Le Rif est la région nord montagneuse du Maroc, qui s'étend de la péninsule tingitane à la frontière algérienne. La région subit l'influence carthaginoise dès le IIIesiècleav. J.-C., où on voit les Puniques établir des comptoirs sur la côte, aux environs de Rusaddir et sur la partie orientale de la péninsule tingitane.
Au Iersiècle, la région passe sous administration romaine directe et est rattachée à la Maurétanie-Tingitane. Elle voit l'établissement de plusieurs cités romaines tel Rusaddir (Melilla), Aquila (Tétouan) et Aerath (vers Al Hoceima).
Le pouvoir romain affaibli au Vesiècle, la région voit en 429 le débarquement de 80 000Vandales venus de Bétique. L'Empire romain disparaîtra le siècle suivant et les tentatives des Byzantins de le reconstituer n'auront que peu d'effets sur la Maurétanie-Tingitane, n'arrivant à avoir le contrôle que de la région côtière de la péninsule tingitane.
Au Moyen Âge, les habitants du Rif sont divisés selon trois principales confédérations berbères, celles des Ghomara, des Bakkouia et celle des Bettioua, cette dernière représentant la confédération la plus large, dont le territoire s'étend de Nekkor à la Moulouya[5].
Entre le VIIIesiècle et le XIIesiècle, la partie occidentale du Rif (Jbala et Ghomara) devient majoritairement arabophone sous l'influence des voies de communication reliant Fès aux ports méditerranéens et, au-delà, à l'Andalousie[6]. Les parties centrale et orientale, éloignées des voies de communication, demeurent berbérophones. Les Rifains, proprement dits, sont ces dernières peuplades, issues de l'éclatement des confédérations des Bettioua et des Bakkouia, parlant principalement un dialecte zénète.
Au XIesiècle, Abdallah al-Bakri cite nommément les tribus rifaines que sont les Temsamane, les Ibaqouyen, les Gueznaya, les Beni Ouriaghel, les Kebdana, les Marnissa (aujourd'hui faisant partie des Jbalas), les Mestasa et les Aït Itteft.
Au cours de l'histoire, les Rifains sont successivement incorporés aux empires des Almoravides, des Almohades, des Mérinides, des Wattassides, des Saadiens et des Alaouites, bien que gardant une large autonomie par rapport aux pouvoirs centraux successifs.
Ère moderne et l'indépendance du Rif
Depuis le Traité de Fès et l'établissement des protectorats français et espagnol sur le Maroc, le Rif fait principalement partie de la zone espagnole tandis que trois tribus rifaines voient leur territoire partagé entre les zones française et espagnole: la majorité du territoire des Igzenayen et la partie sud de celui des Ibdalsen et Ait Bouyahyi se retrouvent sous administration française. Les Béni-Snassen, établis à l'est de la Moulouya, sont intégralement inclus dans la zone française.
Entre 1921 et 1928 se déroule la guerre du Rif, qui voit l'établissement d'un Etat indépendant, la République du Rif, sous l'impulsion d'Abdelkrim El Khattabi, avant que ce dernier ne soit défait et que la région retombe de nouveau, entièrement, sous le contrôle des autorités du Protectorat.
À l'indépendance du Maroc en 1956, le Rif est réunifié au Maroc. Les conditions économiques défavorables poussent plusieurs centaines de milliers de Rifains à l'exode vers les grandes villes du Maroc et vers l'Europe, notamment la Belgique et les Pays-Bas.
Longtemps délaissée par le pouvoir central marocain, la région tend à se développer depuis l'accession au trône du monarque Mohammed VI.
Les Rifains et l'Algérie
Le Rif a été et demeure une région ouverte sur l’Ouest algérien (Oranie)[7] de par la proximité géographique. Ainsi, la population de Beni Snous, et à plus large échelle les descendants des Béni-Snassen de la wilaya de Tlemcen a de grandes affinités, d'un point de vue historique, linguistique et culturel, avec le groupe rifain auquel ils peuvent être rattachés[8], tandis que les Berbères de Bethioua descendent de Rifains ayant migré vers l'Algérie[9]. Exemple le plus célèbre de ce phénomène migratoire: la famille de l'Emir Abdelakder est originaire de Tafersit (Rif)[10], l'ancêtre de la lignée, Mohamed ben Abd-el-Qaoui ayant été un ancien chef des Beni Touzine[11].
