Mégalithe
Un mégalithe (mégas, μέγασ, « grand » et λίθοσ, lithos, « pierre », en grec ancien) est une construction monumentale liée au mégalithisme (au sens strict et archéologique du terme) souvent attachée à un sanctuaire, constituée d’une ou de plusieurs pierres brutes de grandes dimensions peu ou pas taillées, érigées sans mortier ni ciment pour fixer la structure.
Si le terme de « mégalithe » peut être utilisé pour décrire des monuments érigés partout sur la planète à différentes époques, l'attention des chercheurs se concentre sur les monuments les plus anciens correspondant au Mésolithique, au Néolithique, au Chalcolithique ou même à l'âge du bronze, suivant les régions.
Définition
Le terme est utilisé pour la première fois par Algernon Herbert en 1849 et admis au Congrès de Préhistoire de Paris en 1867[1].
Étymologiquement, un mégalithe (du grec mégas (μέγας), « grand », et líthos (λίθος), « pierre ») désigne une construction faite de grandes pierres mais cette définition est à la fois trop large (par défaut, elle engloberait toutes les constructions cyclopéennes comme les pyramides d'Égypte, les temples visibles à Malte ou certaines constructions incas) et trop restrictive (par convention, on inclut aussi dans les mégalithes des monuments qui ne sont pas construits uniquement avec de grandes pierres). Selon le sens le plus communément admis, un mégalithe est un monument lié au mégalithisme et constitué d’une ou plusieurs pierres de grandes dimensions, érigées ou utilisées dans une construction sans l’aide de mortier ou de ciment pour en fixer la structure. On distingue généralement les principaux types de mégalithes suivants :
Pierres simples
- les monolithes et architecture monolithe ;
- les menhirs appelés aussi stèles[2], pierres dressées plantées verticalement en terre ;
- les statues-menhirs, constituées d'un seul bloc sculpté ou en bas-relief représentant une figure humaine.
Pierres multiples
- les dolmens, tombeaux constitués de dalles souvent monumentales, et les allées couvertes, formées de plusieurs pierres dressées (ou orthostates) recouvertes par une ou plusieurs dalles (ou tables) ;
- les coffres mégalithiques, de taille beaucoup plus importante que les simples coffres funéraires mais ne permettant pas des inhumations successives ;
- les alignements, une ou plusieurs lignes de menhirs, de même direction approximative ;
- les cercles de pierres, plus ou moins complets (improprement appelés cromlechs) ;
- des hypogées préhistoriques à l'aménagement sommaire ;
- les polissoirs classés par convention parmi les mégalithes bien qu'ils n'en possèdent au sens strict aucune des caractéristiques ;
- les tumulus, nuraghe, et tombe des géants.
- Dolmen de Volkonka en Russie européenne
- Dolmen de Axeitos en Espagne
- Tombe des géants de Sedda sa Caudeba en Sardaigne
- Dolmen El Gastor en Espagne
- Dolmen du parc national du patrimoine irlandais[précision nécessaire]
Il existe également des types de monuments mégalithiques préhistoriques spécifiques à une région donnée du monde (taulas des îles Baléares, bateaux de pierre du sud de la Scandinavie, nuraghes de Sardaigne, torres de Corse) ou d'un genre unique en soi (Stonehenge). Certains chercheurs pensent qu'au Néolithique existent, à côté de ces mégalithes, leurs équivalents en bois appelés, faute de terme créé pour les désigner, dolmens et menhirs en bois[3].
Dans l'usage courant, le terme peut être employé pour désigner diverses constructions édifiées avec de grandes pierres mais à des périodes plus récentes (cercles mégalithiques de Sénégambie en Afrique de l'Ouest, statues de l’île de Pâques, cercle mégalithe de Calçoene au Brésil).
Signification
L'image d'Épinal des dolmens ou des pierres levées isolées est aujourd'hui contredite par la recherche archéologique qui montre que les monuments mégalithiques font généralement partie de dispositifs architecturaux plus vastes[4].
Dolmen de Kercadoret dans le Morbihan Dolmen du djebel Gorra en Tunisie
Si l'on considère le grand nombre de monuments mégalithiques que l'on peut observer à travers le monde, et qui ont survécu aux multiples facteurs de destruction (notamment ceux de l'homme lui-même) auxquels ils ont été confrontés au cours des siècles, il semble bien que l'on puisse considérer que les motifs qui ont abouti à leur construction aient eu une importance considérable pour l'humanité, tant aux premières époques de son développement qu'à l'heure actuelle.
