Sauroctones

Les sauroctones (du grec σαῦρος / saûros, « lézard » et κτόνος / któnos, « tueur » ; littéralement « tueur de lézard ») sont des personnes, souvent des saints locaux dans les premiers siècles du christianisme, ayant chassé, tué, soumis ou dompté des dragons, vouivres et cocatrix.

Pour les articles homonymes, voir Liste des saints.

Saint Clément, premier évêque de Metz, conduit le Graoully sur les bords de la Seille
Saint Georges terrassant le Dragon, peinture murale dans la chapelle de la commanderie de Coulommiers, XIIIe siècle.

Bien qu'il s'agisse généralement de chevaliers valeureux qui atteignent par là leur but, l'hagiographie chrétienne rapporte des histoires où des religieux (ermites, moines, saints, etc.) arrivent à dominer des dragons souvent par la seule force de leur prière et l'aide d'un simple objet (corde, écharpe) : en dehors de l'aspect pédagogique présentant la victoire du Bien sur le Mal, cette action n'est possible que grâce à l'intégrité des saints, qui montrent ainsi par leur vie exemplaire qu'il est possible de combattre aussi bien les forces naturelles que surnaturelles.

La tradition orale et les hagiographies ont transmis la mémoire ou la légende de nombre d'entre eux.

Avant l'apparition du christianisme

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Origine du récit du tueur de dragons

En utilisant la méthode de Monte-Carlo par chaîne de Markov le chercheur Julien d'Huy[1] a mis en évidence un proto-récit qui serait d'origine asiatique et daterait d’avant le passage du détroit de Béring donc au moins au Paléolithique supérieur. La reconstruction en version très abrégée donnerait l’histoire suivante : un monstre non humain et énorme vit près de l’eau. Il représente les forces naturelles météorologiques, la peste et la famine. Le dieu du climat ou du ciel vient l’affronter et le tue, l’emprisonne, ou le chasse avec l’aide d’un comparse.

Le récit change ensuite en Europe juste après le dernier maximum glaciaire ; on a plus de précisions par rapport au récit précédent. Le monstre empêche l’accès à l’eau et demande qu’on lui livre des femmes en pâture. Le héros reçoit l'aide d'une femme. La mort du monstre est fêtée par tous.

Le récit devient ensuite proto-indoeuropéen (-8000 / -4000) et prend sa naissance en Grèce ou en Mésopotamie. Il se complète encore ; le monstre est le fils de deux dieux. Il vit dans l’eau. C’est un avaleur, mangeant bétail et humains. La bête veut gouverner le monde. Le héros qui a vaincu le monstre instaure alors un culte/rituel/fête et fait ériger un temple en son honneur.

Bien sûr les légendes peuvent varier des grandes lignes établies, mais elles semblent suivre un schéma global.

Dans des récits qui nous sont parvenus plusieurs héros combattent les dragons sans pour autant être devenu saint. Voici les plus connus :

Divinité hindoue

  • Dans la religion védique, puis l'hindouisme, Vritra est le démon (asura) de la sécheresse, de la résistance et de l'inertie, créé par Tvashtri. Il aurait empêché, avec l'aide de sa mère Danu, les eaux de s'écouler. Il avait la forme d'un serpent ou d'un dragon. Il a été tué par Indra, ce qui a valu à ce dernier l'appellation de Vṛtráhan, « tueur du Dragons »[2].
Salomon en saint cavalier, transperçant de sa lance la démone Lilith (pendentifs-amulettes juifs ; terre-cuite, Mésopotamie ; alliage de cuivre, Empire Romain d'Orient ; Ve – VIe siècle)

Héros juif

  • Dans le judaïsme populaire, le roi Salomon fut parfois représenté à cheval en train de tuer la démone Lilith de sa lance ; le tout selon une disposition qui annonce très nettement les futures représentations de Saint-Georges tuant le dragon, dans le christianisme.