À partir du début de la période française, de plus en plus de main-d’œuvre berbère venue du Rif s'installe en Algérie, en quête d'opportunités afin d'améliorer leurs conditions de vie, le Rif étant de moins en moins autosuffisant à cause de la surpopulation et des mauvaises récoltes. La conquête française a élargi ces relations en facilitant les moyens de transport[12]. Les Rifains sont réputés en Algérie française pour leurs qualités de cultivateurs à l'époque des moissons et vendanges[12]. Ils formaient ainsi un nombre très important des travailleurs marocains présents sur le sol algérien au lendemain de l'indépendance. Le caractère saisonnier au départ de ce type de migration va évoluer vers une installation plus permanente. Une génération de Rifains naîtra et grandira sur le sol algérien et les mariages marocco-algériens n'étaient pas rares.
En 1975, l'Algérie a décidé d'expulser d'Algérie des membres de la communauté marocaine, dont une grande partie de Rifains, à la suite de la Marche Verte décidée par Hassan II. Ces expulsions seront vécues comme une tragédie pour les populations concernées, des familles furent séparées. Il existe encore aujourd'hui des Rifains en Algérie.
Immigration massive en Europe
Les Rifains ont émigré dans le Benelux et en Andalousie. Un autre groupe a également immigré dans le nord de la France et dans certaines villes françaises du Sud-Ouest, Cette émigration compacte et assez tardive des années 1960 et 1970 ne s'est jamais arrêtée. Elle provient essentiellement des montagnes du Rif et notamment les villes d'Al Hoceïma, Nador, Imzouren, Chefchaouen, Tétouan et Tanger. Après la décolonisation, des dizaines de milliers de Rifains ont perdu leur emploi dans les vignes et les fermes d'Algérie, puis, à partir des années 1970, dans les mines et la sidérurgie européennes. Cette main-d'œuvre s'est reconvertie massivement dans le commerce, formel ou informel, et notamment dans la contrebande de cannabis,[réf.nécessaire] Lors des années 1960, la Belgique et les Pays-Bas, qui n’ont aucun passé colonial arabo-berbère, accueillent une immigration rifaine massive pour travailler dans les mines et la sidérurgie de Wallonie, puis dans les Flandres et aux Pays-Bas en plein boom économique[13].
Culture
Langue
Extension géographique des dialectes du rifain
Les Rifains parlent principalement une variante zénète du berbère: le rifain, qu'ils nomment eux-mêmes tmazight ou encore tarifecht ou tarifit. La dénomination Rif est parfois utilisée pour désigner cette langue mais celle-ci est impropre car elle désigne seulement la région et non la langue ni les habitants. Certaines tribus sont devenues partiellement ou totalement arabophones à la suite d'un processus d'arabisation, principalement celles établies à l'ouest du Rif, au contact des Ghomaras arabophones.
Les Rifains habitant un territoire peu traversé par les voies de communication, ils n'ont pas été influencés par la langue arabe et ont ainsi pu préserver leur parler, tout en adoptant un certain nombre d'arabismes et d'emprunts à l'espagnol (et dans une moindre mesure au français).
L'arabe dialectal marocain sert de lingua franca tandis que l'espagnol et le français sont parlés comme seconde ou troisième langue. Le néerlandais et l'allemand sont également parlés par les Rifains de la diaspora.
Folklore
Maison rifaine.
La culture rifaine est une composante de la culture amazighe, (nord)africaine et méditerranéenne. La spécificité linguistique de la région s'illustre notamment par sa musique et son folklore.
Le folklore rifain s'apparente à celui du reste de l'Afrique du nord (Tamazgha): on y chante des poèmes traditionnels appelés izrane, on suit les rites agraires liés à l'agriculture, ainsi yennayer est la fête qui entame la nouvelle année du calendrier berbère.
Le mariage rifain met en lumière plusieurs caractéristiques propres à la région comme la tradition de l'Araziq (chants, glorifications religieuses et rituels exécutés par un groupe d'hommes autour du marié) accompagnée des Asriwriw (youyous) des femmes au lointain, le jour de la cérémonie du henné; ainsi que d'autres spécificités.
Poésie
Les izran (pluriel d'izri) sont des poèmes traditionnels rifains, chantés lors de diverses occasions. Cette tradition très répandue dans le Rif était considérée comme un élément phare de la poésie berbère.