La plupart des chercheurs concernés s'accorde aujourd'hui à leur reconnaître un rôle multiple, soit, par ordre d'importance, social, culturel (religieux et funéraire, les archéologues ne pouvant plus toujours mettre en évidence ce dernier rôle en raison de l'absence totale d'ossements disparus dans les régions de roches anciennes, aux sols trop acides[6]), astronomique, astrologique, artistique, agricole, etc. Si toutes ces constructions ne possédaient pas toutes ces fonctions, elles révèlent une société organisée « sous la direction d'élites dirigeantes, princes ou prêtres, sachant organiser et inciter de gré ou de force des populations importantes, peut-être renforcées à l'occasion des cérémonies et des travaux religieux par des éléments exogènes »[7]. Ces constructions créent ou maintiennent la cohésion du groupe, en indiquant aux nouveaux arrivés et aux gens de passage une capacité technique et humaine importante.
Prolongeant la conception de la petra genetrix de Mircea Eliade, Ina Mahlstedt, spécialiste en histoire des religions, considère que les pierres levées ont eu pour fonction d'accueillir les puissances estivales de la vie pendant la latence hivernale, d'après une conception selon laquelle entre la mort et la renaissance, la vie se conserve dans la pierre[8] Selon elle, le phénomène du mégalithisme est étroitement lié aux problématiques engendrées par les débuts de l'agriculture et de la sédentarisation : la dépendance par rapport au cycle des saisons conduit à l'observation du ciel, puis à la détermination des points cardinaux et à la sacralisation des repères utilisés qui peuvent être des pierres levées ou d'autres constructions de pierre[8].
Origine et diffusion
Différentes hypothèses ont été émises quant à leur origine. De la fin du XIXe jusqu'aux 2/3 du XXe siècle, on a pensé qu'ils avaient été construits d'abord en un lieu particulier tel le Moyen-Orient. Montelius (1905) opte pour une origine dans le Proche-Orient ; Childe (1925,1940, 1950, 1958) reprend la position de Montelius et prône une diffusion par voie maritime ; Daniel (1960) imagine une expansion par le biais d'une élite de prêtres itinérants, depuis la Méditerranée vers le nord-ouest et l'Atlantique en passant par l'isthme pyrénéen puis de là vers la Grande-Bretagne, et plus tard par mer en contournant l'Espagne et le Portugal[9].
L'émergence de la datation au carbone 14 dans les études préhistoriques, et donc sur les mégalithes, contredit ce schéma de diffusion : les dates suggèrent une apparition plus ou moins simultanée dans plusieurs cultures, indépendamment les unes des autres. Renfrew (1977) bâtit sur ces nouvelles données une hypothèse selon laquelle cinq centres originels auraient été à l'origine des mégalithes : Portugal, Andalousie, Bretagne, sud-ouest de l'Angleterre, Danemark et peut-être Irlande[9].
En 2019 l'étude de l'archéologue suisse Bettina Schulz Paulsson, basée sur une approche statistique bayésienne sur 2 410 sites mégalithiques européens, avance que le berceau du mégalithisme en Europe serait la Bretagne : les mégalithes les plus anciens y auraient été assemblés vers 4 700 AEC, cette région abritant les premières structures monumentales pré-mégalithiques (tombes sans chambre mégalithique) ainsi que des structures dites « transitionnelles » (tumulus ronds recouvrant des sépultures à fosses, des cistes de pierre et des chambres sèches sans accès, quelques pierres étant agencées au-dessus d’un monticule de terre) issues d'une civilisation de chasseurs-cueilleurs[10]. Le mégalithisme armoricain se serait ensuite diffusé à travers l’Europe puis les côtes africaines, par voie maritime, lors de trois vagues successives jusqu'à 3 000 AEC (vagues déterminées selon les datations et les similitudes techniques et architecturales)[9]. Cette hypothèse devrait être confirmée ou infirmée par des études de paléogénétique[11] et d'autres preuves archéologiques[12].