Héros celtes

Dieux grecs

  • Typhon grandit en l'espace d'une journée, sa tête finit par atteindre le Ciel. il menace Zeus de l'enchaîner dans le Tartare, d'épouser Héra et de libérer les Titans. Zeus le foudroie après plusieurs péripéties.
  • Hercule et l’Hydre de Lerne[5],[6]. Héraclès / Hercule se bat contre l'hydre, mais à chaque fois qu'il coupe une tête une autre tête repousse. Il demande alors l'aide d'Iolaos qui lui conseille de cautériser les blessures du cou avec une torche. Cela marche et Hercule arrive à tuer le dragon. Eurysthée, le roi qui a imposé à Hercule ses douze travaux, invalide l'épreuve car il a reçu l'aide de quelqu'un d'autre; Iolaos.
  • Apollon tue Python, fils de Gaïa[7] Ce combat est décrit par un Hymne homérique à Apollon daté du VIe siècle av. J.-C. Thelpusa, une nymphe, conseille à Apollon de bâtir son temple à oracles sur le site de Krisa (près du mont Parnasse). Mais le site était déjà occupé par Python. Il veillait sur l'oracle de Delphes, consacré primitivement à Thémis. Apollon le perça de ses traits, se rendant ainsi maître de l'oracle, depuis nommé « Pythie ». Pour apaiser la colère de Gaïa, mère de Python, Apollon créa les Jeux pythiques.
  • Cadmos tue le dragon de la source d'Ismène[8]. Quand on sème les dents du dragon de Cadmos, il en germe des guerriers.

Héros germaniques

  • Siegfried tue un dragon dont le sang le rend invulnérable[9]. Avec Regin, ils se rendent à Gnitaheidr, où Fáfnir, ayant pris la forme d'un dragon, veille sur son or. Sigurd creuse une fosse, s'y dissimule, et transperce Fáfnir de son épée lorsqu'il passe au-dessus de lui. Ceci est raconté dans l'Edda poétique, mais aussi dans l'opéra de Wagner, les Nibelungen.

Héros anonymes[10].

  • Les trois chevaliers de Miséricorde débarrassent les abords de Nantes d'une bête malfaisante
  • Les sept héros idolâtres maîtrisent la Bête-Rô à Aytré, près de La Rochelle[10].
  • Un jeune clerc à Montrichard
  • Un soldat condamné pour désertion à Niort

Le cas particulier de l’Anguipède

Le cavalier écrasant un anguipède se trouve généralement sur colonne. C'est un groupe architectural typique de l’époque gallo-romaine. Les colonnes sont systématiquement abimées. Elles représentent un homme barbu souvent associé à Jupiter/Apollon et un être mi-serpent, mi-homme. On le retrouve aussi sur des pièces gauloises. On les retrouve près de sources cultuelles ou des plans d’eau. Leur raison d'être est mystérieuse[11].

Saints

Sainte Marthe dominant la Tarasque, peinture du XVIIIe siècle
Musée des Arts et traditions populaires.

La grande majorité des sauroctones de France se sont trouvés christianisés et déclarés saints. Les plus connus sont sainte Marguerite et sainte Marthe pour les femmes, saint Michel et saint Georges pour les hommes.

Origine du saint sauroctone

Le sauroctone représente pour les chrétiens la victoire du christianisme sur les anciennes croyances païennes romaines, celtes ou germaniques. Ces saints sont par conséquent représentatifs de l'Église chrétienne et sont donc souvent évêques, ou du moins un religieux (moine, prêtre...).

Durant le Moyen-Âge, le dragon représente en Europe dans l'imaginaire collectif la personnification même du mal absolu[12].

Les représentations depuis le XVIIIe remplacent souvent le dragon par un diable. On voit souvent les statues de saint Michel par exemple transperçant le diable avec sa lance. Cela trouverait son inspiration dans l’Apocalypse selon saint Jean (version orthodoxe) décrivant Satan comme un grand dragon, entouré de flammes rouges avec sept têtes et dix cornes.

Le sauroctone représente non seulement le combat contre le diable, mais continue aussi de représenter le combat contre les forces naturelles (inondations, épidémies...).

Liste des saints sauroctones

Il arrive aussi, une fois n'est pas coutume, que le serpent protège le saint contre les soldats Romains qui veulent se saisir de lui, comme dans la légende de saint Pèlerin, à Bouhy, dans la Nièvre.

Le dragon et la rivière

Les villes associées à un nom de saint de type Saint Georges ou Sainte Marguerite sont souvent proches des rivières et des fleuves. Il est possible que ce soit à cause du caractère même du sauroctone. En effet une relation a pu être établie entre certaines villes nommées d’après les saints saurochtones et le risque d'inondation de la ville[20]. Comme Villeneuve-Saint-Georges (94) situé dans la zone inondable de la Seine ou Sainte-Marguerite dans celle de la Senouire par exemple.

Traditions populaires

Nombreuses sont les effigies de dragons que l'on sortait jadis en procession lors des rogations, lors du carnaval, ou dans les fêtes profanes, en mémoire des exploits de ces saints.

