spéciale qui s'est alors établie entre eux[129].
Le centre de l'Assyrie
La conquête de nouveaux territoires et l'organisation de ceux-ci est une préoccupation de plus en plus importante pour les rois assyriens du IXe siècle av. J.-C., mais ils consacrent de nombreux efforts à la mise en valeur du centre de leur royaume. Ce sont les pays situés autour de la ville d'Assur, dont ils ont préservé le contrôle même durant la période la plus aiguë de la crise. Cette région capte la majeure partie des ressources ponctionnées sur les pays vaincus et soumis, qu'il s'agisse de leurs biens ou de leurs hommes. Dans leur programme de mise en ordre du monde, c'est là que doit se situer son centre, le lieu de commandement. Cela explique pourquoi les inscriptions néo-assyriennes placent autant d'emphase dans la construction de monuments (palais, temples, murailles, jardins) et plus généralement le développement des villes, dont les nouvelles capitales, aussi des campagnes alentours, avec leurs canaux[130].
Le « triangle assyrien »
Le cœur du royaume assyrien est souvent désigné par les historiens modernes comme l'« Assyrie » tout court. Cette notion n'a pas d'équivalents dans les textes antiques, puisque le « pays d'Assur » des Anciens correspond comme vu plus haut aux provinces du royaume et s'étend donc beaucoup plus loin que l'« Assyrie » des historiens. Cette dernière est aussi qualifiée de « triangle » en raison de sa forme, car c'est un espace d'environ 4 000 km2 dont les extrémités sont situées dans les villes d'Assur (le site de Qal'at Sherqat), Ninive (dans les faubourgs de l'actuelle Mossoul, autour du tell de Quyunjik) et Arbèles (Erbil). Ces trois villes sont du reste les plus importantes de la région, en raison de leur ancienneté et de leur statut de villes sacrées, placées sous le patronage de divinités majeures du pays, Assur pour la première, et Ishtar pour les deux autres. Les deux premières sont aussi des résidences royales, les rois assyriens ayant plusieurs palais où ils peuvent résider, dans des villes différentes et parfois dans une même ville. Les éléments naturels les plus importants structurant et bornant cet espace sont le Tigre, qui coule à Ninive et Assur, à l'ouest du pays, ouvrant sur les plateaux de la Djézireh (vaste zone située entre l'Euphrate et le Tigre, en Haute Mésopotamie), tandis que les contreforts du Haut-plateau arménien et du Zagros marquent les limites au nord et à l'est, parties du pays traversées par le Grand Zab et le Petit Zab, affluents du Tigre. Ces cours d'eau constituent des axes de communication importants depuis l'époque préhistorique, et la prospérité des villes de la région doit sans doute beaucoup à cela[131],[132].
En dehors des deux grandes villes évoquées ci-après, peu de sites de la région ont livré des bâtiments de la période. Le site de Qadhiah, au nord de Ninive, a livré des inscriptions indiquant que Tukulti-Ninurta II y avait érigé un palais, et que le lieu s'appelait Nemed‐Tukulti‐Ninurta. Ce pourrait être un projet annonciateur de ce que fait son fils Assurnasirpal à Nimroud, mais le site n'a pu être fouillé et sa nature reste impossible à déterminer[133]. Assurnasirpal réside souvent à Ninive au début de son règne, où il restaure le temple d'Ishtar[133]. Salmanazar III semble faire de même, et pourrait avoir construit ou reconstruit un palais dans cette cité[134]. De fait, même si Assur est souvent présentée comme la « capitale » de l'Assyrie avant le règne d'Assurnasirpal II et la refondation de Kalkhu, il semble que les palais de Ninive de cette période (non connus par l'archéologie) servent couramment de résidence royale, depuis au moins le règne de Tiglath-Phalasar Ier (1114-1076) (voire la majeure partie du temps avant la construction du palais de Kalkhu), et que leur monumentalité n'ait rien à envier à ceux du siège traditionnel de la royauté assyrienne[135].
À Balawat, l'antique Imgur-Enlil, le temple du dieu Mamu est reconstruit par Assurnasirpal II et Salmanazar III, avec un palais, dont les plus remarquables découvertes sont les portes ornées de bandes de bronze évoquées plus haut[136]. L'activité de ces deux rois a également été repérée par des inscriptions mises au jour à Tell Billa, l'antique Shibaniba, mentionnant la construction d'un palais et d'un temple dédié à la déesse Ishtar, mais les données les concernant recueillies lors des fouilles n'ont pas fait l'objet de publications[137].
Assur
Assur (Aššur, actuel site de Qal'at Sharqat) est la capitale de l'Assyrie depuis son origine, puisque le royaume est une extension constituée au début de l'époque médio-assyrienne à partir de la cité-État d'Assur. C'est aussi là que se trouve le lieu de culte du dieu « national » Assur, les deux ayant le même nom. Cela lui confère un caractère sacré aux yeux des Assyriens, d'autant plus qu'ils n'érigent pas de temple pour ce dieu ailleurs. Le sanctuaire est situé sur le point le plus élevé de la ville, dont le cœur est un promontoire surplombant le Tigre. Il occupe une place cardinale dans le culte assyrien : les différents pays soumis au royaume doivent contribuer à ses offrandes, et les statues de dieux enlevées dans les pays conquis y sont placées, signe de leur soumission au dieu assyrien. Ainsi, même si la ville perd son statut de capitale au profit de Kalkhu après 879, les rois assyriens continuent de s'y rendre régulièrement pour y participer à des rites célébrant le dieu Assur, et la ville conserve son statut de ville sainte des Assyriens[138].
L'ancienneté de la ville explique qu'on y trouve plusieurs monuments importants, pour beaucoup construits ou profondément remaniés à l'époque médio-assyrienne, et restaurés voire à nouveau remaniés à l'époque néo-assyrienne. Le temple d'Assur, avec son complexe qui comprend aussi une tour à étages, ziggurat, est le plus important édifice religieux. Mais on y trouve aussi des temples dédiés à d'autres grands dieux. Assur comprend aussi des palais royaux, le plus ancien, le « Vieux Palais », qui fait l'objet de restaurations à l'époque, préfigurant sans doute l'architecture et le décor du palais nord-ouest de Nimroud qui est érigé juste après, et donc plus généralement la tradition des palais royaux néo-assyriens. C'est aussi le lieu de sépulture des rois assyriens, dans des chambres souterraines, la tombe d'Assurnasirpal II y ayant été identifiée. Salmanazar III y construit un nouveau palais, le « Palais Est »[139],[140].
- Vue du site d'Assur / Qal'at Sherqat, avec les ruines de la ziggurat.
- Plan général du site d'Assur avec la localisation des principaux monuments des époques assyriennes.
- Bas-relief en calcaire retrouvé dans le temple du dieu Assur, représentant une divinité (Assur lui-même ?) nourrissant deux caprins, avec deux déesses aux vases jaillissant à ses pieds. Début IIe millénaire av. J.-C. Pergamon Museum.
Kalkhu
Vers 879 le roi Assurnasirpal II choisit de créer une nouvelle capitale en installant sa cour dans la ville de Kalkhu (Kalḫu, site actuel de Nimroud), jusqu'alors une ville secondaire de l'Assyrie. Les raisons derrière ce choix ne sont pas explicitées : son emplacement, en plein centre du « triangle assyrien », est avantageux ; peut-être s'agit-il aussi d'éloigner le pouvoir des élites d'Assur et des autres principales cités assyriennes (Ninive, Arbèles), en créant un nouveau centre de pouvoir, dont les résidents sont sélectionnés par un proche du roi, l'intendant du palais, l'eunuque Nergal-apil-kumu'a[142]. Ce chantier et ceux qui suivent (puisque la « formule » élaborée à Kalkhu sera dupliquée dans les capitales suivantes) reflètent plus largement une « idéologie de l'exploit » voulant qu'un roi surpasse ses prédécesseurs par ses accomplissements. Ils témoignent aussi de la constitution progressive de lieux de pouvoir de plus en plus spécialisés, avec un espace pour la résidence royale, un autre pour les réceptions, d'autres encore pour l'administration, l'armée, le stockage, et aussi des lieux de savoir au service du pouvoir (surtout dans les temples), et le gonflement des effectifs de l'administration centrale[143].
Le choix d'une nouvelle capitale s'accompagne d'un imposant chantier mobilisant les ressources désormais à la disposition de la couronne assyrienne. La cité est étendue, pour couvrir un espace de 360 hectares, ce qui est considérable pour l'époque. Sur le tell principal, une sorte d'« acropole », le plus important édifice est le « palais nord-ouest », mesurant 200 × 130 mètres au moins, organisé autour de cours intérieures et d'une grande salle du trône. Cette pièce et le reste du palais sont décorés avec soin, notamment avec les bas-reliefs sur orthostates et statues de génies évoqués plus hauts. Le palais comprend également un hypogée, apparemment construit pour y inhumer l'épouse d'Assurnasirpal II, Mulissu-mukannishat-Ninua, et qui sert par la suite de tombe pour d'autres reines (voir plus bas). Plusieurs temples sont érigés sur l'acropole, dédiés à Ninurta (avec une ziggurat), une hypostase d'Ishtar, et à Nabû. Aucun temple dédié à Assur n'est construit, ce qui indiquerait que Kalkhu est destinée avant tout à célébrer la puissance du roi, plutôt que celle du dieu. Un canal est creusé afin d'irriguer la plaine entourant la ville, où sont plantés des jardins comprenant des plantes ramenées des pays soumis par le roi. En 864 le gros du chantier est terminé, et le roi organise un immense banquet auquel il convie plus de 69 000 personnes venues de tout le royaume. Salmanazar III termine une partie des chantiers entrepris par son père, puis il érige un arsenal sur un autre tell de la ville, le premier édifice du genre connu en Assyrie (« Fort Salmanazar »)[144],[145],[146],[147].
- Plan général du site de Nimroud.
- Plan du Palais nord-ouest. Rouge : salle du trône - Bleu : cour principale de la zone publique (babānu) - Jaune : cour principale de la zone privée (bitānu) - Vert : tombes des reines.
- Les ruines du Palais nord-ouest en 2008, après leur restauration par les autorités irakiennes et avant leur destruction par l’État islamique.
- Panneau en briques glaçurées du Fort Salmanazar, représentant le roi Salmanazar III sous le disque solaire ailé, avec des caprins sur le registre supérieur. Musée national d'Irak.
L'âge des « magnats » (826-746)
Le second acte de l'époque néo-assyrienne est marqué par un ralentissement voire un arrêt de l'expansion. Des troubles politiques perturbent le pouvoir royal, qui semble moins puissant à cette période, avec des rois peu remarquables, en raison de l'influence forte de certains magnats, notamment dans les provinces, qui semblent s'approprier des prérogatives royales. Il n'empêche que l'essentiel de la puissance assyrienne est préservé, et certains historiens voient même cette période comme une phase de consolidation des conquêtes précédentes.
Cette période est également marquée par une diversification des sources écrites disponibles : aux inscriptions royales antérieures s'ajoutent d'autres types de textes officiels (inscriptions de dignitaires, donations, traités de paix) et surtout des archives relevant pour la plupart de la sphère publique, apportant des éclairages sur le fonctionnement concret du royaume.
Les rois et les magnats
La fin de règne de Salmanazar III est un temps de difficultés. Le roi semble moins en mesure d'exercer sa fonction, puisque les inscriptions indiquent que les campagnes sont menées à partir de 830 par son Grand général, Dayyan-Assur. Cette situation, inhabituelle dans les discours officiels qui se présentent du point de vue du roi, pourrait indiquer que cette personne a pris un grand rôle dans la direction des affaires du royaume. En 826 une guerre civile éclate l'instigation du prince Assur-daʾʾin-apli, qui a été dépossédé de son statut de prince héritier au profit d'un autre fils du roi, Shamshi-Adad. Il reçoit le soutien de plusieurs villes importantes du royaume, à commencer par Assur et Ninive, bénéficie de la mort de Dayyan-Assur dès les premières années du conflit, mais échoue finalement. Quand Shamshi-Adad V monte sur le trône en 824, il n'exerce plus un rôle dominant dans les affaires du royaume, les magnats occupant le devant de la scène[148].
Les campagnes militaires qui ont lieu sous son règne sont moins ambitieuses que par le passé. Shamshi-Adad V a pris le pouvoir avec l'appui du babylonien Marduk-zakir-shumi, ce qui le met en position de faiblesse face au voisin méridional. L'Iran occidental et la frontière avec l'Urartu sont d'abord visées, puis la Syrie du Nord, où les armées assyriennes essuient un échec, ce qui incite plusieurs rois à ne plus verser de tribut à l'Assyrie. Une révolte doit être écrasée en Assyrie même, à Tillê. Mais en 815-812 le roi assyrien rétablit la balance en sa faveur face à Babylone, en défaisant et faisant prisonnier son nouveau roi, Marduk-balassu-iqbi, puis en battant à son tour son successeur Baba-ah-iddina. Les frontières du royaume sont alors repoussées plus au sud[149].
Quand Shamshi-Adad meurt en 811, son héritier désigné Adad-nerari III est manifestement jeune, et le pouvoir est détenu par le Grand général Nergal-ila'i, et la reine-mère Sammuramat. Cette dernière en particulier semble avoir joué un rôle important, puisqu'elle est associée à son fils dans une inscription où l'Assyrie garantit la frontière entre les royaumes de Gurgum et Kummuhu. Son pouvoir semble avoir donné naissance à la légende de la reine Sémiramis, connue par des récits grecs[149].
Adad-nerari III doit ensuite composer avec d'autres magnats, dont Nergal-eresh, gouverneur de la vaste province de Rasappa, puis le grand général Shamshi-ilu, en poste à partir de 787 au moins. Les armées assyriennes remportent plusieurs succès, notamment en Syrie où elles infligent une défaite au puissant royaume d'Aram-Damas. En revanche la situation reste perturbée dans l'Iran occidental et en Mésopotamie moyenne (où sévissent les tributs d'Itu'éens), régions où plusieurs campagnes sont menées sans parvenir à stabiliser l'emprise assyrienne[150].
Les rois suivants, Salmanazar IV, Assur-dan III et Assur-nerari V, trois fils d'Adad-nerari III, ont laissé très peu d'inscriptions. Ils semblent avoir eu peu de marge de manœuvre face au pouvoir du grand général Shamshi-ilu, et aussi au héraut du palais Bel-Harran-belu-usur. L'Assyrie fait alors face à la montée en puissance de l'Urartu, qui menace son hégémonie en Anatolie du sud-est et en Syrie du Nord, et aussi en Iran occidental. Plusieurs campagnes sont menées contre cet adversaire, Shamshi-ilu obtenant une victoire importante en Iran en 774, qu'il célèbre dans sa propre inscription. L'année suivante il défait le royaume de Damas. Son pouvoir semble avoir atteint son paroxysme dans les années suivantes. Une grande révolte secoue le royaume en 763, probablement une réaction contre Shamshi-ilu, et n'est éteinte que cinq années plus tard. La situation du royaume semble alors chaotique (une chronique évoque une famine). Les armées assyriennes sont très peu entreprenantes dans les années qui suivent. L'autorité du royaume est de plus en plus secouée par l'Urartu, dont le roi Sarduri II proclame avoir remporté une grande victoire contre l'Assyrie. Au sud du royaume, les gouverneurs du Suhu semblent alors agir en souverains indépendants, ce qui conforte l'idée d'un affaiblissement de l'Assyrie[151].
Un pouvoir royal en crise ?
Un fait paraît difficilement contestable concernant cette période : les « magnats », en particulier les quatre plus importants d'entre eux (Dayyan-Assur, Nergal-eresh, Bel-Harran-beli-usur et Shamshi-ilu), occupent une place très importante dans l’édifice politique assyrien de cette période. Alors que les inscriptions officielles des autres phases de l’époque néo-assyrienne sont écrites par les rois et font comme si ceux-ci dirigeaient seuls les affaires de l’État, on trouve des inscriptions royales mettant en avant des magnats et surtout des inscriptions au nom de ceux-ci, dont des stèles les représentant. Dans ces discours, les rois ne sont donc plus présentés comme les seuls aux commandes.
D'une manière générale les représentations officielles des rois sont moins courantes à cette période, de même que les travaux de construction qu'ils commanditent. On connaît plusieurs stèles les représentant de la même manière que le faisaient Assurnasirpal II et Salmanazar III, représentations également imitées par le gouverneur Bel-Harran-belu-usur sur sa stèle mise au jour à Tell Abta. La statuaire de la période est constituée de représentations de divinités mises au jour dans le temple de Nabû à Nimroud. Cet édifice est restauré par Adad-nerari III (ce dieu semble alors gagner en popularité auprès des élites assyriennes[154]). Ce roi fait également réaliser une extension méridionale du palais nord-ouest, peut-être un autre édifice de type palatial sur le tell principal (le « palais brûlé »), et un autre palais dans la ville basse[155],[156]. D'un autre côté on peut attribuer à des magnats plusieurs constructions de palais et des fondations de villes dans les provinces (voir plus bas).
Reste à interpréter cela. La vision de la situation politique de la période qui s'est imposée en premier a vu dans ce phénomène une appropriation des prérogatives royales par les membres de la haute administration assyrienne, et donc une période générale d’affaiblissement du pouvoir royal, ce qui explique pourquoi il est plus discret que durant les autres périodes de l’histoire néo-assyrienne[115],[157],[158]. Étant donné que plusieurs de ces magnats sont actifs dans une province, ce serait aussi une période de décentralisation ou de féodalisation, durant laquelle le pouvoir central a moins d’emprise sur les provinces. Plusieurs historiens ont vu dans cette période une « crise de croissance » succédant à la phase de reconquête et d'expansion tous azimuts du royaume : les magnats ont acquis de grands pouvoirs et récupéré une partie des dividendes des conquêtes, et sont donc en mesure d’empiéter sur le pouvoir royal, voire pour certains (surtout Shamshi-ilu, souvent présenté comme une sorte de « roi sans couronne »[159]) de le mettre sous tutelle. Le fait qu’il y ait plusieurs révoltes venues de l'intérieur du royaume durant la période, alors qu’on n’en connaît pas pour la précédente, semble bien révéler un temps de difficultés pour le pouvoir royal[160].
Mais ce tableau négatif est désormais nuancé, voire remis en cause[161],[162],[163]. Si les magnats semblent plus puissants, aucun ne cherche à renverser de roi. Il n’y a donc apparemment pas de crise de légitimité du pouvoir royal. La fragmentation du pouvoir ne se traduit du reste pas forcément par un affaiblissement de l’empire assyrien[160]. Elle pourrait au contraire résulter d’une volonté des rois de placer des hommes forts en des points sensibles du royaume, en partageant le pouvoir pour mieux contrôler les territoires de leur royaume[164]. Les gouverneurs participent en effet activement à la défense et au développement de leurs provinces, sans doute en profitant de plus grandes marges de manœuvre que par le passé. Et l’arrêt des conquêtes ne se traduit pas non plus par un recul territorial. Cette période voit donc une forme de consolidation et de pérennisation de l’emprise de l’Assyrie sur les pays conquis précédemment, qui aurait préparé la nouvelle période d’expansion et de renforcement du pouvoir royal qui la suit[165].
La composition et le fonctionnement de l'administration
Une autre question sur les évolutions de l'administration de l'époque, en lien avec la problématique précédente, est la place que semblent prendre les eunuques (ša reši), qui se voit en premier lieu dans leur présence croissante dans les listes d'éponymes, une grande partie des magnats du VIIIe siècle av. J.-C. étant des eunuques[166]. On a avancé que les rois de cette période auraient nommé plus d'eunuques aux postes importants dans les provinces afin d'éviter la constitution de dynasties locales de gouverneurs[167]. La présence d'un plus grand nombre de sceaux-cylindres appartenant à des eunuques membres de l'administration montre que ce phénomène ne se limite pas aux grands dignitaires, mais aussi à leurs subordonnés[168].
Les sources sur l'administration assyrienne se diversifient à cette période, et son organisation comme son fonctionnement sont donc mieux connus. Les listes d'éponymes sont complètes pour la période et font apparaître un ordre fixe dans l'attribution de l'éponymat aux dignitaires à partir de l'intronisation d'un nouveau roi, suivant leurs fonctions, donnant ainsi un aperçu du groupe des Grands du royaume[117]. Plusieurs lots d'archives permettent d'avoir une vision plus précise de l'organisation et du fonctionnement du royaume. Les plus importants proviennent de Kalkhu, la capitale. Des tablettes du Fort Salmanazar fournissent des informations sur les livraisons de vin (et de pain) pour des membres de la cour (peut-être à l'occasion de célébrations) (Nimrud Wine Lists) ; les récipiendaires sont listés par ordre d'importance, et comprennent des dignitaires assyriens, des « savants » (devins, exorcistes, médecins) et des ambassadeurs étrangers[169],[170]. Une salle du secteur des tombes des reines du palais nord-ouest a livré environ 150 tablettes (non publiées), certaines issues du bureau de la reine (on ne sait laquelle), qui avait des intendants chargés de gérer les activités commerciales de cette dernière[171],[172]. Une des tombes des reines appartenait à une reine de cette période, Hama, épouse de Salmanazar IV, inhumée dans un sarcophage en bronze de l'antichambre de la tombe III, celle de la reine d'Assurnasirpal II, et réemployée à cette période. La reine est morte jeune (vers 18-20 ans), et sa dépouille comprenait un matériel impressionnant, avec notamment son sceau-cachet en or, une couronne en or, et des colliers, bracelets et brassières en or, de la vaisselle en or. On ne sait rien de plus sur cette reine[173],[174].
- Sceau en or de la reine Hama, la représentant devant une divinité (Gula ?). le scorpion représenté à gauche est un symbole des reines assyriennes. Musée national d'Irak.