Typiquement, les izrane sont des louanges, des récits amoureux, des déclarations sentimentales ou plus généralement des révélateurs des états d'âme de leurs interprètes, que tant hommes que femmes chantent et dansent lors des mariages et autres événements. Ils servent souvent à donner la réplique à l'interlocuteur.
Il existe un chant typique aux rifains, très souvent repris dans les izrane: Ralla Buya (Lalla Bouya), qui semblerait être un chant d'éloge à une femme: Bouya, dont l'identité reste mystérieuse, certains affirmant qu'il s'agit d'une ancienne reine berbère à la beauté et la générosité extraordinaire, d'autres étant persuadés qu'il s'agit d'une simple légende. Ce chant est une marque de l'identité rifaine, utilisé par toutes les tribus ressentant ce sentiment d'appartenance, il s'est également aujourd'hui popularisé dans le reste du Maroc et est repris par de nombreux chanteurs rendant hommage à la culture rifaine.
Des confrontations poétiques avaient lieu entre les jeunes filles des différents clans où chacune pouvait exprimer ses états d'âme en démontrant son inspiration artistique.
Les izrane étaient également utilisés comme source de motivation pour les combattants notamment lors des combats de résistance coloniaux.
Musique
La musique joue un rôle très important dans le folklore du Rif. D'un côté, la région a fourni un grand nombre de chanteurs et interprètes de la musique amazighe dans différents styles musicaux.
Plus spécifiquement, Imdiazen est une danse folklorique d'origine guerrière pratiquée par les tribus Zénètes du Maroc Oriental, dont font aussi partie les Rifains. Elle a donné le genre musical moderne connu sous le nom de reggada.
Les guerriers rifains dansaient en signe de victoire sur l'ennemi, d'où l'usage du fusil ou du bâton. Les frappes de pieds au sol se font au rythme de la musique symbolisant l'appartenance à la terre du Rif et la fierté des guerriers. Cette danse est partagée avec tout l'Oriental d'où la dénomination plus récente en Areggada/Reggada, lors de sa montée en popularité dans les années 1990. Les instruments zénètes tels que la gasba (tamja en rifain) et le galal (aqadjar en rifain) y sont typiquement utilisés ainsi que le bendir (adjoun en rifain). Le Zamar, à la base instrument typiquement rifain est aussi largement utilisé dans la région de Nador et Berkane, ainsi qu'à Msirda en Algérie.
Démographie
Composition tribale
Carte de localisation des tribus rifaines
Traditionnellement, le Rif oriental est une région tribale, composée d'une vingtaine de tribus[14], elles-mêmes composées de plusieurs fractions et clans:
les Qelaya (Iqerʿiyen), confédération tribale de 5 tribus établies aux environs de Nador, sur un territoire s'étendant entre le cap des Trois Fourches au nord, la rive orientale de la lagune de Nador à l'est et l'oued Kert à l'ouest[15].
les Kebdana (Ichebdanen), établis entre la rive orientale de la lagune de Nador et la rive gauche de la Moulouya, autour de Kariat Arekmane et Cap de l'Eau (Cabo de Agua), qui la sépare des Ait Iznassen, bien qu'une partie du territoire Kebdana est située sur la rive droite de la Moulouya, entre Cap de l'Eau et Saidia.
les Aït Ouriaghel, établis aux environs d'Ajdir, Tamassint, Bni Bouayach et Imzouren, s’engouffrant depuis le littoral vers l'intérieur des terres, vers le sud et le sud-ouest, de plus d'une trentaine de kilomètres;
les Aït Ammart, établis aux environs de la commune de Bni Ammart;
les Bakkouya (Ibaqouyen), établis entre Al Hoceima et Badis;
les Settout, arabophones de la plaine, cette tribu englobe aussi des clans rifains d'origine zénète, établis dans les environs de la ville de Zaïo.
Un groupement de six tribus d'origine sanhaja, établies à l'ouest du bloc berbérophone zénète, se revendique rifain bien qu'elles soient majoritairement arabophones[16]. Les cinq tribus de ce groupement sont:
les Aït Boufrah, établis autour de la commune de Khmis Bni Boufrah;
les Aït Gmil, établis sur un territoire parsemé de hameaux au nord-ouest de Targuist, enclavé entre ceux des Mestasa, des Sanhaja des Srayr, des Metioua et des Aït Boufrah;
les Mestasa, établis aux environs de Medcher Taghzout, au nord des Beni Gmil;
les Metioua, établis sur le territoire compris entre Issaguen et le littoral;
les Targuist, établis aux environs de la commune de Targuist.
