Seigneurie de Belvoir
Les terres qui formeront le seigneurie de Belvoir dépendent au VIe siècle de l'abbaye d'Agaune, en effet celle-ci s'était vu dotée par Sigismond, alors roi des Burgondes de 516 à 523, d'un territoire considérable comprenant, entre autres, des biens situés près de Besançon. Dans le courant du XIe siècle les membres de la maison de Rougemont, originaire du lieu du même nom, occuperont la charge de vicomte de Besançon et c'est tout naturellement qu'un cadet de cette maison, en la personne de Thibaud de Rougemont, va se voir doté au XIIe siècle des terres de Belvoir qu'il érigera en seigneurie en prenant le nom de "Thibaud Ier de Belvoir". Avec le décès de Henri de Belvoir en 1339 ses terres seront transmises par testament à son neveu Vauthier de Cusance, fils de sa sœur Isabelle et de Jean de Cusance, bailli de Bourgogne.
L'abbaye d'Agaune
Au VIe siècle, la terre de Belvoir appartient donc au Val de Vennes dépendant de Bracon et est cédée en 516 par Sigismond, roi des Burgondes, à l'abbaye d'Agaune (fondée par ce dernier) avec toutes ses dépendances, maisons, forêts, esclaves, hommes libres, plébéiens et colons (« Quidquid pertinebat ad monasterium cum terris, domibus, liberis, servis, plebeis, accolibus, pratis... », charte de fondation d'Agaune)[1]. Cette possession de l'abbaye est certaine car en 1258 l'abbé d'Agaune cédait à la famille de Belvoir des terres situées dans le Val de Vennes et hors de ce val[1]. Au fil des siècles, l'abbaye abandonnait peu à peu ses fiefs aux puissants seigneurs des alentours et n'en gardait que la primauté d'honneur[1].
Thibaud Ier de Belvoir
Le bourg de Belvoir forme un carré sur la pente d'une montagne dont la pointe porte le château fort qu'un fossé sépare des habitations[2]. Cet éperon barré de deux fossés était une position idéale pour contrôler toute la vallée, d'ailleurs la route romaine allant de Besançon à Mandeure traversait tout le bourg, entrant par une porte et sortant par l'autre puis se prolongeait vers Péseux (en direction des Terres de Chaux)[2]. Cette ancienne route portait le nom de "voie de Cusance" et dans les anciens titres celui de "Pérouse"[2]. Du temps des romains le site de Belvoir avait déjà été occupé comme l'ont montré les ruines découvertes au pied du château et auprès du ruisseau au lieu-dit "à la Curtine" ainsi qu'à la caverne de la "Baume" où le ruisseau prend sa source et qui servait de lieu de refuge lors des invasions[2].
Les fortifications avaient été construites par les anciens seigneurs du lieu dont le premier connu était Thibaud Ier de Belvoir qui vivait en 1170, cadet de la maison de Rougemont et beau-frère, par son alliance avec Simone de Vergy, du duc-comte de Bourgogne. Le château de Belvoir, élevé au XIIe siècle, était sans doute terminé en 1224 comme l'indique la clé de voûte de la tour du Nord, toujours considérée comme le plus ancien millésime en chiffre arabe d'Occident.
Le fief de Saint-Julien
La fondation de l'église de Saint-Julien en 1024 (dont l'édifice possède toujours la pierre de fondation) est prouvée par son inscription sur une pierre incrustée dans le pavé près de l'autel de la Vierge ; il y figure les inscriptions : EVH.DOFI.AIN.MA.FA.1024 (« Ecclesia vici hujus, de oblationibus fidelium, anno incarnationis, monasterio Agaunensi facta 1024 », l'église de ce village a été construite avec les offrandes des fidèles, l'année de l'incarnation 1024, par les soins de l'abbaye d'Agaune)[1].
La baronnie de Belvoir possédait depuis des temps très reculés les terres de Saint-Julien du fait du lien qui l'unissait à l'abbaye d'Agaune et ces terres étaient l'apanage du fils cadet de Belvoir[1]. Le fief de la baronnie s'étendait sur un grand nombre de villages et même au-delà du Dessoubre sur la pointe du comté de Warasch, vassaux respectés et de premier ordre des comtes de Bourgogne ils perdaient ce rang en 1238 et étaient soumis, avec les seigneurs de Joux, aux Montfaucon[2].
Jusqu'alors ils avaient mérité d'être choisi par l'abbaye d'Agaune pour protéger ses églises et ses domaines ; ils s'étaient alliés bon nombre de chevaliers parmi lesquels ont comptait Vuillemin de Laviron, Pernette de Sancey, Vuillames et Henri de Vennes, les écuyers Thiébaud et Vuillemos de Sancey ainsi que Perrins et Bourguins de Vellerot et Jacquot de Pierrefontaine[1].