- Vue de côté du précédent. Cet objet donne une idée de l'aspect que devaient avoir les sceaux royaux, connus uniquement par des empreintes.
- Couronne d'or de la reine Hama. Musée national d'Irak.
- Aiguière en or de la reine Hama. Musée national d'Irak.
Le groupe de textes le plus important numériquement (environ 230 tablettes) contient pour partie des archives des gouverneurs de la ville (notamment Bel-tarsi-ilumma, en fonction au début du VIIIe siècle av. J.-C.). Il a été mis au jour dans un édifice partiellement dégagé du tell principal, qui pourrait donc avoir été le palais des gouverneurs[175],[176]. Il s'agit de documents administratifs et aussi de lettres. On y apprend que les provinces sont gérées avec l'aide de plusieurs administrateurs subalternes, pour beaucoup des eunuques, qui comprend des personnes chargées de l'intendance du palais, des administrateurs implantés dans les villes et villages, et des officiers militaires. Les affaires militaires sont une part importante des fonctions des gouverneurs : ils doivent mobiliser hommes et ressources pour l'armée, et dirigent eux-mêmes des troupes lors des conflits de l'époque. Une partie des archives documente aussi les affaires privées des gouverneurs, qui font partie de l'élite du royaume et reçoivent du roi ou achètent des domaines agricoles importants, y compris dans d'autres provinces. Ces archives ne montrent pas vraiment un affaiblissement du pouvoir royal, au contraire elles confortent l'impression que les eunuques sont fortement liés au pouvoir royal, lui devant leur position sociale et économique[177].
Un autre lot d'archives de gouverneur constitué de lettres et documents comptables provient de Guzana (Tell Halaf), daté du VIIIe siècle av. J.-C., après que la dynastie locale qui gouvernait au nom de l'Assyrie ait été remplacée par des gouverneurs assyriens, à la suite d'un conflit aux origines obscures. Là encore les affaires militaires occupent une part importante des activités, aux côtés des fonctions fiscales (au sens large puisque cela comprend l'organisation de corvées, la circulation de produits du tribut de vassaux), judiciaires, et aussi cultuelles, aussi la gestion des relations avec les groupes semi-nomades de la région[179],[180]. Le palais où ces archives ont été trouvées, érigé quelque part vers le milieu du IXe siècle av. J.-C., fait l'objet d'un réaménagement au siècle suivant, probablement consécutif à la destruction du site à la suite de sa révolte en 761-758. Son plan reprend le principe des palais néo-assyriens, autour de grandes cours[181].
Les inscriptions laissées par les magnats eux-mêmes commémorent à la manière royale les travaux de construction et d'aménagement qu'ils entreprennent dans les provinces. Elles permettent également de prendre la mesure de leurs actions. Ainsi Nergal-eresh proclame sur une stèle avoir fondé de nombreux villages, et Bel-Harran-beli-usur, héraut du palais et gouverneur de Guzana, la fondation d'une ville à son nom à laquelle il accorde des exemptions fiscales. L'archéologie atteste de cet essor du peuplement et de la mise en valeur de la Djézireh, notamment à Dur-Katlimmu (Tell Sheikh Hamad) sur le Khabur, à proximité de laquelle est creusé vers cette époque un canal qui permet l'extension de l'espace cultivé et la fondation de nouveaux villages[182]. Un peu plus au sud, la ville de Kar-Assurnasirpal (« Quai d'Assurnasirpal » ou « Port d'Assurnasirpal », site actuel de Tell Masaikh), fondée dans la première moitié du IXe siècle av. J.-C. par le roi qui lui a donné son nom, fait l'objet d'un réaménagement au début du VIIIe siècle av. J.-C., sans doute à l'initiative de Nergal-eresh. Le site suit l'organisation spatiale classique des villes assyriennes : une acropole, surplombant le Khabur, où se trouve un palais dont le plan est calqué sur celui des palais royaux ; une ville basse, entourée d'une muraille[183]. Plus à l'ouest la ville de Hadatu (Arslan Tash) semble avoir été (re)fondée à cette période sous la direction de Ninurta-bel-usur, eunuque au service du grand général Samsu-ilu, et le bâtiment aux ivoires avec les objets qui y ont été trouvés pourraient avoir été collectés à cette période, à partir de tribut et/ou de pillages ; en revanche le palais dégagé à côté semble postérieur[184]. L'activité de ces deux personnages est également attestée à Til-Barsip / Kar-Salmanazar (Tell Ahmar), dont le premier est le gouverneur pour le compte du second ; deux lions en basalte sont installés par Samsu-ilu à la porte orientale de la ville et commémorent sa victoire sur l'Urartu[185].
Rapports avec les vassaux et les pairs
Si le « pays d'Assur » n'est pas menacé par l'extérieur, l'autorité assyrienne est contestée au-delà de ses limites, surtout à l'instigation du plus puissant rival de la période, l'Urartu, qui étend sa zone d'influence en Syrie. Les rois de cette région ont désormais une alternative à la soumission à l'Assyrie qu'ils n'avaient pas auparavant. La rivalité entre les deux puissances pourrait alors passer plus sur le terrain diplomatique que militaire, comme nous l'apprennent les traités de paix connus pour la période. Plusieurs traités de paix visant à résoudre des litiges frontaliers sont passés entre des vassaux de l'Assyrie (Hamath et Arpad, Gurgum et Kummuhu), sous le patronage d'Adad-nerari III, qui agit en arbitre et cherche manifestement à consolider ses positions. Assur-nerari V conclut quant à lui un traité (adê) avec Mati'el d'Arpad, dont la version écrite nous est parvenue, qui semble lié à la volonté de soustraire celui-ci de l'influence de l'Urartu[187],[188].
Mais si telle était l'intention assyrienne, force est de constater qu'elle n'a pas bien fonctionné à la période puisque les révoltes de vassaux sont courantes, y compris celle de Mati'el qui rompt l'accord passé avec le roi assyrien peu après sa conclusion. Cette perte de puissance se voit aussi dans l'interruption des « tournées » militaires durant la majeure partie de la première moitié du VIIIe siècle av. J.-C.[189]. Au sud la dynastie de gouverneurs du pays de Suhu et de Mari, établie à Anat, se dégage alors de l'autorité de l'Assyrie et agit de façon autonome. Mais les inscriptions laissées par ces personnages témoignent d'une influence assyrienne, ce qui pourrait indiquer que ce pays, traditionnellement tourné vers la Babylonie voisine, regarde désormais plutôt vers le nord[190],[191].
Avec Babylone justement, le texte d'un traité conclu entre Shamshi-Adad V et son homologue Marduk-zakir-shumi a été mis au jour à Ninive, et il appartient à la catégorie des traités paritaires (bien que certains y aient vu un traité de vassalité de l'Assyrie envers Babylone, car elle est alors en position de faiblesse en raison des troubles internes qui l'ont secouée)[192],[193].
La construction d'un empire « universel » (745-705)
La seconde partie du VIIIe siècle av. J.-C. voit l'empire néo-assyrien reprendre son expansion et raffiner sa structuration, sous les règnes de deux usurpateurs issus de la famille royale, Tiglath-Phalazar III et Sargon II. Au terme de ces deux règnes, l'Urartu et Babylone sont lourdement vaincus et ne sont plus en mesure de rivaliser avec l'Assyrie. Cette quarantaine d'années est décisive dans la construction de l'empire néo-assyrien : de plus en plus de royaumes vassaux sont convertis en provinces sous administration directe, ce qui conduit à une forte expansion du « pays d'Assur ». Même s'il semble désormais acquis que la période précédant le règne de Tiglath-Phalazar III a vu la consolidation des positions assyriennes, il reste couramment admis que les victoires et les réformes entreprises par ce roi et son second successeur achèvent de donner à l'empire néo-assyrien son caractère d'empire « universel », le premier du genre dans l'histoire mondiale, car sa stature et son organisation le différencient fortement des structures antérieures que l'on qualifie aussi d'« empires ». Selon E. Frahm, « l'énorme taille que l'État assyrien avait atteint en 729 et sa sphère d'influence encore plus grand, les mécanismes complexes de contrôle politique et économique établis dans tout le royaume, le caractère multiethnique et multilingue de l’État, et le déséquilibre osmotique entre le centre et la périphérie – toutes ces caractéristiques justifient d'appeler l'Assyrie, de l'époque de Tiglath-Phalazar, un empire stricto sensu, peut-être le premier empire au monde l'histoire[194]. »
Cette période est bien mieux documentée que la précédente. En plus des sources déjà présentes auparavant (inscriptions royales, images exposées surtout dans les palais et temples, bâtiments dégagés lors de fouilles), le corpus documentaire de la période comprend des centaines de tablettes et fragments de correspondance royale de l'époque, répartis entre environ 200 tablettes provenant du Palais nord-ouest de Nimroud et datées des règnes de Tiglath-Phalazar III et de Sargon II[195], et surtout 1 200 lettres du règne de Sargon II mises au jour à Ninive[196],[197]. Elles fournissent un éclairage sur le gouvernement assyrien, ayant peu d'équivalents pour le Proche-Orient ancien, et aucun dans le reste du monde antique.
Un nouvel essor territorial
Tiglath-Phalazar III prend le pouvoir en 745 à la faveur d'un coup d’État qui renverse Assur-nerari V. C'est probablement un membre de la famille royale mais pas forcément le fils ou le frère de son prédécesseur. On ne sait pas le rôle joué par le grand général Shamshi-ilu dans ces événements, et il est peut-être déjà mort, en tout cas il subit une damnatio memoriae et sa fonction sera affaiblie par les rois dans les années suivantes. L'Assyrie n'est alors plus la puissance hégémonique qu'elle était depuis sa défaite face à l'Urartu. Le nouveau roi entreprend une politique d'expansion ambitieuse, qui débute par la création de deux provinces dans les contreforts du Zagros, sans doute pour sécuriser les routes commerciales vers le plateau Iranien. Puis il mène une campagne en Babylonie, région qui ne pose pas de menace car elle est en proie à des divisions internes. Il peut donc faire marcher ses troupes vers la Syrie en 743. Les Assyriens affrontent à nouveau une coalition de rois syriens appuyée par l'Urartu, mais cette fois-ci l'affrontement tourne en leur faveur. Signe du changement de politique assyrien, le territoire d'Arpad, fer de lance de l'opposition à l'Assyrie, est annexé. Dans les années suivantes les troupes assyriennes affrontent les souverains du Levant qui s'opposent à leur expansion, avant tout Hamath et Damas, et constituent de nouvelles provinces en Syrie. Il faut une dizaine d'années de conflits pour que les deux principaux rivaux soient définitivement soumis, et à leur tour annexés, en 732. En 735 une campagne a été menée jusqu'au cœur de l'Urartu, sans parvenir à prendre sa capitale, mais elle a confirmé la suprématie assyrienne. En 731, Tiglath-Phalazar retourne en Babylonie, qui a été unifiée par le chef chaldéen Nabû-mukin-zeri. Celui-ci s'enfuit face aux troupes assyriennes. Tiglath-Phalazar choisit là encore de placer la région sous son contrôle direct, mais pas en la transformant en province, puisqu'il choisit de devenir roi de Babylone en 729, où il est connu sous un nom de trône différent, Pulû. Les territoires sous son autorité directe s'étendent alors du golfe Persique jusqu'à la Méditerranée[198],[199].
Peu de choses sont connues du règne bref de Salmanazar V, qui s'achève par son renversement par Sargon II, ce qui expliquerait pourquoi il n'a pas laissé d'inscription royale. Il est l'héritier désigné de son père et prédécesseur, et apparaît dans des lettres sous le nom d'Ululayu (Salmanazar étant son nom de trône choisi lors de sa prise de fonction royale). Il est généralement considéré que c'est sous son règne que le royaume d'Israël est annexé, et c'est peut-être aussi le cas de ceux de Sam'al et Que[200],[201].
Sargon II, qui est apparemment un fils de Tiglath-Phalazar III, prend le pouvoir en 722, après un coup d’État selon l'opinion majoritaire des historiens. Son début de règne est en tout cas marqué par d'importantes révoltes dans le cœur même de l'Assyrie, et une de ses inscriptions attribue à son prédécesseur direct des actes malveillants contre la ville d'Assur. Les troubles ayant lieu en Assyrie ont incités plusieurs régions vassales à se soulever. En Babylonie, le roi chaldéen Marduk-apla-iddina II (Mérodach-baladan) monte sur le trône de Babylone, s'allie aux Élamites et tente de chasser les Assyriens, ce à quoi il semble être parvenu dans un premier temps. À l'ouest Ya'ubi'di de Hamath monte une coalition, lance une révolte anti-assyrienne, mais il est vaincu et les révoltés sont sévèrement réprimés. Sargon mène ensuite des campagnes en Iran occidental, dans le pays des Mannéens, puis en Anatolie à Shinuhtu, avant de conquérir Karkemish en 717 et d'annexer son territoire. C'est à la suite de ce triomphe qu'il fonde une nouvelle capitale à Dur-Sharrukin près de Ninive, dont le chantier dure une dizaine d'années. Entre 716 et 713, il dirige ses troupes contre l'Urartu, auquel il parvient à infliger une défaite importante en 714, lors de sa huitième campagne, qu'il commémore dans une longue lettre adressée au dieu Assur. Sur le retour il pille le sanctuaire du grand dieu urartéen Haldi à Musasir. Les troupes assyriennes combattent alors sur d'autres fronts, face aux tribus arabes qui sont apparues depuis le désert syro-arabes, face aux pirates Ioniens en Cilicie, face aux Mèdes en Iran. Ashdod se révolte en 711 et sa défaite se solde par l'annexion des territoires côtiers du Levant méridional. L'année suivante Sargon retourne en Babylonie, où Marduk-apla-iddina, n'est plus en mesure de résister à son avancée, mais parvient tout de même à lui échapper. Il reste en Babylonie jusqu'en 707. Il a alors reçu les hommages de nombreux souverains vivant bien au-delà des frontières de son empire : les rois de Chypre, Dilmun (Bahrain), Osorkon IV de Tanis en Égypte, Mita de Mushki (probablement le roi Midas de Phrygie bien connu des Grecs). En 706, il inaugure sa nouvelle capitale, et l'année suivante il part en Anatolie du sud-est, au Tabal, une région qui lui résiste depuis plusieurs années. La campagne se termine en désastre : il est tué lors d'une attaque de son campement, et son corps n'est jamais retrouvé, ce qui est considéré comme une infamie pour la mentalité antique qui veut que tout défunt reçoive une sépulture[202],[203].
Les évolutions de la cour et de l'administration centrale
Du point de vue de l'administration centrale, cette période est vue comme une phase de recentralisation, le pouvoir royal affirmant sa prééminence sur les magnats.
Le groupe des plus hauts personnages de l’État attesté sous les règnes de Tiglath-Phalazar III et Sargon II achève de prendre sa forme définitive, avec sept membres. Au quatuor de la période de reconquête comprenant le grand général (turtānu), trésorier (masennu), héraut du palais (nāgir ekalli), et grand échanson (rab šaqê), toujours responsable d'une province assignée à leur fonction, se sont ajoutés le chef des eunuques (rab ša rēši), le grand secrétaire ou bailli (sartennu) et le vizir (sukkallu). Ces trois derniers n'ont pas de rôle de gouverneur provincial. La fonction de grand général a été doublée : à partir de Sargon II, on trouve un « grand général de la droite » (turtānu šumēlu), c'est-à-dire « du nord », parce qu'il reçoit après leur annexion les régions de Kummuhu et de Melid, situées sur l'Euphrate au nord du royaume, face aux positions urartéennes ; apparaît en contrepartie un « grand général de la gauche » (turtānu imittu), donc « du sud », qui se voit attribuer les terres situées au sud de l'autre côté de l'Euphrate. En plus de reprendre le principe des marches militaires du temps de Salmanazar III, cette mesure pourrait servir à affaiblir la position du grand général en la divisant et en réduisant fortement la taille des provinces attribuées. Leur titre n'est pas forcément connecté à leur rôle réel, ce qui importe est avant tout leur proximité au roi qui leur confère un grand pouvoir et une grande influence, même s'il n'y a pas de preuve concrète qu'ils forment un cabinet ou conseil autour du roi. De toute manière ils sont souvent en fonction hors de la capitale : ils apparaissent plutôt dans les sources de l'époque en tant que gouverneurs de provinces ou commandants de troupes sur un front militaire[204].
Les évolutions de la haute administration de l'époque sont discutées, et il a été souvent essayé de tenter de les relier au contexte politique. Il est ainsi généralement considéré que Tiglath-Phalazar III prend un ensemble de mesures visant à éviter que les magnats reprennent autant de pouvoir qu'ils en avaient eu sous les règnes précédents, notamment Shamshi-ilu qui semble subir une damnatio memoriae. Les provinces des magnats sont scindées afin de les affaiblir, personne d'autre que le roi ne peut faire d'inscriptions à son nom[205]. Sargon II aurait procédé suivant une logique liée à son arrivée au pouvoir par coup d’État et à sa méfiance vis-à-vis des élites en place auparavant. Il gouverne secondé par son frère, Sîn-aha-usur, le sukkallu (antique titre administratif qui semble remis au goût du jour à cette période), son fils le prince Sennachérib est nommé héritier et se voit confier un rôle officiel avec son propre bureau dès le début du règne. Plus largement le roi s'appuie sur un groupe de scribes, avec le scribe du palais[206], Nabû-kabti-ahheshu, qui l'assiste dans les affaires administratives et gère avec l'appui d'autres scribes ses archives et sa correspondance, et aussi le grand scribe et d'autres lettrés qui sont chargés de la rédaction des textes officiels et rituels, et le conseillent sur les affaires savantes et religieuses. La fondation d'une nouvelle capitale participerait également de cette logique d'autonomisation politique et de concentration du pouvoir autour du roi[207].
Les reines de la période sont mal connues. Des objets inscrits au nom de trois d'entre elles ont été mis au jour dans la tombe n° II du Palais nord-ouest de Kalkhu : Yaba reine de Tiglath-Phalazar III, Banitu reine de Salmanazar V (mais il pourrait s'agir du IV voire du III), et Ataliya reine de Sargon II. Le sarcophage de la tombe n'a cependant livré que deux corps de femmes, qu'on identifie couramment comme ceux de Yaba et d'Ataliya. Ils étaient accompagnés d'une grande quantité d'objets en or et de divers bijoux en métaux et pierres précieux, également de la vaisselle de luxe[208].
- Tablette funéraire de la reine Yaba, épouse de Tiglath-Phalazar III. Musée national d'Irak.
- Couronne mise au jour dans la tombe II. Musée national d'Irak.
Dur-Sharrukin, une nouvelle capitale
Tiglath-Phalazar III dirige le pays depuis Kalkhu, où il fait réaliser un nouveau palais, le « Palais central », dont le plan est mal connu, qui était décoré de bas-reliefs. C'est aussi le premier palais assyrien pour lequel se trouve une mention de la construction d'un bit hilani, édifice de type syrien, qui semble caractérisé par son portique à colonnes, nouvelle illustration des échanges architecturaux et artistiques au sein de l'empire[209]. Au début de son règne, Sargon II réside également à Kalkhu, dans le Palais nord-ouest qu'il restaure, avant de décider de construire une nouvelle capitale sur un site situé une dizaine de kilomètres au nord de Ninive, quasiment vierge, où se trouvent seulement un village et des champs. Il la baptise à son nom : Dūr Šarrukīn, la « Forteresse de Sargon » (l'actuelle Khorsabad)[210]. Si la raison du choix de ce site en lui-même reste énigmatique, il semble que Sargon cherche à s'éloigner des grandes métropoles assyriennes et de leurs élites en se constituant un lieu de pouvoir dépendant de sa volonté seule, alors que son début de règne a été marqué par des révoltes. Ce choix consacre aussi une évolution plus profonde, la prise en importance de la région de Ninive, située à un emplacement très avantageux dans le réseau de communication impérial[211]. Le déroulement du chantier, placé sous la supervision du trésorier Tab-shar-Assur mais suivi de près par le roi, est documenté par des inscriptions royales, mais aussi plusieurs lettres de la correspondance du souverain. On y voit que les provinces de l'empire sont mises à contribution, matériaux et travailleurs étant envoyés de toutes parts, mobilisant d'impressionnantes ressources, aussi bien pour la construction de la ville que l'aménagement de la campagne alentour, où sont plantés des jardins royaux. La ville est inaugurée en 707 ou 706[212],[213],[214],[215].
Puisqu'il construit sa capitale sur un terrain vierge, Sargon peut ériger d'emblée une capitale « idéale », notamment en systématisant les principes d'organisation spatiale élaborés en deux générations en Kalkhu. La ville, qui couvre plus de 300 hectares, a un plan quadrilatère dont les proportions semblent répondre à des principes numérologiques. Elle comprend au nord une acropole érigée sur une terrasse artificielle et isolée par sa propre enceinte, comprenant dans une première enceinte des résidences de hauts dignitaires (dont la vaste résidence du frère du roi, le vizir Sîn-aha-usur) et un temple dédié au dieu Nabû. Sur une autre terrasse encore plus haute, à cheval sur la muraille, est bâti un vaste palais royal (nom cérémoniel « Palais sans égal ») reprenant le principe de l'organisation bipartite zone publique / zone privée, quoi que plus complexe qu'à Nimroud puisqu'on y trouve cette fois-ci trois grandes cours. S'y retrouve le décor caractéristique des palais néo-assyriens constitué de statues de taureaux androcéphales ailés placées aux portes principales, et de bas-reliefs sculptés placés dans les cours et plusieurs salles représentant les habituelles scènes de guerre, de chasse, de tribut, de rituels et de vie de la cour, avec l'apparition de représentations de banquets. Autour sont placés des décors peints et d'autres faits de briques glaçurées. Le palais est voisiné par plusieurs temples et une ziggurat. Sur le côté ouest de la muraille est érigé le secteur de l'arsenal, également sur une terrasse artificielle[218],[219].