Plusieurs théories existent pour expliquer l’importance des traditions populaires en Europe. L’influence chrétienne n’est pas à négliger, certes, mais selon Bernard Sergent il pourrait y avoir une origine celtique[11]. La légende de la vouivre ou de Mélusine est probablement d’origine celtique. On peut voir deux dragons s'affrontant sur beaucoup d'armes ou autres objets celtes. Le symbolisme du dragon est connu dans la légende de Lludd et Llefelys; deux dragons se combattent pour prédire l'issue d'une guerre. Cette histoire est reprise dans le Historia Brittonum de Keating. Dans la tradition populaire, les dragons plus connus[réf. nécessaire] sont le Drac de Valence et la Tarasque de Tarascon (domptée par sainte Marthe), tous les deux inscrits au Patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l’UNESCO.

Références

  1. « Mythologie et statistique. Reconstructions évolutions et origines paléolithiques du combat contre le dragon », in Bulletin de la Société de Mythologie Française no 256, p. 17-23
  2. Gérard Huet, Dictionnaire Héritage du Sanscrit (lire en ligne)
  3. La Bataille Loquifer, laisse LXXXII, vers 3813 à 3820, cité par Mazoyer et Pérez Rey 2007, p. 175
  4. Les Quatre Fils Aymon. Presentation, selection and translation in modern French by Micheline de Combarieu du Grès and Jean Subrenat. Paris: Gallimard, 1983. (ISBN 2-07-037501-3)
  5. Les travaux d'Héraclès sont tous cités et résumés dans la Bibliothèque du Pseudo-Apollodore
  6. Bibliothèque du Pseudo-Apollodore</« Les Travaux d'Héraclès », sur http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/DetailsLivres.htm
  7. Apollodore, Bibliothèque [détail des éditions] [lire en ligne] (I, 4, 1).
  8. (en)Theoi.com: Drakon Ismenios; extraits de la mythologien grecque
  9. Fáfnismál in Régis Boyer- L'Edda poétique, Fayard, coll.1992 « L'Espace intérieur », (ISBN 2-213-02725-0)
  10. Bernard Sergent, Saints sauroctones et fêtes celtiques, Rôles des traditions populaires dans la construction de l'Europe. Saints et dragons, Cahiers internationaux du symbolisme, 1997
  11. Fanny Cohen Moreau, « Passions médiévistes, Épisode 2 : Ombeline et les dragons » (Podcast), sur passionmedievistes.fr, (consulté le )
  12. saint éponyme de Saint-Derrien
  13. saint éponyme de Plounéventer
  14. S Baring-Gould, John Fisher, The lives of the British Saints, tome II, 1908, p. 336-338, d'après Albert Le Grand, Kerdanet, Vies des saints de Bretagne, 1836
  15. http://www.mythofrancaise.asso.fr/4_bullet/43_article.html
  16. d'après La Légende dorée de Jacques de Voragine, Georges dans la version traduite par Jean-Baptiste Marie Roze et numérisée sur le site de l'abbaye Saint-Benoît de Port-Valais. Page consultée le 4 avril 2011.
  17. La vie de saint Malo par Billy le Diacre
  18. Jacques Auguste Simon Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, tome I, p. 37.
  19. Raymond DELAVIGNE, Zone inondable, saints, géants et dragons au nord-est d'Angers (Maine et Loire), Bulletin de la Société de Mythologie Française no 117.

Voir aussi

Bibliographie

  • Zone inondable, saints, géants et dragons au nord-est d'Angers (Maine et Loire), R. Delavigne, Bulletin de la Société de Mythologie française no 117.
  • Saints sauroctones et autres, le long de la vallée du Haut-Cher, M. Piboule, Bulletin de la Société de Mythologie française no 122.
  • Les monstres et les saints sauroctones, P. Verdier, Bulletin de la Société de mythologie française no 158.
  • Saints sauroctones et fêtes celtiques, Rôles des traditions populaires dans la construction de l'Europe. B. Sergent, Saints et dragons, Cahiers internationaux du symbolisme, 1997.
  • Aux sources de l'ethnologie française : l'académie celtique, préface de N. Belmont, Paris, Éditions du CTHS, 1995.
  • La Tarasque, L. Dumont, Paris, Gallimard, 1951 - Rééd. 1987.
  • Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Âge : saint Marcel de Paris et le dragon, Pour un autre Moyen Âge, J. Le Goff, Paris, Gallimard, 1978.
  • La Vouivre, un symbole universel', de Kinthia Appavou et Robert Régor Mougeot, 1993 - 1995 Table d'Emeraude - 3e éd. Ediru 2006

Articles connexes

Liens externes

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