Le château sarrasin
Au commencement du XIIIe siècle, le château Sarrasin (ou château Montalot) n'avait plus de chevaliers[1]. Trois prétendants se disputaient sa possession, Amédée de Montfaucon car il possédait les terres de Cicon toutes proches, les sires de Vennes divisés en plusieurs familles et Huon de Belvoir qui tenait de l'abbaye d'Agaune plusieurs fiefs dans le Val de Vennes notamment à Saint-Julien, Laviron et Sancey[1]. Au terme d'une lutte interminable, les seigneurs en présence décidèrent en 1239 de raser la forteresse en litige et de ne jamais la reconstruire, les seigneurs de Vennes se déclaraient vassal des Montfaucon ; ils concluaient ainsi la « paix de Vennes » sous l'autorité d'Hugues IV de Bourgogne[1].
Et Amey, sires de Montfaucon, et je Hues, sires de Belvoir, et je Otes, sires de Chastel de Vennes, et tout li parantaiges dou chastel de Vennes, façons à savoir à touz ces qui verront ces présentes lettres, que nous avons fait pais et concorde entre noz diz seigneurs, en lel manière com il est contenu en ces lettres, laqueix paix est ensi que li chatelx de Montallo est cheux (tombé), pour la pais et pour le ditohastel qui est abattu. Li parantaige dou chastel de Vennes ont pour, par le commandement au seigneur de Belvoir, le chastel de Vennes réceptables (mis à la disposition de) à mon dit seigneur Amey contre tout genz à lui et à son hoir qui enléveroit chose de Vennes qui est sone (sienne), sauve la féauté mon seigneur Hue de Belvoir et son hoir qui tenra le fye de Vennes qui meut de lui.
Et se li sires de Belvoir était en guerre qui ne fut en son chief (pour la cause d'un autre seigneur), il me doit mever ces de Vennes ou domaige Monseigneur Amey (il ne doit faire prendre les armes aux chevaliers de Vennes au détriment d'Amédée), ne doit recepter ou cbastel de Vennes pour le domaige de Mons. Amey se n'estait pour sa guerre en chief (ni se retirer au château de "Vennes au détriment de Monseigneur Amédée, s'il ne faisait pas la guerre de son chef).
Messires Otes de Vennes et tout li parantaige dou chastel de Vennes sont home Mons. Amey, sauve la féauté à tous lors seigneurs.
Et Messire Otes de Vennes a rendu un de ses filz lige Mons. Amey (un de ses fils homme lige de.Monseigneur Amédée,) et tous li hoirs des parantaiges Monseigneur Otes dou chastel de Vennes doivent devenir homme Monseigneur Amey, cil qui ne le sont, ensi com ils sont maffeure (quoiqu'ils soient absents), tant qui en ait un lige d'un chacun des parantaiges qui or ils sont (de sorte qu'il y ait un homme lige de chaque famille qui est dehors).
À présent Messire Amey de Montfaucon ne sin hoir, ne messire Hues de Belvoir, ne sin hoir, ne cil de Vennes, ne lour home ne doivent former chastel ou territoire de Vennes, et se acuns y volait former chastel, messires Amey et messires Hues de Belvoir et ci de Vennes le doivent deffandre par paour. par les convenances qui sont contenues en cette chartre. Et pour guerre qui soit entre Mons. Amey et Mons. Hues ne eaux de Vennes, ne Amey ne doit forfaire (détruire) chose dou val que aparteigne Monseigneur Hue de Belvoir, ne a ces de Vennes ne messires Hues de Belvoir, ne cil de Vennes ne doivent forfaire chose dou val qui apparteigne à Monseigneur Amey
Et se acuns desdits seigneurs essort des convenances qui ci son contenues, cil qui en étroit (en sortirait) est tenu de lamander dedenz les quarante jours qui li sera requis, se il étoit ou pais, et se il était despaisez (dépaysé), qui saroit requis à celui qui saroit en son leu, et se il défailloit à Monseigneur Amey, ses ploiges (ceux qui pouvaient être gagés pour lui) esteraient condamnables. Ne il ne doit former chastel ou territoire de Vennes (et cil de Vennes sont fors de son homaige) ; et s'il défailloit à Monseigneur Hue de Belvoir ou es seigneurs de Vennes, les ploiges monsseigneur Hue esteroient condamnables.
Et messire Amey puet former chastel, engin ou autre point ou val par le lox au seigneur de Belvoir et à ces de Vennes.