- Plan schématique du site de Khorsabad.
- Plan de l'acropole de Dur-Sharrukin.
- Principales unités de la terrasse du palais : grande cour (XV), cour d'honneur (VIII), salle du trône (VII), cour de la zone privée (VI), appartements royaux (A), bâtiment isolé (peut-être bit-hilani) (BH). Principales unités des temples de la terrasse : cours principales (XXX, XXVII, XXXI), temple de Sîn (1), chapelle d'Adad (2), chapelle d'Ea (3), temple de Shamash (4), chapelle de Ninurta (5), temple de Ningal (6), ziggurat (Z).
- Taureau androcéphale ailé tourné de face gardant la porte de la façade M du palais. Musée du Louvre.
- Tablette en or commémorant la construction du palais de Dur-Sharrukin, faisant partie d’un lot de plaques de fondation découvertes dans un coffret de pierre, enfoui sous le palais. Musée du Louvre.
L'administration de l'empire et ses évolutions
Provinces et correspondance officielle
Selon K. Radner, si l'on se fiait aux seules inscriptions royales, qui sont parfaitement en accord avec la maxime « l’État, c'est moi », la figure du souverain assyrien semble prévaloir par-dessus tout et se confondre avec l'empire. Mais les textes de la correspondance royale permettent de mieux connaître l'ensemble de hauts dignitaires et gouverneurs qui assurent la conduite des affaires de l'empire, parfois avec un degré élevé d'autonomie[221].
Le VIIIe siècle av. J.-C. voit la création de provinces dans les régions déjà sous autorité assyrienne depuis le siècle précédent, par transformation de royaumes vassaux en provinces, ou bien par scission de provinces existantes, et le mouvement est visible sous Tiglath-Phalazar III et Sargon II (par exemple par la création d'une province de Dur-Sharrukin)[222],[223]. Le principe de confier des provinces aux principaux dignitaires de l'empire se poursuit, chaque magnat ayant une province qui lui est attribuée avec sa charge et qui porte son nom à partir de cette période (par exemple la « province du grand échanson », autour de l'actuelle Aqra)[224],[225]. La caractéristique de ces règnes est surtout l'expansion des provinces au détriment des royaumes vassaux, après des défaites, qui se voient soit amputés de territoires, soit intégralement annexés, et dans plusieurs cas le premier précède le second. Le recours plus systématique aux annexions et à l'administration directe sont généralement vus comme des innovations politiques majeures de la période, décisives dans la construction d'un « empire » à proprement parler[226],[227],[228]. Ce phénomène est surtout visible à l'ouest, où la plupart des royaumes araméens et néo-hittites disparaissent après incorporation de leur territoire dans l'empire assyrien[229]. Il est aussi très marqué en direction du nord et de l'est, en particulier dans le Zagros[230]. En Babylonie, Sargon constitue deux grandes provinces, une centrée sur Babylone à l'ouest, et une autre appelée Gambulu à l'est du Tigre[231].
La correspondance royale mise au jour à Nimroud et Ninive, dont les interlocuteurs sont souvent des gouverneurs, fournit d'importantes informations sur les mécanismes de fonctionnement de l'empire dans la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C. Elle révèle d'abord que la circulation des informations est primordiale pour la conduite des affaires de l'empire. Le système provincial est structuré par un réseau routier, la « route du roi » (ḫūl/ḫarrān šarri). Au regard des critères modernes, il s'agit plutôt de sortes de pistes. Les lettres indiquent que les gouverneurs doivent construire et entretenir des ponts, des fortins et des relais routiers (bēt mardēti), installés à des intervalles réguliers (toutes les trentaines de kilomètres) et qui ne servent que pour les communications et déplacements de l’État, à la différence des caravansérails des époques postérieures qui hébergent aussi des voyageurs. Pour la transmission rapide des messages, un système de coursiers (kalliu) qui se relaient dans les postes routiers a été mis en place. Ces postes doivent donc entretenir et équiper des mulets (kūdunu), qui fonctionnent par équipes de deux, dont une au moins doit être prête en permanence afin de permettre le bon fonctionnement du système des courriers express[232],[233],[234].
Le roi délègue son pouvoir de commandement à un ensemble de subordonnés, qui se matérialise par l'octroi d'un sceau royal à un délégataire. Élaboré sous Salmanazar III, c'est un cachet, sous la forme d'une bague-cachet en or, mais connu uniquement par des empreintes. Il représente un roi assyrien en train de terrasser un lion bondissant en lui enfonçant une épée dans la poitrine, motif typique du souverain maîtrisant les forces du monde sauvage (surtout connu par les bas-reliefs de chasses royales). Il est reproduit en des centaines d'exemplaires et concédé à des personnages dépositaires de l'autorité royale jusqu'à la fin de l'empire. Il semble même que certains aient tenté d'en forger des faux[235],[236].
D'après le contenu de la correspondance entre le roi et les gouverneurs, il attend avant tout de ceux-ci un devoir de garde et de vigilance, qu'ils assurent la sécurité de leur province et le tiennent informé de toute menace à sa stabilité[237]. Leurs principales attributions sont la collecte des taxes et autres prélèvements dus dans leur province, la levée de troupes de soldats pour l'armée et de corvéables pour les travaux publics[238]. Les lettres peuvent être des réponses expresses à une demande royale, sur des sujets divers (constructions, recherche de fugitif, distribution de terres, etc.). Beaucoup d'autres sont des rapports concernant des sujets de routine sur la tenue de la province, l'état des récoltes, la conduite des cultes, et aussi des rapports sur des affaires plus précises, généralement en lien avec des événements politiques et militaires, souvent sur le ton de l'urgence[239]. Les représentants du pouvoir royal dans les provinces semblent avoir une grande latitude dans le traitement des affaires courantes, et ne doivent probablement recourir à l'avis du roi que pour les situations les plus importantes. Leur autonomie s'accroît sans doute à mesure que l'on s'éloigne géographiquement du centre du pouvoir[240]. Cela explique sans doute pourquoi un gouverneur en début de carrière est plutôt assigné à une province du centre de l'empire, généralement plus petites et moins concernées par les affaires de sécurité. Quand ils gagnent de l'expérience et la confiance du roi, ils sont ensuite assignés à des provinces plus éloignées et/ou récemment annexées. En tout cas à partir du règne de Sargon II les gouverneurs qui arrivent en premier dans la séquence des éponymes sont ceux des provinces périphériques, et non de celles du centre comme par le passé[241].
Afin d'obtenir et de maintenir la paix dans les provinces (et aussi la soumission et l'obéissance des royaumes vassaux), les rois assyriens manient à la fois la carotte et le bâton. Sargon II octroie ainsi des chartes de franchises à des cités en guise de privilège, pour récompenser leur attitude en sa faveur lors de révoltes, ou bien pour chercher à obtenir leur obéissance. Les châtiments exemplaires et la politique de terreur sont toujours de mise pour punir les rebelles et dissuader les rebelles potentiels : exécutions publiques, massacres, mutilations, pillages, destructions, déportations, toute la panoplie répressive attestée lors de l'époque de reconquête reste employée et fait l'objet d'une mise en scène. Les inscriptions indiquent ainsi que les populations sont sommées d'assister à l'exécution de leurs rois rebelles et que leurs cadavres empalés ou leurs peaux écorchées sont exposés en public[244].
L'archéologie documente plusieurs des réaménagements des centres provinciaux qui ont lieu à cette époque. Ainsi le palais de Til-Barsip / Kar-Salmanazar (Tell Ahmar) semble restauré à cette époque, et la majeure partie du décor peint qui y a été retrouvée semble dater du règne de Tiglath-Phalazar. Il est également actif à Hadatu (Arslan Tash)[209],[245]. L'empreinte des rois assyriens est visible dans les provinces nouvellement constituées à l'ouest. Les nouvelles capitales provinciales, généralement des capitales des royaumes annexés, donc déjà organisées comme des centres politiques, semblent souvent remodelées par le pouvoir assyrien, surtout si une destruction a suivi leur conquête (ce qui est souvent le cas). Dans la province de Kunulua/Kunalia, constituée sur l'ancien royaume de même nom, la capitale de même nom (Tell Tayinat) est restaurée pour devenir un centre provincial assyrien, et les fouilles y ont mis au jour un palais assyrien, ainsi qu'un sanctuaire érigé vers la même période[246]. Mais le pouvoir assyrien ne s'intéresse pas qu'aux centres de provinces : à Du'ru (Tel Dor) dans la province de Megiddo, Sargon érige un comptoir commercial (karū), les fouilles ont révélé que ce site auparavant délaissé fait l'objet de réaménagements et connaît un nouvel essor[247]. Cela s'accompagne du développement dans les inscriptions officielles de Sargon d'une rhétorique mettant en avant la reconstruction après le saccage, absente aux époques antérieures[248].
Rapports avec les vassaux
Le mouvement de provincialisation n'empêche pas la subsistance de royaumes vassaux, tant qu'ils ne sont pas en opposition répétée à la domination assyrienne. Ils fonctionnent souvent comme des États-tampons face à des royaumes ennemis, ou des régions d'où peuvent venir des périls. Il en est ainsi des royaumes de Shubria et de Kumme, situés au nord de l'empire face à l'Urartu. Le second, lié par un traité à l'Assyrie, doit lui fournir des hommes, aussi du bois et des chevaux (les « spécialités » des régions du nord), ainsi que des informations sur ce qui se passe dans les régions voisines, notamment chez l'ennemi. Mais il joue parfois double jeu en fournissant des informations à l'Urartu. Un délégué du pouvoir assyrien (qēpu), nommé Assur-resh-uwa, est présent en permanence dans ce royaume, et il a un accès privilégié au souverain local, influence ses décisions, et informe le roi assyrien sur ses agissements. Cette présence est mal vécue à Kumme, que cela soit lié ou non à la personne de l'ambassadeur, et la situation s'envenime jusqu'à dégénérer dans la violence, qui conduit au renforcement de l'emprise assyrienne, le royaume étant peu après intégré directement à la province assyrienne voisine[249].
D'autres vassaux vivent mieux leur situation et se glorifient de leur proximité avec le roi assyrien, qui leur assure souvent de perdurer dans leur royaume contre des adversaires intérieurs ou extérieurs, et peut leur être bénéfique politiquement. Ainsi, dans une inscription en araméen le roi Bar-rakib de Sam'al mentionne comment sa proximité avec le roi Tiglath-Phalazar lui a permis de succéder à son père sur le trône de son royaume, a conforté la position de sa dynastie et peut-être contribué à son enrichissement[250]. Plusieurs textes indiquent que le roi assyrien sait également se montrer généreux envers ses fidèles en leur offrant des cadeaux honorifiques ; des ambassadeurs levantins venant porteur du tribut au palais royal à l'époque de Sargon se voient ainsi offrir des objets précieux tels que des bracelets en or et en argent[251]. Les mariages diplomatiques sont également un moyen de renforcer la fidélité des vassaux : Sargon donne une de ses filles, Ahat-abisha, en mariage à Ambaris de Bit-Purutash, dans le Tabal. Ce fut peine perdue, puisqu'Ambaris rejoint par la suite l'alliance de l'Urartu et des Mushki, ce qui se solda par sa défaite et l'annexion (éphémère) de son royaume[252].
Du point de vue assyrien, la domination sur les autres pays reste un instrument de prestige et un moyen d'acquisition de richesses. Dans les textes officiels, on distingue le butin (ḫubtu/šallutu) pris sur les vaincus, le tribut (biltu/maddattu) versé par les vassaux, les présents (nāmurtu/tāmartu) offerts par les vassaux et alliés (notamment lors d'audiences, au cours desquelles ils recevaient également un cadeau, en guise de contre-don, comme évoqué plus haut). Néanmoins la création de nouvelles provinces et la croissance des recettes fiscales qui va avec semblent avoir relativisé l'importance financière des richesses venant des autres royaumes[228].
Dans certains cas le versement du tribut a un aspect transactionnel : le Second livre des Rois mentionne ainsi le fait que le roi Menahem d'Israël verse à Tiglath-Phalazar (Pul dans la Bible) mille talents d'argent pour qu'il l'aide à consolider sa situation dans son royaume, où elle est menacée[253]. Ce versement de tribut apparaît aussi dans les annales du roi assyrien, noyé sous le flot de richesses qu'il prélève sur les rois du Levant :
Les bas-reliefs du palais royal de Khorsabad mettent ainsi en scène les défilés de plusieurs pays, comme les Phéniciens transportant des arbres sur un bateau, ou les Mèdes offrant des chevaux[256].
- Transport de cèdre du Liban. Musée du Louvre.
- Tributaires conduisant des chevaux, provenant peut-être de Médie ou du pays de Mushki. Musée de l'Oriental Institute de Chicago.
- Porteurs de tribut d'Urartu. Musée national d'Irak.
- Porteurs de tribut, copie de bas-relief par Eugène Flandin.
L'organisation militaire
L'armée semble reposer de plus en plus sur des corps de soldats permanents, et moins sur les conscrits. Cela serait lié aux réformes voulues par Tiglath-Phalazar III. Néanmoins l'organisation générale de l'armée reste mal connue, malgré l'appui de documents fournissent des informations sur l'organisation militaire, notamment un ensemble de textes administratifs listant des chevaux de l'armée provenant de l'arsenal de Kalkhu (Nimrud Horse Lists) et une lettre fournissant la composition d'un corps d'armée de petite taille dépêché dans la province de Mazamua. Le cœur de l'appareil militaire assyrien est la « cohorte du roi » (kiṣir šarri), corps de troupes professionnelles, qui comprend notamment les troupes personnelles du roi, divisées entre des gardes du corps / commissaires, ša qurbute, et des gardes personnels, ša šēpē, et d'autres unités placées dans les villes et les provinces. Selon la reconstitution traditionnellement admise, le reste de l'armée est constitué de la « troupe du roi » (ṣab šarri), disséminées dans les provinces, regroupant des garnisons et sortes de forces de gendarmerie. Des conscrits peuvent être levés selon les besoins pour la constituer. L'armée assyrienne est finalement composée d'un grand nombre de corps de troupes disséminés dans tout l'empire, sous le commandement des gouverneurs provinciaux et magnats, ceux qui ont la confiance du roi, surtout s'ils sont sur les frontières[257],[258],[259]. La troupe de Mazamua, qui fait partie des « troupes du roi », donne une idée de la composition des troupes assyriennes au temps de Sargon II : elle comprend 1 430 hommes comprenant un groupe de 630 « Assyriens », dont les soldats sont 106 hommes de chars, 161 cavaliers, 80 fantassins/éclaireurs, appuyés par du personnel non militaire, 69 chargés de la logistique et de la domesticité (palefreniers, magasiniers, cuisiniers, tailleurs, etc.), 8 « savants » (qui réalisent des rites divinatoires avant les combats), des conducteurs d'ânes ; viennent en appui des troupes d'auxiliaires non assyriens, 800 personnes, soit plus de la moitié de la troupe[260],[261]. Les armées assyriennes ont en effet pris l'habitude d'intégrer des troupes étrangères parmi des peuples dont les qualités guerrières sont manifestement reconnues, et peut-être plus généralement pour des nécessités de recruter des soldats au sein d'un dispositif militaire qui doit couvrir de plus en plus de régions[262].
Dans les affaires militaires l'information est également primordiale, et l'Assyrie s'appuie sur un système de renseignement qui vise à collecter un maximum d'informations sur ses potentiels ennemis. Cela renvoie au devoir de vigilance des serviteurs du roi : les gouverneurs et officiers militaires des provinces frontalières, les rois vassaux et les représentants du roi assyrien auprès de ces derniers sont ainsi tenus d'envoyer des rapports sur les événements significatifs qui surviennent aux frontières et à l'étranger. Pour le règne de Sargon II ce sont les rapports sur la situation de l'Urartu qui sont les plus fournis. Les informations sont souvent transmises par le prince biais du héritier Sennachérib, peut-être parce qu'il est chargé de les traiter à un moment où le roi est en campagne hors d'Assyrie. On y apprend également que les Assyriens ont des éclaireurs / espions (daiālu), qui patrouillent depuis les garnisons frontalières et peuvent s’infiltrer en pays ennemi, parfois jusqu'à la capitale de l'Urartu, Turushpa[263],[264].
- Cavaliers assyriens au combat. Bas-relief du Palais central de Nimroud, British Museum.
- Soldats assyriens emportant des statues de divinités de vaincus. Bas-relief du Palais central de Nimroud, British Museum.
- Fantassins assyriens, bas-relief du palais d'Arslan Tash (Hadatu), seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C. Musée du Louvre.
- Soldats assyriens tenant des têtes d'ennemis tués au combat, bas-relief du palais de Tell Tayinat, v. 738 av. J.-C. Musée de l'Institut oriental de Chicago.
- Archers assyriens à l'assaut d'une ville. Bas-relief de Dur-Sharrukin, Musée national d'Irak.
- Représentation du sac du temple de Haldi à Musasir. Copie d'un bas-relief de Dur-Sharrukin par Eugène Flandin.
Les déportations
La politique de destructions, répression et de terreur des rois assyriens envers les rois rebelles se poursuit comme durant la précédente phase d'expansion. La population des pays vaincus subit quant à elle une déportation[267]. Ce genre de pratique a deux objectifs principaux : détruire l'identité des pays vaincus, et ainsi briser leur résistance future ; envoyer des populations laborieuses vers des régions où le pouvoir assyrien a besoin d'elles, dans les capitales assyriennes, ou bien des campagnes à mettre en valeur[205]. En effet dans le monde antique les ressources manquantes sont plus souvent les hommes que les terres. Dans la rhétorique royale, la déportation de population est désormais intimement liée à celle de l'organisation des pays conquis, et accompagne le processus de provincialisation. L'assimilation est un objectif évoqué explicitement à plusieurs reprises dans les discours officiels de l'époque, surtout à partir de Sargon II, alors qu'elles sont quasiment inexistantes auparavant : l'expression consacrée figurant dans les inscriptions royales est « avec les gens d'Assur je les comptai : taille et corvée comme aux Assyriens je leur imposai[268],[269]. »
Avec Tiglath-Phalazar III, les déportations deviennent plus massives. De plus larges segments des populations des pays vaincus sont déportés, plus seulement les élites et des spécialistes de certains métiers demandés. Les gens ne sont plus simplement envoyés vers l'Assyrie, ils sont aussi dirigées vers d'autres provinces et les déportations touchent également des rebelles d'Assyrie, envoyés vers des provinces périphériques. Ils sont souvent divisés afin d'être plus facilement diluées dans la masse de la population de la région où ils arrivent. Cela peut donner lieu à des mouvements complexes, par exemple des déportés de la prise de Samarie de 722 sont établis dans les provinces de Médie, d'où sont déportés des gens vers Assur, d'où sont également déportés, à la suite d'une révolte en 720, des gens vers Hamath, qui elle-même fournit une partie des déportés qui sont établis à Samarie[270],[271],[272]. Selon les estimations tirées des inscriptions royales, Tiglath-Phalazar III aurait fait déporter au moins 368 000 personnes, Sargon II 217 000[111]. La fiabilité de ces chiffres est discutée, mais c'est manifestement un phénomène massif, qui a un impact significatif sur la démographie et la composition ethniques des régions touchées[273],[274].
Les files de déportés figurent souvent sur des bas-reliefs, en particulier au VIIe siècle av. J.-C., et les lettres de l'époque de Sargon éclairent la mise en pratique de ces déportations, et les conditions dans lesquelles elles se font. On prépare des provisions pour les voyages, également de quoi vêtir les déplacés[275]. Les voyages peuvent être une épreuve, une lettre révélant la souffrance de prisonniers lors d'un de ces déplacements en pays montagneux. Une autre contient la plainte d'un fonctionnaire qui constate que les rations ne suffiront pas jusqu'au bout du trajet prévu[276]. Une lettre montre qu'une fois sur place, le gouvernement assyrien se charge de trouver des épouses à des déportés, et prend en charge le paiement du « prix de la mariée », ce qui contribue au mélange des populations de l'empire[277]. Les conditions des déplacés dans leur pays d'accueil varient du reste selon leur affectation. En effet ils font l'objet d'une répartition par l'administration locale une fois arrivée sur place, en fonction des besoins. Ceux qui sont spécialistes d'un métier artisanal, intellectuel ou militaire ont probablement une meilleure situation que d'autres qui ont une condition servile ou proche. Les familles semblent être dans bien des cas séparées, les hommes affectés aux travaux des champs et les femmes à la domesticité[278].
Un empire sans rival (704-640)
Les victoires militaires et réformes administratives de Teglath-Phalasar III et Sargon II ont abouti à la constitution d'un empire sans équivalent dans le monde antique de l'époque. Les rois de la dynastie des « Sargonides », qui comprend Sargon et ses descendants, sont donc les personnages les plus puissants du monde de leur temps et la période est couramment considérée comme l'apogée de l'empire. Ils poursuivent l'expansion de l'empire, et parviennent à affirmer leur suprématie jusqu'en Égypte et en Élam. Ils échouent cependant à trouver une solution en mesure de leur assurer durablement la domination de la Babylonie. L'autre point de faiblesse majeur de l'empire se trouve à son sommet, secoué par plusieurs révoltes qui déchirent la famille royale.
Le centre de l'Assyrie est alors devenu une région très peuplée, autour de sa nouvelle capitale Ninive, qui est à la fois un lieu de pouvoir, un grand centre religieux et intellectuel, et une ville aux proportions gigantesques pour l'époque. Les archives de la période provenant du centre du royaume concernent moins les relations entre le roi et ses gouverneurs que celles qu'ils entretiennent avec leur cour, et notamment les savants qui les conseillent dans leurs rapports avec les dieux. Les découvertes artistiques faites dans les palais de Ninive constituent également une documentation importante. D'autres cités de l'empire ont fait l'objet de fouilles pour des niveaux de la période, qui ont dégagé des bâtiments, décors architecturaux, objets et tablettes. Même pour cette période qui constitue son apogée, il est néanmoins impossible de reconstituer le fonctionnement de l'empire de façon complète.