Passé prémégalithique
L'analyse des blocs utilisés pour construire un monument mégalithique renseigne sur leur origine et sur leur passé prémégalithique (types de blocs rocheux employés, opposition entre une face d'arrachement et une face d'affleurement[13], micromodelés d'érosion prémégalithique)[14].
Les blocs prémégalithiques peuvent être classés en plusieurs catégories : blocs sans face d'affleurement (dalles de forme géométrique, aux contours anguleux), blocs à face d'arrachement et à face d'affleurement opposées (bloc à coupole, bloc à coupole et à encoche, bloc sans face d'arrachement[15].
Les mégalithes présentent à leur surface deux types de microformes : les formes d’érosion postmégalithiques et prémégalithiques. Les premières « comprennent deux séries de marques, assez communes : des marques de météorisation superficielle (surfaces désagrégées, plaques de desquamation) et des formes d’évidement mineures, creusées à partir du sommet des menhirs (vasques, sillons, cannelures, pseudolapiés) ; elles fournissent un marqueur de la vitesse de l’érosion des granites en milieu tempéré[16] ; elles fournissent également des arguments pour interpréter comme un ancien mégalithe un bloc rocheux renversé et isolé dans son état actuel. Les formes d’érosion prémégalithiques correspondent, pour leur part, à des vasques latérales, actuellement disposées à la verticale le long des menhirs, mais antérieurement creusées à l’horizontale, au sommet des blocs rocheux prémégalithiques utilisés comme menhirs[17] ».
Paléogénétique
L'important mouvement culturel et démographique caractérisé par la construction de mégalithes est associé aux populations néolithiques. Une étude publiée en 2019 qui a séquencé le génome de 24 individus datés entre 3800 et 2600 av. J.C. appartenant à cinq tombes mégalithiques d'Europe du Nord en Irlande, dans les îles Orcades en Écosse et dans l'île de Gotland (Suède) montre que ceux-ci sont caractéristiques des fermiers néolithiques d'Europe, possédant une large proportion d'ascendance des premiers fermiers néolithiques venant d'Anatolie et une faible proportion d'ascendance de chasseur-cueilleurs de l'ouest de l'Europe (WHG) qui les ont précédés[18].
L'étude montre que les fermiers des différents sites mégalithiques depuis la péninsule Ibérique jusqu'à la Scandinavie présentent entre eux une affinité génétique plus importante qu'avec les fermiers néolithiques d'Europe centrale, ce qui suggère des mouvements de population le long de la façade atlantique pendant cette période[18].
Les résultats montrent également des haplogroupes mitochondriaux variés : K, H, HV, W, U5b, T et J alors que tous les hommes appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y I2a typique des chasseurs-cueilleurs européens du Mésolithique. Ce résultat pourrait faire penser à un processus de mélange génétique entre fermiers et chasseurs-cueilleurs biaisé avec plus d'hommes chasseurs-cueilleurs et plus de femmes fermiers pendant le néolithique moyen[18]. Enfin, les résultats révèlent que ces tombes mégalithiques abritaient des familles patrilinéaires[18].
Distribution géographique dans le monde
Des mégalithes sont érigés à de nombreux endroits de la planète.
Europe de l'Ouest
Les relevés recensant la totalité des mégalithes ou de leurs vestiges ne permettent généralement d'établir que des estimations approximatives, faute d'inventaire exhaustif. En Europe où subsistent aujourd'hui quelque 50 000 mégalithes, les estimations se répartissent comme suit pour les monuments mégalithiques funéraires : « 5 500 à 6 000 au Danemark ; 700 à 800 en Suède (auxquels il faut ajouter 30 monuments détruits) ; un petit nombre en Norvège ; 1 300 à 1 400 en Allemagne ; 55 aux Pays-Bas (auxquels il faut ajouter 30 monuments détruits) ; quelques-unes en Belgique et en Suisse ; 6 000 à 6 500 en France ; 1 200 à 1 500 en Irlande ; 1 500 à 2 000 en Grande-Bretagne, îles de la Manche comprises ; 6 000 à 7 000 dans la Péninsule ibérique (Portugal, Espagne et Baléares) ; et un millier en Italie et dans les îles de la Méditerranée. Les chiffres concernant les autres catégories de monuments — pierres levées (menhirs), allées de pierres (alignements) et cercles de pierres levées — sont encore plus vagues ». Quelques milliers en Europe atlantique, avec notamment la Bretagne « qui compte à elle seule plus d'une centaine d'alignements connus, totalisant plus de 3 000 pierres levées, tandis que le nombre de menhirs subsistant de nos jours est estimé entre 1 000 et 1 200, 180 d'entre eux étant classés aux termes de la loi[19] ».