Et pour ce que cette chose soit ferme et estable, je Amey, sires de Montfaucon, et je Hues, sires de Belvoir, avons mis nos scaulx en cette chartre, en témoignage de vérité. Et ce fait en l'an N. S. M.cc.ixxvui.
Quelque temps plus tard, en 1248, le comte Jean Ier de Chalon-Arlay, régent du comté de Bourgogne, obtenait de l'abbaye d'Agaune les fiefs du Val de Vennes que les barons de Belvoir tenaient depuis longtemps[1]. Ce fief important était remis aux seigneurs de Montfaucon ce qui obligeait le baron de Belvoir à faire hommage pour les fiefs de Vennes et de Belvoir (« Thiébaud, sire de Belvoir, ai repris ligement (de M. Amédée de Montfaucon) Vennes et Belvoir et tout le fye qu'il tenait de Jean comte de Bourgogne, par le commandement dudit comte, en tel manière que cil dui fye de Belvoir et de Venne, sont un fye désorénavant, année 1263 »)[1].
Franchise de Belvoir
Le Thiébaud III de Belvoir, avec le consentement de sa femme Jeanne de Montfaucon-Montbéliard, fille de Gauthier II de Montfaucon, et avec l'objectif d'augmenter la population et la prospérité de sa ville remettait les lettres de franchise du bourg de Belvoir[1]. Cette franchise était l'acte fondateur de la commune, c'était les habitants qui choisissaient leurs conseillers mais le maire, qui était chargé de lever les impôts et de rendre la justice, était nommé par le seigneur de Belvoir[1]. Pour Saint-Julien ses franchises étaient encore plus larges[1].
1er "Tous les bourgeois et bourgeoises qui auront des maisons en la ville de Belvoir, nous payeront annuellement pour chaque toise mesurée sur le front de ces maisons, douze deniers payables à la Saint-Michel et à la mi-carême".
2e "Outre cette rente les habitants de Belvoir nous ont donné deux cent cinquante livres estevenants pour prix de leur entière franchise".
3e "A leur égard nous nous obligeons à les défendre, eux et leurs biens, quelque part qu'ils soient, contre tout ennemi..."
4e "Nous voulons et ordonnons expressément qu'ils choisissent à leur gré quatre bourgeois par lesquels la ville de Belvoir sera gouvernée, et qu'ils aient un conseil de la plus grande partie des bourgeois".
5e "Les quatre bourgeois élus doivent jurer de garder les droits des seigneurs et de la ville".
6e "Pour nous, nous pouvons et devons mettre un maire en la dite ville de Belvoir, et s'il ne s'en trouvait un parmi les bourgeois qui voulût le devenir, nous pouvons en mettre un autre pour maintenir notre justice, recevoir nos droits et nos rentes. li ne pourra lever ni d'amende ni commander personne, si ce n'est d'après le jugement des quatre bourgeois jurés et de deux autres choisis dans la ville..."
9e "Si quelqu'un mourait sans héritier, tous ses biens retourneraient au plus proche parent, à moins qu'il n'en ait ordonné autrement. Nous ne pouvons rien réclamer au droit du défunt ni par coutume, ni par aucune autre raison".
11e "Si quelqu'un venait à être pris ou dépouillé de ses biens, nous sommes tenus de procurer sa délivrance, même par la force des armes, si nous ne le pouvons pas autrement".
12e Si quelqu'un des habitants de Belvoir voulait sortir de cette franchise, il doit offrir son héritage à vendre au seigneur de Belvoir, et si le sire ne le veut acheter, la vente peut se faire à un bourgeois de la ville, mais pas à d'autres personnes. Encore doit-il prendre congé du seigneur et du maire, et le seigneur doit le conduire avec tout ce qui lui appartient pendant un jour et une nuit, mais s'il n'a pas pris congé, le seigneur ne sera tenu à rien".
14e "Les bourgeois de Belvoir ne peuvent établir en la franchise de Belvoir aucun des hommes taillables de nos fiefs ou des fiefs de Monsieur de Montfaucon, si ce n'est de notre gré ou du gré du sire de Montfaucon, mais ils peuvent recevoir les autres qu'ils voudront".
5e "En cas de guerre les bourgeois de Belvoir doivent faire résidence dans la ville, fermer et garder les murailles du bourg de Belvoir".
19e "Ils sont tenus de nous suivre à la guerre un jour et une nuit à leurs propres dépens, et, si nous voulons les retenir plus longtemps, nous sommes tenus de les payer comme bon sire ; autrement ils seraient libres de nous quitter".
20e "Nous voulons qu'ils aient leurs bois comme ils les ont toujours eus ; mais sans en vendre ou en donner".
21e "Nous retenons les droits et les rentes des foires et des marchés comme par le passé..."