Les règnes des Sargonides
Sennachérib prend le pouvoir dans des circonstances difficiles, l'Assyrie perdant une partie de ses possessions en Anatolie du sud-est à la suite de la mort de Sargon II. Mais c'est un homme déjà expérimenté dans l'exercice du pouvoir car il seconde son père depuis longtemps. Une de ses premières décisions est de quitter la capitale de son père pour en fonder une nouvelle à Ninive. Il doit assez vite se rendre en Babylonie, région qui va l'occuper durant le reste de son règne. Marduk-apla-iddina y est encore actif, et il a gagné le soutien constant des Élamites, en plus des groupes chaldéens, araméens et arabes de la région. Il faut deux ans pour les vaincre. Les troupes assyriennes doivent ensuite réprimer un soulèvement au Levant, campagne évoquée dans la Bible car elle ravage une partie du royaume de Juda (notamment le siège de Lakish ; mais la capitale Jérusalem n'est pas prise). Rapidement la Babylonie revient au cœur des préoccupations du roi assyrien : une révolte y éclate, à nouveau (et pour la dernière fois) à l'instigation de Marduk-apla-iddina, elle est matée et Sennachérib décide de placer son fils Assur-nadin-shumi sur le trône babylonien. Quelques années plus tard une campagne est menée sur les côtes élamites, sans succès, et provoque une réplique sans précédent : les Élamites envahissent la Babylonie, les habitants de Babylone lui livrent Assur-nadin-shumi, qu'ils emportent dans leur pays, sans doute pour le mettre à mort. La guerre fait rage dans les années suivantes, et se conclut par la destruction de Babylone par Sennachérib en 689, acte qui devait être extrêmement controversé en raison du caractère sacré de la cité. Les années suivantes sont plus pacifiques dans l'empire. Les troubles viennent du sommet de l’État : vers 683, Sennachérib choisit un nouveau prince héritier, Assarhaddon, à la place d'Urdu-Mulissu (ou Arda-Mulissu) qui avait ce statut jusqu'alors. Les tensions liées à ce changement se concluent par l'assassinat de Sennachérib en 681 à l'instigation de l'héritier déchu[281],[282]
Assarhaddon parvient à vaincre les révoltés après une guerre difficile, les régicide prenant la fuite. Le roi en garde une grande méfiance envers l'élite dirigeante de l'empire, et il élimine ceux qui sont impliqués dans la conspiration. Il doit ensuite restaurer l'autorité de l'Assyrie au nord et à l'ouest. En Anatolie du sud-est, la Cilicie soulevée est vaincue, les Cimmériens qui attaquent la région sont défaits, le pays de Shubria est annexé. Au Levant, un soulèvement en Phénicie est réprimé, et une nouvelle province est formée autour de Sidon. Ce sont les derniers gains territoriaux significatifs de l'empire assyrien à proprement parler. La paix est conclue avec l'Élam en 674, et Assarhaddon choisit l'apaisement en Babylonie en entreprenant la reconstruction de Babylone. Les troupes assyriennes combattent ensuite en pays mède à l'est, contre les Arabes au sud-ouest, puis un conflit s'engage contre l'Égypte dont les rois tentent de perturber la domination assyrienne au Levant sud. L'armée assyrienne envahit la vallée du Nil, et prend Memphis en 671. Les différents rois qui se partagent ce pays deviennent vassaux de l'Assyrie. Ce succès sans précédent pour un royaume mésopotamien est perturbé par la découverte de conjurations en Assyrie, ce qui conduit à une nouvelle épuration de l'élite impériale et renforce la paranoïa du monarque. Affaibli par les maladies, il a alors préparé sa succession en nommant son fils Assurbanipal successeur en Assyrie, et un autre de ses fils Shamash-shum-ukin (l'aîné du précédent) prince héritier de Babylone. Les dignitaires de l'empire doivent prêter un serment dans lequel ils promettent de respecter cette décision. Alors qu'il prépare une nouvelle campagne en Égypte, où la domination assyrienne a rapidement été secouée, il trouve la mort sur le chemin de la vallée du Nil en 669[283],[284].
Assurbanipal monte sur le trône assez jeune, et la transmission du pouvoir est assurée sa grand-mère Naqi'a / Zakutu (les deux noms qui lui sont connus, signifiant « Pure », respectivement en araméen et assyrien) qui a joué un rôle de premier plan dans l'empire sous le règne d'Assarhaddon. Elle fait passer un nouveau serment de loyauté concernant la passation du pouvoir. Shamash-hum-ukin monte en même temps sur le trône de Babylone, dans une position de vassal. Sur les champs de bataille, l'armée assyrienne paraît encore invincible et parvient à étendre son emprise plus loin que jamais sous Assurbanipal. L'Égypte fait l'objet de nouvelles campagnes, et en 664 Thèbes est investie. La même année l'Élam rompt le traité de paix, déstabilisant à nouveau le sud-est de l'empire. Après plusieurs campagnes difficiles, en 653 l'Assyrie remporte une victoire importante en pays élamite, sur la rivière Ulai, mais les différents rois élamites restent indépendants. L'année suivante Shamash-shum-ukin se révolte contre son frère, et reçoit le soutien des Élamites et d'une partie des cités de Babylonie. Le conflit est marqué par des affrontements très violents, et dure plus jusqu'en 648, quand Babylone tombe, Shamash-shum-ukin trouvant alors la mort. Il est remplacé par Kandalanu, un souverain fantoche aux origines indéterminées, qui reste fidèle à l'Assyrie. L'Élam subit ensuite la vengeance assyrienne : sa principale ville, Suse est prise et pillée en 647. C'est un autre exploit sans précédent pour les troupes assyriennes, mais l'Égypte a alors échappé au joug assyrien puisque son roi Psammétique Ier a réunifié le pays et s'est dégagé de son statut de vassal, mais reste un allié de l'empire. Durant ces mêmes années plusieurs campagnes sont menées contre les tribus arabes. Après 639, les informations sur le règne d'Assurbanipal se tarissent, ce qui semblerait indiquer qu'une crise grave a démarré[286],,[287]
Ninive et sa région
Dès sa montée sur le trône, Sennachérib abandonne la capitale de son père, peut-être en partie motivé par la mort au combat de ce dernier, qui est vue comme la conséquence d'une malédiction. Quoi qu'il en soit il capitalise sur les avantages de Ninive, cité bien située et riche d'un passé et d'un prestige conséquents. La capitale qu'il érige occupe plus du double de la surface des précédentes, puisqu'elle atteint 750 hectares intra muros. Elle accueille des habitants déplacés depuis l'ancienne capitale, en premier lieu la cour et l'administration centrale, mais aussi de toutes les régions de l'empire, Sennachérib étant, si on se fie aux chiffres qu'il donne, le roi assyrien qui a déporté le plus de personnes. Elle profite notamment d'un afflux de spécialistes dans divers métiers artisanaux et intellectuels qui en font rapidement un foyer culturel de premier ordre, et le lieu où il faut être pour connaître une carrière réussie, au plus près du pouvoir. Conservant son statut jusqu'à la chute de l'empire, elle en vient à prendre une importance considérable dans l'empire, que n'avaient pas les capitales antérieures[289].
La ville reprend les principes d'aménagement spatial des capitales assyriennes. Ninive dispose déjà de deux tells. La colline dont le nom moderne est Quyunjik, son lieu d'occupation historique, où se trouve le temple d'Ishtar, l'un des plus importants de l'Assyrie. On y trouve aussi un ou plusieurs palais royaux arasés lors des travaux de Sennachérib, qui y érige son « Palais sans rival », le « Palais sud-ouest » des archéologues, un vaste édifice nécessitant la construction d'une terrasse de 500 × 250 mètres. La grande salle du trône a été repérée, avec les grandes cours organisant la circulation dans l'édifice, ainsi qu'un ensemble de « suites » qui devaient être affectées à la famille royale et aux grands dignitaires. Les bas-reliefs ornant les murs représentent surtout des scènes guerrières, et ils sont parfois émaillés d'inscriptions courtes les décrivant. Une grande partie de l'édifice n'a pas pu être dégagée lors de fouilles[290]. Assurbanipal érige un nouveau palais à l'autre bout du tell, le « Palais Nord », auparavant un palais destiné au prince héritier. Seule sa partie centrale a été dégagée, avec de nombreux bas-reliefs (eux aussi parfois accompagnés d'inscriptions explicatives), notamment ceux représentant des scènes de chasse au lion[291]. L'autre tell de Ninive porte de nos jours le nom de Nebi Yunus, du nom du prophète Jonas dont on y trouve la tombe supposée. La présence de ce lieu de culte y a limité les possibilités de fouilles. Comme dans les autres capitales cette colline a accueilli un arsenal, érigé sous Sennachérib puis restauré par ses successeurs[292]. La ville basse est fermée par une enceinte de 12 kilomètres de long percée de plusieurs portes monumentales, et traversée par de larges avenues conduisant aux lieux principaux de la ville[293]. L'autre grand volet des travaux concerne la campagne environnante, et notamment l'aménagement d'un réseau de canalisations à même de fournir la ville et d'irriguer les campagnes. Pour cela des sources sont captées à 3 et 13 kilomètres en amont de Ninive, et des canaux, barrages et aqueducs, dont l'aqueduc de Jerwan, sont construits[294]. Les jardins ou parcs (kirimāḫu) ont une place importante dans les inscriptions de fondation néo-assyriennes, en particulier sous les Sargonides. Les rois cherchent à les faire à l'image des régions montagneuses (« comme le mont Amanus »), y introduisent des plantes et animaux venus de différentes régions de l'empire, symbolisant leur capacité à dominer et à organiser leur empire, à être des jardiniers et également des chasseurs, puisqu'ils y aménagent aussi des espaces giboyeux[295].
Des villes voisinant Ninive sont également concernées par des travaux sous les Sargonides. À Tarbisu (Sharif Khan), Sennachérib restaure le temple de Nergal[296] et Assarhaddon construit un palais pour le prince héritier[291]. Un nouveau palais semble également construit à Shibaniba (Tell Billa)[137].
- Plan d'ensemble de Ninive au VIIe siècle av. J.-C.
- Plan de localisation des zones fouillées des bâtiments principaux du tell de Quyunjik, avec leur extension possible (une grande partie des palais n'a pas été dégagée).
- Représentation des murailles de Ninive sur un bas-relief du Palais Nord. British Museum.
- Localisation des principaux aménagements hydrauliques de la région de Ninive au VIIe siècle av. J.-C.
- Ruines de l'aqueduc de Jerwan.
- Représentation des jardins royaux de Ninive sur un bas-relief du Palais Nord. British Museum.
- Stèle portant une inscription de Sennachérib commémorant le chantier de Ninive. Musée archéologique d'Istanbul.
Assur : culte et résidences
Assur conserve son statut éminent car elle reste la ville du dieu Assur, et plus largement le principal centre religieux de l'Assyrie, où se trouvent des temples dédiés aux principales divinités du pays (Ishtar, Anu, Adad, Sîn, Shamash, aussi Nabû à la fin de la période). Les rois n'y résident plus que pour les périodes de grandes fêtes religieuses où ils doivent être présents en tant que grands prêtres du dieu Assur, mais la ville dispose de privilèges importants, comme une franchise commerciale. Elle a pu être comparée à une sorte de « Vatican assyrien »[164].
Le temple d'Assur reste le centre symbolique du royaume, ce qui se manifeste toujours par le fait que les provinces contribuent à tour de rôle à son culte, donc aux repas quotidiens du dieu, et le refus d'y participer et considérer comme un acte de rébellion. Les statues des divinités des pays étrangers vaincus par l'Assyrie sont couramment emmenées dans le sanctuaire, de la même manière qu'on prend en otage des princes qui vont vivre dans le palais royal ; au cours d'une campagne en Arabie, Sennachérib s'empare ainsi des statues des grands dieux des temples d'Adummatu (Dumat Al-Djandal) qu'il installe dans le temple[297].
Mais ce sont surtout les relations avec Babylone qui vont motiver les changements cultuels qui surviennent sous ce roi, de façon à rivaliser avec la cité honnie et son dieu Marduk. Quand il détruit la cité en 689, il emporte la statue de Marduk en Assyrie, adapte le mythe d'élévation du dieu babylonien à la royauté divine, Enūma eliš, en remplaçant Marduk par Assur, et transpose également à Assur le rituel Akitu du Nouvel An qui s'appuie sur ce mythe. Un programme de constructions accompagne ce programme, en contrepoint de la destruction des lieux de culte de Babylone : le temple d'Assur est agrandi, et on construit un Bâtiment de l'Akitu, servant lors du rituel du même nom, à l'image de celui qui existe à Babylone[298],[299],[296].
Les découvertes faites à Assur pour le VIIe siècle av. J.-C. concernent également de nombreuses zones privées, où ont été dégagées des maisons, aussi bien riches (à cour centrale et nombreuses pièces) que modestes (des résidences linéaires à 4-6 pièces)[300]. Il s'agit de la majorité des maisons fouillées pour la période néo-assyrienne. Elles ont livré du matériel domestique et plusieurs lots de tablettes qui offrent une documentation sur la vie économique de la cité, aussi sur les activités intellectuelles, qui sont des sources fondamentales pour reconstituer la vie des anciens Assyriens[301],[302].
Le roi, un homme à part
- Sennachérib sur son trône contemple les prises faites à Lakish. Bas-relief du Palais sud-ouest, British Museum. L'inscription dit : « Sennachérib, roi du monde, roi d'Assyrie, s'assit sur un trône-nēmedu, et le butin de Lakish passa en revue devant lui[303]. »
- Le roi Assurbanipal inspecte les troupes et le tribut, lors d'une campagne dans le sud de la Babylonie. Bas-relief du Palais sud-ouest, British Museum.
- Assurbanipal poignarde un lion bondissant sur lui. Bas-relief du Palais nord, British Museum.
Au contact des dieux
Choisi par les dieux, en premier lieu par Assur, pour exercer sa fonction, le roi occupe une place à part, sorte d'intermédiaire entre les mondes humain et divin, exécutant des ordres des dieux. Il répond de ses actes uniquement auprès de ceux-ci, ce qui rend ses ordres à ses subordonnés, la « parole royale » (abat šarri), incontestables. Il doit néanmoins faire preuve d'une conduite juste[305]. Cela se retrouve dans l’« Hymne de couronnement » du roi Assurbanipal (la dénomination est due aux historiens modernes), un texte qui a sans doute été rédigé pour un rite de couronnement, dont on ne sait pas s'il a lieu uniquement lors de l'intronisation d'un roi, ou bien s'il est répété chaque année. Le texte paraphrase à plusieurs reprises un texte plus ancien de rituel de couronnement, d'époque médio-assyrienne, mis au jour à Assur, notamment par la répétition de la formule « Assur est roi ! » Cet hymne peut être vu comme une synthèse de l'idéologie royale assyrienne sur la domination et la mise en ordre du monde. On y trouve le souhait que le roi reçoive en don « commandement, attention, vérité et justice ». Ce texte « cristallise la chaîne opératoire de l'interaction du roi avec ses sujets, le roi gagnant à la fois leur attention (šemû) et l'obéissance (magāru) de ses vassaux par son commandement (qabû), établissant ainsi l'ordre et la stabilité du cosmos (kittu) , ainsi que l'ordre social intérieur (mīšaru) et la paix (salīmu). » (B. Pongratz-Leisten). D'après le texte, le règne de la concorde et la prospérité dans le pays se traduit concrètement par de justes prix pour les produits de base que sont le grain, l'huile et la laine[306].
Le charisme et le caractère sacré du roi sont de plus en plus prononcés au fil du temps, et cela est très marqué sous les Sargonides. Ils font de lui un homme à part. Un texte littéraire indique que le souverain est façonné par les dieux d'une manière différente des hommes ordinaires, avec une silhouette agréable, un visage parfait, un corps bien bâti[307]. Il émane de lui des attributs normalement associés à la divinité, comme le melammu, une aura lumineuse et terrifique, et il doit être tenu à l'écart de tout maléfice et de toute souillure[308],[309]. Du reste, comme vu plus haut des images de rois assyriens reçoivent des sacrifices, donc une forme d'hommage normalement dû aux dieux. Assarhaddon installe ainsi dans plusieurs temples des images en or et pierres précieuses le représentant lui et ses deux fils héritiers, sur le même podium que les divinités[310]. En revanche il y a très peu d'indices de l'existence de critiques voire d'oppositions aux discours valorisant la royauté, et de tentatives de poser des limites à l'autorité royale. On trouve plutôt dans les textes littéraires une critique de rois passés vus comme impies (surtout à l'encontre de la ville sainte de Babylone), et des injonctions à respecter les prérogatives des temples (et donc des dieux)[311],[312],[313].
Par rapport à leurs prédécesseurs directs, qui avaient tendance à se mettre en avant personnellement dans leurs inscriptions officielles, les récits des campagnes militaires de l'époque d'Assarhaddon et d'Assurbanipal mettent plus l'emphase sur leur rôle d'instrument des volontés divines, sur le fait qu'ils reçoivent leur assistance et aussi qu'ils communiquent avec eux par la divination afin de connaître leurs avis et directives sur la conduite de l'empire[314]. La communication entre le roi et les dieux est donc primordiale. Afin de connaître les volontés divines, le roi est entouré de devins, qui procèdent à des rituels divinatoires, notamment d'hépatoscopie ou extispicine (lecture dans les foies et entrailles d'agneaux de messages envoyés par les dieux Shamash et Adad qui gouvernent cet art) ou bien observent les présages, notamment astrologiques, et il se tient au courant des vaticinations des prophètes de certaines divinités (notamment Ishtar d'Arbèles) et des rêves prémonitoires des spécialistes d'oniromancie. Quand un malheur est annoncé, il faut procéder à des rituels pour les déjouer, ce qui est le rôle des exorcistes et des lamentateurs. Ces spécialistes ont un rôle semblable à celui des gardes du corps devant protéger le roi. Quand il accomplit les directives divines (guerre, construction de temple), le roi en informe les dieux, notamment par le biais de lettres qui leur sont adressées[315]. La dynastie sargonide semble aussi voir les rois accorder une plus grande importance aux disciplines savantes, et une nouvelle facette intellectuelle est ajoutée à la figure du roi idéal, doué de sagesse et d'expertise[316].
Les rois assyriens sont, comme toujours, présentés comme devant leur pouvoir au dieu Assur. La structure du panthéon assyrien, du moins dans sa formulation officielle, est celle d'une monarchie absolue au sommet de laquelle trône ce dieu. Son élévation est à ce point prononcée que certains ont voulu y voir une préfiguration du monothéisme, ce qui est sans doute excessif[317]. Il est au moins clair que la place prise par Assur dans la religion assyrienne reflète l'affirmation de l'empire dont il est considéré comme le véritable monarque, et que cet ordre hiérarchique offre comme toujours en Mésopotamie un modèle pour celui que les souverains souhaitent voir appliquer dans le monde terrestre. Depuis le règne de Sargon II, le dieu national est assimilé à la divinité primordiale Anshar, ce qui est facilité par la proximité des deux noms. Cela permet de conférer au dieu assyrien une stature supérieure d'antériorité par rapport aux autres divinités associées à la royauté, Enlil et surtout le babylonien Marduk, qui est en quelque sorte son rival[318]. Sennachérib en particulier instaure un programme politico-religieux d'élévation de ce dieu, qui s'accomplit en reprenant les attributs de Marduk, et s'accompagne de constructions dans la ville d'Assur. Mais cela semble surtout destiné à l'Assyrie et pas au reste de l'empire, et ses successeurs semblent avoir tempéré cette tendance[319]. Quand ils patronnent les temples de Babylonie, ils se gardent bien d'y reproduire la hiérarchie qu'ils présentent en Assyrie, qui fait de Marduk le fils d'Assur, et ils préfèrent reprendre la politique d'entretien des dieux et temples locaux des rois babyloniens, ce qui accompagne leur politique d'apaisement après les destructions du temps de Sennachérib[320].
Une autre divinité occupe une place de premier ordre dans la fabrication du roi assyrien à l'époque sargonide, la déesse Ishtar. Cette déesse fait traditionnellement partie du groupe des divinités mésopotamienne qui octroient la souveraineté. En Assyrie, elle dispose de deux manifestations plus importantes que les autres, attestées depuis de nombreux siècles avant la période, Ishtar de Ninive et Ishtar d'Arbèles. La seconde a un aspect guerrier très prononcé. Des textes de l'époque, comme un hymne à Assurbanipal, font de la déesse, notamment sa variante ninivite, une mère qui enfante le roi, d'autres fois une sage-femme qui l'aide à venir au monde, ou une nourrice qui l'allaite[321],[322],[323]. Une autre divinité importante de la Haute Mésopotamie qui a les faveurs d'Assarhaddon et d'Assurbanipal est le dieu-lune Sîn de Harrân (près de l'actuelle Şanlıurfa). Il confère également la souveraineté et conforte leur légitimité dans les régions occidentales où il est très populaire, et semble plus généralement disposer d'un statut spécial pour leur dynastie[324],[325]. Nabû, le dieu de la sagesse originaire de Babylonie, a également gagné en importance dans les discours et la piété des rois[317], sans doute dans un but de concilier les traditions religieuses assyriennes et babyloniennes[326].
Une vie ritualisée
Par son positionnement à la jonction entre le monde des humains et celui des dieux, le roi mène une vie très codifiée et ritualisée[327].