En Europe de l'Ouest, la néolithisation des régions côtières atlantiques coïncide avec les premières constructions de la côte de l’Atlantique et le début du mouvement mégalithique à l'origine des 35 000 mégalithes connus dans cette région[20],[21].
Les mégalithes seraient des lieux cérémoniels de rassemblement pour célébrer des événements ou fêter des membres du village, érigés sur la façade ouest de la France (entre 4 700 ans et 4 000 ans avant notre ère, avec la Bretagne qui serait la région d’origine du phénomène mégalithique), avant de devenir des lieux de sépultures (premiers dolmens 4 300 ans avant notre ère)[20].
En Angleterre, on ne peut ignorer le site de Stonehenge, exceptionnel par son état de conservation.
Sur le territoire français, on peut citer le tumulus de Bougon ou le cairn de Barnenez, datés du Ve millénaire av. J.-C., soit plus de 2 000 ans avant la première pyramide égyptienne. Ces constructions extrêmement nombreuses datent généralement du Néolithique ou du Chalcolithique (4700 à ), comme Stonehenge en Angleterre. Mais le tumulus F de Bougon a fourni la date de dans sa partie Fo[22]. Les alignements de Carnac datent d'environ [23].
En Belgique, plus de cent vingt sites de mégalithes, dolmens et menhirs sont relevés, dont les alignements de Weris avec les dolmens et cromlechs qui leur font cortège, les pierres de Mousny-lez-Ortho, Gozée, Sart-lez-Spa, Neerwinden, Manderfeld, la tombelle de Tourinnes-Saint-Lambert[24],[25],[26] et jusque dans Bruxelles où des toponymes (Tomberg, Plattesteen, etc.) témoignent de l'existence d'anciens monuments mégalithiques.
L'important groupe mégalithique méditerranéen de Corse et Sardaigne se prolonge jusqu'en Syrie. Le mégalithisme de Malte (Ggantija, ) constitue un cas particulier et culturellement assez indépendant.
En Sicile on trouve sur le plateau de l'Argimusco près de la ville de Montalbano Elicona plusieurs mégalithes de forme très singulière dont l'origine est encore incertaine.
Asie
En Inde, les monuments mégalithiques datent du IIe millénaire av. J.-C. jusqu'au milieu du Ier millénaire av. J.-C.
Les dolmens les plus à l'est, en Corée, sont du Ier millénaire, et au Japon du VIIe au IIe siècle av. J.-C. En Asie centrale, en Sibérie et en Mongolie, les pierres de cerf sont datées de la fin du IIe millénaire av. J.-C. et du Ier millénaire av. J.-C. Elles sont attribuées à des cultures indo-européennes comme la culture d'Andronovo et ses annexes et descendants comme les Scythes qui élèvent également de nombreux menhirs anthropomorphes.
En Indonésie, la production à partir de carrières de mégalithes, parfois très décorés, faisait encore partie des traditions culturelles de l'île de Nias au siècle dernier. Il y avait des statues de pierre, des bancs de pierre pour les chefs et des tables en pierre pour exercer la justice. Des mégalithes étaient aussi utilisés pour la commémoration de défunts de la noblesse afin qu'ils puissent rejoindre leurs ancêtres dans l'au-delà. L'érection d'une telle pierre préludait à un festin rituel. La photo ci-contre (vers 1915) montre une de ces pierres rituelles tirée sur une pente. L'histoire locale veut que 525 personnes aient, en trois jours, érigé cette pierre dans le village de Bawemataloeo[27].
Afrique
C'est dans la région du sud de l'Éthiopie que se trouve encore aujourd'hui la plus grande concentration de mégalithes de tout le continent africain[29]. Ils se divisent en deux ensembles distincts : des cistes dolmeniques datant du IIe millénaire av. J.-C. pour l'ensemble le plus ancien[30], et d'autres, plus récents (Ier millénaire de notre ère), se comptent par milliers (un chiffre de 10 000 est avancé) dans le Choa et le Sidamo éthiopien. L'une des régions les plus marquées par ce mégalithisme est le district (wereda) du Soddo au sud d'Addis-Abeba, où quelque cent soixante sites archéologiques ont été découverts jusqu'à présent ; celui de Tiya, l'un des plus importants, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO[31].
