Nouvelle-Russie (région historique)
La Nouvelle-Russie (en russe : Новороссия, Novorossia) était à partir de la fin du XVIIIe siècle, une colonie de peuplement de l'Empire russe, située au sud, entre la mer d'Azov et le long de la mer Noire. Elle englobait des régions conquises par l'armée russe de Catherine II sur les cosaques et l'Empire ottoman, lors des guerres russo-turques de 1768 à 1774[1] et destinées à la colonisation de peuplement russe. L'établissement des colons en masse débuta dès la fin du XVIIIe siècle sous les auspices de Grigori Potemkine. Elle donna lieu à la création des célèbres villages Potemkine dont la réalité historique est aujourd'hui contestée.
Pour les articles homonymes, voir Nouvelle Russie.
Nouvelle-Russie | |
Territoires de la Nouvelle-Russie au début du XXe siècle. | |
Pays | Empire russe Union soviétique Ukraine |
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Principales langues | Russe, ukrainien, roumain, allemand (disparu lors des années 1990) |
Cours d'eau | Dniepr |
Ville(s) | Odessa, Marioupol |
Elle comprenait le Yedisan, la Tauride, et la Méotide, ce qui correspond aujourd'hui aux oblasts ukrainiens de Mykolaïv[2], Odessa, Kherson, Kirovograd, plus l'Ouest de celui de Donetsk (cette ville est non incluse), et le Sud de celui de Dniepropetrovsk, ainsi que l'oblast russe de Rostov (région du Kouban), et le Sud de la Transnistrie (Moldavie). La région est bordée au nord par la Podolie et la Petite Russie, à l'ouest par la Moldavie, au sud par la mer Noire et la Crimée, et déborde à l'est sur la Méotide.
Histoire
L'administration de ce territoire fut confiée à des gouverneurs nommés d'abord par Catherine II (1764-1775) et par l'empereur Paul Ier (1796-1802), jusqu'à ce que le territoire fût divisé en trois gouvernements :
- gouvernement de Nikolaïev, renommé gouvernement de Kherson en 1803 ;
- gouvernement de Iekaterinoslav (aujourd'hui Dnipro) ;
- gouvernement de Tauride (aujourd'hui Crimée et territoires du sud de la Russie et des rivages occidentaux de la mer d'Azov).
Ces subdivisions administratives eurent cours jusqu'en 1921.
Le pouvoir impérial s'était emparé, au XVIIIe siècle, de territoires appartenant, depuis les xve et xvie siècles, à l'Empire ottoman ou au khanat de Crimée (et auparavant, depuis le XIIIe siècle, aux Tatars de la Horde d'or). Les territoires étaient souvent de grandes steppes peuplées par des tribus nomades de Nogaïs, avec, sur la côte, de petits ports de pêche et des villages habités par des descendants de Grecs pontiques. Le groupe majoritaire était celui des Tatars de Crimée. Sur un territoire grand comme les quatre cinquièmes de la France actuelle, la population ne comptait que 300 000 habitants vers 1764[3].
Au début du XIXe siècle, après 1830, deux nouveaux territoires furent rattachés à la Nouvelle-Russie : la Bessarabie annexée en 1812 et le gouvernement de Rostov. La Bessarabie était en grande partie peuplée de Moldaves, le gouvernement de Rostov de Circassiens : dans les deux territoires, des Cosaques et autres colons russes et ruthènes furent installés[4]. La colonisation slave avait pris un aspect de masse dès la fin du XVIIIe siècle sous les auspices de Potemkine qui, inspiré par les mouvements des « philhellènes », avait l'intention d'en faire une Nouvelle Grèce, tandis qu'Iekaterinoslav aurait été la troisième ville de l'Empire. C'est pourquoi de nombreuses villes fondées à l'époque reprennent les noms des antiques colonies grecques de la mer Noire ou bien reçoivent des noms grecs : Odessa, Tiraspol, Nikopol, Kherson, Théodosie, Eupatoria, Sébastopol, Simferopol, Melitopol, Stavropol, etc. tandis que les études archéologiques se multiplient. Ces nouvelles villes attirèrent une foule bigarrée et cosmopolite d'artisans, de commerçants, de marins et d'ouvriers, comme Odessa — avec une forte minorité juive —, construite et administrée par un Français, le duc de Richelieu, qui était aussi gouverneur de Nouvelle Russie, sous le règne d'Alexandre Ier, ou bien Novorossiïsk, Nikolaïev, Kherson (Chersonèse). Sébastopol devint l'arsenal de la flotte russe de la mer Noire.