Le commun des mortels n'a pas accès au roi, et même pour les courtisans cela peut s'avérer difficile. Sargon II paraît assez accessible si on en juge par des lettres de son époque, mais ses successeurs semblent plus protégés et difficiles à rencontrer, ce qui semble une conséquence de l'assassinat de Sennachérib. Des fonctionnaires sont assignés à la surveillance de l'accès au roi, une audience particulière avec celui-ci nécessite la présentation d'un document officiel frappé du sceau royal valant convocation, et un rite divinatoire devait confirmer que la rencontre avec le roi était approuvée par les dieux. Durant l'audience, le roi n'est pas visible directement. Il est également difficile de lui écrire directement, seule une minorité ayant ce privilège. En revanche il se met en scène lors d'événements savamment orchestrés où il apparaît dans toute sa majesté : des triomphes militaires, des chasses royales, et surtout les audiences et réceptions des vassaux et ambassadeurs étrangers dans sa salle du trône, où il faut traverser la pièce en longueur avant de parvenir au roi, assis sur son trône, lui-même installé sur une estrade afin qu'il surplombe les visiteurs, qui doivent se prosterner devant lui[328],[329].
Les banquets royaux, associant le roi et ses principaux dignitaires, sont régis par un protocole précis, connu par une tablette : le roi s'installant en premier, devant l'entrée, de la sorte qu'à chaque fois qu'un convive rentre il doit lui rendre hommage ; chacun des dignitaires rentre dans un ordre défini et s’assoit à une place assignée en fonction de son rang[330]. Les banquets royaux, en petit comité ou bien avec un grand nombre d'invités (à l'image de ceux tenus lors des fondations de Kalkhu et de Dur-Sharrukin), sont un thème existant dans les inscriptions et les images officielles depuis le début de l'époque néo-assyrienne, mais secondaires par rapport aux guerres, aux chasses et aux rituels. Ils sont tout de même « un produit de l'appareil d’État — politique autant que cérémoniel — communiquant à la fois sur les différences de statut, la générosité du roi, le pouvoir, et l'abondance » (I. Winter)[331].
Tout un ensemble de rituels religieux émaillent la vie du roi, en tant que vicaire et grand prêtre du dieu Assur. En raison de ses nombreuses obligations, le roi ne peut être présent physiquement à toutes les cérémonies qu'il devait normalement diriger. Il peut cependant se faire représenter par son manteau (kuzippu) ou par un prêtre. Parmi les cérémonies les plus importantes liées à la royauté assyrienne, souvent connues par des textes fragmentaires, on connaît le bīt rimkī, bain rituel ayant une fonction purificatrice, et le takultu, repas auquel sont conviés les dieux une fois par an afin d'assurer la prospérité de l'Assyrie. Lors de sortes de pèlerinages, le roi participe aux principales fêtes des grands lieux de culte assyriens, à Ninive, Arbèles, Kilizu, Kalkhu, aussi dans les grands centres religieux de Haute Mésopotamie, Guzana et Harran, et en Babylonie, à l'occasion de ses séjours dans la région[332].
Le plus dramatique des rituels liés à la protection du roi est celui du « substitut royal », qui a pour origine un présage funeste annonçant la mort du souverain, souvent une éclipse de lune ou de soleil, ou l'occultation d'une planète associée à une divinité spécifique[333],[334]. Les exorcistes qui mènent le rituel ont alors recours à un procédé de substitution courant dans la magie mésopotamienne : on transfère le mal sur un individu qui est fictivement intronisé puis mis à mort, accomplissant ainsi la prédiction, alors que le roi devient un « laboureur », c'est-à-dire un simple mortel. Le transfert peut se faire sur un individu jugé sans importance (prisonnier, condamné, simple d’esprit), ou bien un opposant, une population insoumise qu'il s'agissait ensuite de châtier, mais dans quelques cas c'est un dignitaire qui se dévoue pour le roi. Une fois le substitut mort et inhumé, le roi reprend sa place en sécurité.
Les palais royaux et leur personnel
Au VIIe siècle av. J.-C. l'organisation spatiale du pouvoir assyrien est structurée autour de ses palais royaux, aussi bien ceux du cœur de l'empire que ceux des provinces (qui, en principe, sont des palais du roi), qui servent à la fois de centre du pouvoir, de l'administration, de lieu de vie du roi, de sa famille et d'une partie de l'élite dirigeante, de lieu de tenue de réceptions et d'autres cérémonies officielles, aussi d'institution économique gérant son personnel et ses ressources[335]. Les palais royaux sont les monuments majeurs de l'empire néo-assyrien, une sorte de « vitrine » de l'empire, les inscriptions royales évoquant souvent le fait qu'ils sont construits pour l'émerveillement du peuple[336]. Dans le dispositif d'organisation spatiale du pouvoir central, ils sont complétés par d'autres lieux servant à des fonctions plus circonscrites : les « arsenaux », qui sont avant tout des lieux de revues militaires et de stockage, les bibliothèques, qui sont surtout situées dans les temples, et les jardins royaux[143].
La confrontation des textes et des résultats de fouilles (qui n'ont jamais couvert l'intégralité d'un édifice palatial) permet de se faire une idée de l'organisation spatiale et du fonctionnement d'un palais des capitales néo-assyriennes, en sachant que ceux des provinces sont construits sur le même modèle, en moins monumental. Il est d'usage dans la littérature académique de distinguer entre une zone « publique », administrative, bābānu, et une zone « privée », bētānu, lieu de vie de la famille royale à l'accès très contrôlé. Mais la première apparaît rarement dans la documentation écrite, la seconde plus souvent, cependant elle n'a pas forcément un aspect strictement « privé ». De fait, l'existence d'une distinction entre sphères publique et privée n'est pas manifeste, et à tout le moins elle est insuffisante pour comprendre la complexité de l'organisation d'un palais néo-assyrien[337]. L'accès à l'édifice se fait par une porte principale monumentale, gardée par des statues de génies ailés, où des portiers contrôlent l'accès. Elle ouvre sur une ou deux grandes cours, qui conduisent à un ensemble de pièces, et à la partie intérieure du palais. La supervision de la circulation des biens et des personnes dans les palais et leur inspection est sous la responsabilité de l'administrateur du palais (rab ekalli), qui perçoit les redevances dues au palais en tant qu'institution, et contrôle aussi les geôles du palais. L'accès au palais est plus strictement encadré après le meurtre de Sennachérib, ce qui se traduit par la présence d'un personnel chargé du contrôle de certaines portes, notamment le « maître des serrures » (rab sikkāte). Le cœur du palais s'organise autour de la salle du trône, pièce allongée où le roi tient ses audiences. Le scribe du palais (ṭupšar ekalli) supervise l'accès au roi et sa correspondance, et plus largement la chancellerie du palais. Le roi dispose d'une grande suite à côté de la salle du trône. D'autres suites sont destinées à la reine et sans doute aux hauts dignitaires de l'empire. Le protocole de la cour est organisé par l'« intendant du palais » (ša pān ekalli, « celui qui se tient devant le palais »), qui est celui qui introduit les visiteurs auprès du roi, organise les banquets et autres rituels de la cour. Il s'en trouve aussi auprès de la reine, de la reine-mère et du prince héritier. Des cours secondaires organisent la circulation à l'intérieur de cet espace. Cet ensemble de pièces est le groupe le plus monumental du palais, dont les portes sont souvent décorées de statues de génies, et les murs décorés de bas-reliefs sur orthostates, peintures et briques glaçurées. Un « chambellan » (ša muḫḫi bētāni, « celui qui est chargé du bētānu ») semble superviser l'organisation de cet espace et son accès. C'est là que la densité de gardiens de portes et de gardes est la plus élevée, en sachant que le roi et les membres importants de la famille royale ont en plus leur garde personnelle[338].
Derrière les suites royales se trouvent les appartements royaux, qui sont mal connus. Selon D. Kertai, certaines suites, notamment celle du roi, ont pu combiner un espace de réception et un espace résidentiel[339]. Mais la localisation des espaces résidentiels renvoie à la question de la présence d'un étage dans les palais. Selon ce même auteur, il n'y en a pas eu et l'espace au sol des palais suffit à toutes les fonctions incombant à un palais (résidence, réception, administration, stockage), en sachant que seule une partie minoritaire du personnel du palais devait y résider[340]. D'autres considèrent qu'il y a bien un étage, par exemple J.-C. Margueron qui restitue des salles hypostyles et un étage sur la majeure partie de la surface des palais royaux. Ce niveau a alors pu comprendre les appartements royaux, qui n'ont jamais été identifiés avec assurance au rez-de-chaussée des palais[341].
Princes héritiers et successions
Les rois assyriens se succèdent de père en fils, avec peut-être un principe qui avantagerait l'aîné, qu'aucune source écrite ne confirme explicitement. En tout cas plusieurs rois ne se sont pas privés pour désigner un autre fils que leur aîné pour leur succéder, comme Salmanazar III, Sennachérib et Assarhaddon. Le fait qu'à chaque fois cela ait dégénéré en conflit fratricide pourrait confirmer par défaut qu'il existait bien un principe de primogéniture[342].
Le prince héritier (« Fils du Roi », mar šarri) dispose de fonctions importantes après sa désignation, afin d'apprendre son futur métier de roi. La période sargonide, à partir du règne de Sennachérib notamment, semble avoir vu un renforcement de son rôle dans l'administration civile et militaire, avec un élargissement de ses prérogatives. Son bureau semble être doté à cette période d'un sceau, qui représente un signe en forme de "Y"[343]. Le rôle d'auxiliaire du roi que joue le prince héritier est en particulier attesté par les courriers relatifs à la situation de l'Urartu envoyés par Sennachérib à son père alors que celui-ci est hors d'Assyrie[344]. L'héritier dispose de son palais, la « Maison de succession » (bīt rēdûti) : c'est le Palais nord de Ninive pour Sennachérib, puis Assarhaddon construit un palais du prince héritier à Tarbisu (Sharif Khan), près de Ninive. Il dispose également de sa propre administration, de sa garde personnelle et d'un corps d'armée, de domaines[345]. À partir du règne d'Assarhaddon au plus tard, lui est confiée une province qui a pour capitale la ville de Balatu, située sur la rive droite du Tigre en amont de Ninive[346].
L'éducation des princes assyriens est surtout évoquée par un texte d'Assurbanipal, l'« Inscription L », qui contient des passages sur le fait que le roi a reçu une éducation scribale et a acquis de grandes connaissances, au point d'avoir une bonne compréhension des disciplines savantes telles que la divination et les mathématiques. Il est également formé dans les arts militaires, avec des compagnons qui doivent faire partie de la même classe d'âge que lui et sont destinés à le seconder une fois qu'il monte sur le trône. Selon cette inscription, il aurait également été associé aux nominations des gouverneurs et des officiers militaires, et assistait donc à des audiences royales. Tout cela présente avant tout l'éducation d'un prince héritier formé pour exercer le pouvoir dès sa désignation, mais il est probable qu'il ait reçu une éducation avant d'être élevé à ce statut, et que les princes de sang royal reçoivent une éducation semblable, sans forcément être associés au pouvoir. Bien que cette inscription contienne comme tout texte officiel une part d'exagération, il est généralement tenu pour crédible qu'Assurbanipal soit un prince lettré, et ait un goût pour les disciplines savantes. Cela semble être confirmé par le fait qu'il a une collection personnelle de tablettes qui a été identifiée parmi les textes savants mis au jour à Ninive[347],[348].
Les femmes de la cour et des palais
Le roi dispose d'une épouse principale, qui a pour titre « Femme du palais » (issi ekalli), le titre de « Reine » (šarratu) étant réservé aux déesses. Il a été avancé que plusieurs épouses du roi aient pu porter ce titre en même temps, mais aucune preuve décisive en ce sens n'a été trouvée. Les reines assyriennes sont en général des figures très mal connues, le nom des épouses de plusieurs rois n'étant même pas connus. Les tombes des reines du Palais nord-ouest ont apporté une importante documentation sur ces figures jusqu'alors obscures, mais l'essentiel de ce que l'on sait sur les reines assyriennes ressort de la documentation écrite de l'époque sargonide[349].
Rien n'est connu du déroulement d'un mariage royal. Les rois assyriens sont polygames, disposent donc d'autres compagnes dont le statut reste indéterminé (épouses secondaires, concubines, partenaires sexuelles). Ils ont des « harems » (l'emploi de ce terme dans le contexte assyrien est discuté) dans leurs différents palais, qui comprennent une population féminine diverse, dont la majorité ne sont pas des compagnes du roi, et dont une partie au moins ne vit pas recluse dans un palais. Cette population féminine augmente à la suite des conquêtes militaires, les femmes des familles royales et de l'élite des pays soumis par les Assyriens faisant souvent partie du tribut et du butin[350].
La reine a le rang le plus important, même si la reine-mère (ummi šarri) semble prendre la position prééminente parmi les femmes de la cour sous certaines circonstances (lors de la minorité d'un roi). La reine dispose de sa « Maison », un propre bureau avec ses domaines et son administration, dont le sceau représente un scorpion, animal symbolisant les reines assyriennes. Elle dispose également d'un corps d'armée à partir du règne de Sargon II ou de Sennachérib[351].
La « reine » la plus importante de la phase récente de l'époque néo-assyrienne est Naqi'a / Zakutu, une des compagnes de Sennachérib. Elle ne semble pas avoir eu le statut d'épouse principale, mais est la mère de son dernier prince héritier, Assarhaddon, et prend une position importante à la cour sous le règne de celui-ci, en tant que mère du roi. Elle lui survit et appuie la succession de son petit-fils Assurbanipal en organisant la prestation de serment de loyauté des sujets de l'empire envers celui-ci[352],[353]. Le rôle des autres reines de la période, Esharra-hammat pour Assarhaddon et Liballi-sharrat pour Assurbanipal, est plus effacé, sans pour autant être forcément négligeable. Une princesse, Sherua-etirat, fille d'Assarhaddon, semble jouer un rôle politique sous le règne de son frère[354],[355]. Une lettre qu'elle adresse à sa belle-sœur, alors que celle-ci est manifestement encore jeune, en lui enjoignant d'étudier pour bien remplir son rôle de reine, indique qu'il est attendu qu'une femme de la famille royale ait reçu une éducation au moins basique[356].
- Coquillage avec un scorpion incisé, symbole des reines assyriennes. Nimroud, Ashmolean Museum.
- Plaque en bronze portant une représentation de la reine mère Naqi'a/Zakutu, derrière son fils Assarhaddon. Musée du Louvre.
- Libbali-sharrat, épouse d'Assurbanipal, représentée sur une stèle des « rangées de stèles » d'Assur. Pergamon Museum.
La Maison de la reine est administrée par une catégorie spécifique de dignitaire, appelée šakintu (« préposée »), des femmes qui sont attestées dans plusieurs palais. Elles dirigent une administration qui comprend des femmes scribes et d'autres types de femmes fonctionnaires, ainsi que des eunuques, et de nombreuses travailleuses des palais, probablement employées dans des activités textiles. Elles semblent disposer d'un statut important, et des textes indiquent que certaines se sont constitué un patrimoine important, avec des terres et des esclaves, et mènent des activités financières. Leur statut indique en tout cas que des femmes peuvent obtenir un rôle important dans l'administration assyrienne[357].
Les conseillers et proches du roi
Au-delà de la famille royale, le groupe des conseillers du roi, les « Grands », comprend environ une centaine de personnes qui constituent la colonne vertébrale de l'empire. Des tablettes divinatoires interrogeant le dieu Shamash sur la possibilité d'une révolte contre Assarhaddon fournissent un aperçu de l'organisation hiérarchique de l'entourage du roi à cette époque[358]. Les plus importants sont le groupe de sept personnages souvent désignés par les historiens modernes comme des « magnats » (les « Grands » dans l'acception restreinte du terme[359]), auxquels s'ajoutent les gouverneurs provinciaux, ainsi que les représentants du roi dans les cours étrangères. Le roi nomme ses conseillers, dont il attend qu'ils soient des personnes dignes de sa confiance, et d'une loyauté à toute épreuve. Leur titre peut renvoyer à une fonction palatiale, comme le grand échanson, parce que le détenteur de la charge avait un rôle à la table du roi à l'époque médio-assyrienne, mais à l'époque néo-assyrienne on ne le voit plus remplir un tel rôle. Il s'agit d'une sorte de classe d'administrateurs professionnels plutôt qu'une aristocratie héréditaire, notamment parce qu'une bonne partie d'entre eux sont des eunuques[360],[361]. Les Assyriens divisaient en effet leur administration en distinguant un groupe de « barbus » (ša ziqni), et les eunuques (ša rēši), catégories qui se retrouvent à tous les échelons de l'administration[362]. Les seconds, dont l'origine sociale reste énigmatique, semblent avoir un lien particulièrement prononcé avec le roi, qui est en quelque sorte vu comme leur père adoptif, et prend en charge leurs funérailles. Dans les représentations visuelles, il semble qu'il s'agisse des personnages imberbes de l'entourage du roi, par opposition aux « barbus »[363]. Le groupe des personnages importants de la cour est aussi désigné comme « ceux qui se tiennent devant le roi » (manzāz pāni). L'expression est souvent traduite par « courtisan », mais il semble que cela englobe ceux qui peuvent entrer régulièrement aux audiences royales, ce qui est aussi bien un privilège qu'un devoir[364]
Au plus près de roi se trouvent également les forces chargées de sa protection, avec les « commissaires » / « gardes du corps » (ša qurbute, « proche » du roi) et les gardes personnels (ša šēpē)[365], les conducteurs du char royal, les gardiens des portes du palais, les gardiens de l'étable[366]. Le scribe du palais qui a un rôle de sorte de « secrétaire d’État », et l'intendant du palais (ša pān ekalli) qui supervise les différents protocoles de la cour, notamment les banquets et rituels, ont un rôle primordial dans l'entourage du roi puisqu'ils contrôlent l'accès à sa personne[367]. Viennent ensuite les détenteurs de fonctions « domestiques » du palais (chef cuisinier et échanson servant à la table du roi, aussi des artisans) et des scribes[368].
L'entourage du roi est également constitué d'un groupe d'une quarantaine de savants, spécialistes de la divination, de l'exorcisme, des lamentations. Les plus importants d'entre eux sont : l'érudit en chef (ummanu), qui joue le rôle de tuteur des princes héritiers et a à ce titre un lien personnel avec les rois, comme l'astrologue Balâsi sous Assurbanipal ; et le chef scribe (ṭupšar šarri), qui est le secrétaire du roi. Les lettres de la correspondance d'Assarhaddon et d'Assurbanipal fournissent de nombreuses informations sur le rôle des savants auprès du roi. Si une partie d'entre eux résident à la cour, d'autres vivent dans d'autres villes assyriennes et même en Babylonie. Ils ont pour rôle d'assister le roi dans toutes les matières impliquant le contact avec les dieux, qui restent selon les conceptions de l'époque les principaux donneurs d'ordre, protecteurs et conseillers des souverains. À la différence des conseillers politiques, ce sont rarement des eunuques. Au contraire, ils s'inscrivent dans des lignées de savants qui se transmettent leur spécialité de père en fils et servent les souverains sur plusieurs générations. Bien qu'on ait proposé par le passé que les experts des arts divinatoires et des exorcismes aient exercé une influence « occulte » sur le roi (en particulier sous Assarhaddon), leur importance dans le processus de décision et l'appareil d’État est secondaire par rapport à celle des détenteurs des hautes fonctions administratives[369],[370],[371].
Un autre aspect notable de l'élite néo-assyrienne est son aspect pluri-ethnique : les souverains assyriens ont confié des responsabilités importantes à des personnages qui ne sont pas des Assyriens de souche, notamment des Araméens, ainsi que des savants déportés de pays vaincus, en particulier la Babylonie, aussi l'Élam et l’Égypte. La cour assyrienne accueille aussi des princes étrangers, emmenés comme otages après la défaite de leur pays, qu'on éduque dans l'espoir qu'ils servent sa politique plus tard. C'est le cas de Bel-ibni, décrit dans une inscription de Sennachérib comme « un natif de Babylone qui a grandi dans mon palais comme un jeune chiot », placé sur le trône de Babylone (où il ne tient pas plus de trois ans)[372]. Une tablette juridique de Ninive fait apparaître parmi ses témoins un certain Sheshonq, beau-frère de Sennachérib, qui peut être identifié comme un prince égyptien capturé lors d'une campagne de Sargon en Palestine, qui aurait alors été emmené à Ninive, avant d'être marié à une princesse assyrienne et de s'établir définitivement en Assyrie. La venue du prince saïte Psammetique fils de Nékao Ier à la cour assyrienne est plus assurée. Il y avait reçu un nom assyrien, Nabu‐shezibanni, puis revient en Égypte où il réunifie le pays, se dégage de la tutelle assyrienne, mais lui apporte son appui contre Babylone et les Mèdes[373].
La cour assyrienne est un lieu de coteries et d'intrigues. Elle est marquée par le pouvoir considérable du roi sur ses serviteurs, la loyauté inconditionnelle qu'il attend d'eux, et aussi les récompenses considérables qu'il peut leur octroyer, par le biais de présents, de donations de terres, d'exemptions fiscales, qui peuvent faire la fortune de ceux qui ont ses faveurs. La surveillance mutuelle, les intrigues et les factions se développent, les accusations entre courtisans sont courantes dans la correspondance, entre ceux qui cherchent à se faire bien voir du roi et dénigrer leurs concurrents. Certains tombent en disgrâce et perdent donc leur statut éminent. Plus graves de conséquences sont les révoltes de palais et conjurations : la répression de la conjuration de Sasî en 671 sous le règne d'Assarhaddon a résulté en l'élimination d'une grande partie de l'élite impériale. Cela a contribué au renforcement de la suspicion et de la délation à la cour[374],[375].