Les dolmens et menhirs de Haute-Égypte (Abou-Simbel, Nabta Playa, etc.) seraient datés du Ve millénaire av. J.-C. (–4500)[32].
Les mégalithes d'Afrique du Nord n'apparaissent qu’à la fin du IIIe millénaire av. J.-C. (– 2200).[réf. nécessaire]
En Tunisie, la nécropole à dolmens du djebel Gorra, située près de la petite ville de Thibar, sur la route qui mène à Téboursouk, présente deux à trois cents sépultures mégalithiques bien reconnaissables. Des nécropoles à dolmens existent également en Algérie dans la région frontalière Cheffia, jusqu’à la Calle ; ils datent de la période libyco-berbère.[réf. nécessaire].
Au Maroc, le site le plus connu est situé au sud-est d’asilah, c’est le cromlech de M'zora qui est un tumulus à enceinte mégalithique de forme elliptique, entouré d’un ensemble de 167 mégalithes de dimension variable[33].
En Mauritanie, au Mali (dans la région de Niafunké, le site de Tundidaro comprend plus de 150 pierres dressées).
Au Niger, au Togo et au Tchad, les pierres dressées protègent les sépultures.
En Sénégambie, près de 29 000 cercles mégalithiques de latérite ont déjà été identifiés, dans un espace limité entre les fleuves Gambie au sud et Saloum au nord. Ils sont datés d'une période qui s'étend du IIIe siècle av. J.-C. au XIVe voire peut-être au XVIe siècle de notre ère[34],[35],[36],[37].
En République centrafricaine, à Bouar, les constructions mégalithiques datent du VIe siècle av. J.-C..[réf. nécessaire]
Amérique
La Colombie possède des dolmens : San Augustin et Alto de los Idolos. Les deux sites principaux ne sont distants que de quelques kilomètres. Ils s’étagent du VIe siècle av. J.-C. jusqu'au XVe siècle.
Au Brésil, une équipe d'archéologues brésiliens a découvert sur le site de Calçoene (État amazonien d'Amapá) près de la Guyane française, un observatoire astronomique datant de l’époque antique, remontant probablement à 2 000 ans (étude des céramiques trouvées sur les lieux). Selon l’archéologue Mariana Petry Cabral (Institut de Recherche Scientifique et Technologique d’Amapá - IEPA), seule une société organisée a pu être en mesure d’ériger un tel monument. L’observatoire est constitué de 127 blocs de granite, chacun d’une hauteur de 3 mètres, disposés en cercles réguliers dans une clairière de la forêt amazonienne. La disposition du monument rappelle celle de Stonehenge.
Extraction, transport, érection des mégalithes
Sur le plan géologique, la cristallisation et le refroidissement d'intrusions de roche plutonique crée des fissures d'origine tectonique (réseau de failles de retrait à l'origine de chaos, réseau conjugué de plusieurs plans de diaclases) qui peuvent former, sous l'effet de l'érosion qui fait affleurer la roche, un débit de cette roche en forme de lames plus ou moins arrondies facilement extractible et donnant un mégalithe[38].
« Sauf pour l'exploitation des roches en carrières, la fouille apporte peu d'indications sur la façon dont furent jadis construits les monuments mégalithiques. On est réduit à des démarches indirectes qui sont d'ailleurs suggestives, ne serait-ce que sur le plan des structures sociales concernées »[39].
En ce qui concerne l'extraction, des bois de cerf aménagés[n 1] en pics[40] ont pu permettre l'extraction des blocs en élargissant les fissures naturelles ou les plans de stratification. Des percuteurs en silex ou en chaille ont pu servir à enfoncer les pics dans la roche ou à la mettre en forme par bouchardage, tandis que les omoplates de bovidés ont pu être utilisées comme pelles[41]. L'emploi de coins en pierre et de coins en bois[n 2], mouillés, permettait de gonfler et déliter le banc rocheux, l'élargissement des fissures étant complété par l'action de leviers[42]. Le néolithique final, vers le milieu du IIIe millénaire av. J.-C., est marqué en Bretagne par une révolution technique avec « l'utilisation systématique du feu pour le débitage. De grands brasiers sont allumés au front de taille pour aider à la rupture des joints[43] ».