Les Aït Iznassen, confédération de quatre tribus de langue et de culture zénètes établies aux environs de la ville de Berkane, soit sur la rive droite de la Moulouya à proximité du Rif, sont souvent rattachés au groupe rifain, sans que cela ne fasse consensus. Les quatre tribus composant cette confédération sont, d'ouest en est:
les Aït Ourimech;
les Aït Atiq;
les Aït Mankouch;
les Aït Khaled.
Un petit ensemble de quatre tribus arabophones, dit «tribus de la Triffa» le 'petit' Rif, est également établi sur le territoire des Aït Iznassen à de Saidia, sans faire partie de la confédération tribale.
Religion
À l'instar du reste du Maghreb al-Aqsa, le Rif est islamisé à la suite de la conquête musulmane au VIIesiècle. Les Rifains adoptent l'islam sunnite, de rite Malékite, notamment durant l'élèvement de l'émirat de Nekor, fondé en 711 et demeuré étranger aux bouleversements ayant touché le Maghreb pendant la première moitié du VIIIesiècle, tel la Révolte berbère et l'émergence du Kharidjisme. Toutefois, tout comme une grande partie des peuples islamisés, les Rifains conservent certaines particularités culturelles préislamiques tel les tatouages berbères, la superstition et la structure tribale de la société.
Mohand ben Messaoud Ababou (fin 19ième-avril 1977) , célèbre seigneur féodal igzenayen de bled-es siba, cheikh du protectorat, figure de l'indépendance et père des "colonels Ababou".
Nasser Zefzafi, né le , originaire de la tribu des Aït-Ouriaghel, militant rifain et leader du Hirak. Il est emprisonné en 2017 pour «atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat» et pour «trahison».
Fatima El mokhtari, née en 1995, chef de projet humanitaire ayant développé beaucoup de projets solidaires dans la région de Nador, d'où ses parents sont originaires.
Omar Raddad, né le à Beni Oulichek, protagoniste principal de l'affaire judiciaire très médiatisée du même nom, il se bat toujours pour être blanchi, il a déclaré “Je vous rappelle que je suis un rifain, et un rifain n’abandonne jamais” (Bladi.net).
Mohamed Choukri, né le 15 juillet 1935 à Beni Chiker et mort le 15 novembre 2003 à Rabat, est l'un des plus célèbres écrivains berbères dans le monde. Francophone et Arabophone, il n'apprendra à lire et écrire qu'à l'âge de 20 ans, fuyant la misère pour s'installer à Tanger après un passage par Tétouan et Oran.
Abdelkader Benali, né le 25 novembre 1975 à Ighazzazen, est l'un des écrivains les plus prestigieux des Pays-Bas. Il émigre à Rotterdam à l'âge de quatre ans.
Chanteurs
Ithran, groupe de musique créé en 1984.
Hafssa Da, chanteuse amazighophone belge née à Bruxelles.
Mohamed Belkacem Zahraoui Meziane, né à Beni Ansar le 1er février 1897 et décédé le 1er mai 1975 à Madrid, est un militaire marocain ayant longtemps servi dans l'armée espagnole au niveau le plus élevé, unique maréchal de l'histoire du pays.
Youness Ouaali, né à Hilversum (Pays-Bas) en 1985, est un blogueur et polémiste néerlandais prenant position sur divers sujets de la société au sein de la communauté marocaine des Pays-Bas.
Nicolas Truong, «Au cœur des réseaux djihadistes européens, le passé douloureux du Rif marocain», Le Monde.fr,23 mars 2016 (ISSN1950-6244, lire en ligne, consulté le 2 janvier 2018)
Sietske de Boer, «De Nederlandse Rif», sur groene.nl, De Groene Amsterdammer, 14 avril 2006 (consulté le 4 août 2020).
selon A. Zouggari & J. Vignet-Zunz, Jbala: histoire et société, dans Sciences humaines, (1991) (ISBN2-222-04574-6)
H. Al Figuigui, «Guelaya ou Qelaya», dans: Encyclopédie berbère, 21, Edisud (1999)
J. Vignet-Zunz, «Jbala: identités et frontières», dans: La région du Nord-Ouest marocain: Parlers et practiques sociales et culturelles, Prensas de la Universidad de Zaragoza (2017), p.20