Les rois semblent promouvoir au fil du temps des personnages dont ils sont proches sur le plan personnel, au détriment des dignitaires traditionnels dont la position semble s'affaisser au VIIe siècle av. J.-C. Cela se voit par exemple dans le fait que certains savants se voient confier des responsabilités politiques qui dépassent leurs compétences, à l'image de Mar-Issar, représentant d'Assarhaddon en Babylonie, spécialiste d'affaires rituelles et d'astrologie, qui est également un conseiller dans des matières administratives[378]. Sous Assurbanipal, ce sont les serviteurs directs du roi, son cercle immédiat, qui semblent gagner en importance[379]. En tout cas plusieurs d'entre eux semblent avoir profité de leur proximité avec le roi pour s'enrichir. Un ensemble de tablettes mises au jour dans le palais de Ninive comprennent des achats immobiliers faits par Remanni-Adad, le conducteur de char d'Assurbanipal, dans plusieurs provinces de l'empire[380]. À Dur-Katlimmu (Tell Sheikh Hamad), a été mise au jour la très vaste résidence d'un des commissaires / garde du corps du roi, Shalmu-sharri, qui a des proportions et une organisation quasi-palatiales (5 400 m2, plusieurs cours intérieures, des espaces de stockage et d'administration, des pièces de réceptions, plusieurs cuisines et salles d'eau, et un étage). Elle a livré des tablettes indiquant qu'il possédait plusieurs propriétés foncières, des troupeaux et de nombreux esclaves[381].
Savoirs et pouvoir
La nécessité de gérer les relations entre les dieux et le roi implique comme vu plus haut la présence d'un groupe de savants qui assure l'interprétation des messages divins, et monte la garde contre les forces surnaturelles qui pourraient menacer le roi[382]. Un dispositif complexe permettant la collecte des informations en lien avec les volontés divines et leur interprétation par les spécialistes a donc été mis en place, et son fonctionnement est documenté par de nombreuses tablettes, provenant avant tout de Ninive. Cela n'est pas à proprement parler une innovation de l'époque des Sargonides. Mais il semble bien que ceux-ci aient accordé plus de place que leurs prédécesseurs aux savoirs et aux savants, afin d'étendre et de maintenir leur pouvoir, et de les appuyer dans le gouvernement de l'empire et notamment la prise de décision, ce qui explique la place prise par la divination[383].
Les correspondants du rois font partie des différentes spécialités savantes : des devins spécialisés dans l'hépatoscopie (barû), des astrologues (ṭupšar enūma anu enlil), des lamentateurs (kalû), des exorcistes (āšipu), ou encore des spécialistes en médecine (asû)[384]. Les sujets sont surtout savants : des problèmes médicaux, des questions rituelles, les tâches des scribes, et surtout les présages et leur interprétation, en particulier astrologiques, mais aussi les oracles des prophètes des temples assyriens. Ces lettres ont souvent un lien avec des affaires politiques et militaires, mais il s'agit rarement de donner des conseils en ces matières, qui ne sont pas du ressort de ces experts. Des querelles d'interprétations entre experts surviennent régulièrement. Il apparaît comme dans les autres correspondances royales que le roi doit être au courant de tout ce qui est important, et que la fiabilité de ses conseillers doit être à toute épreuve[385],[386],[387],[388]. Les informations et interprétations des messages divins sont donc importantes pour l'exercice du pouvoir : une lettre décrit ainsi à Assurbanipal comment son père Assarhaddon avait pour routine de se faire lire les rapports des astrologues dans un jardin particulier[389].
Une partie du corpus de textes divinatoires sont des rapports de procédures d'hépatoscopie et d'extispicine, la lecture des présages dans le foie et les entrailles d'agneaux sacrifiés. Ils interrogent surtout le dieu Shamash qui patronne (avec le dieu Adad) cette forme de divination. Ils sont relatifs à des événements militaires importants (en particulier les risques de rébellion et d'invasions), l'opportunité d'accords diplomatiques et la sincérité des propositions d'autres rois, des affaires internes comme la nomination de hauts dignitaires et de prêtres, le choix d'un prince héritier, la santé du roi et d'autres personnages importants, la signification de songes, la religion et le culte[390],[391].
- Tablette rapportant une consultation d'hépatoscopie, 651 av. J.-C., pour savoir si les troupes du Pays de la Mer allaient se joindre à une révolte contre l'Assyrie. British Museum.
- Modèle en argile d'un poumon d'agneau, inscrit avec des présages, utilisé par des prêtres spécialisés dans la divination sur les poumons et le foie. British Museum.
- Tablette circulaire représentant un planisphère céleste indiquant la position des constellations observées la nuit du 3 au autour de Ninive. British Museum.
- Tablette de prescrivant des remèdes de type médical (cataplasmes) et magiques (réalisation d'amulettes) pour guérir des jeunes enfants. v. 650 av. J.-C., British Museum.
Afin d'appuyer la mission des savants, un ensemble de bibliothèques est constitué par les lettrés assyriens, certaines à titre privé, d'autres à l'initiative du pouvoir royal. Le fonds le plus important, de loin, provient de Ninive, et comprend plus de 16 000 fragments et tablettes. On le regroupe couramment sous la dénomination de « Bibliothèque d'Assurbanipal », mais les tablettes proviennent au moins de trois lieux différents, le Palais sud-ouest, le Palais nord, et le temple de Nabû. Même s'il n'est pas à l'initiative de la formation de ces bibliothèques, Assurbanipal a été très actif dans la collecte de tablettes savantes, notamment depuis la Babylonie qui reste la terre de culture par excellence aux yeux des Assyriens (un rôle un peu similaire à celui de la Grèce pour les Romains). Il ordonne des copies de tablettes, ou les fait saisir directement (en particulier après sa campagne en Babylonie en 647)[396],[397],[398],[399],[400]. Les temples de Nabû qui se trouvaient dans les différentes capitales assyriennes (Kalkhu, Dur-Sharrukin, Ninive) ont eu des bibliothèques, ce qui est manifestement lié au fait que ce dieu est le patron des scribes et savants[401]. D'autres bibliothèques ont été constituées à titre privé par des savants assyriens, qui peuvent être sollicités par le pouvoir royal. C'est souvent l'affaire de plusieurs générations dans ces milieux où on exerce une même fonction de père en fils. Elles sont attestées par les centaines de tablettes mises au jour dans les résidences de l'exorciste Kisir-Assur à Assur et du prêtre Qurdi-Nergal à Sultantepe[402],[403], et la bibliothèque royale a intégré les tablettes de la bibliothèque de Nabû-zuqup-kenu, grand scribe actif à Kalkhu sous Sargon II et Sennachérib[404].
Dans ces différentes bibliothèques constituées pour les besoins des savants, les traités techniques et textes rituels de divination, exorcisme et médecine ont la part belle, ainsi que les listes lexicales qui sont d'importants auxiliaires d'apprentissage et instruments de compilation des connaissances. Les « belles-lettres » représentent la portion congrue[405]. Mais ce sont elles qui ont avant tout attiré l'attention des savants qui ont redécouvert l'Assyrie antique et du public cultivé moderne. Les bibliothèques de Ninive ont fourni une grande partie des sources sur la littérature mythologique et épique mésopotamiennes, au premier rang desquelles se trouvent les tablettes de la version « standard » de l’Épopée de Gilgamesh. Elles constituent encore les principales sources pour la connaissance de la culture savante de la Mésopotamie antique, toujours en cours d'analyse plus d'un siècle et demi après leur découverte[406].
On y retrouve les principales compositions de la littérature mésopotamienne antique, qui ont souvent déjà atteint un stade « canonique » à l'époque néo-assyrienne. Les scribes assyriens élaborent cependant de nouvelles compositions littéraires, au moins à partir de Sargon II et surtout sous Assarhaddon et Assurbanipal. Les scribes au service du pouvoir, en particulier le grand scribe, ont pour mission de rédiger les inscriptions royales, et aussi des hymnes et rituels en lien avec la royauté[407],[408]. Les textes produits par les lettrés néo-assyriens comprennent d'abord des hymnes glorifiant la royauté, les divinités et lieux de culte assyriens, et des poèmes élégiaques. Les lettres aux dieux peuvent aussi être des compositions littéraires de qualité, à l'image du récit de la Huitième campagne de Sargon II. D'autres textes renvoient aux relations politico-théologiques avec Babylone, comme l’Ordalie de Marduk et le Pêché de Sargon. La Vision de l'Enfer du prince héritier est comme son nom l'indique une description du monde infernal ayant pour protagoniste un futur roi, sans doute liée aux morts dramatiques de Sargon II et Sennachérib[409].
- Tablette de listes de synonymes cunéiformes (British Museum).
- Tablette racontant le mythe du Déluge de l'Épopée de Gilgamesh (onzième tablette de la version ninivite). British Museum.
- « Miroir des princes » assyrien, contenant des avertissements enjoignant aux rois d'adopter certaines bonnes conduites. British Museum.
Contrôle et administration de l'empire
La première moitié du VIIe siècle av. J.-C. représente par bien des aspects l'apogée de la puissance assyrienne, qui instaure une sorte de « pax assyriaca » sur la majeure partie du Proche-Orient. Le souverain reste la source de toute autorité dans l'empire, mais suivant le principe de délégation de son autorité l'administration fonctionne de façon décentralisée[410]. Les questions liées à l'impact et aux limites de la domination assyrienne, surtout pour ces dernières décennies d'existence, sont très discutées, notamment parce qu'on y cherche les faiblesses qui expliqueraient son effondrement final.
La combinaison des données mobilisables pour la période qui va en gros de 750 à 650 av. J.-C. (étant donné que l'apport des sources du temps de Sargon II s'avère indispensable pour éclairer le fonctionnement de plusieurs aspects de l'administration assyrienne) permet de brosser un tableau général du fonctionnement de l'empire, bien que de nombreuses zones d'ombres subsistent, en particulier sur l'organisation financière et économique[411]. Les sources sont certes abondantes mais elles ne permettent pas de restituer certains segments de l'organisation de l'empire, y compris pour des domaines habituellement bien documentés pour la Mésopotamie antique : ainsi les documents administratifs retrouvés dans les palais semblent être des notes et documents comptables internes à des bureaux, mais il n'y a apparemment pas, à la différence de la période médio-assyrienne et d'autres phases de l'histoire mésopotamienne, de système routinier de production (et d'archivage) de documents administratifs servant à justifier de la transmission des ordres, qui pourraient donc surtout avoir été transmis oralement. À cela s'ajoute le fait qu'une partie des documents administratifs était tenue sous la forme de tablettes de cire, qui ont disparu (le papyrus ou le cuir n'ayant apparemment pas servi pour l'administration courante)[412].
Le roi et ses sujets
Bien que plusieurs textes fassent une distinction entre les « Grands » et les « Petits » qui ensemble constituent la société assyrienne, l'empire ne pratique pas de distinction de statut juridique entre les hommes libres : aux yeux du pouvoir, tout sujet du roi est un « Fils d'Assur » ou « Assyrien » (mār Aššur, aššūrāyu), ainsi que le résume la formule qui veut que toute personne intégrée à l'empire est « comptée » (verbe manû) parmi/avec les Assyriens, c'est-à-dire qu'elle devient Assyrienne. Tout sujet doit servir le roi, ou bien, selon une autre expression consacrée, le « craindre » (verbe palāḫu), et en échange il bénéficie de sa protection[413]. Il a été suggéré que cela signifierait que les rois assyriens aient eu un projet de construire une nation assyrienne à l'échelle de leur empire, une « assyrianisation » visant à renforcer la cohésion de l'État, mais il n'y a pas vraiment d'éléments en ce sens[414]. Le terme « Assyrien » a du reste plusieurs sens à l'époque, selon le contexte[415]. Ici, le fait de devenir Assyrien et d'être plus généralement considéré comme un « serviteur du roi » (urdu ša šarri, condition qui concerne aussi les rois vassaux) implique principalement aux yeux du pouvoir d'accomplir ses obligations fiscales et corvées, et de répondre aux mobilisations militaires[416],[417],[418]. En pratique, seuls les chefs de maison (des hommes adultes) peuvent agir indépendamment, puisqu'ils ont autorité sur les membres de leur maisonnée (comme le pater familias romain)[413].
Il est possible pour un sujet de faire un appel auprès du roi (procédure dite « invoquer la parole du roi », abat šarri zakāru) par le biais d'un membre de l'administration qui transmet sa demande au souverain. La décision du roi, autorité judiciaire suprême, prime alors sur celle des autres[419],[420]. Les rois assyriens prononcent aussi des remises de dettes (anduraru), notamment lors de leur montée sur le trône, ou bien en période de grandes difficultés (épidémies, disettes et famines). Ils octroient aussi des franchises (kidinnutu, zakutu) d'impôts, corvées ou service militaire à des communautés (notamment des villes) ou des personnes, dans des circonstances exceptionnelles. Il s'agit plutôt de mesures liées au devoir de protection du roi envers ses sujets, et pas forcément de manifestations de son devoir de garant de la justice et de l'équité[421].
Sous les Sargonides, une forme originale de formalisation du lien entre le roi et les sujets est élaborée : le traité d’allégeance. Il reprend la dénomination et la forme d'un traité international (adê) et ne se réduit donc pas à un simple serment de loyauté[422]. Il sert avant tout à s'assurer de la loyauté des sujets lors des successions. Le plus ancien connu date de la fin de règne de Sennachérib, lors de la promotion d'Assarhaddon comme prince héritier (683-2), mais la majorité concerne la préparation de la succession d'Assarhaddon (670), avec une réitération à l'initiative de la reine-mère Zakutu au début du règne d'Assurbanipal (669-8). Ceux qui prêtent alors serment sont les hauts dignitaires de l'empire, mais toute la population de l'empire est impliquée, au moins dans les versions plus récentes qui sont les plus complètes. Les rois vassaux prêtent le même type de serment, qui engage la population de leur pays. Les exemplaires connus proviennent surtout de Nimroud, mais un a été mis au jour à Tell Tayinat, l'antique Kunalia qui servait de capitale à la province de même nom, ce qui indique qu'on devait trouver une copie de ces traités dans tout l'empire[423],[424].
La politique de déportation se poursuit au VIIe siècle av. J.-C., Sennachérib déportant au moins 408 150 personnes, tandis que celles de ses successeurs ne sont pas chiffrées[111]. La question de savoir dans quelle mesure le sort des déportés est dramatique est discutée, mais il est au moins clair que dans les discours officiels assyriens cela offre la perspective d'un avenir meilleur. Les bas-reliefs des palais représentent des scènes de déportés qui ne sont pas traités comme des prisonniers et paraissent se déplacer dans des conditions confortables. Il est attendu que les déportés deviennent de bons « Assyriens », transformant une région peu développé en contrée prospère, devenant ainsi les instruments de la mission impériale de mise en ordre du monde. En pratique, le cœur assyrien reçoit toujours le plus de déportés, et en premier lieu les savants et artisans spécialisés des pays vaincus (notamment la Babylonie et l’Égypte). Un écho de la vision assyrienne se trouve dans le Second livre des Rois, dans lequel les émissaires de Sennachérib mettant le siège devant Jérusalem promettent à ceux qui se soumettent et les suivent un avenir radieux dans un pays de cocagne[426].
Structures et pratiques administratives
Représentant et délégué du dieu Assur qui l'a placé à la tête du royaume, le roi est le chef de l'administration et la source originelle de pouvoir, qu'il exerce en délégation suivant un système hiérarchisé et ramifié reposant sur des élites[427]. À ce titre, il nomme et révoque les détenteurs de fonctions dans l'administration impériale, et également dans les sanctuaires de l'empire. Il arrive qu'une procédure divinatoire soit tenue pour confirmer une nomination. En pratique, les cadres de l'administration centrale et gouverneurs s'occupent sans doute de nommer et révoquer leurs subordonnées, au moins aux échelons inférieurs, mais le roi peut intervenir dans toute nomination ou révocation[428],[429]. Il promeut ainsi les gens qui ont sa confiance aux postes les plus importants et déchoit ceux qui l'ont perdue. Il peut aussi gratifier ceux qui lui ont rendu des services importants, en leur offrant des présents, des terres, et des exemptions fiscales[430]. Cette personnalisation du pouvoir explique sans doute pourquoi les rôles des uns et des autres ne semblent jamais précisément définis dans l'administration impériale[431].
D'une manière générale, les responsables de l'administration centrale et provinciale sont des délégataires de l'autorité royale, ce qui peut se matérialiser comme vu plus haut par l'octroi d'un sceau royal. Cela leur donne donc une grande latitude pour accomplir leurs missions et gérer leurs éventuels domaines de compétences. À la lecture de la correspondance royale, il semble que les limites de leur capacité d'action, c'est-à-dire ce qui va déterminer s'ils informent le roi, lui posent une question, ou ne le font pas, sont bien connues des personnes concernées, à défaut de règles explicites. En pratique, la plupart des affaires se règlent sans intervention royale. Mais le roi peut aussi intervenir à titre exceptionnel dans tout type d'affaire, directement de sa propre initiative, en envoyant un ordre écrit, ou bien un commissaire (ša qurbūti) qui se rendra sur place pour régler l'affaire avec l'appui des autorités normalement compétentes (qui lui sont manifestement subordonnées)[432].
Schématiquement, la position dans l'administration de l'empire dépend donc de la proximité avec le roi, source de toute autorité. La famille royale, les sept principaux dignitaires[118],[433], les gouverneurs, les membres de la cour servant directement le roi, ses serviteurs directs et commissaires, en gros ceux qui ont sa confiance, un groupe d'à peu près une centaine de personnes, occupent une position prééminente[434]. Chacun des hauts responsables de l'administration dispose d'un « second » (šaniu), également nommé par le roi, qui l'assiste et le remplace en cas d'absence[435]. Au-delà du groupe dirigeant, l'organisation générale de la haute administration reste mal connue[358]. Les bureaux dépendant des grands dignitaires sont très mal connus, de même que leurs possibles attributions. Seuls le grand vizir et le grand secrétaire semblent avoir eu des compétences spécifiques dans l'exercice de la justice, en dehors de cela il n'y a pas d'indices de l'existence de « ministères » ou d'administrations spécialisées dans un domaine[436]. La fonction de l'élite dirigeante de l'empire est de conseiller le roi, de l'accompagner lors des campagnes militaires ou d'en diriger, plus largement de recevoir des missions importantes, le souverain restant le seul maître des décisions les plus importantes. Sur les règnes allant de Tiglath-Phalazar à Assurbanipal, il ne semble pas que certains personnages aient joui d'une influence déterminante (des « éminences grises ») comme ce fut le cas auparavant durant la période d'affaiblissement du pouvoir royal[437].
Une structure essentielle dans le fonctionnement de l'empire assyrien est le palais (ekallu). Le terme désigne d'abord l'édifice. Les palais regroupent de nombreuses fonctions : lieux de résidence des détenteurs du pouvoir, lieux de cérémonies officielles, centres administratifs et militaires, lieux de stockage des ressources et du trésor de l'État. Comme vu plus haut, des palais des capitales assyriennes peuvent être spécialisés dans certaines de ces fonctions, avant tout les arsenaux. Ceux des provinces les regroupent probablement toutes. Le « palais » apparaît aussi dans les textes en tant qu'institution, qui donne et reçoit des instructions : ce terme peut parfois servir à désigner le roi, mais il s'agit plus souvent du corps administratif du palais. C'est un cadre essentiel de la société et de l'économie assyriennes, héritières des États « palatiaux » de l'âge du bronze[438],[335].
Une autre forme d'institution importante dans l'empire est la « Maison » (bētu). C'est un terme polysémique, qui peut comme en français désigner un bâtiment d'habitation, ou bien une unité sociale et économique formée autour d'un personnage (généralement un homme), de sa famille, de ses dépendants et de ses biens (sa « maisonnée »). Il peut être considéré que les « Maisons » des principaux personnages du royaume, c'est-à-dire le roi, les membres de la famille royale (dont on retrouve les archives dans les palais royaux), les magnats et autres hauts fonctionnaires, ou encore les dieux (les temples), avec leurs propres personnels administratifs, dépendants et domaines, sont des extensions de l'administration impériale (ou des « administrations parallèles »)[439]. En revanche d'autres types de « Maisons » semblent exister à l'intérieur de l'administration centrale (et peut-être aussi dans les provinces), sous la direction d'un cadre de celle-ci, donc des sortes de « bureaux » avec des attributions plus circonscrites[440].
Fales considère que la place plus importante que semblent prendre les Maisons des hauts personnages de l'empire sous le règne d'Assarhaddon reflète une patrimonialisation du pouvoir. Les rois redistribuent les richesses selon le favoritisme personnel, avantageant les membres de la famille royale et les magnats qui se retrouvent à la tête de Maisons plus vastes. Assurbanipal en revanche aurait tenté d'inverser la tendance en imposant au-dessus des Maisons une structure les chapeautant et les unifiant, la « Maison du seigneur » (bēt bēli), qui correspond au fond au « gouvernement »[441]. Quelle que soit la manière employée, il semble en tout cas admis que le VIIe siècle av. J.-C. voit un renforcement progressif de la position du roi et de son entourage proche, et avec celle de la capitale, Ninive, au détriment des gouverneurs provinciaux[379].