En ce qui concerne le transport et l'érection, les techniques sont diverses : pour le transport par voie d'eau pour les grandes distances (transport maritime puis fluvial), les apports de l'archéologie expérimentale plus significatifs que la grande rareté des principaux témoins archéologiques en bois, suggèrent que les embarcations en charpente de bois de type barge sont plus aptes que les pirogues monoxyles et les radeaux à transporter les grands menhirs en mer[44]. Le transport terrestre sur le continent peut se faire par roulage sur des chemins de ripage en rondins voire en troncs pour les blocs de plus de 100 tonnes, par glissement sur sol gelé, par des traîneaux ou des sortes de rails en troncs de chêne, par la technique du panglong en Asie du Sud-Est[n 3]. Des coins, perches et cordages (cordes en fibre végétale tressée, en racines souples de sapin, de lierre et de viorne, qui sont trempées, martelées puis tressées) permettent de manipuler et d'élever ces blocs[45]. Cependant, ces théories appuyées par l'archéologie expérimentale[n 4] ne permettent d'expliquer le transport de blocs que de faible tonnage et que sur des pentes très faibles[46].
La mise en place des dalles de couverture sur des piliers verticaux peut se réaliser à l'aide de rampes ou plans inclinés, voire d'échafaudages[47]. Après basculement du menhir dans sa fosse, ce mégalithe peut être relevé à l'aide d'une chèvre de levage, puis solidement maintenu par des « blocs de calage »[n 5].
Il ne semble pas que les bœufs aient été employés pour tracter, bien que le joug ait été connu au Néolithique[48]. Les chercheurs pensaient que le transport et l'érection des mégalithes nécessitaient une main-d'œuvre importante réunie au cours de festivités ou cérémonies. Mais l'expérience, largement médiatisée en 1979, réalisée par Jean-Pierre Mohen à Bougon dans les Deux-Sèvres, a bousculé plusieurs idées reçues sur les investissements en temps et en main-d'œuvre, sur l'usure, ou sur la densité des populations qui auraient participé aux travaux. Poussé par vingt hommes et tiré par cent soixante-dix autres à l'aide de cordes en lin sur un train de rondins, eux-mêmes installés sur des rails de bois, un bloc de 32 tonnes a parcouru une quarantaine de mètres avant d'être élevé d'un mètre au moyen de trois leviers[49]. Des expériences similaires ont montré que des effets importants peuvent aussi être accomplis avec peu de personnes, bien que lentement[50],[51].
Destruction et conservation
Si la dégradation des édifices mégalithiques est en partie imputable aux outrages du temps, les destructions résultent le plus souvent d'une action humaine volontaire, parfois très ancienne. Dès le Néolithique, dès lors qu'un site n'avait plus d'usage funéraire, ses blocs de pierre pouvaient être récupérés ou détruits symboliquement[52]. Beaucoup de tombes furent pillées dès l'Antiquité. Émile Cartailhac évoque un passage de Cassiodore qui attribue aux Goths l'habitude de faire ouvrir les tombeaux anciens, pour en voler les trésors supposés y être cachés tout en veillant à respecter la cendre des morts[53].
Dans sa volonté de faire disparaître toute trace de paganisme, l'Église catholique fut l'une des plus grandes destructrices de monuments mégalithiques. Dès 452, le concile d'Arles condamne comme sacrilège toute personne allumant des flambeaux ou rendant un culte quelconque près de ces pierres. En 567, le concile de Tours renouvelle cette condamnation. En 658, le concile de Nantes ordonne aux évêques de faire démolir les édifices qui font encore l'objet d'un culte et d'en faire transporter les pierres dans des endroits perdus où nul ne les retrouvera. En 789, un décret de Charlemagne exècre devant Dieu ceux qui leur rendent un culte[54]. Par la suite, l'Église adopte des méthodes moins violentes, comme la christianisation des menhirs.