23e "Si Belvoir éprouvait des dégâts par le feu ou autrement, nous sommes tenus de fournir des bois pour aider à reconstruire les maisons".
Famille de Cusance
Plusieurs fois assiégé, tant par les Suisses en 1475 que les Suédois en 1639, pris par les troupes de Louis XI en 1481, le château et le bourg se relevaient à chaque fois[2]. La famille de Belvoir s'éteignait en 1365 avec Henri de Belvoir, fils de Thiébaud III, qui transmettait la seigneurie à son neveu Vauthier, dit "le Petit", fils de sa sœur Isabelle, épouse de Jean de Cusance[2]. Cette famille conservait Belvoir et Saint-Julien (avec aussi Cusance sauf une interruption de la 2e moitié du XVe siècle à 1616) jusqu'en 1663 ; à cette date décédait Béatrix de Cusance, mariée au duc Charles IV de Lorraine, et les terres de Belvoir (et de Cusance) resteront à leurs descendants des Maisons de Lorraine (branche de Guise-Elbeuf-Lillebonne), de Melun, et de Rohan-Soubise (puis de Rohan-Guémené pour Cusance) jusqu'à la Révolution française[2]. Les Halles et le château seront abandonnés en 1848 et 1852 par les héritiers de Madame de Marsan, née princesse de Rohan-Soubise, gouvernante des enfants de France.
Fidèles serviteurs des grands ducs d'Occident, Vauthier, dit "le petit", Jean, Girard et Ferry de Cusance se montreront des militaires compétents et dévoués, Jean et Ferry seront élevés à la dignité de chambellans et conseillers. Comme son grand-père Jean, Ferry de Cusance sera l'un des grands capitaines bourguignons, présent sur les principaux théâtres d'opérations du temps. Il mourra aux côtés de Charles le Téméraire à la journée de Nancy en 1477.
En 1562, deux frères de la famille de Cusance, Ermenfroy et Evandelin (Ermenfredus et Wendelinus, prénoms latinisés), sont inscrits à l'Université de Dôle[3].
Vandelin-Simon de Cusance, baron de Belvoir, sera le premier de quatre seigneurs bourguignons à recevoir le sceptre et la charge de recteur de l’Université albertine de Fribourg en Brisgau, pour une période de six mois comme il est d’usage. Claude de Vergy, Comte de Champlitte le sera en 1575, le baron de Montigny en 1581 et le comte de Croy en 1595.
Au début du XVIIe siècle, Claude François de Cusance, colonel d'un régiment bourguignon au service de l'Infante Isabelle-Claire-Eugénie dans les Flandres, maître de camp, membre du conseil de guerre, modernisera la porterie et l'aile orientale du château. Il épousait en 1612 Ernestine de Witthem, fille cadette de Jean de Witthem, marquis de Berg-op-Zoom et de Marguerite de Mérode. Après son décès à Rheinberg son fils, Clériadus, héritera, outre la baronnie de Belvoir, des titres et des biens de son grand-oncle Clériadus de Vergy, comte de Champlitte, gouverneur du comté de Bourgogne. Mort jeune en 1633, sa sœur Béatrix, princesse de Cantecroix par son premier mariage, puis duchesse de Lorraine par le second, héritera de Belvoir. Sa fille Anne de Lorraine transmettra Belvoir, après la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV, de la famille de Lorraine dans celle de Rohan-Soubise. Deux de ses descendantes seront gouvernantes des enfants de France, dont la comtesse de Marsan, dernière baronne de Belvoir.
Sources
- Les généalogies historiques des maisons souveraines, volume 4, Le Gras, (lire en ligne), p. 85 et 86
- Narbey, Les hautes montagnes du doubs entre Morteau, le Russey, Belvoir et Orchamps-Vennes : depuis les temps celtiques, A.Bray, (lire en ligne), p. 57, 87 à 88, 97 à 99, 125 à 127, 329 à 331
- Gollut, Les mémoires historiques de la république Séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgogne, (lire en ligne), p. VII, XV, 85, 1445, 1451, 1747
- Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, Procès-verbaux et mémoires, P.Jacquin, (lire en ligne), p. 165 à 170
- Jean-Marie Thiébaud, Officiers seigneuriaux et anciennes familles de Franche-Comté, Marque-Maillard, Lons-le-Saunier, 1983, chapitre : la baronnie de Belvoir
- Site du château de Belvoir: www.chateau-belvoir.com
Notes et références
- Les hautes montagnes du Doubs.
- Procès-verbaux et mémoires.
- Matricule de l'Université de Dôle, Bibliothèque d'Étude et de Conservation de Besançon, cote Ms. 984, année 1562.
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