À son maximum d'extension, l'empire assyrien comprend autour de 70 provinces. Selon Radner, la taille des provinces serait déterminée afin qu'elles aient en gros la même capacité contributive en taxes et corvées, donc un même potentiel économique, à l'exception des marches frontalières. Les provinces plus petites, en particulier celles du cœur de l'empire, où ont eu lieu les plus importants travaux d'aménagement et qui ont été les principales destinataires des déportations, auraient donc un potentiel économique similaire à celui de provinces plus grandes situées en périphérie (en Anatolie, Syrie, Iran). Lorsqu'une province accroît son potentiel contributif, elle peut être scindée[443]. Selon Parker, la domination assyrienne sur les provinces admet des discontinuités territoriales, le pouvoir assyrien privilégiant l'implantation et une forte emprise dans certaines régions qui l'intéressent au regard de considérations stratégiques, économiques et/ou logistiques. De ce fait, il se peut que des régions situées au milieu de provinces assyriennes (comme le Tur Abdin) soient peu ou pas contrôlées, et que des régions ayant une forte implantation assyrienne soient physiquement isolées des autres, comme cela semble le cas dans le Haut Tigre (autour de Tusshan)[444].
Les provinces fonctionnent selon les principes déjà en place sous Tiglath-Phalasar III et Sargon II, avec des gouverneurs (šaknu) et leur administration chargés de la collecte des taxes, l'organisation des corvées, des troupes, et plus largement la sécurité dans leurs provinces[238]. Comme c'est le cas pour l'administration centrale, l'administration provinciale repose en partie sur des éléments ethniquement non-assyriens[445]. Les provinces frontalières sont plus spécifiquement tournées vers la protection de leur territoire et la surveillance de ce qui se passe au-delà, voire dans certains cas le contrôle du commerce à longue distance (au Levant, en Médie où les provinces sont surnommées collectivement bēt kāri, quelque chose comme « Maison du commerce »)[446]. Ainsi que le résume Fales, « le système provincial représentait une extension politique, administrative et socio-économique directe de la structure du pouvoir central et reposait sur la création d'installations administratives (résidences pour le personnel non combattant, logements militaires, magasins de stockage, lieux de travail organisés) et l'introduction des normes assyriennes (poids et mesures, systèmes d'enregistrement, techniques notariées)[447]. » De ce fait l'administration, d'une province repose en premier lieu sur l'implantation d'un palais, accompagnée dans bien des cas d'une restructuration du peuplement, et d'une tentative de mise en valeur agricole[446].
Au niveau local, un rôle essentiel est confié au le « maire » ou « bourgmestre » (ḫazannu) et au « chargé de ville » (ša muḫḫi āli). Le premier semble être un représentant des institutions urbaines, comprenant leurs notables, probablement des sortes d'assemblées d'« Anciens » (paršumu). Le second pourrait plutôt être un membre de l'administration provinciale, servant de relais auprès des institutions locales. Quoi qu'il en soit il apparaît que leurs attributions sont variées, couvrant les affaires administratives, judiciaires, fiscales et religieuses, servant d'intermédiaires entre les populations locales et les strates supérieures de l'administration, jusqu'au roi[238],[448]. L'encadrement des zones rurales repose quant à lui sur les « chefs de villages » (rab ālāni), qui sont sous le contrôle direct des gouverneurs et ont surtout un rôle dans la levée des impôts et la mobilisation des corvéables[449]. Les villages semblent constituer « la cellule de base de la pyramide des pouvoirs qui remontaient du niveau local jusqu'au souverain[418]. »
Les scribes sont un maillon essentiel du système administratif, chargés de rédiger la correspondance et les documents de comptabilité indispensables à son fonctionnement. Il s'en trouve auprès de chaque détenteur d'un poste d'encadrement. Tous les membres de l'administration ne maîtrisent pas la lecture et l'écriture, même si leur connaissance est sans doute plus répandue parmi l'élite dirigeante qu'on ne l'a longtemps pensé[419],[450]. Les documents des archives palatiales (et ceux des bibliothèques savantes) sont généralement classés, comme l'indique le fait que les tablettes sont trouvées par lots cohérents, à plusieurs reprises disposés dans des pièces des bureaux qui les ont émis et renvoyant à l'activité de ceux-ci. Des cases servent au rangement des tablettes. Des trouvailles archéologiques indiquent qu'il existait aussi des tablettes de cire sur support en bois ou ivoire, et des bulles scellant les rouleaux de parchemin ou papyrus ont également été mises au jour[451],[452],[453]. En effet, bien que pour des raisons de conservation on ne connaisse que des documents administratifs en assyrien cunéiforme (avec dans certains cas des épigrammes en alphabet araméen), à l'époque des Sargonides l'alphabet araméen écrit sur rouleau de cuir ou papyrus semble s'être considérablement diffusé et avoir pris une place importante, au moins pour la gestion quotidienne des affaires de l'empire. Plusieurs scènes de bas-reliefs et de peintures représentent ainsi cote-à-cote un scribe écrivant sur rouleau et un autre écrivant sur tablette. Cependant cette place semble rester secondaire dans les écrits administratifs, alors que l'araméen est probablement la plus parlée dans l'empire. À un plus haut niveau, les inscriptions royales ne sont connues qu'en cunéiforme[454] ; en revanche la correspondance politique semble s'effectuer majoritairement en araméen, au moins à partir du règne d'Assarhaddon[455]. À un niveau plus élémentaire, la comptabilité administrative pourrait avoir reposé sur un système de jetons d'argiles, portant parfois des inscriptions, enregistrant des biens (animaux, grains et autres denrées), outil d'administration utilisable par des personnes ne maîtrisant pas ou pas bien la lecture et l'écriture[456].
La justice est rendue par les membres de l'administration centrale, provinciale, municipale ou celle des temples. Elle n'est pas rendue dans des bâtiments spécifiques, mais là où le fonctionnaire travaille. Les deux magnats qui ont plus précisément des attributions judiciaires, le vizir et le grand secrétaire, semblent se déplacer dans les provinces pour des procès. Le déroulement des procès à cette période reste mal connu, car les compte-rendus qui en sont faits sont laconiques[457]. Aucune compilation de lois n'est connue pour l'époque néo-assyrienne. Les scribes copient encore d'anciens recueils juridiques (Code de Hammurabi, Lois médio-assyriennes), mais on ne sait pas si un usage juridique en est fait[458].
Dans cette organisation, l'armée a pour fonction de base le maintien de l'ordre dans les territoires sous contrôle assyrien, ce qui n'est pas une mince affaire. La distinction entre les catégories modernes que sont l'administration civile et l'administration militaire est assez floue dans l'empire assyrien, en tout cas elle n'existe pas dans le langage[459]. Au niveau provincial, le gouverneur est aussi bien chargé des affaires civiles que militaires, même s'il a parmi ses subordonnés des spécialistes des métiers des armes, au domaine de compétences distinct de celui des spécialistes des affaires civiles[460]. La « cohorte du roi » (kiṣir šarri) reste la colonne vertébrale de l'armée assyrienne. Elle semble connaître une profonde réforme sous Sennachérib, qui la divise en plusieurs parties, chacune dépendante d'un membre de la famille royale. Une « nouvelle milice de Sennachérib » est créée pour regrouper les corps d'armée des magnats et du gouverneur de Ninive, tandis que les troupes sous le commandement des gouverneurs provinciaux sont placées sous la supervision du prince héritier. La reine est également dotée de sa cohorte. Cette réforme pourrait avoir pour but de réduire le pouvoir militaire des gouverneurs[461]. Le commandement des troupes est confié de façon préférentielle à ceux qui ont prouvé leur valeur militaire, tels les chefs des eunuques Sha-Nabû-shu et Nabû-sharru-usur, qui ont la confiance d'Assarhaddon puis d'Assurbanipal[462]. Les prouesses au combat permettent en effet de gravir les échelons et de bénéficier de récompenses de la part du souverain (cadeaux honorifiques, terres, exemptions fiscales). Les bas-reliefs de scènes de guerre représentent souvent des soldats assyriens brandissant des têtes d'ennemis décapités, preuves de leurs accomplissements au combat, et des scribes en train de comptabiliser des tas de têtes de façon à procéder par la suite aux gratifications[463].
L'administration des temples de l'empire reste un sujet encore peu étudié. En principe elle incombe au roi, qui doit pourvoir aux besoins de leur culte et nomme leur personnel, notamment leur grand prêtre (šangû), qui est aussi l'administrateur principal de leurs biens. Les temples les plus importants du royaume (à Assur, Ninive, Arbèles, Kalkhu) sont plus étroitement contrôlés (il arrive qu'ils soient surveillés par un délégué royal, qēpu). Le roi se rend à leurs rites principaux s'il n'a pas d'autres obligations, et ils bénéficient de ses largesses ainsi que de celles des hauts personnages de l'empire et donc en principe de ressources plus larges (matériel et denrées pour le culte fournis directement, domaines, dépendants). Pour les autres temples, le rapport est plus distant. Les autorités provinciales et urbaines semblent souvent prendre le relais. Il y a aussi des cas où on voit des temples voisins s'apporter un soutien matériel et rituel en cas de grande difficulté qui met en péril l'accomplissement du culte[464],[465]. Quelques documents juridiques provenant du temple de Nabû à Nimroud indiquent que l'institution reçoit des terres et esclaves en donation, et effectue des prêts en grains[466],[467].
L’État assyrien paye ses serviteurs en rations, versements en nature (en grains, laine, huile avant tout) qui fonctionnent comme un salaire dans une économie où les transactions se font couramment en nature[468]. Les détenteurs de charges importantes, comme les gouverneurs, se voient confier des terres de service (maʾuttu) attachées à leur fonction, dont ils tirent des revenus pour exercer leur office, tout en devant verser une part de leurs produits à la couronne. Les soldats semblent avoir été rémunérés de la même manière, mais cela est peu attesté[469],[470]. D'une manière générale, les domaines des palais royaux, des membres de la famille royale, des hauts dignitaires, ont pu conjointement fournir des ressources mobilisables par l'État, mais cela reste mal connu, notamment parce qu'il y a diverses situations où il est difficile de distinguer entre les domaines dont dispose une personne au titre de la fonction qu'elle exerce, et ceux qu'elle possède à titre privé[471],[472]. Les principales taxes sont prélevées en nature : sur les céréales (nusāḫē), sur la paille (šibšu), sur le bétail (ṣibtu, sur les bœufs, moutons et chèvres)[473],[474],[475]. Les chevaux, cruciaux pour l'armée, sont fournis par des régions spécialisées dans leur élevage[476]. Il existait aussi des taxes sur le commerce, comme des péages, mal connues[477],[478]. Les pillages et les tributs des royaumes vassaux sont une autre ressource pour l'État, souvent évoquée dans les inscriptions royales. Ils servent à obtenir des biens de valeur ou stratégiques (métaux, bois, pierres), mais n'ont pas forcément eu un grand impact économique[479]. Ceux qui se sont vus concéder une terre publique doivent également accomplir un « service » (ilku)[473], qui peut désigner tout un ensemble de besognes, comme des travaux de construction, d'aménagement de routes, et aussi un service militaire[480],[481]. Ce service peut être converti dans certains cas en redevances en nature[482]. L'octroi d'exemptions de taxes et de corvées (kidinnūtu, zakûtu) joue un rôle déterminant pour l'enrichissement de certains proches du roi, et aussi des communautés urbaines. C'est un levier politique employé à plusieurs reprises par les souverains pour s'attirer les faveurs de cités babyloniennes[483],[484].
Le pouvoir avait constitué en plusieurs points de l'empire des centres contrôlant la circulation des produits, aussi bien les prélèvements fiscaux, le tribut que les échanges, appelés « quai » (kāru), terme générique pour désigner un quartier commercial dans la Mésopotamie antique[485]. L'approvisionnement des différentes composantes de l'administration peut être effectué avec l'appui d'intermédiaires, les marchands (tamkāru). Il a été proposé qu'ils aient un statut d'agent de l'État, mais cela ne semble pas être le cas, du moins pas systématiquement, car même si certains semblent bien introduits dans les cercles du pouvoir, des textes les montrent effectuant des affaires à titre privé. Ils collaborent avec des fonctionnaires pour l'organisation d'opérations commerciales, fournissent des biens aux palais. Dans certains cas ils sembleraient aussi avoir pris en charge la perception de tributs et de taxes. Ils sont en tout cas surveillés par le pouvoir, surtout quand ils sont impliqués dans le commerce de biens de haute importance étroitement contrôlés (les chevaux)[486].
Dans une tentative d'interprétation générale, Postgate considère que l'administration néo-assyrienne n'est pas de nature bureaucratique mais « dépendait d'un sens de loyauté institutionnelle et d'une interaction personnelle de haut en bas du système ». « L'éthos administratif était néanmoins bien développé, avec des concepts bien formulés de responsabilité et d'autorité, ainsi que de nomination et de révocation », même si les hiérarchies restent largement invisibles dans les sources administratives[487].
Les sources, notamment les lettres, ne masquent pas les différentes difficultés auxquelles fait face le fonctionnement de l'administration assyrienne. De nombreux exemples d'insoumission existent dans les arrière-pays ruraux, concernant aussi bien des actes isolés d'individus que des soulèvements locaux ou à échelle régionale. L'insécurité est aussi une problématique importante. Les vols, la fraude fiscale, les fuites d'esclaves causent des interventions de l'administration. Celle-ci n'est pas exempte de tout reproche, les cas de corruption, d'extorsions et d'exactions, ou du moins des accusations de tels actes, survenant à plusieurs reprises dans la documentation. Cela génère en retour un climat de soupçon et de délation, particulièrement prononcé sous le règne d'Assarhaddon[488].
Rapports avec les autres royaumes
Depuis la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C. l'empire assyrien est la puissance hégémonique incontestée du Moyen-Orient. Il prend donc une position dominante dans les relations internationales, et au VIIe siècle av. J.-C. même les grandes puissances traditionnelles que sont l'Élam et l'Égypte sont placées à un moment dans sa dépendance. Les territoires qui sont situés au-delà de ses provinces et avec lesquels l'empire est en contact sont des États vassaux ou alliés, donc en pratique semi-indépendants, liés par un traité. L'empire assyrien ayant pour but la domination universelle, il cherche un traité le plus avantageux possible, ce à quoi il parvient dans la plupart des cas. Quand ils n'y sont pas forcés par les armes ou la menace des armes, les autres États peuvent chercher son alliance pour leurs propres raisons. Le roi assyrien peut intervenir en tant qu'arbitre dans des disputes entre autres royaumes, vassaux ou même au-delà. Les rois assyriens cherchent même à empêcher que leurs vassaux établissent des relations diplomatiques avec d'autres pays sans leur aval. Les relations diplomatiques sont entretenues par des échanges de messagers (mār šipri) et les visites régulières (en principe deux fois par an lors des fêtes des premier et sixième mois) des vassaux ou de leurs émissaires à la cour assyrienne, apportant le tribut et des présents pour le roi, et recevant en retour un cadeau du roi. Tout manquement à ces visites serait vu comme un acte de désobéissance pouvant conduire à la guerre[489]. Comme par le passé, le statut de vassal se traduit par la présence d'un représentant du roi assyrien (qēpu) à la cour du vassal[490].
Une vingtaine de textes de traités (adê) ont été mis au jour dans les capitales assyriennes, et bien d'autres encore sont mentionnés dans des textes. Le seul traité paritaire, d'« amitié et de paix » suivant la terminologie de l'époque, connu pour le VIIe siècle av. J.-C. est celui entre Assarhaddon et Urtaku d'Élam, dont le texte ne nous est pas parvenu. Les autres sont des traités inégalitaires dans laquelle l'Assyrie est en position dominante. Certains royaumes et entités politiques (Lydie, Scythes, roitelets mèdes) concluent des traités d'alliance à leur initiative, mais ils doivent quand même verser un tribut et visiter la cour, comme les vassaux. Les clauses des traités de vassalité impliquent une dévotion inconditionnelle au souverain assyrien, l'obligation de l'informer de toute menace potentielle à la paix de son empire, l'alignement sur la politique extérieure assyrienne et la coopération militaire, l'extradition des fugitifs recherchés par l'Assyrie, l'acceptation de l'envoyé représentant le roi assyrien sur le territoire du vassal. D'autres clauses spécifiques peuvent s'appliquer, comme des clauses commerciales dans le cas du traité conclu avec Tyr. Les textes des traités se terminent par une longue section décrivant les malédictions divines qui s'abattraient sur le vassal s'il enfreignait le traité[491],[492].
La situation des cités phéniciennes illustre le fait que des royaumes vassaux ont subsisté au milieu des provinces assyriennes, voire en imbrication territoriale avec elles (il est possible que les Assyriens aient constitué des comptoirs portuaires sous le contrôle de leur administration juste à côté de ports laissés sous l'autorité des rois locaux). Mais leur sort varie selon leur attitude politique. Byblos, qui reste fidèle à l'Assyrie, préserve son territoire et sans doute une certaine autonomie. Tyr et Arwad, plus turbulentes, parviennent à conserver leur dynastie malgré leurs revers successifs, sans doute parce que leurs capitales sont situées sur des îles que les Assyriens ne sont jamais parvenus à investir. Mais elles perdent l'essentiel si ce n'est la totalité de leurs territoires continentaux à la suite de leurs révoltes, dont la cité de Sidon pour la première, et sont probablement soumises à un contrôle étroit de la part des gouverneurs assyriens voisins[494],[495].
Les inscriptions royales présentent de nombreux cas où ceux qui transgressent les serments passés par les dieux, ou qui portent offense à l'Assyrie et à ses dieux, reçoivent un châtiment divin exemplaire[496]. Mais dans bien d'autres cas le roi se charge lui-même de châtier ceux qui se sont opposés à lui. Assarhaddon se contente la plupart du temps d'exposer les vaincus en public en les laissant vivants, même s'il en exécute parfois. Les punitions infligées par Assurbanipal à ses ennemis, morts ou vifs, sont diverses : les fils du chef de Gambulu sont contraints à broyer les os de leur père ; après la défaite de l'Élam la tête de son roi Teumman est exposée au public à Ninive, en même temps que d'autres rebelles sont écartelés et démembrés ; un roi arabe est épargné mais parade en public avec une laisse de chien autour du cou[497]. Les inscriptions de ces deux rois mettent à plusieurs reprises en avant la capacité de ceux-ci à pardonner et épargner les rois ennemis, ce qui n'était pas le cas, ou rarement, dans celles de leurs prédécesseurs. Cela témoigne peut-être des difficultés qu'ils éprouvent à préserver leur empire et leur sphère d'influence devenus très (trop ?) vastes[498].
Impacts et limites de la domination assyrienne
Les rois assyriens avaient pour mission de mettre en ordre le monde, et ils ont assurément eu un impact significatif sur les régions qu'ils ont dominées.
Il est généralement reconnu que les déportations de masse ont eu un impact considérable. C'est selon Radner « le leg le plus durable de l'empire assyrien », contribuant à une homogénéisation sociale, culturelle et économique du Moyen-Orient[499]. La composition ethnolinguistique de ces régions est changée à jamais, les mouvements de population contribuant fortement à la diffusion de la langue araméenne, qui acquiert progressivement un statut de lingua franca du Moyen-Orient, sans être langue officielle de l'empire[274],[500]. La politique de déportation assyrienne a finalement contribué à ce qu'on a pu qualifier d'« aramaïsation » de nombreuses régions de l'empire, à commencer par l'Assyrie elle-même, qui devient progressivement un pays de langue araméenne[501]. Les échanges prolongés entre l'Assyrie et les Araméens, et l'intégration de nombreux Araméens à l'appareil politique et militaire assyrien, ont en effet conduit à la mise en place progressive d'une koinè assyro-araméenne[502]. De fait, c'est dans les pays des anciens royaumes araméens, en Haute Mésopotamie, que le pouvoir néo-assyrien s'implante en premier et marque le plus les territoires de son empreinte, aussi bien par la constitution de villes avec des palais provinciaux et des résidences d'élites à l'assyrienne et une culture matérielle très marquée par l'influence assyrienne, que par l'aménagement des campagnes où sont installés des colons agraires[503]. Les transformations du paysage ethnique par l'empire assyrien ont également pu être observées dans la région du Haut Tigre par le biais de la culture matérielle, qui révèle la coexistence entre des centres de pouvoirs assyriens, disposant de populations dépendantes manifestement issues de déportations, et des sites de populations autochtones, qui sont encadrées par leurs propres élites[504]. Au centre de l'empire, les textes économiques privés d'Assur révèlent la présence d’Égyptiens, d'Iraniens qui font des affaires et semblent avoir un niveau de vie confortable, ont adopté la culture matérielle assyrienne tout en conservant des éléments de leur culture d'origine, et d'esclaves domestiques élamites, conséquences des guerres qui ont eu lieu dans ce pays[505].
Un autre point de questionnement concernant l'impact assyrien est l'évaluation des destructions entraînées par les conquêtes et les répressions de révoltes. Les Assyriens ont développé une rhétorique dans laquelle la destruction est constamment mise en avant, et même s'ils tempèrent cela avec le temps en développant un discours sur la reconstruction, il n'est jamais au même niveau[506]. Certaines études ont mis en avant le fait qu'une sorte de « pax assyriaca » s'est mise en place après la phase de grandes conquêtes et de destructions, accompagnant une meilleure mise en valeur des provinces conquises et l'essor des échanges à longue distance, stimulant alors le développement de l'économie de certaines régions. Cela se ferait en partie de façon volontaire, ce qui trouve un écho dans la rhétorique impériale sur la mise en ordre du monde[507]. Les recherches archéologiques sur ce point concernent surtout le Levant méridional, la région qui a fait l'objet de plus de fouilles. Le cas d'Ekron (Tel Miqne) est souvent mis en avant comme un exemple de l'impact positif qu'aurait eu l'empire néo-assyrien sur le développement économique de ses vassaux, une fois la période des destructions passées : s'y développe au VIIe siècle av. J.-C. un nombre impressionnant d'installations pour presser l'huile d'olive, manifestement pour des besoins commerciaux, et l'influence culturelle assyrienne s'y décèle, avec une probable présence d'Assyriens sur place[508]. Les fouilles du site commercial de Tel Dor, dans un territoire provincial, semblent aller dans le même sens, avec en plus un aspect de développement volontariste[247]. Mais d'autres soutiennent, notamment à l'exemple des territoires de l'ancien royaume d'Israël, que le pouvoir assyrien n'a jamais vraiment cherché à stimuler l'économie de ses provinces, et qu'il y a plutôt été une force destructrice. Pour A. Bagg, l'Assyrie reste un « empire sans mission », qui cherche avant tout à tirer profit des territoires qu'il contrôle, que ce soit par le tribut, les taxes, les corvées ou les pillages, et qui se soucie peu d'investir dans les pays dominés[509]. Ou alors il faut établir une distinction entre les territoires situés sur les grandes routes des échanges internationaux, alors en plein essor, notamment sur la côte méditerranéenne, que le pouvoir assyrien chercherait à développer de façon consciente pour en tirer des gains matériels et financiers, et ceux qui présentaient moins de potentialités économiques, qui intéresseraient peu l'empire et seraient laissés dépeuplés après leur conquête[510].