En dehors d'une volonté délibérée de destruction, diverses actions humaines contribuent à une dégradation inexorable, notamment dans le cas des dolmens : destruction des tumulus qui protègent les édifices mais gênent les cultures, récupération des pierres (dalles de couverture, orthostates, pierres du cairn dolménique) pour la construction, la taille de pavés, les travaux de voiries… Ces destructions s'accroissent considérablement avec le développement du machinisme agricole à partir du milieu du XXe siècle[55].
Dès la fin du XIXe siècle sont établis des cartes archéologiques et des inventaires qui permettent de recenser le patrimoine mégalithique et conduisent les autorités administratives à protéger certains édifices au titre des monuments historiques.
Représentations artistiques
À partir du XIXe siècle, de nombreux écrivains et peintres ont consacré une partie de leur œuvre à la représentation des mégalithes. Flaubert dans son récit de voyage en Bretagne — Par les champs et par les grèves — fut sans doute l'un des plus déçus. Après avoir évoqué toutes sortes d'hypothèses sur les menhirs de Carnac, il conclut que « les pierres de Carnac sont de grosses pierres ». Victor Hugo, en revanche, voyait dans les mégalithes des signes d'une présence poétique, bien antérieure aux civilisations antiques. Il écrit ainsi l'avant-dernier poème des Contemplations — « Ce que dit la Bouche d'ombre » — près du dolmen qui domine Rethel. Les Travailleurs de la mer méditent largement sur la présence des pierres ancestrales dans les îles anglo-normandes.
Plus récemment, en 2006, le cinéaste F. J. Ossang a réalisé au Portugal un court-métrage poétique, Silencio (Prix Jean-Vigo 2007), qui met en jeu les éléments — eau, vent, terre, soleil — dans lequel se croisent les monuments ancestraux et des ouvrages d'art actuels. Mégalithes, ponts, bunkers, éoliennes, s'érigent fièrement comme témoins du temps qui passe sur une nature mystérieuse et sauvage, ou apprivoisée, selon que s'y inscrive ou non la trace de l'homme.
Les mégalithes ont également inspiré les légendes populaires[56]. Ainsi, les paysans français leur ont donné les origines les plus diverses ; leurs bâtisseurs peuvent être surnaturels (miracles divins, de la Vierge ou d'un saint, ou au contraire œuvres du Diable, des fées, des nains, de géants comme Gargantua) mais aussi humains : Romains, Sarrasins, Anglais (Aveyron), seigneurs locaux pour commémorer une victoire, voire plus rarement de simples paysans, par exemple pour les alignements de Carnac censés avoir été dressés à raison d'une pierre chaque année, le jour de la Saint-Jean.
Sous une forme plus littéraire de légende, le Merlin de Robert de Boron attribue l'érection de Stonehenge au célèbre enchanteur, pour commémorer la victoire par laquelle Uther a retrouvé la royauté.
Dans Pantagruel, Rabelais attribue la construction de la Pierre levée de Poitiers à Pantagruel. Ce dernier, alors étudiant à Poitiers, édifie ce dolmen de ses mains de géant en montant sur quatre piliers une grosse roche qu'il extrait de la grotte de Passelourdin afin que, durant leur temps libre, les étudiants puissent se divertir à grimper dessus pour « banqueter »[57].
Dans la série de bande dessinée Astérix, Obélix est un tailleur / livreur de menhir, ce qui constitue un anachronisme, du fait que les histoires de cette bande dessinée se situent à la période gallo-romaine, postérieure à celle du Mégalithisme.
À l'époque moderne, on assiste à un renouveau inattendu du mégalithisme dans les pays développés consistant à dresser un nombre considérable de grosses pierres dans les ronds-points, dans les parcs, et dans les jardins. Il n'y a là aucune volonté explicitement religieuse. Il s'agit de poser des signes forts dans l'espace public ou dans l'espace privé. La référence au mégalithisme ancien peut être évidente (comme en Bretagne, en Irlande, et en bien d'autres lieux). Pour autant, une étude sociologique de ce retour au mégalithisme reste à faire.
Notes et références
Notes
- Par sciage à la lame de silex des andouillers postérieurs.
- L'emploi de coins en bois est attesté par les traces de « boîtes de débitage », trous relativement peu profonds creusés pour y glisser les coins.
- Panglong : traîneau sur deux lignes parallèles de troncs d'arbres sommairement ébranchés.