Outre les colons slaves, dont beaucoup venaient de Petite Russie, l'actuelle Ukraine, l'Empire russe établit ici — en plus des Russes — des Allemands en grand nombre (dont un certain nombre étaient issus de communautés protestantes discriminées comme les anabaptistes ou les mennonites qui formèrent des colonies agricoles), ainsi que des Alsaciens, des Lorrains, des Arméniens, Bulgares, Serbes et Grecs fuyant l'Empire ottoman ; des Moldaves de Bessarabie, en quête de bonnes terres, et des juifs ashkénazes venus de Pologne et d'Allemagne, s'y ajoutèrent. Ces derniers formèrent des shtetls, colonies agricoles décrites dans le film Un violon sur le toit.
La Nouvelle-Russie prospéra jusqu'en 1914, puis fut ravagée durant vingt-huit ans par la Première Guerre mondiale, la guerre civile russe, la collectivisation, l'Holodomor, la Seconde Guerre mondiale et des déportations. Sa population diminua, si bien qu'en 1948 certains groupes avaient pratiquement disparu, comme les Juifs, les Allemands, les Grecs, les Moldaves, les Roms et les Tatars exilés. Après 1945, la croissance démographique reprit et fut d'ailleurs supérieure à celle du reste de l'Union des républiques socialistes soviétiques. La région reçut aussi de nombreux immigrants venus de toutes les régions du pays, en lien avec le développement des industries.
Aujourd'hui, dans le langage familier russe, on parle de « Nouvelle Russie » pour évoquer le Midi de la Russie européenne, qui va du sud du Don aux confins du Caucase, avec l'ancienne Circassie et les régions de Krasnodar et Stavropol, mais dans la propagande nationaliste, l'imaginaire impérial patriotique autour de la Nouvelle Russie a, selon Les Décodeurs, servi à légitimer dans l'opinion russe la guerre contre l'Ukraine à partir de 2014[5].
Recensement de 1862
Selon le géographe russe A. Zachtchouk[6], le recensement de 1862 trouvait en Nouvelle Russie (en gras) et dans les régions voisines de Bessarabie, du Kouban, de Stavropol et de la mer Noire :
Gouvernements | Population en millions | % Russes | % Ukrainiens | % Juifs | % Allemands | % Grecs | % Tatars | % Moldaves | % Bulgares |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Kherson | 2,9 | 7,4 | 60,4 | 7 | 4 | 8,6 | 2,6 | 9 | 1 |
Ekaterinoslav | 1,8 | 16,1 | 68,2 | 4,7 | 3,8 | 2,3 | 0,8 | 0,9 | 0,8 |
Tauride | 1,4 | 28,7 | 39 | 10,9 | 3,3 | 1,3 | 10,6 | 3,2 | 3 |
Bessarabie | 1,9 | 6 | 4 | 7 | 4 | 1 | 0 | 73 | 5 |
Kouban | 1,9 | 43 | 47 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Stavropol | 0,9 | 55 | 37 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Mer Noire | 0,06 | 43 | 16 | 0 | 0 | 10 | 0 | 0 | 0 |
Notes
- Marlene Laruelle, « The three colors of Novorossiya, or the Russian nationalist mythmaking of the Ukrainian crisis », Post-Soviet Affairs, , p. 55-74 (lire en ligne).
- Pour des raisons de compréhension historique, les noms choisis sont ceux de la transcription russe, plus fréquente pour les francophones étudiant cette période d'avant 1917.
- (en) Natalija D. Polonsʹka-Vasylenko, The Settlement of the Southern Ukraine (1750-1775), Ukrainian Academy of Arts and Sciences in the U.S., (lire en ligne).
- (sr) Olga M. Posunjko, Istorija Nove Srbije i Slavenosrbije, Srpsko-Ukrainsko Društvo, (ISBN 86-902499-2-3 et 978-86-902499-2-3, OCLC 977478076, lire en ligne)
- « Comment le discours de Poutine sur l’Ukraine s’est radicalisé », article sur lemonde.fr daté du 3 septembre 2014.
- Защук А., Материалы для географии и статистики России, собранные офицерами Генерального штаба, Тип. Э. Веймара, Saint Petersbourg 1862, sur .
Articles connexes
Bibliographie
- Emmanuel de Waresquiel, Le duc de Richelieu, Paris, Perrin, 2009.
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