Les limites du contrôle assyrien se voient surtout dans les nombreuses révoltes qui sont suscitées contre lui tout au long du VIIe siècle av. J.-C. L'emprise assyrienne a plusieurs points de faiblesse, par exemple les régions montagneuses peu peuplées, où les structures politiques et sociales peu complexes rendent difficiles la constitution de provinces ; ainsi Sennachérib doit aller réprimer une révolte dans le Judi Dagh, juste à côté du « triangle assyrien ». La tentative de contrôle des pays mèdes a sans doute échoué pour des raisons similaires[511]. La domination assyrienne et la demande du tribut en chevaux nécessaires à l'armée s'y sont sans doute faites sans trop affecter les élites locales, qui en ont probablement profité. En fin de compte, ces interactions ont stimulé le développement des entités politiques de Médie, ce qui devait ironiquement avoir une conséquence funeste pour les Assyriens[512]. La Babylonie est de son côté une épine dans le pied du pouvoir assyrien, qui tente depuis Tiglath-Phalazar III plusieurs solutions spécifiques pour y imposer sa domination, sans jamais parvenir à y mater l'esprit de résistance local[513]. D'une manière générale, la domination assyrienne semblerait avoir peu suscité l'adhésion et la loyauté des sujets de l'empire, comme cela ressort des textes babyloniens et bibliques[500],[514],[515].
Un autre ensemble de questionnements porte sur la mise en valeur du centre de l'empire et ses conséquences. Les importants travaux entrepris lors de la construction de Dur-Sharrukin et de Ninive semblent en avoir fait une région très productive, avec des campagnes dynamiques et plus productives grâce à l'extension des réseaux d'irrigation, tandis que l'afflux de personnes et de richesses de tout l'empire en fait une région sans équivalent par son dynamisme[516],[517]. Cependant, le développement des capitales pourrait s'être fait de façon artificielle, sans une base agraire suffisamment solide pour assurer leur subsistance sans l'appui de régions voisines (Haute Mésopotamie occidentale, Babylonie)[518]. Le poids des mobilisations militaires et des prélèvements fiscaux exigés pour l'entretien de l'armée et les grands projets de construction semblent en tout cas avoir pesé fortement sur la paysannerie, avec des conséquences économiques et démographiques négatives, qui seraient perceptibles dans la documentation à partir de la fin du VIIIe siècle av. J.-C.[519],[520],[521].
Des exemples
Pour des exemples d'interactions et influences entre les Assyriens et d'autres peuples et régions, voir les articles dédiés à ceux-ci : Babylonie post-kassite et Babylonie sous domination assyrienne, Chaldéens, Araméens, Israël et Juda, Philistie, Élam, Mèdes, Époque orientalisante (Grèce).
La fin de l'empire assyrien (640-609)
Une période mal connue
Les dernières années du règne d'Assurbanipal et les années de l'effondrement de l'empire assyrien sont très mal documentées. Les inscriptions royales assyriennes se font rares et ne documentent plus les événements militaires, alors que les rois Babyloniens ne se sont apparemment pas attardés à décrire les circonstances de leur victoire. Quelques chroniques historiques babyloniennes retracent année par année les événements militaires, mais elles sont fragmentaires et offrent peu de certitudes sur les années précédant 616. Les documents administratifs d'Assyrie et surtout de Babylonie fournissent quelques éléments de chronologie. Il est donc impossible de reconstituer précisément les événements ayant conduit à la chute de l'empire assyrien, et seul le déroulement des dernières campagnes (616-609) est à peu près connu dans les grandes lignes[522].
L'année même de la mort d'Assurbanipal n'est pas déterminée avec certitude : en 631[522] ou 630, voire 627[523]. Il semble s'être retiré à Harran et avoir laissé les rênes du pouvoir à son héritier désigné, Assur-etil-ilani, assisté du chef des eunuques, Sîn-shum-lishir. La montée sur le trône du prince semble se faire dans un climat très troublé, grâce à l'appui du chef des eunuques, qui pourrait alors avoir exercé de facto le pouvoir. Quelques traces de l'activité pieuse d'Assur-etil-ilani sont documentées en Babylonie, mais on ne sait si elles datent de son règne effectif ou de celui de son père. Il meurt dès 627, peut-être assassiné par Sîn-shum-lishir. Quoi qu'il en soit c'est ce dernier qui prend alors personnellement le pouvoir, phénomène sans précédent[523],[522]. Cette usurpation suscite la révolte d'un autre fils d'Assurbanipal, Sîn-shar-ishkun, qui semble alors être en Babylonie, et parvient à éliminer Sîn-shum-lishir[523]. Il est encore en mesure d'entreprendre un projet de construction d'envergure à Assur, un temple dédié au dieu Nabû qui est accolé à celui dédié à la déesse Ishtar[524]. Les listes d'éponymes de son règne (incomplètes) comprennent des fonctions palatiales qui n'avaient pas l'honneur d'y figurer auparavant, comme le scribe du palais, le chef cuisinier, le majordome du palais et le chambellan, ce qui semble indiquer que la tendance à la prise en importance du cercle direct du roi s'est poursuivie[525].
La destruction de l'empire assyrien
C'est en Babylonie que le sort de l'Assyrie bascule en 627-626. Le vice-roi Kandalanu meurt en 627, et un babylonien du nom de Nabopolassar, peut-être issu d'une famille de notables d'Uruk, profite de la confusion qui règne au sommet de l'empire pour avancer sur le devant de la scène. Faute de source claire, la reconstitution des événements est imprécise. Peut-être que le Babylonien s'allie avec Sîn-shar-ishkun contre Sîn-shum-lishir, précipitant la fin de ce dernier. Quoi qu'il en soit, Nabopolassar se faire proclamer roi de Babylone, et les armées assyriennes et babyloniennes s'affrontent dans les années suivantes. Les villes changent à plusieurs reprises d'allégeance, mais les troupes assyriennes sont finalement chassées du Sud, autour de 620[526],[527]. L'affrontement ne s'arrête pas là, la guerre se poursuit plus au nord, et amène d'autres intervenants : l'Égypte s'allie à l'Assyrie, et lui envoie des troupes en appui ; les Mèdes interviennent quant à eux du côté babylonien, vers 616. L'appui des seconds, dirigés par le roi Cyaxare, est décisif dans le sort du conflit, puisqu'en 615 ils s'emparent d'Arrapha, et s'ouvrent les portes du pays assyrien. Les Babyloniens ont alors progressé le long du Tigre jusqu'à Tikrit. Mèdes et Babyloniens s'allient formellement, et les troupes mèdes lancent une série de raids au cœur de l'Assyrie, rompant les communications entre ses centres principaux. En 614, ils s'emparent d'Assur, qui est détruite et pillée. En prenant le sanctuaire du dieu Assur, ils portent probablement un coup dévastateur au moral assyrien. Kalkhu est attaquée mais résiste. Le coup fatal est porté deux ans plus tard par les armées mèdes et babyloniennes réunies : Kalkhu et Ninive sont assiégées, prises et détruites. Sîn-shar-iskun est probablement tué lors de la prise de la seconde[528],[529].
Une furie destructrice semble alors d'être abattue sur les capitales assyriennes, Kalkhu et Ninive : dans la première, des corps d'hommes exécutés les mains enchaînées ont été mis au jour dans un puits de l'acropole ; dans la seconde, les corps des personnes qui avaient défendu une des portes ont été retrouvés sur place, car ils n'avaient jamais été enlevés. Des statues et représentations de rois assyriens sont détruites ou dégradées. Ce sont donc le désir de revanche, de vengeance, de pillage et de faire disparaître les traces de l'empire assyrien qui transparaissent dans l'attitude des vainqueurs[530],[531]. Une partie de la population des capitales est déportée en Babylonie[530], car on trouve des traces d'Assyriens dans des tablettes des décennies suivantes provenant de Babylone (y compris à la cour) et de plusieurs autres villes[532].
Dans les années qui suivent, les restes de l'empire assyrien sont traqués et anéantis. Certaines tablettes mises au jour à Ziyaret Tepe, l'ancienne Tushhan, capitale provinciale de la région du Haut Tigre, dateraient de 611, l'année après la chute de Ninive. Elles montrent une administration aux abois, désorganisée, qui n'est pas en mesure de préparer la résistance face aux troupes ennemies qui arrivent, et qui attend sa fin, laquelle survient rapidement[533].
La chute de Ninive ne marque pas la fin de la résistance assyrienne, puisqu'un certain Assur-uballit (un membre de la famille royale ?) tente de reprendre le flambeau depuis Harran. Mais une fois que les Babyloniens ont achevé de soumettre le triangle assyrien, ils se dirigent vers l'ouest en 610, accompagnés par les Mèdes. Ils prennent la ville et en chassent Assur-uballit. Celui-ci tente de revenir en 609, avec l'aide de troupes égyptiennes, mais il est définitivement vaincu et disparaît. Cet événement marque la fin de l'empire néo-assyrien[528],[529].
La conquête de la partie occidentale de la Djézireh se repère par la fin de l'occupation des centres provinciaux assyriens, avec dans plusieurs cas des destructions attestées par l'archéologie. Il s'en trouve à Dur-Katlimmu (Tell Sheikh Hamad), où la Maison Rouge est détruite puis reconstruite. Elle a livré quelques tablettes du règne de Nabuchodonosor II qui indiquent une forme de continuité avec l'époque assyrienne. Mais cela fait long feu puisque le site est abandonné peu de temps après. Til Barsip (Tell Ahmar) est déserté après la conquête babylonienne (sans destruction), les peintures murales du palais sont mutilées[536]. Huzirina (Sultantepe) est détruite en 610, les tablettes savantes qui y ont été mises au jour ont été enterrées, sans doute devant l'imminence de l'assaut. Le site est réoccupé directement après, avant d'être abandonné[537]. De son côté Guzana (Tell Halaf) continue à être occupée après la chute de l'empire assyrien et devient un centre provincial babylonien[538].
Par la suite, les Babyloniens s'affirment comme les successeurs de l'empire néo-assyrien sur le plan politique, en prenant le contrôle du Levant et fondant l'empire « néo-babylonien ». Ils s'emparent de Kimuhu (Samsat) en 606, puis mettent en déroute les Égyptiens à Karkemish en 605, et prennent Hamath[539]. Dans la foulée les sites levantins qui avaient prospéré durant la fin de l'époque néo-assyrienne et qui avaient basculé du côté égyptien sont soumis et souvent détruits puis leur population déportée. La conquête babylonienne est particulièrement brutale en Philistie, la prospérité de la région prenant fin avec la conquête babylonienne (destructions d'Ashkelon, Ekron, Ashdod, seule Gaza semble épargnée)[540]. De leur côté les Mèdes ne tentent manifestement pas d'établir une domination de type impérial, ou alors ils dirigent plutôt leurs appétits vers l'Anatolie où ils croisent le fer avec les Lydiens.
L'Assyrie « post-impériale », une fois passées les destructions, pillages et déportations, donne quant à elle l'impression d'un vide. Très peu de sources littéraires la documentent, la plupart des sites semblent désertés, à l'écart des grands réseaux de communication, les campagnes bien moins exploitées qu'avant, seuls les grands sites fortifiés ayant laissé des traces d'occupations, et encore assez limitées en dehors d'Assur. Les empires qui succèdent à l'Assyrie ne se préoccupent pas vraiment de la région. Il reste assez difficile d'estimer l'ampleur des changements, car les sources sont ténues et difficiles à exploiter. Mais tout semble confirmer un « effondrement »[541].
À la recherche d'explications
Le fait qu'en quelques années l'Assyrie passe de la situation qui prévalait durant l'apogée du règne d'Assurbanipal à sa destruction totale a suscité diverses interprétations. Pour P. Garelli, c'était un « scandale historique »[542] ; pour M. Dandamaev, le résultat « d'un concours de circonstances défavorables »[543].
Il est d'abord possible de replacer la chute de l'empire néo-assyrien dans le contexte des chutes des empies, qui ne manquent pas d'exemples. Selon P.-A. Beaulieu : « un rapide survol de l'histoire du monde, en particulier au Proche-Orient, démontrera que les empires ont généralement tendance à se désintégrer et à tomber rapidement. Cela est dû à leur nature même. Les empires souffrent souvent d'une extension excessive des ressources et d'une centralisation extrême de la prise de décision qui facilitent l'effondrement de toute la structure si le noyau est attaqué avec succès. L'Assyrie ne tomba assurément pas plus rapidement que les empires babylonien ou perse qui suivirent, qui disparurent de la scène mondiale encore plus vite qu'ils n'étaient apparus[544]. »
Reste à essayer de dégager des spécificités du cas assyrien, et notamment son « effondrement ».
La chute de l'empire résulte de la conjonction de deux problèmes chroniques auxquels il a été confronté à plusieurs reprises. D'abord les luttes de pouvoir au sommet de l’État, en particulier au sein de la famille royale, qui semblent continues depuis la guerre entre Assurbanipal et Shamash-shum-ukin, avec un pic entre 631 et 627, sans compter ses antécédents sous Assarhaddon. Ce sont autant de crises qui ont probablement affaibli la légitimité du pouvoir royal et provoqué la disparition d'une partie des hommes d’État expérimentés dans les purges qui ont eu lieu[545]. L'autre problème récurrent est l'insoumission de la Babylonie et sa capacité à faire face aux armées assyriennes. De la même manière, la Médie et la frontière nord-est de l'empire, pourtant très proche du centre, sont un point de faiblesse de l'empire. La cause directe est donc la défaite militaire de l'Assyrie : manifestement, la fin du VIIe siècle a été une période catastrophique pour cette région et l'a profondément bouleversée[546].
Un autre aspect évoqué est l'importance de l'armée dans la domination assyrienne, qui incite à toujours pousser plus loin les conquêtes et capte beaucoup de ressources, qui auraient pu être employées ailleurs. Le fait que l'Assyrie et les régions voisines de la Djézireh connaissent une désurbanisation et un déclin démographique marqués après la conquête, puis deviennent des espaces marginaux dans les empires néo-babylonien et achéménide, semblerait confirmer le fait que ces régions sont déjà très fragilisées à la fin de l'empire assyrien[547],[548]. Cela rejoint les arguments sur l'affaiblissement démographique et économique des populations rurales qui surviendrait dès avant la fin de l'empire, ainsi que le caractère artificiel des capitales constituées grâce aux ressources prises sur les autres régions de l'empire et surdimensionnées par rapport aux capacités réelles du pays assyrien[549],[518].
Plus généralement, l'ampleur de l'effondrement reflète la grande dépendance de la société, de l'économie et de la culture vis-à-vis de l'État et de son administration, ce qui explique par exemple pourquoi les temples n'ont pas été en mesure de jouer le rôle de continuateurs de la culture assyrienne. Cette absence de continuité est aussi est en grande partie liée au fait que les Babyloniens et les Mèdes ont essentiellement eu un rôle de destructeurs et ont manifestement ciblé ce qui représentait l'idéologie du pouvoir assyrien, y compris son élite intellectuelle, de façon à ne laisser aucune possibilité de reconstitution, et ne se sont jamais préoccupés remettre en valeur ce qu'ils avaient dévasté. De ce fait, même si quelques éléments de continuité administrative et religieuse se repèrent localement, il n'est pas excessif de considérer que c'est la civilisation assyrienne qui disparaît avec son État[550].
Héritages et réceptions
Après la chute de l'Assyrie, Babylone reprend la majeure partie de ses territoires : cet « empire néo-babylonien » peut donc être vu comme le successeur de l'empire assyrien, le principe d'une domination impériale sur les territoires de Mésopotamie, de Syrie et du Levant étant assuré sans discontinuité. Les rois babyloniens ont une culture politique et idéologique similaire à celle de l'Assyrie (qui avait beaucoup puisé dans le fonds culturel babylonien). Mais ils s'en démarquent par plusieurs traits : leurs discours officiels sont moins bellicistes et ne mettent pas en avant les châtiments infligés aux vaincus, ils mettent plus l'emphase sur l'aspect pieux des rois, leurs constructions religieuses. Néanmoins en pratique, comme l'atteste la Bible et le sort de Jérusalem, leurs conquêtes sont souvent violentes, et s'accompagnent de déportations. Par bien des aspects ils semblent donc avoir suivi le modèle assyrien[551],[552]. Moins d'un siècle après la chute de l'Assyrie, en 539, l'empire néo-babylonien est incorporé dans l'empire des Perses Achéménides, qui dure plus de deux siècles. Là encore des similitudes avec le modèle impérial assyrien ont été identifiés : idéologie impériale, titulature royale, iconographie du pouvoir, mécanismes administratifs[553]. D'autres éléments singularisent l'exercice du pouvoir achéménide : une classe dominante ethniquement homogène (perse), une absence de volonté de restructurer les provinces. Surtout l'empire a rapidement éliminé ses rivaux potentiels (Mèdes, Babyloniens, Lydiens, Égyptiens) et s'est assuré une domination plus stable, ce qui explique peut-être son usage moindre de la répression[554]. On peut donc tracer une trajectoire historique qui part de l'empire néo-assyrien, se prolonge dans le néo-babylonien puis culmine dans l'empire achéménide, avant de se transmettre aux empires postérieurs : royaumes hellénistiques, empires romain, parthe et sassanide, puis empires musulmans au Moyen-Orient[555],[556].
Il ne s'agit pas forcément de faire de l'Assyrie un point de départ. Il y a en effet déjà des impérialismes et des structures politiques qualifiées d'« empires » à l'âge du bronze (empire d'Akkad, d'Ur III, Nouvel Empire égyptien, Empire hittite etc.), ce qui reflète une approche généralement large du concept d'« empire »[557]. Mais l'Assyrie constitue et consolide un empire sans équivalent antérieur, et impose son principe. Selon Beaulieu, « la structure qu'elle avait créée a finalement survécu parce qu'il n'y a eu aucune tentative sérieuse de retour à l'état antérieur de fragmentation politique. La contribution durable de l'Assyrie a été de créer le fait irréversible de l'empire et de l'inculquer si profondément dans la culture politique du Proche-Orient qu'aucun modèle alternatif n'a pu le contester avec succès, en fait presque jusqu'à l'ère moderne. C'est là que réside la rupture radicale par rapport aux premières formes de l'impérialisme proche-oriental[558]. » Avec l'Assyrie se consolide et s'impose une manière de comprendre la mission impériale : dominer le monde, le transformer en un espace ordonné et civilisé, et donner des aspects universels à ce qui symbolise son mandat impérial[559]. Liverani voit dans l'empire néo-assyrien un « prototype » des empires postérieurs, qui contient un stade embryonnaire des idéologies impériales qui se développent par la suite. Il retrouve des réminiscences de l'idéologie impériale assyrienne dans les hymnes royaux carolingiens (Laudes Regiae), transmis par le truchement de la Bible et réadaptés dans un nouveau contexte, celui d'un empire chrétien[560].
Le souvenir de l'empire néo-assyrien se transmet avant tout par le biais de la tradition biblique, dont les textes mentionnent plusieurs des souverains assyriens, leurs attaques contre Israël et Juda, les déportations qu'ils ont ordonnées, et aussi la chute de Ninive, événement qui a grandement marqué le monde antique. Des histoires sur les rois assyriens ont également circulé en araméen, quelques-unes étant connues par des papyrus mis au jour en Égypte, comme le Roman d'Ahiqar, récit sapiential dont le personnage principal est un ministre d'Assarhaddon et d'Assurbanipal. La tradition grecque est moins marquée par le souvenir de cet empire lointain, mais elle comprend des histoires à propos du légendaire roi Ninos, de la reine Sémiramis, de Sardanapale[561], avec souvent une confusion entre Babylone et l'Assyrie qui fait qu'il a pu être proposé de retrouver l'origine des Jardins suspendus de Babylone non pas dans cette dernière mais plutôt à Ninive, où il y aurait plus d'indices pour l'existence de ce type de monument[562].
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Voir aussi
Liens internes
Liens externes
- (en) State Archives of Assyria online (SAAo) : mise en ligne de la totalité des textes publiés dans la série des State Archives of Assyria (lettres, documents administratifs, belles-lettres, questions oraculaires).
- (en) Assyrian empire builders: Governors, diplomats and soldiers in the service of Sargon II and Tiglath-pileser III, kings of Assyria : site consacré à l'organisation de l'administration et de l'armée de l'empire néo-assyrien, à partir de la correspondance royale.
- (en) Knowledge and Power in the Neo-Assyrian Empire : site consacré aux activités intellectuelles à la cour néo-assyrienne et à leurs relations avec le pouvoir royal.
- (en) The Geography of Knowledge in Assyria and Babylonia: A Diachronic Analysis of Four Scholarly Libraries : présentation des bibliothèques des lettrés de la Mésopotamie du Ier millénaire av. J.-C., dont plusieurs sites assyriens (Sultantepe, Nimroud).
- Enregistrement audio de conférences données au Collège de France sur les annales royales assyriennes par Mario Liverani.
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