- Expériences de traction de Richard J. C. Atkinson avec ses étudiants à Stonehenge dans les années 1950, 1960 et 1970 ; expérience de traction et élévation d'un bloc de 32 tonnes (issu d'une tombe du tumulus de Bougon) par Jean-Pierre Mohen en 1979 sur le plateau des Chaumes à Exoudun (deux cents personnes l'ont transporté à l'aide de rouleaux de bois et de cordes végétales tressées, et soixante l'ont levé) ; expérience améliorée en 1997 par l'équipe de Bertrand Poissonnier qui, en utilisant un système de moyeu à rayons encadrant le bloc de 32 tonnes, nécessite 10 personnes dans le sens de la pente, et 20 à 25 dans le sens de la montée. Cf Jean-Pierre Mohen, Pierres vives de la préhistoire. Dolmens et menhirs, Odile Jacob, (lire en ligne), p. 36-38, 238
- Le , le relevage du grand menhir de Prat-Lédan à Plabennec devant 10 000 spectateurs est une démonstration politique (Claude Masset et Philippe Soulier, Les dolmens, Errance, , p. 79) mais aussi d'archéologie expérimentale, mettant en œuvre, non des techniques attestées au Néolithique, mais des techniques plausibles. L'association Kroaz-Hent choisit un portique d'où partent les cordes de traction (cordes industrielles au lieu de cordes artisanales) et des cordes tirées par 400 hommes qui permettent de corriger l'inclinaison du mégalithe. cf. Levage du menhir.
Références
- Claude Salicis, Germaine Salicis, Georges Brétaudeau et Marie-Claude Gérard, Dolmens, pseudo-dolmens, tumulus et pierres dressées des Alpes-maritimes (06), Nice, coll. « Mémoires de l'Institut de Préhistoire et d'Archéologie Alpes Méditerranée » (no Hors Série n°7), , 304 p. (ISBN 9782919107025), p. 13
- Menhir « est devenu un appellatif trop imprécis : cette “pierre longue” en breton ne présume ni d'une position érigée ni d'une intervention humaine ». Cf Serge Cassen, Exercice de stèle. Une archéologie des pierres dressées, Errance, , p. 8.
- Charles-T. Le Roux et Jean-L. Monnier, « Des menhirs en bois ? », La Recherche, no 360, , p. 21
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- Las dalles en provenance d'un affleurement rocheux présentent une forme composée généralement de deux grandes faces principales : la face d'arrachement ou d'éclatement, souvent plane (parfois concave), correspond à la partie initialement engagée dans le rocher ; la face d'affleurement, de forme plane ou convexe (convexité liée à un bombement rocheux, donnant un bloc à coupole), correspond à la partie souvent opposée à la face d’arrachement puisqu'elle se trouve exposée à l'air libre avant l'exploitation du bloc rocheux.
- Emmanuel Mens, « L'affleurement partagé: gestion du matériau mégalithique et chronologie de ses représentations gravées dans le Néolithique moyen armoricain », thèse de doctorat, Université de Nantes, 2002, 3 vol., 795 p.
- Caractérisation morphologique des blocs prémégalithiques granitiques (formes de 3e ordre) ; AF : face d'affleurement ; AR : face d'arrachement ; c : coupole ; p : piédestal ; e : encoche.. Cf Dominique Sellier, « L'analyse géomorphologique des mégalithes granitiques, principes méthodologiques et applications », dans Jean-Noël Guyodo, Emmanuel Mens, Les premières architectures en pierre en Europe occidentale, Presses universitaires de Rennes, (lire en ligne), p. 29.
- Vitesse de quelques dizaines de millimètres par millénaire (unité Bubnoff (en)) pour les cannelures, vitesse plus variable pour les vasques (entre 4 et 30 mm/millénaire). Cf Yannick Lageat, Dominique Sellier et Charles R. Twidale, « Mégalithes et météorisation des granites en Bretagne littorale, France du nord-ouest », Géographie physique et Quaternaire, vol. 48, no 1, , p. 107 (lire en ligne).
- Dominique Sellier, « L'analyse géomorphologique des mégalithes granitiques, principes méthodologiques et applications », dans Jean-Noël Guyodo, Emmanuel Mens, Les premières architectures en pierre en Europe occidentale, Presses universitaires de Rennes, , p. 13
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- François Rabelais, Pantagruel, Marty-Laveaux, (lire en ligne), p. 237-238.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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